Beau papa, belle maman ...

Ici, tout est blanc, sans horizon, sans obstacle, comme dans mon esprit.

Preeti est face à moi, totalement nue, les bras croisés sur sa poitrine comme pour la cacher. Je m'avance et m’aperçois que je suis nu moi aussi, son regard s'éclaire quand elle me voit et écarte ses bras pour que je vienne m'y blottir.

Encore quelques pas et je remarque qu'une main vient de se poser sur son épaule, une main gauche d'homme, pourvue d'une bague. Une autre main se glisse sur sa taille et Preeti se met à sourire malicieusement. Elle jette un regard en arrière et je vois un homme juste dans son dos qui me regarde. Un homme aux yeux verts et avec une cicatrice au dessus de la lèvre, il a un sourire en coin et un regard lascif.

"Salut Kyan !"

Je suis proche d'eux à présent et je m'apprête à retirer Preeti de ses bras quand je me rend compte que ses yeux à elle viennent de changer alors qu'elle dévore Sheitan du regard. Elle se mord les lèvres et fait un sourire affirmé qui ne ressemble pas à celui de Preeti.
Quand ses yeux se reposent à nouveau sur moi, je reconnais ma fiancé sans aucun problème.

"Viens, mon chéri"

C'est sa voix également. Je viens contre elle immédiatement et me retrouve face à face avec le démon qui m'habite comme à l'époque où on ne se voyait qu'au travers d'un miroir. Mon attention est attiré par Preeti qui me prend le visage dans ses mains et m'embrasse délicieusement, puis elle s'arrache de mes lèvres pour embrasser Sheitan, son regard change à nouveau pour devenir celui d'une étrangère. Le corps de ma femme se presse contre moi et une jambe vient s'enrouler autour de ma taille, je sens l’excitation me gagner et je vois Sheitan sourire d'autant plus.

"Ça te fait envie à ce point là ?"

Il ricane et la voix de Preeti mêlée à celle de Durga se mêle à la sienne pour un rire lubrique.


J'inspire et ouvre les yeux tout grands sur la très faible lumière matinale

- Kyan ? -

- Non ... Tais toi ! -

J'entends les oiseaux qui chantent à ma fenêtre. Une fois de plus, Sheitan a respecter son engagement de ne pas user du corps la nuit pendant la période de mon mariage. J'ai dormi d'une traite et cela m'a fait énormément de bien. Véritablement, cela faisait longtemps que je n'avais pas dormi aussi longtemps et je me sens plus en forme que jamais. Aujourd'hui est important et même mon rêve s'éclipse peu à peu au profit du bien-être que ressens encore.

De l'autre côté de la chambre, il y a Dmitri affalé sur le lit, encore habillé et a dormi directement par dessus la couverture. Je pense qu'il n'est là que depuis deux ou trois heures. C'est alors que je me sens presque trop bien, nu mais couvert, un poids sur mon épaule, des cheveux longs sur mon bras, une main en trop sur mon torse.

"Preeti ? Réveilles-toi."

Je glisse doucement dans son oreille sans pouvoir masquer ma panique naissante. C'est très étrange, d'habitude, elle est matinale et ne s'endort pas si facilement, l'aurais-je épuisée sans le vouloir la veille ? L'avantage est que je sais d'instinct qu'il doit être quelque chose comme quatre heure et demie ou cinq heure du matin et que personne ne doit être réveillé chez elle.

Quand ses yeux s'ouvrent enfin sur de magnifiques iris noirs, je ne peux m'empêcher d'avoir un sourire tendre. Je murmure.

"Bonjour mon amour, c'est très gentil d'avoir passé la nuit ici mais je crois qu'il faut que tu t'en retourne dans ta famille, mon Roméo..."

Il n'y a pas un bruit dans la maison à part le charmant ronronnement de Dmitri, visiblement satisfait de sa propre nuit. Preeti retrouve rapidement ses vêtements et, après m'avoir embrassé passionnément, s'enfuit à la fenêtre.

