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Qu'importe l'îvresse pourvu qu'on puisse l'atteindre (Aurélio)

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Qu'importe l'îvresse pourvu qu'on puisse l'atteindre (Aurélio) - Mar 9 Avr - 0:16

C'est l'heure où la soirée commence à s'installer, où elle se glisse dans l'air comme ferait un brouillard répandu par le vent. Légère, affriolante, languide ; définitivement débordante de promesses. Son odeur s'étale sur les trottoirs comme de l'huile de massage, elle vient parfumer le goudron, imprégner la chair des passants pour leur appartenir, et pour en faire ses ouailles, ointes à ses senteurs vives. L'odeur émane des restaurants chics de la ville comme de gargotes miteuses, elle sinue depuis des gueules de néon et de vitrines marquées, peinturlurées, ondoyantes de reflets- c'est une odeur de cuisine, de graisse chaude, de parfums excessifs et de pots d’échappement, mêlée à la sueur, à la fraîcheur naissante, à la pollution grise qui infeste les brises. Les caniveaux d'Arcadia ne débordent pas encore d’ivresse, de larmes et d'opiacés liquides. Les tessons de la veille n'ont pas tous été balayés, mais ils se font discrets, opaques plutôt que scintillants ; leur moment n'est pas encore venu. Néanmoins, quelque chose pulse aux tréfonds de leur verre. La lumière n'est pas encore assez complice pour allumer des étincelles propices aux mosaïques d'éclats, la fraîcheur de l'air ne met pas encore de la buée aux bouches ; mais pour qui sait sentir, la soirée s'exhale déjà dans l'air.

Et c'est l'heure où les monstres commencent à grincer dans leur tanière. L'heure où les fracas à venir se font percevoir à qui tendra l'oreille, l'heure où les excessifs toujours capables de dissimulation commencent à retrousser doucement leur peau diurne pour révéler les vices qui leur pourrissent le corps. L'heure où les métamorphosent débutent. Les créatures les plus délicates s'étirent dans leur cocons, tandis que les plus abjects aiguisent leurs sourires, leurs langues, leurs doigts et leur rasoirs. Le poison s'accumule dans les glandes à venin, les mains se gonflent de caresses à pourvoir, les yeux s'entraînent à charmer ou à intimider. Certains posent leur mallette et dénouent leur cravate, d'autres se traînent en éboulement de membres vers le bar le plus proche, marinant dans leurs jus, aspirant pourtant à en exsuder d'autres, à opérer une transsubstantiation du sang en vin, en bière, en whisky- ou même en tequila. La plupart des gens qui passeront la nuit en dehors de chez eux commencent à se réinventer à partir de cette heure. Pour d'autres, il n'en est pas question : ils vivent au jour comme à la nuit sans prendre la peine d'opérer la moindre transition. Leur costume est toujours le même, ils ne savent ou ne se soucient pas de se débarrasser des sequins qui y tintent. Parfois, ils se sont contenté d'opérer une seule métamorphose, longtemps auparavant, sans jamais daigner s'en retourner à leur état premier. C'est qu'il est bon d'être une bête de nuit. George l'a bien compris.

