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Saule Cogneur [Patient Jones]

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Saule Cogneur [Patient Jones] - Ven 16 Nov - 9:04

    Quatre murs pourvus de cadres vintage et un diplôme de médecine. Quelques grandes fenêtres aux rideaux tirés. Un bureau qui semble dater de la guerre quatorze-dix-huit. Un canapé à look moelleux pour autant qu’on ne cherche pas à découvrir quelle espèce de petit mammifère y a élu domicile avec sa progéniture. Une gigantesque horloge murale dont les aiguilles semblent avaler le temps plutôt que de le battre.
    C’est l’image évoquée par la plupart quand on parle d’un cabinet psychiatrique. C’est tellement cliché que cela en devient ridicule. Ô certes, fut un temps l’infrastructure ressemblait en tout point à cette description presque idyllique. Mais les temps sont désormais révolus. Les murs revêtent la même couleur que toute autre pièce de l’hôpital. Un diplôme y est forcément toujours perché, mais cela relève uniquement d’une petite ligne absurde qui figure dans le règlement d’ordre intérieur. La déco dépend de médecin en médecin. Pour ma part il y a quelques affiches signées de la main d’un artiste peu connu. Il s’agit d’une représentation abstraite de quelques pathologies qui sont, si pas soignées au moins abordées, dans l’enceinte de cette pièce. Il y a aussi un clin d’œil à notre ami Rorschach – un incontournable dans le monde torturé de la psyché humaine.
    Le canapé est également du voyage. Il en va de soi qu’il a évolué au fil des années. Il est tantôt confortable, tantôt thérapeutique. En plissant les yeux et en penchant légèrement la tête, certains diront même qu’il s’agit d’un ustensile de massage. Qu’à cela ne tienne, pour ma part je n’ai jamais essayé. Du moins pas avant un patient. Mais ne changeons pas de sujet, voulez-vous.
    Le fauteuil est bel et bien présent, mais il n’est pas le seul représentant de sa fonction primaire. Le choix se pose également sur une chaise ergonomique, un tabouret rond à l’assise légèrement rembourrée, un ballon de gym (oui oui, comme ceux pour les exercices de grossesse) ou encore un amas de coussins quelque peu disproportionnés disposés en parfaite symétrie autour d’une table basse. J’avoue, la disposition est de mon ressort. Elle ne restera pas bien longtemps ainsi. Mais j’aime à les remettre en place avant chaque entrevue. Même si la plupart des patients (Appelons un chat, un chat.) est plutôt réticent à l’idée d’une telle proximité. Les enfants y sont plus réceptifs. Allez comprendre.

    L’évolution tout ça tout ça. Créez un climat de confiance. Ne pas donnez l’impression d’être chez le médecin. Flouez et floutez les préjugés. Détendre l’atmosphère. Bref, tout est mis en place pour optimaliser les chances de réussite. Pour encouragez l’autre à s’ouvrir, à se confesser.
    Blah, blah, blah – un vrai speech de vendeur au porte à porte. Je n’irai pas jusqu’à prétendre que c’est une mauvaise idée. Qu’il n’y a pas un potentiel latent à exploiter. Que les résultats ne sont pas probants. Que du contraire. Mais fait est qu’envers et contre tout … nous restons enfermés. Autant cela peut convenir à la plupart des consultations ; parfois il faut être un peu plus inventif et laisser place à l’improvisation du moment. Et c’est exactement ce que j’ai fait.
    J’ai donné rendez-vous à monsieur Jones à l’extérieur de l’enceinte hospitalière. Nous resterons à proximité du bâtiment. Histoire de sécurité, d’assurances et toute une ribambelle d’autres justifications sur lesquelles je ne m’approfondirai aucunement ; mais il me rejoindra bel et bien à l’extérieur. Nous poursuivrons la thérapie normalement. Il n’y a jamais que le décor qui changera de ses habitudes. Il est parfois nécessaire de les bousculer pour découvrir ce qui se cache derrière. Rien de bien méchant en soi. Et vachement moins agressif, et donc contre-productif, que des petites gélules de couleur bien trop voyantes que pour ne pas ériger certains points d’interrogation pour le moins pertinent.

    Ce n’est pas la première fois que j’applique cette méthode de travail. Même si cela reste occasionnel et que tout cas de figure ne s’y prête pas. Encore une fois, il faut savoir s’adapter tant au patient qu’à sa pathologie. Et croyez bien que niveau appellation, ou encore stigmatisation pour certains, cela n’a rien de péjoratif ou dégradant. Il s’agit là simplement de terminologie unilatéralement approuvée par la majorité. Là encore, l’évolution a fait des bonds de géant en ce qui concerne l’acceptation de soi.

    Tout ça pour expliquer pourquoi je me retrouve à l’extérieur. En ce début d’après-midi ensoleillé aux températures plus qu’agréables pour la saison. Je suis assise sur un banc planté sous un arbre plusieurs fois centenaire. Une brise agréable vient me frôler le visage. Elle repart aussitôt en quête, et conquête, de nouveaux territoires. Elle m’arrache un semblant de sourire tandis que je gribouille quelques annotions abstraites sur mon calepin. Rien à voir avec l’homme à qui j’ai donné rendez-vous ici. Ce ne sont-là que quelques pensées volages qui me traversent l’esprit et que je prends la peine d’immortaliser sur le papier. Cela m’aide à me concentrer sur l’instant présent. Non pas à faire taire la petite voix qui me poke sans cesse les tympans, mais plutôt à l’apaiser. À lui accorder une audience de décompression. Parfois j’ai comme l’impression que ce n’est guère moi qui rédige ses mots. Que je ne suis autre qu’un vecteur charnel. Un pont, si vous voulez, entre mes deux moi.

    *Une psychiatre qui fait dans le dédoublement de personnalité … n’est-ce pas là une douce ironie du sort ?

    Je L’ignore volontairement. Répondre serait donner raison à la partie adverse. De toute évidence, sa question était purement rhétorique. Nous connaissons toutes les deux la réponse à la plupart des questions avant même qu’elles ne se posent.
    Du bout de mon crayon naît un dessin plutôt qu’un mot. Je laisse faire, me contenant ainsi d’un rôle de spectatrice lambda. Même s’il est clair que jamais Elle ne m’autorisait une telle dégradation. Quelle pire humiliation pour une narcissique de la sorte que d’avoir à se contenir du bas de l’échelle graduelle ? Et si je poussais le vice jusqu’à parler oméga ? …

    *Il est là.

    Sauvée par le gong …

    Je me redresse lentement et lui tend une main aussi professionnelle que le léger sourire qui l’accompagne.