Le contact de nos lèvres était terriblement doux et amer à la fois. Je retombe dos sur mon lit, la tête dans les mains, en me disant que cette fois, je ne devais plus reculer. La tâche qui m'attend ce midi est aussi stressante que les deux jours qui lui sont consécutifs.

J'inspire et expire profondément, et je tente de méditer un peu mais Sheitan est logé dans un coin de ma tête et ne semble pas être atteignable pour le moment. C'est dommage car c'est de lui que me vient mon audace et une bonne partie de mon courage. Ne pouvant pas me rendormir, je me lève pour m'étirer, faire ma toilette et m'habiller avant de préparer le petit déjeuner pour la charmante famille qui m'accueille. La veille, j'avais acheté tout ce qu'il faut pour faire une petit déjeuner à base de crêpes.

Pendant que la pâte repose, je sors un peu, pieds nus afin de saluer les premiers rayons du soleil avec les oiseaux. Mes pensées se bouscules trop et je m'adosse à un arbre, totalement perdu dans mes pensées, en proie à une peur très étrange. Les rues sont encore peu peuplées et la fraîcheur matinale est propice à la réflexion. Si je rate quoi que ce soit aujourd'hui...
Non, ne pas penser à ça. Tout se passera bien. Dmitri a l'habitude de négocier et sera parfait dans ce rôle. Quant à Preeti, elle me pardonnera certainement mes erreurs. Voilà, la femme de ma vie est partie depuis seulement une heure et je perds toute confiance en moi.

Fort de ces pensées, je m'en retourne à la maison pour commencer à faire chauffer une poêle. Petit à petit, la maison se réveille.

"Bonjour Chaachee ! Tu as bien dormi ?"

Beau papa, belle maman ...

La femme me sourit et je l'invite à s'asseoir pendant que je prépare les crêpes. Elle rit quand je les fait sauter dans la poêle. Alors que je lui tourne le dos pour la mettre dans une assiette, la dame me pose une question qui me fige.

"Preeti se joint à nouveau à nous pour le petit déjeuner ?"

Sa voix est légère mais n'y aurais-je pas entendu un soupçon de moquerie ? Sans me retourner, je dis presque trop rapidement.

"Je ne sais pas. Nous n'en avons pas parlé. Je vais quand même lui en faire quelques unes au cas où."

Heureusement, les pas de Dmitri arrivent presque à point pour me sauver la vie. Je jette un œil par dessus mon épaule avant de me retourner complètement. Dmitri était propre, rasé de près et particulièrement bien habillé. Il m'est difficile d'admettre que c'est le même homme que j'ai vu baver sur son propre drap quelques heures auparavant. Il salue respectueusement la mère d'Indira avant de venir vers moi et de me proposer son aide. Visiblement, la veille, les deux se sont surtout préparer à la rencontre entre moi et les parents de Preeti, le les en remercie silencieusement.

Un peu nerveux pour espérer faire sauter de nouvelles crêpes, j'accepte l'aide et vais m'asseoir près de Chaachee.

"Ca va ?" me demande-t-elle tout bas "Pas trop nerveux ?"

Mon masque tombe et j’acquiesce silencieusement, les yeux plein d'effroi. Elle passe une main chaleureuse contre mon épaule que j'ai du mal à apprécier à sa juste valeur.

"Ne t'en fais pas mon garçon, ça va aller ! Bon, comment ça se mange, ça ?"

"Tout dépend. Tu préfères le sucré ou le salé ?"

Beau papa, belle maman ...

"... alors pour te répondre, non, Preeti ne viendra pas."

La tante préférée me lance un regard profondément désolé avant de tartiner généreusement sa crêpe de confiture tomate gingembre. Je comprends les traditions mais en ce moment, cela ne m'arrange pas. Jamais je n'ai été aussi peu sur de moi. Heureusement, mon habitude de toujours cacher mes émotions fait une bonne partie du travail pour le reste du petit-déjeuner.

Quand Indira arrive à son tour, elle a l'air plus fatiguée que d'habitude et est habillée traditionnellement et est couverte de bijoux de la tête aux pieds. Dmitri a un petit rire.

"On dirait un présentoir à porte-clés !