Doucement il extirpe son corps écorché des draps sales, dérangeant le repos de deux chats dont les miaulements plaintifs ponctuent ses étirements. Une main s’égare à la barbe hirsute qui lui dévore les joues, l'autre tâtonne à la recherche du livre qui l'a accompagné dans sa dégringolade vers le sommeil -un vieux recueil de nouvelles fantastiques écrites par un auteur français-, s'en empare et l’héliporte vers un pilier d'ouvrages jouxtant son lit envahis de fourrures somnolentes. Il s'agit d'un des rares biens dans lesquels il s'est donné la peine d'investir de l'argent ; un bon et grand matelas dans l'étreinte compatissante duquel se dissoudre paisiblement au moins quelques heures par nuit. Mais il y a trop de bestioles présentes dans cet appartement. Quand il ne s'agit pas de griffures ou de remontées de bile, ce sont les poils qui envahissent les recoins de sa demeure ; se déversant plus particulièrement sur ses draps en un déluge de kératine et d'odeurs animales. George ne se consacre néanmoins que rarement à remédier à cette encrassement généralisée. Il laisse l'appartement sombrer dans la déliquescence avec le zèle d'un philosophe de comptoir ou d'un procrastinateur chronique ; tout est destiné à moisir et pourrir. Les murs, la moquette et le matelas ne feront pas exception à la règle. Pas même les livres qu'il chérie. Quand il retrouve ce doux cocon pourrissant qu'est son appartement, ce n'est pas pour y avoir des têtes à têtes avec un aspirateur, mais pour y dormir ou y nourrir des songes et des passions lettrées ; il ne vit pas ici tous les jours et ne se soucie pas d'en faire une demeure durable, qui résistera aux années à venir. Pourtant, il s'agit bien d'un lieu intime, les signes en dissertent. La profusion de pages mouchetées, gribouillées, raturées ; les cendriers remplis qui parsèment l'appartement, le goût douteux de certains bibelots, tapis et rideaux à motifs  aux couleurs désaccordées, dont la mise en rapport semble signifier quelque chose de plus grand ; les statuettes de satyres priapiques guettant les invités, les traces perceptibles d'un érotisme sans pudeur qui s'exhibent autant qu'il aime à se dissimuler pour être déchiffré, façonné de symboles. C'est un endroit marqué de la présence de George, mais tenant plus du témoignage de son existence, de la trace bariolée et visqueuse laissée par cette dernière, que d'une réelle manifestation de son actualité. Mais aujourd'hui, il a passé la plus grande partie de sa journée ici, dérivant d'une cigarette et d'un bouquin à l'autre. Son dernier contrat en date a pris fin- un travail de deux mois dans les cuisines d'un restaurant du coin. Plutôt que de prendre la peine de chercher un nouveau travail -ce qu'il aurait certes pu anticiper avant- George a préféré passer la journée entre la somnolence et les épanchements lyriques d'auteurs décédés évoquant les saccades de la mort, de l'amour et l'alchimie des deux. L'argent n'est pas toujours un problème quand on ne soucie guère de payer un loyer régulier, alors sacrifier la journée à des livres ne l'a ni inquiété ni culpabilisé. Tout ce qui manque pour couronner ces longues heures de langueur ? Un soupçon de fureur, quelques gorgées d'alcool, et de la chair bien sûr. Des abîmes et des collines de chair, des refuges veloutés, agités et fugaces, de vivantes entraves de muqueuses amoureuses, de doux fourreaux de peau, de tendres antichambres de moiteur organique ; des caresses en déferlantes, des baisers en cascade, et la proximité, l'étreinte absolue même, d'un corps crémeux au sein duquel s'enfouir.

Et ce sont des délices qu'il lui plaît à chercher en soirée- aux heures brunes, bleues et bariolées de néons. Car il y a toujours quelque chose de particulier dans les remous de la nuit, il y a comme une sombre énergie qui circule dans les artères de la ville quand le soleil s'éteint et laisse place aux étoiles- où qu'elles puissent se trouver derrière la pollution lumineuse d'Aracadia. Ce sont des heures où les frontières morales cèdent plus facilement le pas aux anodins actes de sauvagerie, une heure qui déglutit autant de bêtes fugitives que de victimes en devenir, proies et chasseurs valsant ensemble, pour une mise à mort qui peut se faire sans aucune giclée de sang. Ce sont des heures faîtes pour les heurts et les rapts. Quand les rues s'emplissent d'âmes perdues, innocence à la dérive papillonnant sous les néons à la recherche d'un sens, d'une place à occuper, de sensations suffisamment vives, douleurs ou plaisirs, pour raviver leurs nerfs qu'ils s'imaginent être morts, leurs cœurs qu'ils sont convaincus de sentir se flétrir ; pour mener leur infrangible guerre envers la vacuité, envers le vide qui se presse incessamment juste à l'arrière de leurs pensées, murmurant à chaque pas <<à quoi bon ?>>

