Santa's coming for us.

@timothy birdwhistell ⊹ @SIOBHÁN KEARNEY

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Des milliers de flocons virevoltaient dans les airs. Poussés par les vents - souvent contraires, ils tournoyaient allègrement avant de s’écraser au sol, et la divine admirait leur ballet. Devant les portes du lycée, les pavés recouverts de poudreuse s’imprégnaient des traces de pas estudiantins. Celles de l’adolescente, dont la silhouette venait de disparaître derrière un mur épais, étaient déjà presque effacées tellement il neigeait fort. Assurée que sa fille adoptive ait regagné l’enceinte, l’herboriste fit enfin demi-tour pour rejoindre son auto sur le parking. Le froid s’intensifiant au gré du temps passé dehors, elle retira ses gants habituels, et frictionna ses mains gelées l’une contre l’autre ; de la poche de sa veste, elle extirpa alors des moufles qu’elle enfila aussitôt, la laine épaisse recouvrant désormais les chairs à la place du cuir traditionnel. Quelques mètres seulement la séparaient de sa voiture quand le gel enduisant le bitume agressa ses chaussures. Une bonne couche de verglas la fit chanceler toute entière, patiner puis glisser sur l’asphalte, avant qu’elle ne rattrape une poignée de portière pour éviter de s’effondrer. Ressaisie de justesse, un juron acceptable s’échappa de ses lèvres, tandis qu’elle parcourait la fin de son trajet avec prudence.

Une fois plantée devant la coccinelle, elle remarqua que le gel, tenace, avait de nouveau envahi les vitres, et s’empara d’un outil adéquat pour dégivrer la principale. Le pare-brise dégagé, elle s’installa enfin sur le siège conducteur et s’empressa d’allumer le chauffage. La clef tournée fit vrombir le moteur, et après une marche-arrière habilement effectuée, la divine quitta finalement le parking.

Au coeur des rues embouteillées, elle fut bien obligée de stationner son véhicule. Pour patienter, une main affranchie du tissu chercha sur le tableau de bord une boîte de chocolats entamée. Gourmande, l’irlandaise picora quelques douceurs au hasard des rangées, quand un visage familier, au milieu des passants, attira son regard.

Sac de cours sur le dos, l’aîné des Birdwhistell marchait sur le trottoir à vive allure. Il avait probablement terminé sa journée, et regagnait le tramway jusqu’à Downtown. La divine poussa alors l’auto jusqu’à l’atteindre, et une fois arrivée à sa hauteur, elle ouvrit la fenêtre côté passager. « Timothy ? » son faciès éclairé d’un sourire maternel, elle se pencha pour mieux le contempler et lui fit signe d’approcher. « Tu vas bien ? » Il n’y avait pas longtemps qu’ils s’étaient vus, son entrée officielle au Royaume la rapprochant nécessairement de tous ses membres et par le fait, de leurs enfants. Mais la relation entretenue avec ceux de Clarence était tellement forte et particulière, que chaque moment passé avec l’un d’eux la ravissait. « Je dois faire un saut au centre commercial, mais je peux te raccompagner si tu veux ». Le blondinet avait beau lui sembler déterminé, il lui parut plus sage de pouvoir le ramener chez lui en toute sécurité. Qu’il s’agisse de Méabh ou de tous les jeunes gens de son entourage, elle n’aimait pas les savoir seuls, dehors, alors que le danger rôdait à tous les coins de rue...  

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La déesse déverrouilla l’auto pour y laisser entrer l’adolescent. Un rire léger accompagna sa plaisanterie, tandis qu’elle le dévisageait avec un éclat de malice dans ses orbes azurées. Outre la ressemblance avec son père - qu’elle trouvait toujours plus fragrante à mesure qu’il grandissait, elle s’attarda cette fois sur le halo léger entourant sa silhouette. La lueur émeraude avait encore gagné en intensité depuis la dernière fois qu’ils s’étaient vus, et elle se demandait, souvent, comment il parvenait à gérer sa nouvelle condition. Clarence ne lui en parlait pas vraiment. L’enfant lui-même ne s’était jamais confié à elle sur le sujet, et il ne semblait pas avoir de mal à concilier sa vie d’étudiant avec cette particularité. Elle ne l’avait jamais entendu se plaindre de sa récurrence, et son pouvoir semblait moins difficile à contrôler que celui de sa soeur.
A la loterie divine, Méabh avait eu moins de chance, et le souvenir de la jeune fille en crise lui laissa un pincement au coeur. La divine se consola rapidement en songeant au fait qu’elle était apte à retourner en cours désormais, et qu’elle n’était plus seule. Puis, elle chassa ces pensées pour en revenir au principal intéressé, installé auprès d’elle sur le siège passager. « Parfait alors ». Elle pouvait bien sacrifier quelques heures de travail pour passer l’après-midi en compagnie du garçon. Cette perspective la réjouissait même, car ils avaient du temps à rattraper depuis tout le grabuge de l’an passé. Elle n’attendit pas davantage pour renfiler ses gants - par précaution, et déboiter sur la chaussée.