    - « Monsieur Jones, bonjour. »
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Saule Cogneur [Patient Jones] - Jeu 29 Nov - 23:55

Je peux les entendres malgré la musique, malgré décibels qui tentent d'accaparer mon esprit de leurs basses et leurs aigus rythmés. Comme un chorus malsain de murmures distordus, un parasite imperceptible dans l'enregistrement, un message lourd de sens derrière les paroles d'une chanson innocente. C'est tout ce que j'ai trouvé de mieux pour les faire taire. Couper le bruit par encore plus de bruit. C'est fou ce que les choses changent en deux mois, troquer une addiction récréative pour finir avec l'impératif de gober des pilules pour survivre. Vouloir être solitaire et se retrouver victime d'une cacophonie invisible. Je crois que cette fois à force de vouloir foutre ma vie en l'air j'ai réussis. Quelques lignes sur un bout de papier, un diagnostic qui me donnerait encore plus raison de vouloir éviter les autres. Peut être que c'était déjà là, que c'est ce que je refusais de voir toutes ces années, que j'essayai de fuir. Ce qui était tapis dans le noir, dans ces nuits d'insomnies à tenter d’éviter les cauchemars. Une réalité de plus qui tombe en cendres entre mes doigts. Clemens me reproche ma normalité, mais je crois que même lui s'est trompé sur mon compte. On ne comprends ce que l'on n'a eu qu'une fois perdu. C'est comme revoir le soleil pour la première fois, réapprendre à se brûler la rétine en le regardant en face. La seule vérité c'est qu'il n'y a que la douleur, la seule certitude peu importe les frontières tangibles de ma perception. Plus rien ne sera jamais comme avant pourtant, en chute libre dans un monde qui ne tourne plus rond. Seul et pourtant multiple, et pourtant seul. Lise, Sinead et Delilah, je n'entends de leur souvenir plus que les commentaires de consciences qui ne sont pas la mienne. Enfin c'est ce dont j'essaie de me persuader. Tu es une belle épave, Maldwyn avait-elle dit. Si elle me voyait maintenant. Échapper à la mort de justesse et pourtant regretter d'être en vie ainsi. Repartir de zéro mais j'ai perdu à la roulette renaissance, disparaissant petit à petit dans les limbes de mon propre cerveau. Claustrophobie corporelle, mais je ne peux plus m'échapper comme avant. Deux mois sobre, paraît que c'est décisif pour un ancien addict. Que si je ne replonge pas demain alors peut-être que je ne replongerai jamais. Les tremblements incessants de mes mains me trahissent, l'envie encore présente dévore toute mon énergie. Moi qui redoutait le sommeil, il occupe maintenant une grande partie de mes journées. Je ne sors presque plus de chez moi, auparavant fuyard de ces quatre murs intimes mais où les voix se font inexplicablement plus silencieuses. Comme si elles n'avaient rien à redire, rien à observer, comme si la monotonie était le traitement le plus efficace. Une vie encadrée, programmée à la minute près, les recommandations des médecins pour ne pas replonger. Pour ne pas me laisser guider par des chimères. Merde, le simple fait de les nommer me rends fou. Fou. Un mot qu'on utilise sans y penser, vidé de son sens premier. Qui a perdu la raison. Je ne l'ai pas perdue pourtant, j'ai toutes les intentions du monde de rester le même. Je n'ai pas envie d'abandonner. Après tout le danger n'a pas changé, je suis toujours l'ennemi dans le miroir; pour le meilleur et surtout le pire. Moi qui me pensait incarcéré à cette existence, je comprends maintenant le vrai sens d'en être un prisonnier.

Alors c'est mon seul point d'ancrage, ce casque sur mes oreilles au volume dangereusement fort. L'unique barrière contre le monde, mon esprit et la foule dont j'essaie de me détacher tant bien que mal. La musique me donne le vertige, privé d'un sens j'en deviens encore plus maladroit. Les coudes qui érraflent les murs, les épaules qui se cognent contre celles des passants. J'aurais dû appeler un taxi, comme les autres fois. Mais la vérité c'est qu'avec un arrêt de travail forcé et sans couverture santé, je ne pourrais pas dépendre de ce luxe bien longtemps. Alors j'essaie de me hâter tant bien que mal, maintenant le compte régulier des notes de musique comme un mantra au fil de mes pas. Quatre. Six. Quatre. Huit. Le trajet jusqu'à l'hôpital m'est familier,mais je ne peux plus faire confiance à mon sens de l'orientation, pas lorsque la lumière de ce début d'après midi embrase dangereusement les vitrines des magasins et les phares des voitures. Un chatoiement qui perturbe ma vision et me fait cligner des yeux pour l'ignorer. C'est le son d'un klaxon par dessus la mélodie qui me fait sursauter d'un bond sur le côté. Le bout de mes chaussures se cogne de justesse contre le bitume du trottoir alors que le feu est déjà passé au vert. Je rassemble bien vite ma carcasse qui a manqué de finir à l'hôpital par la voie express, longeant les murs sous les insultes du conducteur indigné. Le cœur qui bats un peu fort malgré tout, l'apathie choquée d'un accident à peine évité. J'en viens à me demander si cela ne serait pas mieux ainsi, les côtes brisées sont plus facile à quantifier que des synapses endommagés. De l'autre côté de la rue un joggeur et son chien se sont arrêtés. Mon regard passe sur le maître qui se désaltère puis sur l'animal. J'ai l'impression qu'il me regarde lui aussi, les oreilles dressées sur la tête et la langue pendante. Collier autour du cou et laisse fermement tenue par la main qui nourrit, liberté à prix mérité. Le parallèle me fait tristement sourire. Comme un animal se rendant à l'abattoir. Comme un animal en cage. Je grimace au son de la voix qui commence à devenir un peu trop familière. Je n'aime pas celle-là, elle trouve toujours les bons mots pour me faire chavirer. Un peu comme Dr Mooney, ses questions compatissante et pourtant intrusives, son attitude frôlant le passif agressif. Le chien tire avec force sur la laisse, son maître rangeant en hâte son téléphone pour en reprendre le contrôle à deux mains. Peut-être que si j'obéis, que si j'agis comme elle le souhaite alors peut être serais-je un jour délivré de ces tourments. Je regarde l'animal se calmer sous l'autorité de l'homme, non sans un dernier grognement d'avertissement. Je peux faire confiance à ce bon docteur pour m'aider, pour guérir. Après tout, c'est tout ce qu'il me reste. Alors il est l'heure de prendre le chemin de l'abattoir.

Je ne m'attendais pas à la retrouver à l'extérieur, la secrétaire de son cabinet m'ayant laissé un mot pour me prévenir de ce cadre inattendu. Les pas incertains, l'anxiété grandissante au fil des minutes et du silence à peine perturbé par le vent dans les branches. Le parc de l'hôpital, dernier refuge d'air frais au milieu de ce monde aseptisé. La nervosité à fleur de peau, une forme de détermination pourtant pesante sur mes épaules. Il me faut quelques enjambées de plus pour la rejoindre, l'ombre conséquente de l'arbre au pied duquel elle est assise m'arrachant un instant de pause. Peut-être que dans un cadre pareil j'arriverai à faire le vide, à dissocier le vrai du faux de ce bourdonnement de pensées. Je vois les mots se former sur ses lèvres et il ne me faut pas beaucoup d'efforts pour les deviner. Une main qui se tend, une invitation au contact physique que je ne peux que refuser. Mon regard fuit aussitôt sur le tronc avant de détailler les racines tordues at mes pieds. La musique s'est tue dans mes oreilles depuis plusieurs minutes déjà, mais j'aime prétende. Parfois ça m'aide à les combattre. Elle manigance quelque chose. Je soupire. Et si elle veut juste nous aider. - Personne ne veut aider Maldwyn. Je retire le casque jusqu'alors vissé sur ma tête, fermant les yeux. Elle est docteur, c'est son travail. - Soit pas naïve. Je laisse tomber mon sac sur le sol. Un loup déguisé en agneau. « Bonjour docteur Mooney. » J'insiste sur l'intonation en tentant de reprendre le dessus sur le brouhaha, la cacophonie qu'elle n'entend pas. « Je ne m'attendais pas… à me trouver ici. » Je lève une nouvelle fois la tête vers l'énorme arbre. Il suit le chemin parce qu'il n'y a pas d'autre issue. « Je pensais qu'une répétition rigoureuse des mêmes lieux et des mêmes activités était… » Les mots de perdent sur mes lèvres alors que j'évite toujours son regard. J'essaie de sourire tant bien que mal alors que je m'assois contre l'écorce, la rejoignant non sans une certaine distance. Les mains sur les genoux, les lèvres légèrement pincées, je ne sais pas à quoi m'attendre dans ce cadre qui a tout de celui d'un rite de passage. « Est-ce que c'est un test ? » La question m'a échappé malgré-moi. Je suis obsédé par l'idée d'être mis à l'épreuve, toujours sur la défensive de me voir forcé de jouer à un jeu dont je ne connais pas les règles. J'ai du mal à me laisser évaluer, à me remettre en question. Peut-être est-ce pour cela que je n'en suis pas à mon premier psy. Je secoue doucement le visage non sans une grimace avant d'enfin plonger mon regard dans le sien. « Désolé docteur, je suis juste un peu… tendu ces jours-ci. » Et juste ainsi je l'incite à se saisir de la laisse, un semblant de corde au cou.
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Saule Cogneur [Patient Jones] - Ven 21 Déc - 8:19

