Vérité funeste, l’infâme dévotion déclamée du bout de ses lèvres délicatement posées contre celles de l'aîné, sincère. Aux mains qui s'accrochent et s'agrippent, toutes forces regroupées dans les gestes. Ceux qu'il offre et donne sans concessions, sans réflexion. A l'instar de l'oraison sacrée, à l'offrir de vive voix avant de s'offrir, lui. Prostitué inapte à lutter, prêt à céder.
Le cœur à s'arracher de devoir à nouveau les trahir tous les deux. S'abandonne au réconfort de l'adoré avant d'être souillé, savoure ces moments volés au goût de trop peu, courant d'air jamais présent.

Toujours absent.

Les mots doux volettent contre ses lèvres, s’y déposent comme des trainées de cendre. Tendre déclaration excessivement rare, toujours couchée sur des morceaux de papier. Uniquement énoncée pour se faire pardonner d'odieux méfaits à accomplir. Aussi légères et aériennes soient-elles, les ailes de papillon raidissent ses muscles d’anticipation. Lui tordent horriblement les entrailles. Figent dans ses veines le sang qu’il partage honteusement avec le cadet. Il se recule légèrement au lieu de savourer la beauté de l'instant. Agrippe à son tour les frêles poignets pour obliger le rouquin à s’éloigner de sa carcasse.

« - Pourquoi tu me dis ça ? » Qu’il souffle, pétri de terreur sous sa cuirasse de géant. Outrage qu’il pressent, déchaine l’orage dans les azurs méfiants.

« - J’ai besoin d’une raison pour te le dire ? »
Suave au murmure sourire accroché aux lèvres. Douceur candide et brûlure sublime ancrée aux cils. Dévotion solaire dans le fond des yeux pour cacher la crasse dans la poitrine. Mourir aux mains entravant ses poignets. Se hisser sur la pointe des pieds, frôler de sa bouche fielleuse celle de l’aîné.

En baiser tendre, une excuse muette. Petit cœur en battements déments, conscient de s’être trahi pour toutes ces fois où il a clamé son amour déviant avant de commettre l’impardonnable. Petit traître à déposer son cœur à ses pieds.

Sourire candide et notes sucrées au coin des lèvres. Douceur du miel pour dissimuler l’acidité du vinaigre. L’ainé n’est pas dupe pourtant. Le palpitant accablé par ses multiples trahisons, strié de blessures de guerre. Confiance fragile qui finit toujours par chuter dans les abysses, avec toute la force de son désespoir. Rédemption à l’arrière-goût amer. L’emprise sur la peau diaphane se resserre, tison brûlant contre la chair. Presque à vouloir lui faire mal alors qu’il repousse à nouveau l’assaut fraternel.

« - Je crois oui. Pour que tu oses le faire à voix haute cette fois, ce que tu prépares doit être particulièrement ignoble non ? » Le timbre est rude, polaire comme ces contrées enneigées qui l’ont vu naître. Teste l’amant pour le voir flancher. Résister. Avouer.

Trahi par sa propre folie. Lâcheté à l’opprobre venin, les lèvres se tordent en sourire amer. Rictus aussi cassé que son cœur mutilé. Eloigné en moins que rien à repousser, Ariel ne résiste pas cette fois. Serre doucement les poings, renifle sa souffrance, pupilles voilées. Hausse une épaule et se déhanche pour retrouver l'appui du sol.

Petits doigts qui s'ouvrent, spasme vrillant le corps et se referment.

« - Je voulais juste te le dire. Que tu le saches pour de vrai. Avoir failli mourir, encore, ça oblige à agir autrement. » Aveu triste sous l'esquisse d'un sourire à la chaleur fébrile.

Fragilité dans le timbre, ombre qui voile l’astre ardent. Douceur qui lui transperce le cœur, tournoie au creux des viscères. Elle lui fait mal, parvient presque à endormir sa colère. Il laisse ses doigts errer contre la gorge frêle. Affectueux et souverains. Besoin instinctif de le toucher, soigner ses maux pour éviter qu’ils ne bleuissent davantage. Mais la langue venimeuse ne se laisse pas endormir par le charmeur de serpents, claque rudement contre son palais.

« - Dommage que ça ne t’ai pas fait prendre des résolutions plus importantes pour le prouver. » Il s’en veut, aussitôt. De remettre sur le tapis sa dépendance lascive. Crève de ne pas lui suffire.

Cruauté fiel d’une confiance détruite. Amour parjure mis à mal sans aucune chance de se racheter. Parle pour du vent, ses mots semblent dérisoires. Vains d’explications qu’il ne peut donner.
Son cœur cassé bute sur ses battements. Piétine à chaque heurt. Ariel se libère de l’étreinte pourtant affectueuse. Mal à l’aise aux doigts contre sa gorge, signal d’alarme en fond de crâne.

« - J’ai mes défauts, je fais au mieux pour rester digne malgré ma condition. » Lui rester digne quand rien de ce qu’il est ne le mérite lui. C’est aîné tyran qui le brise inlassablement. Indéniablement.

Eternellement.

Contact rompu, l’argentin s'échappe. Lui glisse entre les doigts comme s'il était fait de sable et tente d'esquiver la marée meurtrière. « - Epargne-moi ce ton solennel, veux-tu ? Abstiens-toi de me seriner avec ce genre de niaiseries, ça n’a pas de prise sur moi. Tu veux pas me faire la révérence aussi ?  »

Le tyran rugit, courroucé par ce qu’il ose nommer défauts. Irrité qu’il espère s’en sortir avec une pirouette si honteuse. Un simulacre de flatterie pour lui faire avaler des couleuvres plus grosses que lui. L’ainé estime avoir toujours traité le plus jeune comme son égal, en dépit de ses odieuses crises d’autorité.

« - Pour t’offrir le privilège de te sentir grandit ? » D’une déclaration douce à de l’acide, passer entre les gouttes. Saigner au fond du cœur, au sel d’une douloureuse tristesse dans l’abysse de ses yeux.
Main se lève, rempart entre lui et le géant. Sourire fatigue, couleurs fanées en bord de lèvres.
Supplie de l’achever si l’intention est de continuer. S’effrite un peu à chaque inspiration, en poussière aux pieds de l’amour qui le détruit par son courroux insatiable.

« - Ne me crois pas, c’est ton droit. » Il devrait pourtant. Depuis le temps.
Savoir sans douter.

Chagrin en bord de cils, brave la tempête avec difficulté. Réplique carnage qu’il retient, mastique pour l’empêcher de traverser la barrière de ses lèvres. Arrêtée par la main qui se lève, drapeau blanc qui flotte au vent. Une grimace vient froisser les traits mauvais, en piètre excuse qu’il ne formulera jamais. L’ombre menaçante s’approche à nouveau, laisse ses doigts filer sous le menton frêle. Écume salée déposée à même la bouche sucrée, avec douceur et fermeté. S’y éternise juste assez pour en cueillir le miel, avant de s’en défaire.

« - Je te crois. Ce n’est pas la question. » Assure-t-il, sincère. Il ne doute pas de son amour. Seulement de tout le reste. « - Moi aussi je t’aime. » La vague vient effacer l’offense tracée sur le sable, les doutes proférés à voix haute. On en discerne pourtant encore les contours délavés, au creux des rétines d’acier. Et sur cette déclaration fatidique, la lune s’éclipse du soleil.