« Ca va, merci ». En route vers le centre commercial, elle resta évasive sur tous les détails qui la concernaient. L’herboriste servait ce mensonge sans même y prêter attention, et cela depuis des années. Les déboires n’en finissaient jamais et au fond, elle estimait que personne n’avait à entendre ses histoires, surtout pas les enfants. Il y avait toujours eu pire, et elle se persuadait tellement d’être la responsable de tous ses malheurs, que s’en plaindre n’avait jamais été une option. Elle était seule à y faire face, et ce depuis bien longtemps. Il fallait faire bonne figure, avancer, trouver des solutions et rebondir en attendant la prochaine aventure. Elle était reine à ce jeu là, et personne n’aurait pu deviner l’étendue des dégâts.

« Tu as fait ta liste ? ». Alors que la voiture s’engageait sur le parking, l’Empoisonneuse guetta les réactions de son jeune passager. Ses propres achats n’étaient pas terminés, et elle venait justement récupérer l’un d’eux. Mais, par cette question innocente, elle espérait bien se faire donner quelques idées pour le principal concerné. Les enfants de Clarence étaient toujours gâtés, mais elle avait eu peu souvent l’occasion de les fréquenter assez pour savoir à quel point viser juste.

« Prends un chocolat, si tu veux. Ils sont délicieux ». Avant d’éteindre le moteur et de tirer le frein à main, la rouquine désigna la boîte qui tronaît sur le tableau de bord. Son sourire chaleureux enjoignit l’adolescent à ne pas hésiter, et elle s’extirpa de l’auto en suivant.
Le bruit des portières claquées derrière eux, la divine et l’adolescent s’avancèrent tous les deux vers les gigantesques portes automatiques. Le temps de faire le trajet jusqu’à l’intérieur, le froid mordant des futurs jours d’hiver lui déclenchèrent quelques frissons. « Il fait au moins -8000 », déclara-t-elle à l’attention du blondinet pour justifier sa réaction. Et les mains frictionnant sa frêle carrure de part en part, elle s’engouffra dans les galeries suivie du jeune garçon.

Aussitôt, les orbes s’affolèrent dans le chaos ambiant. Le mouvement des consommateurs, les étals au centre des couloirs et les nombreuses décorations captivaient inévitablement l’attention. Et au milieu de toute l’agitation - à laquelle elle était loin de s’être habituée, elle fut happée par des rires enfantins et leurs silhouettes glissant dans le lointain. La vision de la vaste installation au coeur du magasin lui évoqua aussitôt quelques vieux souvenirs, et elle lança vers eux un regard empreint de nostalgie. « Ca fait tellement longtemps que je n’ai pas patiné. Je me demande si j’y arriverais encore ». Le sous-entendu était clair ; la lueur de malice qui brillait dans ses yeux mettait le garçon au défi. S’il le relevait, elle était prête à essayer la patinoire une fois leurs achats terminés.  

« Je dois récupérer quelque chose ici puisqu’on y est, et ensuite, je te suis ». Elle bifurqua alors vers l’enseigne connue d’une grande bijouterie et s’adressa à la vendeuse qui gardait le comptoir. Les néons de la pièce criaient leur lumière aveuglante et dessinaient des reflets opalins sur sa chevelure déjà pâle. « Bonjour, je viens chercher une commande ». Puis elle donna son nom, précisa la nature de la montre, et attendit patiemment que la commerçante revienne avec son dû. Là, elle contempla la pièce d’orfèvre afin de s’assurer que tout était en ordre. Un sourire polisson vint étirer ses lèvres alors qu’elle songeait à la symbolique de ce cadeau. Elle ignorait encore si elle trouverait l’occasion et l’aplomb de l’offrir à l’italien, mais le bien était désormais en sa possession.
Elle régla la facture à coups de gros billets, et s’éloigna de la vitrine Mont Blanc en tentant de calquer ses pas sur ceux de l’adolescent. « Alors ? Où veux-tu aller maintenant ? »