    À défaut d’être nerveux, il transpire l’angoisse. Il est évasif. Évitant. Si c’est pour me regarder sans me voir, il préfère carrément éviter le contact visuel. Mais moi je le vois. Moi je le sens. Il trépigne de l’intérieur. Ses phalanges se crispent et se décrispent. Sa mâchoire se bloque, même si ses lèvres tentent un timide sourire. Il nie la main que je lui tends. Comme d’habitude. Je ne m’en vexe aucunement. De ma part, il s’agit autant d’un réflexe que d’un impératif. Une condition sine qua none. L’avant-goût des préliminaires si vous préférez. Le geste m’aide à saisir la température. À déterminer dans un premier temps la couleur de l’entrevue à venir. Chacun y réagit différemment. Certains s’expriment à travers une routine, d’autres par la spontanéité d’une réponse parfois contraire au bon sens. Il est intéressant de constater à quel point une gestuelle pourtant souvent qualifiée de « banale » peut en révéler beaucoup plus sur notre interlocuteur qu’il aimerait lui-même s’en persuader.
    Mais assez de cela. Si je venais à lui avouer ce petit plaisir coupable, cela influencerait assurément ses prochaines expressions. Volontaire ou non, l’homme est et restera toujours ce qu’il est.

    *Amen.

    Sans un mot, je le regarde. Je l’observe. Il me contourne. Il s’éloigne. Il m’évite. Comme la plupart de mes patients, il est plus que réticent à l’idée de passer une partie de son après-midi à mes côtés. Il pense assurément que je le juge. Que je le jauge. Que mon avis importe plus que celui de monsieur et madame tout-le-monde. Que le portrait qu’il me propose sera forcément celui par lequel je me laisserai berner. Il me prend pour une spectatrice. Pour un public consentant qui n’attend nul autre que d’être ébloui par sa prestation.
    Il n’est ni plus ni moins que tout un chacun. Il érige des barrières invisibles tout autour de sa carapace de tortue terrestre. Il rajoute briques et ciment pour les fondations. Ensuite il attrape sa baguette de sourcier pour enchanter ces parois dont il est seul à connaître la véritable teinte. Il s’applique à la tâche. Il se pense supérieur. Ingénieur inventif. Architecte de ses songes. Il construit encore et encore. Sur ses oreilles est planté un casque auditif. Il se coupe du bruit de l’extérieur. Il s’enferme dans sa bulle. Il se persuade d’un ailleurs meilleur. Je sais bien que le son a cessé de s’y percuter depuis quelques instants déjà. Je ne relève pourtant pas l’information. Après tout, qui suis-je donc pour m’aventurer dans un milieu hostile où je ne suis clairement pas la bienvenue ?

    Il finit par se résigner. Nous nous connaissons désormais depuis assez longtemps. Il sait que je ne céderai aucunement à la facilité de la fuite. Pas plus que je ne lui autoriserai à emprunter ce chemin. Et encore, au final il est seul protagoniste de son histoire. S’il le désirait vraiment, il n’a qu’à me tourner le dos et reprendre le cours de sa route. Ligne droite vers l’avenir. Aucun regard pour le passé. Aucun regret. Zéro scrupules. Pas plus pour lui que pour moi. Certes, de par mon métier il est de mon devoir de venir en aide à celui qui m’en querit. Mais où s’arrête exactement mon rôle ? À partir de quel moment m’est-il moralement autorisé à ne pas m’avancer davantage dans une certaine direction ? Ne dit-on point que notre liberté s’arrête là où débute celle des autres ? C’est à méditer, je vous l’accorde. Mais maintenant n’est pas nécessairement le moment propice à l’aboutissement d’un débat car déjà monsieur Jones me gratifie de son attention en dévissant la technologie moderne de sa tête, ainsi que d’une formule de politesse qui a probablement dû lui coûter plus cher qu’il ne consentira à l’avouer. Là encore, je ne relève pas l’information. Une relation de confiance entre patient et médecin est un processus de la longue durée. Le fait qu’il accepte toujours de se présenter à nos rendez-vous mensuels est une victoire en soi. Et il faut savoir en profiter ; surtout des plus petites.

    Encore des mots. Pour instaurer la conversation. Pour combler le vide. Je me demande vaguement si sa propre voix arrive à se frayer un chemin jusqu’à ses synapses. Je le laisse s’exprimer. S’éloigner. S’installer. Quant à moi, je reste debout. Droite. Attentive sans tomber dans les vices du stoïcisme. Réservée, mais pas pour autant hostile au rapprochement. En tout bon tout honneur bien sûr.

    Une question. Fugace. Agressive. Elle claque. Une légère brise attrape son point d’interrogation finale et l’emporte ailleurs. Je ne le prends pas personnellement. De toute évidence, il se rend compte lui-même de l’absurdité d’une telle allégation. Mais l’est-elle vraiment ? …

    - « Vous n’avez pas à vous excuser monsieur Jones. »

    Ma voix est douce, mais sans pour autant tomber dans le mielleux et le sur-joué. Je ne suis pas ici pour lui faire la morale. Pas plus que pour lui attraper la main à l’image d’une figure maternelle. Cette main, certes, je peux la lui tendre ; mais uniquement dans le but de l’aider à se redresser. Je peux ouvrir des portes. Ce n’est pas pour autant à moi de le pousser à travers leur encadrement.

    - « Avez-vous réussi à mettre des mots sur l’origine de cette tension ? »

    Comment allez-vous aujourd’hui monsieur Jones ? Vous prenez bien vos médicaments monsieur Jones ? Le grand méchant monstre dort-il toujours au pied de votre lit monsieur Jones ? Non, je ne suis pas ce genre de psy. Celui à conforter ses patients dans leur pathologie. Celui à entretenir une relation maladivement abusive dans l’unique objectif de sucrer ses quelques maigres épargnes. Je suis ici pour l’écouter. Pour l’aider à comprendre ce qui se trame dans les fins fonds trépas de son subconscient. De mettre des mots sur son mal-être dans la prévision d’une compréhension plus ordonnée. Le savoir c’est le pouvoir. Et il y a bien peu de gens qui se connaissent suffisamment soi-même.

    - « Marchons un peu, voulez-vous. »

    Ce n’est pas une question. Pas plus qu’un ordre. Plutôt une invitation.

    - « Autant profiter un peu du paysage … »

    Certes nous sortons du cadre des sentiers battus, mais à quoi bon poursuivre à l’extérieur si c’est pour se confiner dans un nouveau cube aux parois translucides ?

    - « … et de l’air frais. »

    Je m’autorise un léger sourire plus prononcé à son égard. Je sais bien que vous avez cette fâcheuse tendance à rester cloîtré chez vous monsieur Jones. Inutile de nier l’évidence, cela se voit comme le nez au beau milieu d’un visage. Vous avez le teint mat et blafard. Vous transpirez littéralement un début d’agoraphobie. Continuez sur cette lancée et je me verrai dans l’obligation de poursuivre notre prochain entretien dans l’enceinte de vos appartements personnels. Et cela causerait un certain embarras de situation … n’est-ce pas ?

