Les tensions n’étaient pas retombées, loin de là, pourtant, Aura pouvait percevoir une certaine tranquillité au sein de Little Italy. Les Russes n’avaient rien tenté d’autre depuis leur attaque surprise de la dernière fois, laissant le temps à la Camorra de se guérir de ses blessures. Et d’enfin arriver à retrouver un consigliere stable. Et un don. Avec l’agitation des derniers mois, c’était presque inespéré comme situation. Au moins, l’italienne n’avait plus à regarder en permanence par-dessus son épaule quand elle pénétrait à Delray. Deuxième maison qui restait particulièrement dangereuse quand elle y repensait. C’était pour cela que l’arme reposait toujours dans le creux de son dos, à portée de ses doigts, si la situation dérapait. Pourtant, elle savait que Flores ne chercherait pas à l’éliminer de front. Oh, il manquait de délicatesse sur beaucoup de sujets, néanmoins, l’avocate connaissait suffisamment le nouveau commandante pour anticiper une partie de ses gestes envers elle. Tant qu’elle n’attaquait pas sa famille, elle serait tranquille. Même si elle prenait son thaumaturge. La pensée lui arracha un sourire, attirant l’attention de quelques soldats positionnés dans les environs. Ce n’était jamais une bonne chose quand ses émotions transparaissaient, c’était ce qui se disait, ce qui se murmurait.

Mais les temps changeaient juste.

Trente années s’étaient envolées, modifiées dans un claquement de doigts. Le chemin tracé devant elle s’était effacé au profit de ses envies personnelles. Il s’en était fallu de peu pour qu’elle tourne aussi le dos à la mafia. Une part d’elle l’avait certainement voulu, quand les trahisons s’étaient accumulées, quand celui qu’elle avait suivi s’était révélé porteur de toutes ces mauvaises nouvelles. Mais elle était restée. Parce que dans le fond, elle était une gamine de la mafia, une princesse dont les doigts étaient couverts de sang depuis son plus jeune âge. Elle connaissait les rouages des organisations criminelles bien mieux que ceux du monde lambda. Alors, partir, c’était se retrouver dans une situation délicate. C’était plonger au milieu de cette banalité qu’elle avait toujours cru extraordinaire, dérangeante. Et elle n’en avait pas le courage pour le moment. Alors, elle se contentait de faire les deux. De servir les mafias, comme toujours, de retrouver un rôle d’héritière à l’autre bout du monde, et de courir après la normalité avec Clemens. Les doigts glissèrent dans les cheveux, et elle les remit derrière son oreille. Ce n’était pas particulièrement le moment de s’attarder sur tout cela.

La nuit l’enveloppait, douce fin de journée qu’elle avait évidemment choisie pour les ténèbres. Sans cela, mettre un seul pied dehors s’avérait impossible. Et tout ne faisait qu’empirer avec la présence d’Hécate.

Elle poussa la porte du Piada, jeta un regard sur les environs. La dernière fois qu’elle était venue ici, le sang avait retapissé les alentours, l’asphalte grisâtre s’était teinté d’un carmin inoubliable. Saturno avait péri ce soir-là. Alfonso avait disparu dans les jours suivants. Une nuit noire pour la Camorra, pour mieux repartir. Car les traîtres avaient été débusqués, un consigliere nommé, un don revenu. Et c’était le second qu’elle venait voir aujourd’hui, en ces lieux réhabilités, appartenant à une de ses soldates. Tout avait été réparé, remis au goût du jour. Parce que la mafia ne tombait pas. Les italiens étaient toujours présents, la tête haute, et les costumes propres.

Les talons résonnaient dans le bar, et le regard trouva la silhouette de celui qu’elle retrouvait. Celo Adimari. Bien loin d’être un inconnu pour elle. Leurs familles étaient bien plus liées qu’ils ne l’avaient réellement évoqués au sein de la mafia. Après tout, n’y avait-il pas un mariage arrangé qui se profilait à l’horizon ? Oh, évidemment, elle n’était plus celle concernée, après avoir exprimé son avis là-dessus, mais tout de même. Cela fait de Celo et elle… Une même famille. A peu de choses près.

Elle se posa sur un siège, réajustant la veste de son tailleur. Au boulot ou non, la tenue était toujours professionnelle. Trop. « J’espère ne pas t’avoir fait attendre. » Ponctuelle certes, mais s’il était là avant elle…