Indira ne répond rien à part par un magistral doigt d'honneur qui me fait dire que les deux se sont vraiment bien trouvés. En tout cas, les deux éclatent de rire et cela me détend immédiatement, un peu du moins.

Dans la salle de bain, après une longue prière pleine de ferveur, je me regarde dans le miroir. Tout va bien, rasé, dents brossés, cheveux coiffés. Je scrute les yeux qui me scrutent.

- C'était qu'un rêve, hein ? -

Je souris

- Oui, ne t'en fais pas. Je suis juste nerveux pour la rencontre avec les parents. -

- Oh putain ! C'est aujourd'hui ! Tout va bien se passer. Fais ... enfin fais ton Kyan. Tout ira très bien, t'es le gendre parfait ! -

- Merci beaucoup Sheitan. Et au fait,  pas de soucis pour hier. À partir de maintenant, on va essayer de se dire systématiquement qui on est. Ok ? -

- Ok ! -

Une fois prêt, nous voilà largement en avance devant la porte de la famille de Preeti. Mon coeur est aussi rapide que le rythme d'une danse indienne mais je ne le laisse pas entrevoir. Indira me sourit et esquisse un geste pour me caresser affectueusement l'épaule avant de se raviser. Je la remercie du regard.

Nous voilà entrés et la bataille peut commencer, j'ai apris toutes les règles par cœur et nous saluons tout le monde dans l'ordre avant de nous asseoir selon des instructions parfaitement rodées. Cela m'aide à me concentrer sur autre chose que sur ma terreur.

Pendant notre maigre échange, je n'ai pas pu attraper le regard de ma dulcinée qui est resté bas à mon grand regret. Je m'assois et essaie de ne pas prendre compte les quatre yeux inquisiteurs qui se posent sur moi.

Beau papa, belle maman ...

Alors que nous voilà installés, je regarde tour à tour les gens qui me font face. Seule Indira a un regard où se sent un peu de chaleur et d'encouragements. Je suis ravis d'avoir passé ses tests avec succès même si la suite s'est mal passé et je suis d'autant plus ravi qu'elle m'accepte comme futur mari pour sa chère et tendre cousine bien qu'elle ait infiniment l'air moins traditionnelle que la famille de Preeti.

J'avale ma salive. Les questions commencent à arriver et semblent ne pas être de nature à me mettre à l'aise, bien au contraire. Je prend une grande inspiration, voilà venir le temps de prouver que mes talents d'orateur pour convaincre. Je me recentre intérieurement et retrouve rapidement une certaine sérénité intérieure. Si rien n'était plus important qu'à cet instant, j'avais cependant déjà fait bien pire.

Ma voix est donc posée et chaleureuse quand je répond.

"Oui Monsieur. C'est mon souhait le plus cher depuis que nous nous sommes rencontrés."

Son regard est dans le mien, franc, et cela m'est plus facile pour lire ses émotions et y faire face. Une discussion, finalement, je suis tout à fait dans ma zone de confort et je m'accroche à cette idée. La seconde question arrive rapidement.

"Votre fille est totalement libre de ses choix avec moi. Son extrême valeur à mes yeux n'est en rien entachée par un premier mariage. La seule et unique chose qui me dit que je peux me marier avec elle est tout simplement elle-même. Et cela me comble de bonheur."

Sans quitter le père des yeux, je vois du coin de l’œil Dmitri se tourner légèrement vers moi avec un regard encourageant. Dans ma tête, Sheitan reste silencieux mais m'envoie des ondes réconfortantes, je ne savais même pas qu'on pouvait faire ça.

Beau papa, belle maman ...

C'est là que nos deux cultures me font obstacles. Comment s'opposer à un mariage d'amour à ce point ? Nous sommes entre personnes majeures et consentantes mais l'avis de traditions comptent affreusement. Ma propre religion a ses règles mais jamais je ne les auraient laisser se mettre en travers de ma relation avec Preeti.

Je dois aussi admettre que je n'aime pas le sous entendu lattent qui me dit que Preeti aurait omit de me mettre au courant de certains détails. Je n'aime pas non plus le fait que d'être étranger est une excuse pour ignorer les choses importantes. Pour autant, j'écoute et ne laisse rien paraître.

