Ce matin là, je me réveille avec un mal de tête dont je ne connais absolument pas l'origine. D'abord, je pense que je dois couver quelque mal, puis je pense au démon qui a du picoler une bonne partie de la nuit. Je soupire et me lève péniblement. Plusieurs fois, je me masse les tempes ou me passe la main sur le visage mais rien n'entame ce sentiment d'être dans le brouillard.
Face au miroir, il me faut boire énormément d'eau et faire plusieurs fois des ablutions afin qu'enfin, je sois apte à réfléchir. C'est alors que je ressens une douleur lancinante dans ma poitrine. Enfin ... C'est trop superficiel et trop localisé pour être quelque chose de véritablement inquiétant, une blessure ? J'écarte alors ma chemise de nuit pour voir ce qu'il en est.
"DÉMON ! Viens ici tout de suite !"
- Hé, c'pas mon heure là ... -
"Explique-moi ça, s'il te plaît."
- T'es d'une humeur ce matin ... Que je t'explique ... Ha ça ? Bah c't'un piercing au téton. -
"Tu n'as pas le droit d'altérer notre corps ainsi..."
- Que j'sache, c'pas dans les règles ! -
"Ah non, tu as raison ! La modification corporelle et les opérations ne sont pas dans nos règles. Je pensais que c'était du bon sens ! Du coup, je vais vite fait aller à l'hôpital et subir une opération, moi aussi ! Oui, je suis hors de moi.
- J'aime pas ce regard. Quelle opération ? -
"Tu sais, ce genre d'opération définitive qui te ... coupe ... toute envie de te reproduire."
- Kyan ! Non ! Mon ami, mon frère, tu va pas faire ça, n'est ce pas ? C'est... c'était juste une petite blague, pas la peine de s'énerver ! Je m'excuse, je ne le referai plus jamais, jamais, jamais... -
Je soupire et renvoie le démon dans le fond de mon esprit. Le piercing s'est mis à saigner pour le coup, comme en signe de protestation. Je prend mon courage à deux mains en me répétant que la douleur n'est que physique et que je peux parfaitement la supporter. J'attrape la petite barre de métal et l'ouvre, et essaye de l'ouvrir.
... Je ne savais pas qu'il était possible qu'un piercing s'infecte à ce point quelques heures à peine après la pose. Je ne savais pas non plus qu'il était possible de casser de l'acier chirurgical s'il est de mauvaise qualité. Et bien entendu, j'étais totalement ignorant du fait qu'un bout de métal coincé dans la chair était un truc aussi douloureux. Je me dit que ce n'est qu'une épreuve de plus, voilà tout.
Une gaz de fortune et une chemise propre plus tard et me voilà parti pour l'hôpital d'Arcadia. Ça tombe bien, les semaines qui précèdent Noël, je n'avais que ça à faire d'aller attendre aux urgences !
Arrivé dans la salle d'attente, je me rend à l'évidence que pour mon propre bien-être, il va sérieusement falloir que je fasse appel à ma paix intérieure. Je remplis le papier d'admission et va m'asseoir avec les autres victimes.
Étrangement, je me rend compte que c'est la première fois que je suis là pour moi-même. D'habitude, je suis plutôt accompagnant. L'idée ne parvient pas à m'apaiser, alors je me redresse sur mon siège et ferme les yeux. J'entre dans un état méditatif qui m'aide à au moins faire passer la douleur.
Je vais devoir faire de nouvelles règles avec ce démon dès ce soir.
Finalement, quelqu'un appelle mon nom. Il s'agit d'une jeune femme à l'air particulièrement affable. Immédiatement, je me sens en confiance. Je me lève et accepte la poignée de main. Cette rencontre est formelle et professionnelle.
"Enchanté, docteur. Je vous suis."
Et me voilà en train d'arpenter le couloir. Je constate qu'il y a énormément de pauvres âmes ici qui sont bien plus mal lotis que moi. En passant devant certaines chambres, j'adresse une prière silencieuse pour chacun d'eux.
Nous arrivons dans une salle et, n'ayant pas l'habitude des urgences, je me demande s'il faut que je me déshabille tout de suite. Finalement, je prend place sur la chaise face au bureau.