    Avant qu’il n’entame le processus de réponse à ma première question, je me permets de rajouter un petit quelque chose pour le titiller :

    - « Et s’il s’agissait effectivement d’un test ? »

    Il est plus dangereux de laisser ce genre de question en suspens que d’y prêter une réelle attention. Quitte pour cela à entretenir plus encore les prémices d’une évidence plus que flagrante.

    *Aboyer ou grogner … that is the question.
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Saule Cogneur [Patient Jones] - Mar 25 Déc - 14:12

Tendu. L'utilisation du mot est sans doute un peu faible si je considère ces dernières semaines. J'essaie de relativiser, positiver, garder le moral malgré ces doutes terrifiants qui percent à peine la surface de ma conscience. Je suis dans l'attente. Un instant interminable entre deux points, ceux d’un avant et d’un après. Le diagnostic a été donné et pourtant je suis encore dans l'antichambre du cabinet, laissé avec mes questions sans réponses. Cloué à mon siège j'attends un dénouement qui ne vient jamais. Ou plutôt, j'ai déjà le fin mot de l'histoire et pourtant j'espère plus, un indice entre les lignes qui pourrait m'indiquer que tout finira par aller mieux. Est-ce vraiment ainsi ? Est-ce qu'on peut perdre le sens des réalités aussi facilement ? La raison entachée par quelque chose d'inexplicable, inextricable. Oh je ne suis pas assez idiot pour faire l'innocent et prétendre que la drogue n'est pas un potentiel facteur. C'est étrange l'addiction une fois qu'on s'extirpe de son emprise. Tous ces moments où l'on croit que ce n'est rien, que ce n'est qu’une sale manie et juste quelques déviances sans possible impact. C'est la première chose qu'ils enseignent en rehab, qu'il n'y a pas de petit comportement et d'actions sans conséquences. C'est plutôt simple à encaisser mais terriblement plus dur à appliquer. Une magie noire de l'esprit qui malgré la consciente raison du danger continue d'être à genoux de son envie. J'ai essayé de ne plus être esclave de mes cauchemars, de cette paralysie du sommeil qui hantait mes nuit. A la place j'ai finis par ramper au pied de l'autel d'autres passions. Les mains jointes à prier pour la destruction, le nez dans la farine jusqu'aux synapses j'ai cru que le blanc était la couleur de la pureté, de la guérison. J'étais loin d'être pieux et je le savais. Alors peut être que j'aurais dû voir tout ceci arriver, comme une punition divine pour m'être laissé fourvoyé. C'est dans les moments comme ceux-là que j'aimerai croire en dieu. Avoir une explication même rocambolesque pour justifier que tout ceci ne me tombe dessus. J'aimerai que l'on parvienne à me persuader que je l'ai mérité. Que j'ai simplement pris un mauvais détour et qu'il me suffirait d'une carte pour retrouver mon chemin. Shit happens. Mais cette fois je crois que j'ai gagné le premier prix au concours des pires purgatoires.

Âme en perdition, en recherche de réponses. Alors je m'accroche à nos sessions malgré la réticence que la présence de son esprit tout aussi inquisiteur ne provoque en moi. Je devrais pourtant aimer les questions en ma qualité de professeur, mais je déteste lorsqu'elles me concerne. Adepte de la méthode scientifique mais je n'aime pourtant pas être le cobaye. Si je lui ai demandé si c'était un test c'est parce que je ne sais pas comment gérer ces entrevues. Lorsque je note mes élèves j'étudie leurs comportements de la même manière, leurs mots et leurs sens. J'en tire des conclusions et des hypothèses pour émettre un jugement. Je n'aime pas être jugé ainsi, décortiqué sans avoir mot dire sur le contenu du rapport. Ce n'est pas un manque de confiance en moi on envers autrui. Je n'aime juste pas l'idée de ne pas pouvoir être en contrôle. Je préfère être spectateur plutôt que le centre d'intérêt. Et en ma qualité de patient il est impossible de lui échapper. Patient, patience encore et toujours. Celui qui attend que cure ne se fasse. Espérer aller mieux. C'est ainsi que j'essaie d'être docile, de lui donner suffisamment pour l'aider, m'aider. Je ronge mes propres angoisses tout en m’en créant d'autres, un ouroboros de malaise constant. Elle va juste te cajoler comme toutes les autres, et tu vas finir en bon repas dans sa toile. Je chasse l'image sordide qui s'est éveillée sur ma rétine au son de la voix éthérée en secouant légèrement la tête. Elle me dit que je n'ai pas besoin d'être désolé pour mon ton aussi cinglant. Je pensais mes excuses sans fondement, pourtant quelque chose me fait vraiment regretter. Faiblard. Nouveau mouvement saccadé de la tête, je porte mon attention tant bien que mal sur elle. Les origines de ma tension, une réponse évidente et pourtant les mots peine à percer mes lèvres. Au plus je parle des voix, de ces fantômes de lumière au coin de ma vision et plus j'ai l'impression de donner corps à cette folie. Fermé comme une boîte de pandore, j'ai peur que si je m'ouvre je vais finir par déverser tout le chaos et la peine du monde. « C'est… le bruit constant. » Je ne parle pas de voix, je ne les nomme pas, je n'ai pas le courage d'aller jusque là. Tu as besoin de nous Maldwyn. - On ne partira pas imbécile, il est trop tard pour te débarasser. « Cette cacophonie dans mes pensées. La lumière aussi. Je supporte mal la lumière. Elle chatoie dans mes yeux sans cesse et c'est très désagréable, ça laisse des traces comme si j'avais fixé le soleil trop longtemps. » J'avoue avoir déjà fixé l'astre. Peut être que c'est ainsi que je me suis brûlé la matière grise. Mes yeux passent sur le sol aux pieds de ce bon docteur. Je me sens un peu malotru à être ainsi assis alors qu'elle a l'air décidée à rester debout. Je suis d'ailleurs bien vite prit au dépourvu alors qu'elle décide que notre entrevue serait mobile. Je me redresse précipitamment, un peu maladroit sur mes jambes au garde à vous alors que je m'apprête à lui emboîter le pas. « Marcher…? » Je répète ses mots un peu ahuri. Je ne m'attendais pas à me retrouver à l'extérieur, encore moins à prendre le rythme d'une balade au grand air. Peut être que cela me ferait du bien, mais l'exclusivité de la situation me perturbe un peu plus. Je préfère la routine, savoir à quoi m'attendre pour pouvoir mieux appréhender. J'aime de moins en moins les surprises parce que j’ai peu à peu l'impression de perdre facilement le contrôle de la barre et chavirer d’un rien. Je déglutis, ouvrant la bouche avant de la refermer aussitôt comme un poisson hors de l’eau. Un test. Bien sûr que c'est un test, c'est son job de te tester. - Te mettre à nu, dépecer ta carcasse comme un trophée de chasse. Briser le moindre petit os de fierté avant de t'empailler au dessus de ses diplômes comme les autres cas qu'elle a rencontré. Un vertige soudain qui me fait reculer, l'une de mes mains cherchant l'appuie ferme du tronc d'arbre. Je porte la seconde à mon visage, fermant les yeux un instant pour essayer de faire le vide. Une méthode aux résultats quasi impossibles à obtenir dans mon état mais je continue d'essayer avec obstination. « Si me tester peut m'aider à aller mieux docteur…je vous en prie… » Que je réponds en essayant d'y mettre toute la franchise possible. La vérité c'est qu'une partie de moi est ouvertement réticente à cela tandis que l'autre est une docile forme malléable à ses ordres. Je finis par tendre une main tremblante pour l'inviter à me passer devant, je la laisse me guider avec politesse. Surtout avec incertitude, en pleine reddition. Quelques pas en silence, je ne sais pas si je dois calquer mon rythme sur le sien ou continuer à ma propre allure. « Avez-vous beaucoup de patients à voir aujourd'hui ? » Je tente une approche de conversation innocente, peut être que j'essaie inconsciemment de diriger le sujet vers autre chose, poser des questions sur elle pour qu'elle n'en pose pas sur moi. J'échappe un soupire, fermant les yeux un instant après avoir respiré l'air à plein poumons. « Je n'aime pas l'extérieur. À cause du bruit. » Je parle du bruit dans ma tête bien sûr, mais je suis une nouvelle fois réticent à le pointer du doigt sans détours. « Il… augmente en présence d'autres personnes… » Mes lèvres se pincent légèrement, je baisse le visage avant de continuer à la suivre. C'est définitivement un test. Pousser mes élèves hors de leurs zones de confort, je l'ai fait plus d'une fois. Alors je ne devrais pas être étonné de son petit jeu. « Je ne connais plus le silence docteur, pas dans cette ville. J'ai une sœur qui a une maison de vacances à Branson dans les Ozarks. Peut être que je devrais l'appeler, lui demander si je peux la surveiller pour l'hiver. » Encore une fuite, une de plus. Une idée stupide mais qu'il me fallait quand même formuler, continuer de prétendre que tout ira bien si j'y crois vraiment. Comme si Caitrin allait te laisser squatter sa deuxième maison. Je cligne des yeux, passant une main sur ma nuque. A défaut du silence de mon esprit, mes lèvres finissent bien vite par se sceller. Quelques minutes passent, une errance où je la suis comme un chien fidèle. Est-ce que je vais vraiment guérir docteur ? Une question qui me brûle les cordes vocales mais que je ne peux pas poser. Nous ne partirons jamais ont dit les voix. Je suis trop terrifié alors je continuer de rester immobile dans la salle d'attente. La vie crie mon nom mais je suis prêt à l'abandonner. Car je ne peux pas continuer ainsi, chaque parcelle de mon être brisée, solitaire mais pourtant plus jamais seul. Je suis devenu quelque chose d'autre, et elle seule pourra m'apaiser.