Quelque chose d'autre me dérange : Ma Preeti, d'ordinaire si farouche, si forte et si libre, a présent contrainte au silence. Je sais que mon amour pour elle ou ma volonté de la voir à mon égale n'aura que peu de poids. Je vais devoir changer de tactique.

"Monsieur, les valeurs religieuses sont une chose que je respecte énormément. Jamais je ne vous demanderai de transgresser quoi que ce soit si cela doit vous faire du tord. J'étais parfaitement conscient qu'un remariage est très mal vu."

Des arguments ? Par quoi commencer ? Ces deux regards presque hostiles qui me brulent ne m'aident pas à la réflexion et Indira a des yeux presque affolés.

- Je commence à organiser l'enlèvement, ou bien ? -

Je souris et je regarde le patriarche avec une nouvelle flamme dans les yeux.

"Je n'ai aucun argument à vous donner... Je ne mérite absolument pas votre fille. Sans elle, je suis un homme vide et mort à l'intérieur. C'est elle qui a fait de moi un homme bon. Aujourd'hui, la seule chose que je peux vous dire est que vous avez ma parole sincère et entière que je consacrerai ma vie à rendre heureuse Preeti, de tous les moyens possibles et imaginables. Je peux vous garantir que personne d'autre ici bas n'est plus déterminé que moi."

Une partie de mon assurance retrouvée, j'attends la prochaine question de pieds ferme.

Beau papa, belle maman ...

Le début de réponse me fait pâlir. Qu'aurais-je du répondre ? Préfèrerait-elle réellement voir sa fille seule que remariée et heureuse ? Le père coupe littéralement la parole à la mère et la force à se rasseoir. La situation m'échappe totalement et la tension qui règne dans cette pièce commence à me mettre définitivement mal à l'aise.

Je prend une inspiration pour parler mais c'est la voix de Preeti qui me coupe la parole. Obnubilé par un tel acte de bravoure j'en reste sans voix. J'écoute attentivement les menaces qu'elle profère envers ses parents s'ils n'acceptent pas le mariage.

Ma Preeti est là à nouveau dans la pièce. Forte et libre. Un sentiment de fierté envers elle gonfle dans ma poitrine à mesure que je sens ma propre inutilité grandir. Je suis des yeux la mère de Preeti qui s'en va dans la cuisine et je me demande s'il ne s'agit pas là d'un très mauvais signe.

Mes paroles posées et mesurées viennent être réduites à néant par le ras-de-marée qu'à provoqué Preeti et qui lui, à fait mouche. Devant son attaque, je n'ose pas bougé. Le père, en revanche, reprend tranquillement la parole au bout d'un moment comme si de rien était. A sa question, j'ai presque du mal à cacher mon sourire.

- Putain ! Laisse moi lui parler ! -

Je sens la chaude présence de Sheitan se frayer un chemin dans le trou béant que mon indécision à laisser. Je reste conscient et maître de mes actes mais j'ai son assurance et sa confiance en lui.

"A quel point je l'aime ? Cette question est-elle vraiment sérieuse ?" Ma voix sonne étrangement, comme légèrement plus grave et gouvernée par l’émotion. Cela ne me ressemble absolument pas. J'avale ma salive et reprend. "Demanderiez-vous à un homme perdu dans le désert à quel point il aime l'eau ? Je ne suis pas plus réservé que Preeti, elle est simplement infiniment plus courageuse que moi. Quant à savoir si c'est une bonne chose, je ne me pose pas la question, c'est Preeti et elle est juste parfaite ainsi."

- Perdu pour perdu ... Achève le ! -

Sans y penser, je me penche légèrement vers son père. Le courage et l'audace de Preeti est terriblement contagieux et l'influence de Sheitan est irrésistible. Mon timbre de voix est toujours respectueux mais vibre d'une volonté presque férale.