Ce sont des heures propices à un satyre en maraude. Tous les appétits, quels qu'ils soient, sont plus faciles à assouvir- et souvent partagés, fut-ce honteusement ou dans la frénésie. George ne préfère pas la nuit, mais il aime tout ce qui s'y révèle- tous ceux qui s'y révèlent. Jamais ils n'ont autant d'éclat qu'une fois dépouillés de leur masque, car chaque instant délectable que s'expose au monde leur second visage est la continuité d'une courte exultation. Parfois l'on assiste au fabuleux instant de basculement, où le second visage engloutit le premier ; parfois on peut être la cause de ce renversement. Ce n'est qu'une jouissance parmi d'autres à saisir à qui sait où chercher ; et surtout qui chercher. Or ils sont bien divers, les qui à pouvoir procurer des extases, ce sont des qui aux mille visages, pouvant être aussi bien délicieusement vulnérables que glorieusement prédateurs. Et leur valeur se valent. George sait apprécier tout ce que la nuit à offrir, toutes les douceurs empoisonnées qu'elle glisse entre ses mains, tous les feux d'artifice dont elle arrose ses reins. Mais bien qu'il soit de ces noctambules qui ne se départissent jamais de leurs habits de carnaval, et qui vivent à la nuit comme au jour sans pudeur ni mesure, bien qu'il soit enclin aux étreintes qui s'empressent pour ne que mieux durer, aux plaisirs qui s'emmêlent à la brutalité, il sait reconnaître l'importance des jeux de séduction. Dans tout l'intérêt qu'il porte à l'érotisme, dans sa grande obsession pour la chair, sa possession et sa vénération, il ne peut dénier la saveur de l'attente et de la frustration, le plaisir procuré par l'anticipation. Même lui aime à se préparer avant de s'immerger au sein des heures de nuit. Mais ses rituels sont brefs, et toujours vivifiants. Il ne s'agit que d'invoquer le désir et la rage.

George laisse son lit envahis derrière lui, abandonnant sans condition ses draps dévastés aux cohortes de chats, qui rejoignent rapidement le creuset de chaleur excavé dans le matelas par sa carcasse fourbue. L'atmosphère trop chargée de l'appartement glisse lourdement sur les déliés de son corps nu, mais cet air épais, emplis de particules, fait vibrer quelque chose en l'essence du satyre. Il ne saurait dire quoi ; il aime ce qui est dense, profus. Cet air renfermé de tanière lui sied bien. Il peut sentir l'odeur de sa propre sueur, les nuances de puanteur subtils qui composent son parfum intime, juste suffisamment agressif pour être, après un premier temps, étrangement séduisant. Qui plus est, il ne voudrait pas que le froid vienne pincer les égratignures qui sèchent toujours en travers de son corps, reliques-ratures d'un nuit précédente, durant laquelle violence et érotisme ont accouché d'ébats où la délicatesse meurtrière mais grisante des armes blanches côtoyait les caresses autrement plus soyeuses de la langue et des doigts, conjurés aux quatre coins du corps. L'autre et le sien.

La salle de bain s'ouvre pour lui sur un spectacle familier de peinture pelée par l'humidité et une tapisserie fadement colorée de serviettes éponges. Un chat sommeille dans le lavabo -probablement Verlaine-, surplombé par les quelques flacons d'huiles dont il aime à enduire ses cheveux et sa barbe, ainsi que par un miroir dont la capacité réfléchissante est altérée par des traces laissées là de longue date. Si la cabine de douche la concurrence en terme d'opacité, elle est néanmoins luxueusement agrémentée d'un vieux rideau en pvc aux abominables motifs floraux. La décoration ici n'a pas changé depuis au moins trente ans. De l'avis de George, ça n'a rien de nécessaire ; il aime à s’enfoncer dans ce cocon suranné suant la vapeur et l'odeur de moisie.

Il faut une bonne minute à l'eau pour atteindre une température correspondante à ses attentes ; brûlante à en faire fumer l'air. Une buée leste se répand à travers la pièce, avide de lécher les murs pour en desquamer un peu plus la peinture. La salle de bain s'amollit au diapason de la chair sous l'effet de la chaleur. George pourrait se laisser fondre ici. Attendre que le jet d'eau détache la peau de ses os, puis ses muscles, et qu'il réduise le tout à une gelée carnée. Gagner les aquifères sous une forme liquide, se répandre à travers les canalisations ; devenir l'eau que l'on boit, que l'on crache, à laquelle on abandonne son hygiène et son corps, et peut-être dans le creux des entrailles ou des veines, dans les fibres vulnérablement gorgées de la chair, s'embraser comme de l'huile, invoquer au dedans même des carcasse un brasier incendiaire, tumulte ardent de désir et de rage. Ce serait une belle fin pour un satyre. Mais il lui reste tant à faire de ses mains, de sa bouche, de tous les recoins palpitants de son corps...