Je me rend compte que j'aurais été beaucoup plus à l'aise pour expliquer mon problème en détail si je n'avais pas précisé que je suis prêtre sur la fiche d'admission. Bon, c'est un peu trop tard à présent. Je me donne courage en me disant que j'ai l'habitude des confessions et que cela ne me fera pas de mal d'être de l'autre côté du confessionnal pour une fois.
"C'est effectivement très imprécis. En fait, il s'agit d'un piercing qui m'a été fait cette nuit et qui s'est infecté. J'ai essayé de le retirer mais je crains qu'il ne soit cassé."
Malgré mon ton neutre, je ne peux m'empêcher d'essayer de me préparer à l'amusement de mon interlocutrice. J'aurai du attendre ce soir et envoyer Sheitan s'expliquer avec elle à ma place.
Je soupire, il va bien falloir en passer par là à un moment où à un autre. La vérité, rien que la vérité et toute la vérité. La femme qui me fait face semble être tout à fait apte à comprendre et à entendre le genre de détresse intérieur dans laquelle je suis actuellement.
Malheureusement pour moi, la vérité crue m'est interdite sous peine de me retrouver un étage au dessus avec une camisole de force serrée autour de ma poitrine. Même si je ne porte pratiquement que du blanc, je dois admettre préférer rester libre de mes mouvements. Donc non, je ne dirai pas qu'un démon prend possession de mon corps la nuit pour aller faire des folies et que cette nuit précisément, il a décidé d'aller un peu loin.
- Sheitan, les circonstances exactes, s'il te plait.-
- On s'était rétamés à la vodka ! On était trois et je ne sais absolument plus du tout où on l'a fait. -
Pour répondre, je me penche légèrement sur le bureau.
"Docteur Jonson, je vous apporterai tous les détails possibles mais malheureusement, je n'étais pas spécialement conscient lors de l'opération. Je ne pense pas avoir été drogué mais je pense avoir absorbé une quantité non négligeable d'alcool et ma mémoire est terriblement défaillante ce matin."
La femme écrit des choses dans son dossier médical. Voilà, j'ai à présent un dossier médical aux urgences, chose que je ne pensais même pas capable venant de moi. Si j'avais pu outrepasser mon assurance et mon identité, je pense que j'aurais envoyé Sheitan s'expliquer à ma place.
Je regarde le docteur un instant, concentrée sur ses notes remettre une mèche de cheveux derrière son oreille, un petit sourire pousse même et éclaire son visage déjà très séduisant. Non, laisser Sheitan avec elle serait une terriblement mauvaise idée finalement. Je pense qu'il inventerais toute sortes d'urgences rien que pour venir la voir, se faire ausculter et plus si affinités.
"Non, je ne pense pas être allergique au métal même si effectivement, le piercing est une première pour moi. Le vrai problème est l'endroit où il se situe, c'est très douloureux."
Même si je n'en laisse rien paraître, je sens mon cœur pulser des vagues de souffrance juste à ce point précis. Je ne savais pas que cet endroit pouvait être aussi sensible.
Quand les foudres viennent, je baisse les yeux comme un enfant coupable. Je suppose que c'est amplement mérité. Je n'ose pas appelé Sheitan pour qu'il entende cela de peur de sa réaction devant la jolie médecin mais je prend note même si je sais qu'il me sera impossible de lui interdire l'alcool.
"Un médicament contre la gueule de bois ne sera pas nécessaire. Je vous remercie mais j'ai déjà dessaouler au réveil. Je n'ai pas l'habitude d'en boire et je ne connais pas mes limites. Je serai raisonnable à partir de maintenant."
Par la suite, il semble que nous allons passer aux choses sérieuses. Je me lève et commence à retirer ma chemise. Je ne souhaite oublier cela pour rien au monde, cela est ma punition pour ne pas avoir su garder Sheitan sous mon contrôle. Je pose alors mon vêtement blanc sur la chaise et commence à retirer mon pansement avec mille précaution. Ma croix continue d'habiller mon torse et je me demande un instant si elle a vu ma profession sur le dossier. Si c'est le cas, je salue son professionnalisme de ne pas l'avoir mentionné ni rien laissé paraître.
Une fois torse nu, l'abcès à l'air, je me tourne vers mon médecin. Je suis un peu plus à l'aise à présent que le simili-interrogatoire est fini.