"J'ai peu à lui offrir, il est vrai... Seulement si vous considérez son bonheur et sa liberté comme insignifiants. De moi, elle peut avoir absolument tout ce qu'elle désire. Alors certes, je ne suis qu'un étranger qui n'a certainement rien à faire ici mais je n'ai plus rien à perdre à part mon unique raison de vivre."

Je soutiens le regard noir du père.

Beau papa, belle maman ...

Je suis à présent persuadé d'avoir tout gâché. Avec une pensée à Sheitan, je lui dit qu'il faut à présent qu'on mette en route le plan B et qu'il peut déjà aller louer une moto pour partir dans le désert Rajasthanis pour vivre notre amour en cachette.

Étrangement, la pression retombe un peu. Les épaules du patriarches retombent imperceptiblement, soit il s'est rangé à notre avis, soit il a décidé de me supprimer avant que je ne quitte la maison. Ce qu'il murmure à sa fille me cloue sur place, je suis un peu confus car l'amour porté à sa progéniture semble important pour lui, alors pourquoi toute cette mascarade ? Je me détend en me disant que j'avais pensé la même chose d'Indira quelques jours auparavant.

A présent que ma propre épreuve est visiblement passée, je regarde Dmitri qui retrouve son sourire. Pendant la confrontation, je n'avais pas osé lui parler. Il s'apprête à prendre la parole, plutôt sur de lui, quand la question lui coupe l'herbe sous le pied. Il reste un instant, la bouche ouverte, sans savoir quoi dire avant de tourner son regard à la fois triste et affolé vers moi.

"Kyan, ils ne savent pas ?"

"Je croyais, si..."

Non, pas ce sujet, pas maintenant ... Ou est-ce encore un nouveau test cruel ? Je m'apprête à répondre moi-même avant de me rappeler que la question ne m'avait pas été posée à moi. Je rend un regard d'incompréhension désolée à mon frère. Son attention se retourne vers le père de Preeti.

"Monsieur, nos parents sont morts il y a de nombreuses années. Je peux vous assurer que ce mariage les auraient comblés et qu'ils seraient venus sans hésiter. Mais étant donné les circonstances, je tiendrai lieu de tuteur pour mon petit frère."

Il se réserve pour la question de la dot, attendant de voir la réaction sur le fait que nous soyons orphelins avant d'exiger quoi que ce soit.

Beau papa, belle maman ...

Rapidement, je comprend que le père est un homme de mots, comme moi, il aime que son point de vue soit parfaitement compris et n'hésites pas à ajouter toutes les nuances nécessaire pour ne pas laisser place au doute. Je me détend à cette simple idée.

Moi et Dmitri nous inclinons quand les condoléances nous sont présentées. Même après tout ce temps, cela nous fait beaucoup de bien de savoir que nos parents ne sont jamais oubliés. Je regarde mon frère et visiblement, il ne garde pas ombrage de ce souvenir. Nous ne parlons que très peu de nos parents, de peur de la réaction de l'autre, sans doute.

Quand le patriarche s'adresse directement à Dmitri, il acquiesce et prend un air sérieux que je ne lui connais que peu. Il approuve aux questions sans oser interrompre la voix sacrée du père de Preeti.

"Très bien. Donc si vous n'avez rien contre notre statut d'étranger, vous saurez sans doute que la dot n'est pas quelque chose avec laquelle nous sommes véritablement à l'aise. Mais Kyan et Preeti souhaitent respecter les traditions autant qu'ils le pourront alors je ne peux que m'incliner à leur demande.

J'avais un peu occulté l'histoire de la dot. Je n'ai absolument aucune idée de ce qu'il va demander. Je regarde Indira qui reste suspendue aux lèvres de Dmitri, visiblement autant dans l'expectative que moi. Mince ...

"Après le mariage, nous allons rendre visite à notre ferme familiale. Notre père élevait des chevaux. Pour faire prospérer l'élevage, il s'est ouvert au tourisme et au loisir. J'aimerai comme dot un jeune étalon de race Marwari."

Je regarde mon frère, estomaqué. D'où lui était venu cette idée ? L’acquisition d'une telle bête serait bénéfique sans aucun doute pour l'élevage, elle permettrait de mélanger du sang neuf et exotique avec nos chevaux serbes et ainsi attirer toute une nouvelle clientèle possible. Mon histoire d'enfance avec Sheitan, évidement, avait du inspirer Dmitri pour la dot.