Le savon glisse sur lui, caresse visqueuse de gelée odorante, puis emporte dans sa débâcle la sueur morte et la crasse adhésive, laissant ses nerfs fourmiller à travers sa carcasse. Son bas ventre est actif désormais, brûlant et tressautant sous un afflux sanguin. Il est plus que temps de rejoindre les rues

La brève intervention d'un peigne pour prétendre à redonner une forme aux ronciers pileux ayant pris à jamais racine aussi bien de son visage que de son cuir chevelu ; une noisette d'huile, pour le simple plaisir d'ajouter une nuance de plus à son odeur d'homme bouc, puis la caresse râpeuse d'une serviette jusque dans les recoins les plus tendres de son corps. Presque une délicieuse torture à certains endroits, plus irrigués et sensibles que d'autres- quelques croûtes amollies se désintègrent pour révéler des parcelles de peau aussi rouges que de la viande saignante. L’obsession du satyre se fait plus insistante ; son emprise sur la chair tend à se raffermir et à se faire plus traître. George ne résiste pas. Il ne l'a jamais fait. N'en voit pas l'intérêt.

Il n'accorde guère d'attention à ses vêtements du jour. Jean, t-shirt, chemise ouverte- un ensemble bien plus sobre que quiconque aurait été en droit de l'espérer venant  lui. Le bon goût n'aura presque pas à souffrir de ses écarts aujourd'hui.

Une inondation de croquettes et une apocalypse de miaulements plus tard, la rue l'enveloppe enfin- et dans la rue, l'odeur, la lumière, les bruits de la soirée naissante. Simples mais excitants prémices.
Il se laisse conduire par le flux d'énergie crépusculaire qui traverse Arcadia. D'une rue à l'autre, la marche se fait plus vive, les langues changent, mutantes, les enseignes se dépouillent de leur lexique anglais. Et tout autour, dans la foule, quelques existences scintillent plus que d'autres à ses yeux de satyre ; quelques consœurs et confrères hantant la foule mortelle. Des bêtes étranges, même à ses yeux parfois, issues de tous les panthéons encore enterrés au fond du cœur des Hommes. Leur regard croise parfois le sien dans un éclair de reconnaissance que nul autre qu'un enfant des mythes ne serait en mesure de comprendre. Ils sont plus nombreux ici que nul part ailleurs, et pourtant, même à Arcadia, ils ne représentent que quelques grains de sable entraînés dans un torrent d'humains. Tant pis. Tant mieux. Il lui semble parfois qu'il finira par connaître le visage de toutes les créatures qui habitent la cité ; pour les dieux, c'est encore une autre affaire. Ceux-là échappent à ses sens pour ne se dévoiler que quand eux même le souhaite, d'un aveu ou d'une démonstration. De quoi ne pas oublier tout à fait qu'il est encore  au moins pour moitié un humain ; quand bien même il lui arrive d'en douter à l'examen de la rage exultante et de la libido qui se convulsent en lui, semblant inextinguibles. Quel genre d'homme serait-il devenu si le satyre ne s'était pas déversé dans son corps tel une inondation printanière, déferlement vivant de prairies et de feu ?

Un cadavre, songe t'il toujours prosaïquement. Et un cadavre de garçon, pas un cadavre d'homme.

