The past can only be accepted.

@eliot basaïa ⊹ @aislinn o'reilly

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Le manteau noir flânait dans les rayons. Tel une ombre, aérien, dévorant les lames du plancher vieilli que la déesse foulait de son pas délicat. Le claquement des talons résonnant dans la pièce, elle était seule à faire du bruit et à troubler ainsi le silence imposé par les lieux.
Sous la lumière des néons suspendus, la chevelure de flammes embrasait une à une les étagères qu’elle contemplait longtemps. L’herboriste arpentait la bibliothèque et ses allées depuis deux heures déjà, rôdant ici et là, sans ne plus trop savoir ce qu’elle était venue chercher. Trop de choses à la fois, trop de réponses à des mystères qui resteraient entiers en dépit des recherches, et son envie de renouer avec un temps jadis avait fini par éclipser le reste.
Enfant, adolescente, et plus tard étudiante, elle avait hanté ces lieux à ne plus y voir clair. Parfois seule, trop souvent aux côtés d’Amelia, et bien après au gré de ses histoires de coeur. Depuis son retour à Arcadia, ces moments rien qu’à elle se faisaient rares. Anecdotiques entre ces murs en tout cas, et l’enceinte du vaste bâtiment avait quelque chose d’apaisant. De sécurisant presque, comme si l’endroit pouvait l’entraîner hors du temps - qu’elle oubliait du reste - et des coulées de lave perpétuelles qui souillaient l’extérieur et ravageaient la vie de tous les habitants.

Ce soir faisait partie de ces instants. Tandis que le soleil déclinait au dehors, et que les travailleurs regagnaient leur maison, elle était toujours là. Debout devant les rayonnages, quelques oeuvres à la main, dont l’une manquait visiblement à l’homme qui en murmurait le titre, à trois pas devant elle.

La rousse huma tout d’abord son parfum. Un mélange de nature, de bois brut et de pierre, comme dans une vieille école. La craie et la poussière, les ouvrages oubliés, peut-être même le sable humide, dernière comparaison qui vint lui inspirer des pensées douloureuses. Elle se tourna vers lui, nota les boucles ébènes, quelques traits indiquant qu’ils avaient le même âge. Au-delà de la quarantaine. Et puis, le halo scintillant de ténèbres capta toute son attention. L’irlandaise devina aussitôt le monstre qui se tapissait sous la carcasse, et son instinct millénaire lui souffla sans délai le nom de Stéropès.

Les pensées se bousculèrent dans sa tête, l’esprit rétablissant les connexions les unes avec les autres, tandis qu’elle l’approchait. Sa main gantée glissa sur la pile de bouquins qu’elle tenait, pour finir par brandir délicatement le plus épais. Que cherchait-il ? Faisait-elle bien de lui remettre ce recueil mythologique ? Il lui sembla que oui. Alors elle se laissa l’apostropher d’une voix aussi rafraîchissante qu’une brise calme en été. « Vous cherchez celui-là ? ».

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Le souvenir des jurons, par contraste avec le ton gêné dont usait à présent son interlocuteur, la fit sourire avec espièglerie. Elle accueillit les excuses qu’il lui présentait d’un simple hochement de tête, et laissa l’oeuvre glisser entre ses mains tandis que l’aura sombre les envahissait. Il n’y avait aucun doute, elle ne pouvait pas se tromper.

Elle profita du face-à-face pour s’imprégner de l’homme, noter tous les détails comme si sa vie en dépendait.
Sa taille en premier ; il la surplombait sans mal, comme la plupart des hommes en général, et elle devait relever les yeux pour pouvoir s’adresser à lui. Sous les couches de vêtements, la silhouette avait l’air bien bâtie ; solide, massive, pas du genre à ce que l’on dise qu’il pouvait s’envoler au moindre coup de vent. Les deux pieds ancrés dans le sol, la tête dans les nuages, sûrement.

En détaillant son visage, elle nota la couleur des iris, et quelque chose d’un peu particulier dans son regard, sans parvenir à définir de quoi il s’agissait. La barbe un peu épaisse, les cheveux noir ébène, et la paire de lunettes à triple foyer, complétaient l’image de l’homme qui se tenait devant elle.

Il n’avait pas le profil d’un tueur sanguinaire, ni même d’un détraqué. Peut-être celui d’un être un peu solitaire, dans son monde à n’en pas douter. Sa réincarnation était récente, il était forcément perturbé. Elle avait vu sa psychiatre agir de la sorte quand elle avait commencé à prendre conscience de ce qu’elle était. C’était ce que faisaient les gens comme eux ; à croire que les livres pouvaient les sauver, ils s’en remettaient à eux pour trouver des réponses. Malheureusement, elle était bien placée pour savoir que la plupart d’entre eux restaient trop vides à leur sujet. Beaucoup relataient des croyances et non des vérités ; des informations manquaient par wagon, et certaines figures de leurs panthéons avaient simplement sombré dans l’oubli. Les souvenirs des récurrences était tout ce qu’il leur restait. Mais ils étaient trop peu à les avoir couchés sur le papier, de peur très certainement qu’on ne vienne à découvrir leur secret. Certains ouvrages contenaient des mémoires, gardés par des familles sous haute sécurité. Un jour, elle-même s’était dit que peut-être, elle conterait son histoire, si le temps le lui permettait.

« Je vous ai fait peur ? ». Les yeux rivés sur la lampe, la divine laissa lentement la confiance l’envahir. De tout temps, on lui avait appris à se méfier ; elle restait sur ses gardes et s’attendait à tout. Mais son instinct la trompait rarement, et elle savait également s’écouter. Que risquait-elle à lui faire la conversation, à lui glisser peut-être deux ou trois informations qui lui feraient gagner du temps ? Elle savait ce qu’il était.
Et en massant lentement son poignet endolori par le bracelet qu’elle n’avait pas ôté, elle reporta son attention sur l’encyclopédie qu’ils avaient échangé. « Je ne crois pas que vous y trouverez ce que vous cherchez ».