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Saule Cogneur [Patient Jones] - Ven 25 Jan - 8:14

    Les mots se bousculent. Se heurtent. Ils ont beau franchir la frontière de ses lèvres, il semble en continuel débat intérieur. Comme si sa bouche exprimait quelque chose de calculé, histoire de convenir à l’attente. À se glisser dans un moule. Il lutte. Il vacille. Peut-être pas physiquement, mais il perd clairement l’avantage. Il s’accroche à ce qui semble être un fil rouge à la fois tendu et distordu. Les syllabes se suivent trop rapidement. Il ne bégaie pas à proprement parler, mais c’est tout comme. Là encore, je ne réplique pas. Je ne le reprends pas. Je lui laisse tout le loisir de s’exprimer à sa manière. À chacun de nos entretiens, il s’enfonce davantage. Je ne peux qu’imaginer la force dont il a dû faire preuve pour se trouver ici, aujourd’hui, en cet instant bien précis. Qui plus est en la présence d’une entité qu’il perçoit plus comme hostile que salvatrice. Ô je n’irai pas jusqu’à prétendre que je le suis, salvatrice je veux dire ; mais je n’en démords pas moins que je peux signifier quelque chose pour son esprit en dérive. Ce n’est pas pour autant que je vais lui offrir les réponses toutes prêtes, servies sur un plateau doré et arrosées d’une petite sauce béchamel. S’il ne trouve pas les pistes par lui-même, il ne me servira à rien de lui montrer la route. Prémâcher le travail, cela n’a jamais apporté grand-chose de constructif sur le long terme.

    Et ensuite il y a ce BRUIT. Encore et toujours ce boucan infernal qu’il est le seul à percevoir. Cela le ronge de l’intérieur et se répercute sur l’extérieur. Son état de santé pourrait m’apparaître comme inquiétant vis-à-vis du mois dernier. Je me garde pourtant de lui en toucher un mot. Peut-être plus tard dans la conversation. Tout dépend du (petit) morceau de parcours que nous arriverons à traverser ensemble. Je ne m’avance en rien. Je ne prévois guère plus. Comme pour tous mes patients, je les laisse seul maître à bord de leur navire. Je ne suis même pas le second en chef. À peine son fantôme, ou encore l’ersatz de son porte-parole. Muse parfois. Radar géographique à l’occasion. Souvent on m’attribue plutôt le rôle du phare esseulé dans un océan embrumé. L’image est autant flatteuse que poétique, je vous l’accorde. Je ne me jette pas pour autant des fleurs. Le retour du pot en céramique pourrait causer de vilains dégâts.

    Il se redresse. Un peu – tout est relatif – maladroitement. Il veut répliquer. Il se reprend. Et avec cela une gifle invisible, mais pas pour autant moins cinglante. Il vacille. Il recule. Manque de se prendre les pieds dans les racines. Se rattrape de justesse contre la chaleur relative et le rugueux indifférent de l’arbre plusieurs fois centenaire. Je le laisse reprendre le contrôle de la situation. Effectuer une rapide analyse de l’information que je viens de lui balancer à chaud. Extérieur + mouvement, un combo explosif. Non seulement cela sort du confort de la routine, qui plus est cela implique – à un moment ou un autre – le contact avec autrui. Des inconnus. Des immigrés à l’approche de sa bulle imaginaire. Plus de tintamarre encore. De par cette prévision, je ne fais pas que le bousculer. Je le jette carrément dans la fosse aux lions. Aucune forme de préparation. Aucun rempart auquel s’accrocher. Un gladiateur dénué de toute son armature. Ne tient qu’à lui de trouver les outils pour se prémunir de la suite … ou de se laisser emporter par le courant.
    Il a tendance à oublier que je suis toujours là. Ils l’ont tous. Ce n’est pas grave. Je saurai me montrer persuasive le moment voulu.

    Il finit d’ailleurs par capituler. Peut-être un peu contre sa volonté. Ou celle de ces autres qui lui triturent les méninges. Je sais pertinemment qu’ils ne m’apprécient guère. Que son hostilité passive à mon égard le lui est insufflée. Pas étonnant d’ailleurs. Moi qui OSE m’aventurer sur leur terrain de jeu. Moi qui m’immisce dans leur intimité. Moi qui m’incruste et vient me lover dans ces fissures persistantes. Petites fentes à première vue innocentes qui très vite deviendront crevasses si tant est que je continue à m’y engouffrer. Et c’est exactement mon intention.
    Ce qu’elles ne comprennent pas, c’est que mon rôle n’est pas de les chasser. Uniquement de trouver la clé qui permettra une meilleure communication. Je ne suis pas le vilain boogeyman …

    *Mais Nous savons où le trouver.

    Il se drape d’une cape de galanterie. Il me propose d’ouvrir le bal. De mener la danse. Là encore, ses mots s’expriment dans une langue tandis que son esprit se borne à se refuser bilingue. C’est intéressant à observer. Il est tellement facile de le titiller. Tentant également. Mais je me dois de rester professionnelle. De me contenter du rôle qu’il s’attend me voir jouer. Cela est bien dommage. Dans d’autres lieux, et assurément d’autres circonstances, nous aurions pu entretenir de sacrées discussions ensemble. Son métier de professeur aidant, ou pas, il analyse la situation en parallèle. Le sujet à beau différer du tout au tout, les méthodes restent résolument les mêmes. Peut-être, probablement même, les a-t-il déjà appliquées. Il en connaît donc les tenants et aboutissants. Du moins en grandes lignes. De fait, il ne peut s’empêcher de chercher les BONNES réponses à formuler. Qu’il se rassure, il n’en existe aucune. Ou plutôt, il en existe plusieurs. Certes, chacune avec ses propres spécificités quant à ce que notre avenir commun nous réserve. Ais-je déjà mentionné à quel point la psyché humaine est une ressource inépuisable ? Jamais je ne croiserai deux énergumènes qui vivent, expriment ou encore rejettent leur pathologie de la même façon – soit-elle désignée par le même terme médicale.