D'une rue, d'un quartier et d'une foule hétéroclite à l'autre, il parvient finalement à un lieu dont il commence à âtre familier. Un autre sur la carte sans cesse plus gribouillée qu'il se trace de la ville ; à force de magouilles et de rencontres, il commence à connaître Arcadia un peu trop bien pour sa propre santé. A connaître un peu trop de beau monde également ; comme celui-là qu'il vient guetter, sans trop savoir pourquoi. Une gueule croisée au fond d'un bar un soir, l'haleine plus fauve encore que celle exhalée par son humble gosier de satyre ; suffisamment alcoolisée pour éventuellement désinfecter une plaie d'une seule expiration. Ils auraient pu se battre, peut-être, mais il en fut tout autrement. Hanches contre hanches ils ont dansé, s'échangeant des plaisanteries et compliments d'ivrognes- puis des baisers liquoreux, des caresses insistantes, vite transformées en palpations. La nuit alors fut longue, très longue... et la matinée courte. L'absence totale de désir dans les yeux de l'autre auraient presque manqué de piquer son orgueil. Mais George n'avait plus rien à se prouver après autant d'années. C'est sa curiosité qui grandit finalement.

Ils se quittèrent sans effusions ni promesses. Il lui laissa, gribouillé sur du papier toilette, un portrait du visage souriant et sauvage qui avait capté son regard la soirée précédente. La semaine suivante, il revit ce visage- et le couvrit à nouveau de baisers. Il laissa quelques morsures glisser du velours de sa bouche, quelques contacts plus brutaux pour diriger ses mains ; et fut ravis qu'on les lui rende tout aussi avidement. Au matin à nouveau, il n'y eut plus trace de ce second visage. Pas même une étincelle dans son regard, ni l'ombre d'un sourire ou bien encore d'un geste, rien pour trahir l'homme de la nuit une fois l'aube débarquée. Le mystère devint plus prometteur.

Les fois suivantes, il lui arracha peu à peu quelques informations, mêlant à ses baisers tout autant de paroles. Parmi celles qui fusèrent, une remarque sur la taille remarquable de ses cornes lui permit de découvrir qu'il n'avait pas à faire à un simple mortel. Et puisqu'il ne pouvait voir nul aura l'entourer, alors son compagnon de beuverie, de bringue et de coucherie, appartenait forcément à la crème de la mythologie. George n'en tira cependant pas la moindre conclusion.

Ils continuèrent à se revoir. Pas ponctuellement, mais suffisamment pour qu'un beau jour, il lui vienne l'idée de ne pas attendre la nuit pour trouver Aurélio. Il ne fut pas surpris d'avoir à faire à l'homme qu'il connaissait des matins plutôt que des soirées. Cette fois là, c'est ensemble qu'ils se choisirent un bar. George eut alors toute latitude de voir s'opérer la métamorphose attendue, depuis sa propre ivresse.

Il ne s'était pas privé de créer à nouveau des occasions semblables. Et c'est exactement ce qu'il fait ce soir même.

Il attend, adossé à un mur, une cigarette aux lèvres. Patienter ne lui demande aucun effort de volonté, car il y a bien des belles choses à observer de là où il se trouve ; les muscles roulent sans fin devant ses yeux, ondoyant dessous leur gaine épidermique. Une anatomie sculptée après l'autre, son désir grimpe sans cesse. A la sortie de la salle de sport, les corps douchés de frais exhalent encore pour certain une odeur de sueur. George ne se prive pas de lorgner tous ceux qui passent à sa portée. Ses doigt le démangent ; et sa trique encore plus.

Mais Aurélio n'est pas long à venir. Pour s'annoncer, il ne laisse poindre qu'un sifflement mélodieux à ses lèvres, avant de mordre à même le filtre de sa cigarette. Il a pour lui une main tendue et un sourire passerelle- toutes dents dehors dans la broussaille de barbe.

- J'ai pas am'né mon cheval blanc, mais on devrait quand même pouvoir trouver un White Horse quelque part.
Oui, le jeu de mot est glorieusement minable. Dans le cas contraire, il ne l'aurait pas lancé avec une telle étincelle de fierté dans le regard.
Portant pour m'y aider ?
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Qu'importe l'îvresse pourvu qu'on puisse l'atteindre (Aurélio) - Mar 30 Avr - 21:26

Amère.

Sensation sur le bout de la langue qui ne veut s’évaporer, que je ne peux cracher. Ma bouche en est emplie, de par est d’autre, sur chacune de mes papilles qui semblent alors dégorger d’amertume, sur mon palais qui se fond dans la saveur infecte, et jusqu’à ma gorge qui ne peut l’avaler. Un caillot psychique qui demeure derrière mes lippes, intacte et intouchable, se rependant, pensée effervescente, dans chacun de mes muscles et dans les recoins de mon âme. J’essaie de la chasser, de la bannir, de mon corps, l’oublier ou la faire disparaître.

