Maraudeuses

Invité

« Bon ! Voyons ça… »

Sen tapote du bout des ongles l’adresse du squat indiqué par Bobby sur son téléphone. Un type louche, au menton aussi glabre que son crâne tatoué, portant sur ses épaules le même perfecto en toute saison. Empestant l’alcool et les embrouilles. Mais des habitants de la rue, elle a rarement vu plus fiable que lui. Elle se mordille le doigt, ses prunelles sombres scrutant l’écran avec impatience. Un smartphone d’ancienne génération, emprunté à une habitante des hautes tours d’Arcadia. Cela fait longtemps que la vagabonde ne s’en inquiète plus. Sa victime est assez aisée pour se payer le dernier bijou à la mode, sans avoir besoin de faire la queue. En attendant, une autre inquiétude lui pince les lèvres. Elle gonfle les joues de frustration.

« C’est pas encore ça la 4G… Hey, tu me dis si je suis sur le point de me cogner à un poteau, hein ? »

Elle n’esquisse même pas un regard pour sa partenaire de galère, trop absorbée par le lent chargement de la carte sur son écran. Mais elle entend bien ses pas. Comme la plupart de ses relations depuis qu’elle a quitté la Bratva, Lan vient de la rue. Ou plutôt, elle s’est laissé embourber dans la précarité d’une vie sans attaches. Alors Sen a fait comme tout sans-abri avec un peu d’honneur : elle lui a tendu la main, sans se soucier de ses origines, ni de son aura. Les kitsunes et les bakus sont un peu les mêmes, après tout : des petites créatures mignonnes et incomprises.

« Ah ! Ça y est ! On n’est pas très loin. »

Sen lève le museau de son appareil et adresse un grand sourire à Lan. Perchée sur ses bottes noires à semelles compensées, la vagabonde arpente le trottoir en conquérante. La rue est à elles. Pour le squat, rien n’est moins sûr…

« Si ça se passe mal, prépare-toi à passer en mode mignon. », fait-elle, plus grave, évoquant le goupil qui traîne dans la caboche de son amie.

Sans solidarité, la survie dans la rue est éphémère. Mais les mafieux ne sont pas les seuls à revendiquer des territoires.

Invité

My fingers claw your skin, try to tear my way in. You are the moon that breaks the night for which I have to howl

L'acolyte tapote sur clavier de portable et je souris: Bobby est un toquard, mais le meilleur toquard pour trouver des squats potable voire franchement luxueux et cela sans problème.

Squatter, c'était pas vraiment mon business au départ, mais j'avais pas trop le choix: J'étais arrivée comme une fleur au milieu du continent des thunes et du capitaliste, et après m'être fait jeter de l'appart pourri que j'avais réussi à dégotter (pour cause que "les animaux étaient interdits dans l'immeuble"), j'ai laissé un peu tomber.

Tous les apparts que j'ai pu trouver durant deux ans n'ont pas fait l'affaire. C'est pas que je pouvais pas payer, c'était plus que les bobos me supportaient pas, que Renard aime chier sur les balcons, et que les gens aiment moyens qu'on déterre leur plantation. Mais bref, j'en était arrivée au point de dormir dans des terrier douteux en temps que kitsune, avant de rencontrer Sen.

Elle vivait dehors, et je la voyait souvent pendant mes balades nocturnes. J'ai finis par venir la voir en temps qu'humaine, et s'est créé entre nous une amitié bizarre, mélange entre la camaraderie et une collaboration pour squatter, manger et parler entre créatures paumées dans un monde beaucoup trop avide.

"Si tu m'entends rigoler c'est que tu t'en es pris un, ou que c'est pas loin!"

ça fait plusieurs minutes qu'elle nous fait tourner en rond, la baku, et elle sait que si elle ne trouve pas rapidement je vais me foutre ouvertement de sa gueule. Pas pour être méchante, mais qui aime bien châtie bien je crois!

Enfin, on est sur la bonne voie, et Sen me lance un sourire vainqueur que je lui rend: après trois jours à se cailler les miches (surtout pour elle, moi me transformant pour me préserver, et elle me tenant proche pour profiter de la chaleur de la fourrure), on allait pouvoir dormir dans les draps d'autrui.

"Le mode mignon, c'est ce que je maîtrise le mieux non?"

Avec le mode emmerdeuse évidemment.

L'immeuble est devant nous, et j'envoie un regard entendu à ma camarade de galère.