    Après quelques pas dans une certaine direction, je me permets de calquer mon rythme au sien. Je me positionne à sa droite. C’est volontaire. Comme la plupart des actes qui s’instaurent dans nos sessions. Il le sait, j’en suis certaine. Mais a-t-il seulement compris pourquoi ?
    Je le laisse à cette réflexion et me contente de répondre par le même silence qu’il aspire tellement à retrouver. Détourner le sujet de la conversation ne nous amènera de toute évidence en aucun cas là où il serait judicieux d’aboutir. Même si là encore les destinations sont multiples et ô combien aléatoires.

    Je le laisse mettre des mots sur son ressenti. C’est bien. Petit à petit il accepte de s’ouvrir à moi. Je le laisse parler. Je ne prends aucune note. Mon calepin me servira plus tard. Entre deux patients. Il est curieux de constater à quel point le fait d’écrire – ou non – peut influencer le cours d’une conversation. L’interlocuteur ne peut généralement s’empêcher de ralentir, d’hésiter, de se pencher un peu vers le côté afin de découvrir le fin fond de mes gribouillis. Il m’arrive d’ailleurs, avec certains experts en la matière, de rédiger des lignes en rien liées à l’entretien en cours. C’est un stratagème comme un autre. La curiosité, ce si vilain défaut. Même s’il en est pas forcément un.
    Nous marchons ainsi quelques – longues – minutes. Sans un mot. Sans un bruit. Si ce n’est celui, omniprésent, qui nous entoure. Nous pourrions poursuivre ainsi pendant un certain temps encore. Un temps certain. Histoire de voir comment il réagit à une présence non-verbale. Quelles sensations il peut en retirer. Quelle culpabilité aussi. Une prochaine fois peut-être. Aujourd’hui j’ai autre chose à lui proposer. Ce qui explique, en partie du moins, notre présence en extérieur. Entourés d’autrui. Qui font du bruit. Car le silence absolu n’existe pas … n’est-ce pas ?

    - « Vous devriez effectivement l’appeler. Mais pas pour autant pour la raison évoquée. »

    Ma voix garde sa neutralité. Pas une syllabe pour dépasser l’autre. Pas de ton accusateur. Pas de reproche. Pas d’ordre. Un fait connu de nous deux, tout simplement énoncé à voix haute.
    Je tourne, enfin, mon attention vers lui. Mon pas ralentit. Le sien ne peut qu’y réagir. Soit il avance et nous perdons l’effet recherché. Soit il calque et prouve, une fois de plus, que sa docilité introvertie est plus maître de la situation que son calvaire intérieure aime à le supputer.
    Je connais la réponse à cette énigme aussi bien que lui. Inutile donc de tourner le couteau dans la plaie.

    - « Respirez calmement, tout va bien se passer. »

    Et sans attendre son aval, je tends ma main droite vers son visage. Je ne lui laisse pas l’occasion du recul. Du bout de quatre de mes doigts, le pouce en moins, je viens à peine effleurer sa tempe gauche. Le contact est éphémère. Quasi inexistant. C’est la première fois que je lui impose une telle proximité. J’aurais pu le prévenir, l’informer, le rassurer davantage … mais à quoi bon, il se serait braqué et les résultats auraient été indéniablement faussés.
    Je me concentre. Je ne le lâche pas du regard. Moi je sais ce qui m’attend. Pas comment lui va le vivre. Je peux émettre mille et une hypothèses, il reste seul détenteur de la vérité.
    Je sens l’aspiration. L’appropriation. Pendant l’espace de quelques secondes je lui VOLE son sens le plus effrayant. Son ouïe disparait complètement du tableau. Je l’avale. Je l’absorbe. Je me l’octroie. Il est à moi. Je suis lui. Il est moi. Dans mes oreilles, un bourdonnement léger qui grandit et amplifie rapidement. Il me rattrape. De tous les côtés, les sons me parviennent. En décuplé. En décalé. Ils me happent. Hissent dans mon dos à l’image de serpents gigantesques. Ils montrent les crocs. Ils crachent leur venin. Tentent de me mordre. Je reste stoïque. Imperturbable. Il ne m’est pas autorisé de montrer la moindre faiblesse à l’encontre de celui que je tente d’apaiser.
    Quelques secondes à peine. Une éternité en réalité.
    Pour moi.
    Pour lui.
    Du moins, c’est tout le malheur que je lui souhaite.

    Déjà le contact se rompt. Mon ouïe retrouve sa fonction première. La migraine commence déjà à poindre le bout de son museau moustachu. Elle frappe à la porte. Ne demande pas pour autant l’autorisation de rentrer. Je ne laisse toujours rien transparaître. Je me sens faible. Vidée. Accablée par ces fichus effets secondaires. Si c’est le prix à payer, qu’il en soit ainsi fait. Fort heureusement je n’ai prévu d’autres sessions cet après-midi.

    - « Dites-moi. »

    Tout.
    Rien.
    Ce que voulez.
    Peu importe.
    Je sais que vous le voulez.
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Saule Cogneur [Patient Jones] - Dim 3 Fév - 17:37

La confiance facilement trahie, si difficilement accordée. Je ne pense pas avoir jamais vécu quoi que ce soit qui m'ai définitivement dérobé de cette faculté. Le fait est que je suis naturellement méfiant, fortifié derrière un épais mur de cynisme et quelques phrases élaborées à ma fuite constante. Insaisissable aux autres et à moi-même, impossible de laisser qui que ce soit entrer sans une décennie d'épreuves à passer. Je me fond pourtant facilement dans la masse, figure irréprochable à la politesse et l'optimisme naïfs. Si je peux sembler conciliant et avenant, ce ne sont que de jolies façades pour cacher le champ de bataille encore brûlant de tout ce que je considère comme une intrusion. Un cercle qui refuse de rentrer dans un carré, roulé en boule autour de ce noyaux d'intimité impassable. La sociabilité comme outil, être agréable et focalisé sur les autres, flatter leurs égos pour que leur intérêt ne s'éveille jamais du mien. En pleine lumière et pourtant dans l'ombre, toujours ce clair obscur de sourires et ces demi mots hochés de la tête. Et ça fonctionne, tant que personne ne s'approche suffisamment, tant que je ne veux pas plus que cette solitude auto-imposée. Alors la confiance et une valeur brute qui n'entre que rarement en jeu, que je n'ai presque jamais besoin d'accorder. Puis il y a le corps médical, et il y a docteur Mooney. Ceux qui doivent communément inspirer la sécurité, ceux qui ont fait le serment d'aider peu importe la situation. Ceux dont c'est le métier de s'introduire au plus près, dépecer les corps et décortiquer les esprits pour en analyser le fonctionnement. Chair à vif, corps à nu déshabillé de toutes ces couches de protections, laissé vulnérable à toutes les lubies et les jugements. Mais ce n'est leurs avis et leurs diagnostiques qui me dérangent; je ne veux pas les voir extirper au grand jour ces choses que moi-même j'ai oubliées et enfermées à double tour.