Vainement.

Alors mon visage se tord, se plie et se ride. Comme si la fatigue mentale outrepasse avec aisance la physique ; je sens mes rides se creuser, les sillons sur mon épiderme devenir tranchée et ma peau no man’s land où il pleut des perles de sueurs à défaut de larmes à jamais taries. Je les ai vu naître, petit à petit, ces cheveux blancs et ses poils de marbre qui grisonnent ma chevelure d’ébène. Ce n’est pas l’âge qui est venu frapper à ma porte, pas encore, pas tout à fait, mais la fatigue, l’éreintement, qui l’ont poussé à s’incruster dans ma demeure, dans mon palais mental pour en faire fleurir ces postillons de la calèche mortuaire. Mon corps me le dit, me le réclame et me l’impose presque : il faut que je dorme. Cependant, à chaque fois que je ferme les yeux, dès que je m’allonge, la tempête gronde et hurle et m’emporte dans un vortex de sombres pensées sans fin. Alors, je les ouvre, mes yeux, sur la lumière salvatrice.

Néons.
Miroirs.


Même debout, je ne peux faire taire mon esprit. Même éveillé, même occupé, la machine ne peut cesser. Infatigable langueur de l’âme, j’ai tout de même réussi à détourner son attention. Alors je descends de ma machine, cela fait une heure que je cours dans le vide, sur une montée imaginée par la mécanique. A force d’avoir serré ses bras, mes phalanges souffrent ; qu’elles hurlent, d’ici peu l’affliction sera pire.
Le pied sur le sol, un vertige me prend., léger et agréable. Mes pensées se renversent, s’écroulent sur le sol et s’entremêlent tandis que, enfin, mes tempes se mettent à battre. L’eau vient apaiser mon gosier, la serviette éponger mon front. Que la journée a été longue.

Soupir.

« T’es déjà fatigué, me lance-t-on à la cantonade. »

Je nie. Il m’en faut plus, encore plus, pour être fatigué, pour espérer ce soir, peut-être, dormir du sommeil du Juste. Je me rends vers les bancs, m’emparant des poids nécessaires à ma routine et me pose face au miroir, entamant la chorégraphie de la fonte. Le métal semble vouloir dévorer ma peau et mon regard se perd dans le vide, ignorant son propre reflet. Je me concentre sur la musique, sur les notes de musique qui couvrent la sono de la salle. Je tente de m’évader, glissant accompagné de la guitare jazzy. Cependant, le principe est simple : entre chaque série, je dois faire une pause. Ô cruauté, ô infâme supplice que devoir attendre une infinie minute à ne rien faire que de scruter ces haltères ou ce miroir. L’amertume revient. Je prends des poids plus lourd.

« Tu broies du noir toi. »

Je me retourne. Tout en survêtements moulant sa silhouette musclée, tout en sourire, droit sorti d’un magasine de mode sportive, le coach me regarde, compatissant malgré tout, malgré le temps passé ensemble. Je le connais depuis bientôt quinze ans, arrivé ici pendant mes études, nous avons fait nos premiers pas dans la salle simultanément. Il sait comment je fonctionne, il fait partie des personnes qui arrive à me lire aisément. Pourtant, est-ce un ami, un amant ? Il aurait pu en être un, si je ne l’avais pas éconduit à plusieurs reprises, par des silences et des oublis, par un emploi du temps trop chargé et par une une vie s’éloignant jour après jour de la normalité qu’il convoite dans sa parfaite sobriété.

« C’est dans les hôpitaux qu’il y a le plus de morts au mètre-carré, répliqué-je froidement.
- Même en gynécologie ?
- Aucun service n’est épargné,  et le décès d’un nouveau-né, c’est toujours un coup difficile. Qu’importe le blindage qu’on se fait, soufflé mi-dépité mi-blasé. »

Courage.