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Il était plus grand qu’elle, d’au moins dix centimètres, comme la plupart des adolescents. Malgré les talons modérés de ses souliers vernis, plus confortables et plus sûrs que des escarpins par ce temps hivernal, elle devait constamment relever les yeux pour s’adresser à lui. Une habitude qu’elle avait prise au fil du temps, et pour laquelle elle ne se formalisait plus ; son entourage la dépassait d’une tête à l’exception d’Aura, et en particulier les hommes, qui souvent se mettaient à grandir une fois la puberté atteinte.

« Je te suis ». Sans se départir du sourire bienveillant qui accaparait ses lèvres, la divine glissa sa main gantée dans le dos de l’adolescent. Le geste à la fois protecteur et amical lui assurait de ne pas le perdre dans la foule mouvante du magasin. Discrète, mais pas sourde ni aveugle pour autant, l’herboriste remarqua les doigts nerveux refermés sur le téléphone et fit le lien avec les mots lâchés plus tôt.

Réservée, elle savait garder sa place et ne faisait jamais preuve de curiosité mal placée. Mais, auprès des plus jeunes surtout, elle savait repérer les signes d’embarras et les tracas du quotidien, dont certains nécessitaient parfois le conseil d’un aîné.
En tant qu’adulte extérieure à la famille, l’herboriste s’était toujours montrée émotionnellement disponible pour les enfants Birdwhistell. Sa présence était plus aléatoire en raison des nombreuses occupations qui la retenaient souvent, mais le lien de confiance tissé entre eux restait solide et tous savaient qu’ils pouvaient compter sur elle. Durant longtemps avant l’arrivée d’Annalisa dans leur vie et dans celle de Clarence, elle avait souvent fait office de figure maternelle. Parfois, et malgré les qualités exceptionnelles de leur père, ses rejetons se sentaient plus à l’aise d’aborder certains sujets avec elle. C’était normal et naturel, et pour leur bien, l’irlandaise ne voulait rompre ce rapport d’aucune façon. Elle espérait tout au fond d’elle qu’ils n’oublieraient jamais qu’elle était là pour les soutenir et pour les écouter ; mais sa retenue l’amenait tellement à craindre d’être perçue comme envahissante qu’il lui fallait toujours amener les conversations avec tact, surtout les plus sensibles. Et elle était douée, quoiqu’il arrive, pour aborder les sujets délicats avec finesse et une psychologie qui semblait bien la destiner à être mère, en dépit des entrailles restées désespérément vides.  

« Moi aussi j’ai un cadeau pour un garçon que j’aime bien ». La question des amours était toujours épineuse à cet âge, en particulier lorsque les préférences n’entraient pas dans les clous. Timothy se cherchait depuis longtemps, elle le savait mieux que personne pour avoir fait l’objet de ses premiers émois, un béguin révolu depuis. Cela ne l’étonnait pas, de le voir explorer les possibilités que le monde lui offrait ; ce qu’elle ne voulait pas - et elle savait que son père s’entendait avec elle sur ce point, c’était qu’il ait l’impression de se sentir jugé, et qu’il rechigne à se confier s’il en éprouvait le besoin. Ca n’avait rien donné de bon l’année passée et elle espérait qu’il ait retenu la leçon.  

En lui révélant sa propre faiblesse, elle les mettait sur un pied d’égalité. Il n’avait pas besoin de savoir qu’elle était aussi perdue que lui face à ce qu’elle ressentait ; il n’était pas question de parler d’elle mais simplement de se mettre à sa portée pour qu’il se sente à l’aise. « Quand je ne sais pas si ça plaira, je joue la carte de l’humour  ». Devant la boutique de mangas, elle darda sur l’adolescent un regard tendre et engageant. La suite de leur conversation dépendait entièrement de lui. Si Timothy éludait la question, elle n’insisterait pas, et lui parlerait d’autre chose. Mais s’il ressentait le besoin de se confier, de quelque façon que ce soit, il savait désormais qu’elle était là, ouverte et prête à l’écouter.