Marcher. Si l'idée est dans un premier temps repoussante elle fait cependant vite son chemin. Pas besoin de rester maladroitement stoïque, pas besoin de la regarder ou de subir ses inspections si je dois d'abord me concentrer sur là où je mets mes pieds. Un pas devant l'autre, une cadence rassurante comme le tic tac d'une horloge qui sonnera bien vite la fin de cette entrevue. Alors je peux subir si tout ce qu'elle attend de moi c'est une promenade. Je peux plus facilement supporter me laisser pondérer si déjà elle me force à physiquement faire les cent pas. Le visage qui se lève légèrement vers le ciel, absorber les rayons de lumière à peine portés par un vent encore tiède. Fermer les yeux pour me concentrer sur la Nature avec une majuscule pour en oublier la mienne, ignorer le centre de mon monde pour l'étendre plus loin. Les bruits réels, les voix qui existent vraiment. Ces personnes vivantes qui rient et conversent aux abords du parc de l'hôpital, le son grinçant d'une chaise roulante et les aboiements d'un chien excité après une balle. Oublier le bruit que produit uniquement mon cerveau, cette tromperie qui n'atteint pas mes oreilles, ce signal électrique faussé qui crée tout un monde imaginaire. Confiné dans mon crâne et cette matière grise, ces synapses endommagés qui aiment jacasser de tout et de rien. Ils s'animent en présence des autres, commentent et conseillent sans relâche. Pourtant ils se noient tout autant dans le silence que dans la cacophonie réelle de la ville. A la manière dont moi même je finis par me perdre dans mon environnement tangible et hanté. Elles font partie de moi, peu importe ce qui m'entoure et ce qui m'arrive. Le cerveau n'est pas une erreur amputable, un handicap qu'on peut facilement remplacer avec une prothèse. Elles seront toujours là. Me crever les yeux, me percer les tympans, cela n'y changera rien. Elles me hanteront jusqu'à ma mort ou jusqu'à ce ma tête explose sur les murs. Bang bang, I shoot me down.

Un frisson de dégoût me remonte le long du dos à cette pensée et mes pas trouvent une halte avant de remarquer que les siens aussi se sont stoppés. Je me tourne vers elle, les traits inquisiteurs alors qu'elle m'informe de respirer calmement. Un mouvement de recul instantané à ses doigts qui viennent de frôler ma tempe sans prévention. Un contact qui m'électrise de colère aussitôt. Je déteste être touché sans permission, palpé par des mains inconnues donc je n'ai pas autorisé l'approche. Et ce touché même infime provenant de quelqu'un envers qui la logique impute toute confiance, est suffisant pour déformer légèrement mes traits auparavant si apathiques. « Ne me touche pas ! » Une mise en garde de ne pas recommencer, le tutoiement maladroit qui fait éclater le mur entre patient et psychiatre. Pourtant je n'entend pas le son de ma propre voix, l'avertissement formulé entre mes lèvres n'est plus que le fantôme d'une intention. Je cligne des yeux un instant, perplexe de ce phénomène avant de comprendre que je n'entends même plus le son de ma propre voix. « Qu’est-ce que… » Le mouvement des lèvres qui ne produit rien, enfermé de force dans une bulle de silence. Pourtant la pression est insoutenable. Je regarde alarmé autour de moi, tentant de percevoir ces sons que j'entendais il y a quelques minutes. La chaise roulante ne grince plus, plus de rires ni de conversations. J'ai un mouvement de recul, mes paumes venant se plaquer sur mes oreilles par réflexe. Je t'entends même plus ma propre vie, le son de la tension dans mes veines, mon propre cœur. Plus aucune preuve que je suis en vie, plus aucun battement même infime. Une panique glacée s'éveille au creux de mes nerfs. Maintenant que le silence est total, que mon ouïe a disparu, il ne reste plus que les bruits incessants de mon cerveau. Tu es tellement naïf Maldwyn. Tu ne peux faire confiance à personne. La voix féminine résonne avec une telle force que j'échappe un gémissement, serrant un peu plus mes mains contre mon crâne. Jamais encore elle n'avait été si prégnante, si violente. Dénudé des autres bruits à considérer, mon cerveau semble laisser librement court à toute la cacophonie de sa folie. Tu es tombé en plein dans le piège, et tu t'en étonne pourtant. Depuis le début elle ne cherche qu'à t'atteindre, te faire sortir de ton trou, te faire sortir de tes gonds. Que la voix poursuit, plus amplifiée encore. Je tombe un genoux à terre, écrasé sous le poids de ma propre tête. Elle ne cherche pas à te comprendre, elle ne cherche pas à t'aider. Elle tire juste sur les fils pour te faire danser comme bon lui semble. J'essaie de me concentrer, entendre à nouveau ces sons véritables qui m'entourent. Mon regard se fixe sur le chien qui s'est rapproché. Ce que je donnerais pour l'écouter aboyer, hurler à la mort. A la place je ne peux qu'observer le mouvement de sa mâchoire se déployer, ses babines retroussées sur ses dents portées vers nous. Son maître à sa suite qui tire sur son collier pour tenter de faire taire l'animal hystérique. Aboyer, hurler, c'est ce que j'ai envie de faire là tout de suite. Crier à ce bon docteur le fond de ma pensée. Alors fait-le. Les voix grondent leur idée désinhibée à l'unisson, un écho terriblement prégnant. « Ne...refait jamais ça ! » Ma propre voix me parvient enfin. Le bruit réel, le grognement brutal et sonore comme un soulagement. Tout en déferlante, le grincement du fauteuil, le vent, les voix humaines, les aboiements du chien qui se calme enfin. J'accueille tout ce chaos avec un soupire, mes mains cessant enfin de comprimer mon crâne comme une coquille de noix. Je me redresse et augmente la distance entre nous, jetant un dernier regard à l'homme qui réprimande l'animal en s'éloignant. Mes yeux se posent sur ce bon docteur. Je ne m'arrête même pas sûr l'étrangeté de la situation. Je n'ai pas envie de savoir, pas besoin que l'on m'explique. Je sais juste que je n'ai jamais envie de retenter une expérience aussi désagréable; et que si ma politesse de façade m'inciterait à m'excuser de mon comportement et de mes mots, je peine à en trouver l'envie. Un nouveau grognement animal échappé malgré moi alors que je réponds à sa question de scientifique qui veut jauger les résultats de son expérience. Les mots se forment avec peine, je peine à trouver pied dans le langage. « Ne… jamais… ça. » Un gargouillis rauque qui la met en garde de nouveau. « Mauvaise idée… » Que j'insiste après avoir galéré à articuler les syllabes.Je ne sais pas ce qu'elle espérait de cette action, mais plus jamais je ne la laisserait me jeter seul dans le noir avec ces voix qui ne bruissent que dans ma tête. Après un dernier regard pour le chien qui disparaît au loin, mes yeux se plongent enfin dans les siens. Je croise les bras plus pour me rassurer moi même que pour sembler obtu, fronçant les sourcils. Un air de  « et maintenant quoi ? » figé sur le visage, sur la défensive malgré moi. Cette confiance que les voix dans ma tête disent de ne pas accorder. Pour une fois je crois que j'ai envie de les écouter.
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Saule Cogneur [Patient Jones] - Ven 3 Mai - 7:40

    Je n’aurais pas dû.
    Pas aussi vite. Pas aussi brusquement. Pas maintenant. Ni jamais.
    C’est ce qu’il pense sans le moindre doute. C’est ce qui lui traverse l’esprit de part en autre. C’est ce qui lui crève les synapses au même degré que les méninges.

    Je n’aurais pas dû.
    C’est un fait. Une vérité irrévocable. Mais ne dit-on pas qu’il n’y a que elle, au final, qui peut blesser ?