Ce mot fuite d’entre ses lèvres, faiblement, doucement, avoue de faiblesse quant à l’impossibilité de m’aider. Pour lui, ici. Il aurait aimé, je l’ai vu dans son regard qui se détourne vers la moquette, me prendre dans ses bras, juste quelques secondes, quelques instants, ou juste poser sa main sur mon épaule. Assez pour briser ce cercle intime, chose que je hais, mais suffisamment pour apaiser ma douleur quelques secondes. Cependant, dans ce temple de la masculinité exacerbée, sur ces autels où la virilité est adulée, il ne peut se le permettre et se détourne de ce puits de peine que j’incarne.

Tumulte.

Alors que la conversation se termine, le vacarme de la salle parvient à mes oreilles. J’étouffe le bruit dans mon casque, montant le son du jazz que j’écoute et balayant les souvenirs des sonorités parvenues à mes oreilles toute la journée durant. Les infirmières appelées, les cris des bambins, les bipeurs stridents continuellement, ils forment un marasme cacophonique sur lequel vocifère ma psyché torturée. J’inspire profondément et reprend ma routine. Le tambourinement de mes tempes vient vite calmer la clameur des sordides cris marquant ma journée. Cependant, je n’arrive pas à me détourner des visages ni à essuyer les larmes des patients et patientes.

Souvenirs.

Si je veux les oublier, ces trois visages damnés pour l’éternité, je veux en garder une empreinte définitive comme des reliques christiques me rappelant toujours pour qui je me bats. En rentrant, dessiner sera mon pèlerinage pour leur rendre hommage. Je n’allumerai de cierge devant ces portraits que tout le monde oubliera, ils seront des briques pour renforcer mon blindage. Mais pour l’instant, je dois les effacer, mon détacher, m’en détourner.

Ancre.

Au nombre de trois, qui s’accrochent à ma jambe et m’empêchent d’avancer, de sourire. Je dépose les poids. Mes épaules hurlent, mes trapèzes braillent et mes mains semblent écorchées. Mais il m’en faut plus pour évacuer l’amertume qui ne veut se déloger de mon corps. Si le silence s’est plus ou moins fait, mon cortex tourbillonne encore d’émotions négatives.

« Tu utilises la barre ?
- Non, tu veux que je te la tienne ? »

Je pouffe, il me sourit.

« Allez.
- En fait, t’es en forme, jazzman. »

Il est amusant comme je me suis fait cette réputation. Ne parlant à personne, je demeure tout de même le gynéco-jazzman. J’aime bien cette étiquette, j’aimerai que ce soit l’unique que je porte. Effacer cette mafia et ces organes que je vole, ces vies que je brise ou encore gommer ce dieu qui ronfle au fond de mon corps, prêt à se réveiller à tout moment, à chaque instant.
Je m’allonge, porte la barre à mes mains, et la soulève en rythme, allégée à chaque développé par mon confrère sportif. Le poids n’en demeure pas moins insoutenable. Mes bras tremblent, mes épaules refusent de se mouvoir mais je réitère en la regarnissant de fonte. Coutume absconse de la modernité, l’affliction absurde subie par les corps et les os, j’en suis presque à vomir de douleurs.

Endorphine.

J’en suis noyé, j’en déborde de tout les pores et un sourire béat orne mes lèvres, enfin. Je me dirige alors vers la douche dont les ablutions seront plus que salvatrices pour mon corps fumant. L’onde brûlante parcourt mon épiderme endolorie et la pression masse tant bien que mal les muscles gonflés par l’effort exagéré. La transpiration poisseuse disparaît avec l’eau brûlante, les visages que je souhaite dessiner disparaissent dans la buée, et la saveur nauséabonde qui empoisonnait mes pensées s’évacue de concert avec les toxines accumulées par mon corps. Le démon s’agite en moi et me murmure que pour dormir, désormais il ne me faut plus que de la Tequila. Mais Quetzalcóatl s’agite dans son sommeil et semble le refuser.

Repas.

Après m’être séché et habillé, je me rends sur l’une des petites tables à disposition où j’entame mon dîner. Mes journées sont tellement décousues, tellement parsemées d’embûches et d’aléatoires que j’en suis venu à avoir l’habitude de manger ici plutôt que chez moi, lieu où finalement je ne suis que peu. Il s’agit au final d’un sol consacré qu’est cette salle de sport, un silence dans mes oreilles et dans mon corps, loin de ma réalité si insupportable. Après m’être lavé les dents, j’enfonce une branche de réglisse dans la commissure de mes lèvres, porte mon sac à mon épaule et me dirige vers la sortie de ce sanctuaire.

Fatalité.

Adossé sur un mur, je vois le Némésis de mes envies soudaines. Barbe broussaillante et cheveux désordonnés, apologie du chaos sous couvert de surnaturel, George me fixe et m’attend. J’ôte mon casque de mes oreilles pour écouter sa palabre excessivement courte aujourd’hui et lui offre mon plus beau sourire, bien qu’un tantinet narquois et éloigne de mes lèvres le bâton mastiqué et baveux.

« Dommage que tu veuilles un cheval blanc, j’aurais pu te proposer un étalon mexicain, répondis-je avec sarcasme. »

Je lui mens éhontément, sans alcool je ressemble plus au shetland guilleret que l’on donne aux enfants, m’éloignant du pur sang qui fait frétiller les êtres en manque de protection et/ou de pénétration. Mais il est de ceux qui ne me connaisse que la nuit tombé et le sang délayé dans l’éthanol, les vêtements tombés et la langue déliée. Malgré sa prestance, malgré son charisme et sa stature débordant le sexe, je n’aurais envie de lui sans avoir bu ne serait-ce qu’un verre.

« Je connais un endroit où tu trouveras cheval à ton pied. »

Je remets entre mes dents la réglisse et m’agenouille non loin de lui, à côté de mon vélo, que je défais de ses liens. Je le soulève et l’invite à me suivre. Intérieurement pourtant, je peste et déblatère quant à ma capacité à vouloir avaler tout les liquides qui s’offrent à moi alors que quelques minutes plus tôt je rêvais de solitude et de sobriété.

« Tu t’soufiens que j’venais ici, continué-je, réglisse obstruant encore ma bouche, pourtant quand j’te l’ai dit, on était bien choûl. »

Les mots me manquent, je ne sais trop quoi dire, détestant les banalités et préférant me murer dans le silence le plus total. A moins que je ne réponde par d’autres banalités ou des haussement d’épaules neutres.

« Ch’est là. »

Un petit bar au drapeau arc-en-ciel à peine affiché, ne payant pas de mine, à deux pas de ma salle de sport, autant dire que je m’en suis pris souvent ici, des mines. Et ce n’était pas un bâton de réglisse que j’avais en bouche alors, ni un paille pour siroter un cocktail.
Retournant à ma position en mi-hauteur, à genou en somme, je refais les liens de mon fidèle destrier de métal, et m’enfonce dans le bar où le tumulte commence à gronder. Je m’adosse au bar et commande deux Bourbons, puisque c’est ce qu’il voulait. Le serveur, qui me connaît, semble contrarié mais s’exécute en matant sans vergogne celui qu’il prend pour ma conquête. Il espère, je le sais, un jour m’inviter après la fermeture du bar, et ce soir peut-être George avec, mais généralement, je pars avec quelqu’un avant la-dite fermeture. Quand les verres arrivent, je range ma réglisse, signe que je suis peut-être plus enclin à la volubilité (Mensonge!) et lève le calice transparent.

« Pour avoir ce nectar, il a fallu faire débarquer des bagnats et des rebuts de la société européenne sur ces terres. Alors en manque de whisky, ils ont chassé les indiens de leurs terres, les ont soûlé, les ont massacré, brûlant avec leurs coutumes et leur histoire. Aujourd’hui, l’agriculture intensive et la consommation outrancière d’eau permet de le mettre en bouteille. Santé. »

Cul-sec.

« C’est pas si dégueu en bouche le capitalisme. Bon. Tequila ? Tequila, invectivé-je en me tournant auprès du barman. »

Faux-semblant. La Tequila noiera peut-être les souvenirs de ma journée et me rendra le sourire. Pour l’instant, je ne fais que porter un masque de sociabilité.[/color]
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Qu'importe l'îvresse pourvu qu'on puisse l'atteindre (Aurélio)

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