    Je n’aurais pas dû.
    Mon corps est faiblesse. Mes muscles tremblent. Mes tympans bourdonnent. Le bruit est … indéfinissable. Il est partout. Il est tout le temps. Il s’éloigne. Il se décuple. Il revient à la charge. Il me fonce dessus à l’image d’un tronc d’arbre improvisé bélier. Attaque ancestrale. Viscérale. Cornes enroulées sur elles-mêmes qui me percutent de plein fouet. Tête caprine qui me traverse. Qui me transperce. Je reste debout. Je reste droite. Tout mon intérieur vacille. Manque de se vautrer. Un coup de vent, et je me sens prête à m’envoler. Me laisser emporter. Il me suffirait de fermer les yeux et de me laisser tomber. Inconscience latente. Demanderesse. Salvatrice. Il est pourtant là le rôle que je me suis attribuée. Mais comme il serait si facile de se laisser tenter … Est-il que la facilité n’est pas une option dans la profession. Enfin si, elle l’est … mais cela en dit long sur le médecin et la qualité des soins apportés, ou qu’il pourrait apporter, à sa clientèle. Certes, certains (si pas la plupart) sont demandeurs d’une telle médiocrité. Au final, ce sont eux qui y perdent. Et pas seulement en billets verts.

    Je suis là. Debout. Les oreilles en feu. Je refoule les larmes qui aspirent à me monter aux yeux. Mon attention toute entière se braque à l’unisson sur l’homme qui me fait face. Celui qui se compresse le crâne. Celui qui panique. Celui qui, de nous deux, finit par céder à l’appel ô combien alléchant de la gravité. Envoûtement. Ravissement. Apaisement. Douce et belle sirène des temps modernes. Elle me tend également une main langoureuse aux ongles parfaitement manucurées. Des prunelles profondes et insondables aux longs cils de biche. Quémandantes. Suppléantes. Je refuse. Je la nargue. Elle hésite entre sourire complice et grognement propice. Pas ici. Pas maintenant. Mais on en reparle volontiers plus tard si tu veux.
    Elle accepte.
    Me contourne.
    Se love une dernière fois tout le long de ma colonne vertébrale.
    Vient effleurer du bout de ses lèvres encore tièdes l’os le plus saillant de ma nuque.
    Je ne peux réprimer un frisson.
    Je la devine ricaner avant de s’évaporer.

    Je suis toujours là. Mais depuis combien de temps déjà ? J’ai beau savoir que les aiguilles de l’horloge le grignotent sans relâche, j’ai comme un blanc. Comme une coupure nette dans sa longitude. Nous sommes ici. Nous sommes maintenant. Mais ne l’étions-nous pas déjà avant ? Les barrières se flouent. S’effritent. Tombent en miettes. Nuage de poussière qui s’invite dans mes poumons. Je manque de tousser. Je mords sur mes dents. Je ravale. Même elle, aussi insignifiante créature des Abîmes émet un rafale de tonnerre. Comme je peux comprendre son réflexe de se boucher les oreilles avant de se rouler en boule dans un coin jusqu’à ce que répit s’en suive. Il ne viendra pas. Du moins pas pour lui. De mon côté, il suffit de tenir le coup jusqu’à ce que les effets secondaires s’estompent.
    J’entends ses soupires et ses couinements. Je perçois le battement de son cœur. Le flux sanguin qui se rue vers ses neurones en pleine crise d’hystérie. Il mime des mots que moi je me prends de plein fouet. Il m’agresse sans même s’en rendre compte. Ou peut-être bien qu’il en est conscient. Ce qui rend sa réaction d’autant plus révélatrice à mon égard. Ce n’est pas grave. J’encaisse. Après tout, c’est moi qui l’ai cherché. Il est toujours étonnant d’assister à l’éveil primaire de l’instinct humain. Il cherche un coupable à son mal-être. Peu importe son implication, il n’est pas assez patient que pour attendre le jugement final. Il fixe. Il grogne. Il claque des dents. Tout comme l’animal qui s’approche dans mon dos. Son assaut m’est d’autant plus agressif. Mes tympans saignent. Dans ma boîte crânienne je sens, au moins autant que je devine, le chaos prendre possession des lieux. Là-haut ça ressemble vaguement à un récipient en métal poli qui accueille le concours régional de pétanque pour les amateurs.
    Est-ce que je tiens encore seulement debout ?



    Oui. Mon corps est de marbre. Mes pieds fixement ancrés au sol. Une sorte de mécanisme d’auto-défense dont je suis la première surprise. Et pas vraiment à la fois. Malgré notre entente pas toujours cordiale, je ne peux nier Son aspect symbiotique. Inutile de s’en languir pour autant. Tant que le fauve ne demande pas à sortir de sa cage, n’allons pas remuer ses déjections.

    * …

    C’est là qu’il bégaie quelque familiarité. Qu’il se redresse. S’éloigne un peu. Même si mes iris sont toujours pose sur sa frêle posture, je le vois à peine. Mon sens de l’ouïe est en berne. Il joue au yoyo avec mes nerfs. J’ignore dans combien de temps exactement je vais perdre pied. La seule certitude qui persiste étant celle que le résultat fait partie de ces choses contraignantes dans leur inévitabilité.

    - « Elle n’avait ni la prétention d’être bonne, ni celle d’être mauvaise. »

    Ma propre voix me revient en pleine face. Comme si les mots exprimés se faisaient happer par une violente bourrasque. Retour à l’envoyeur. Onze mots ponctués de quelques apostrophes. Ce n’est pas grand-chose. J’aurais pu rallonger. Ajouter des termes d’ordre clinique. Enjoliver le tout. L’enrober d’une bonne grosse couche d’excuses afin d’encourager davantage ses risibles lamentations. Saupoudrer le tout d’une sauce parfumée à l’hypocrisie. Fait est de constater qu’envers et contre tout, je garde ma jolie blouse blanche dénuée du moindre pli. Là encore la thèse de la préméditation pointe fièrement le bout de sa truffe. Et en parlant de cabot …

    - « Nous savons tous deux que vous n’avez pas fait appel à mes services pour vous caresser dans le sens du poil. »

    Véritable exploit de masochisme. Je tente de maintenir une tonalité neutre. Régulière. Pourtant l’envie de murmurer est bel et bien présente. Sans certitude aucune que cela apporte la moindre once de réconfort à mon organisme, on s’entend bien. Je me dois pourtant d’insister. De garder cette façade qu’il aspire probablement à voir s’effondrer sous ses yeux avides. Et il aurait raison de le faire. Mais pas aujourd’hui. Pas tant que la confiance n’a pas été rétablie. Pour autant qu’il est encore possible de recoller les pots cassés.

    - « Quand vous vous sentirez prêt, prenez le temps d’analyser ce qui vient de se produire. »

    Tout dans son entièreté. Ce qui était, ce qui a été, ce qui est désormais. Tout comme ce qui n’a pas été, ne l’a jamais été et fait maintenant parti du passé. En ce qui concerne ce que nous réserve l’avenir … puissions-nous nous retrouver.

    - « Sur ce, je vous libère de vos obligations monsieur Jones. »

    Et par la même occasion, de mon abjecte présence.
    Sorcière.
    Manipulatrice.
    Charlatan.
    You name it.

    - « Je vous souhaite malgré tout un agréable après-midi et vous dis à bientôt. »

    Je n’attends pas un éventuel renvoi de sa formule de politesse et déjà me retourne afin de poursuivre ma route comme si de rien n’était. Il me faut déployer un effort considérable pour atteindre le bâtiment le plus proche. Une fois hors du champ de vision de mon patient, je colle mon dos contre la brique indifférente à mon état actuel et me laisse glisser au sol. Les yeux fermés, je tente de récupérer le contrôle du tableau de bord. Ça cogne tellement fort dans ma tête que la tentation vient me titiller quant à fracasser le tout violemment vers l’arrière. Je me retiens de justesse en obligeant mon esprit à s’ancrer ailleurs.
    Loin d’ici.
    Loin de tout.
    Loin tout court.
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