Après l'étonnement, je me dis que, si c'est accepté, le bénéfice serait sans aucun doute énorme et que l'idée était la meilleure qu'il aurait pu avoir. Il n'y a plus qu'à espérer que le mélange de sang serbe et indien donnerait quelque chose de bon...

Nous attendons donc la réponse fébrilement. Je n'ai aucune idée du coût d'un étalon mais je suis certain que Dmitri s'est déjà fondamentalement renseigné.

Le père demande à me parler en priver. Naturellement, j'accepte avec joie.

"Il n'y a aucun soucis, je n'ai rien à cacher."

Beau papa, belle maman ...

L'ambiance se détend alors tout à fait. Le "marché" est accepté.

"Un étalon et une jument non consanguine, c'est parfait. C'est ce que j'avais pensé à la base mais j'avais un peu peur d'abuser. Merci de votre compréhension et pour l’arrangement possible pour le futur. Merci beaucoup, Monsieur Isha !"

Je reste abasourdi. Si réellement cela marche, alors nous n'avions plus à nous en faire pour l'avenir de la ferme, ni pour le notre d'ailleurs. A l'avenir, il faudra certainement prévoir plusieurs aller-retour Serbie-Inde afin de s'assurer du bon déroulement du transport pour les bêtes.

Derrière le dos de mon frère qui s'est avancé pour saluer, je croise le regard de Preeti. Derrière son habit traditionnel, tout ses bijoux et son air encore un peu étonnée, je vois son sourire satisfait et soulagé. Je lui sourit naturellement à mon tour, furtivement, avant de revenir sur le patriarche qui m'invite à le suivre.

Arrivés dans le jardin, le père de Preeti m'explique calmement ce que nous faisons ici. Le fameux rituel pour la fertilité, je souris au souvenir de la conversation dans l'avion. Cependant, à son explication, je reste interdit.

"Bien sur, je crois aux signes."

L'arbre planté pour la naissance de Nisha, mort et retiré cette année ? Je n'ose comprendre... Après toute cette pression, je sens mes yeux me brûler ... Non ... Je me calme de justesse, j'ai besoin d'en avoir le cœur net.

"Monsieur, j'ai peur de ce que vous me dites... Pensez-vous que la mort du plant ce soit annonciateur d'une mauvaise nouvelle concernant Nisha ?"

Pourquoi me dire ça maintenant et ici ? Je me rend compte que j'ai parlé avec un peu trop d'émotions, je reprend ma respiration et la parole sur un ton plus calme.

"Je vous prie de m'excuser... Je ne sais pas si vous le saviez mais c'est ainsi que j'ai rencontré votre fille : en voulant l'aider dans ses recherches. Je me sens mal de ne pas avancer et de n'avoir aucune nouvelle à lui donner. Pardonnez-moi et expliquez moi, s'il vous plait."

Beau papa, belle maman ...

Dmitri est fier comme un coq et devient presque brillant et clignotant quand Preeti le félicite. Cela me fait rire et j'ose même mettre ma main sur son épaule, main qu'il serre dans la sienne.

Quand Preeti demande à ce qu'on se voit après, je suis au comble du bonheur et plus encore quand le père concède.



J'écoute très attentivement les explications d'Isha. Visiblement, il ne voit pas de signe funeste à la mort de la plante mais bel et bien un deuil parfaitement complet. Cette idée me rassure.

"Je vois...

Connaissant les pensées de Preeti sur son défunt mari, je n'avais aucun doute que Pavel ne plane plus dans son esprit. Le problème est toujours venu de moi.

"Un homme de famille ? Je ne me suis jamais posé la question. Je suis très dévoué à votre fille et votre petite fille. Et quand Preeti sera prête, j'aimerais beaucoup avoir des enfants."

Je ne suis pas à l'aise avec l'idée de partager des choses que Preeti préfèreraient garder pour elle mais la fin du discours me décide.

"C'est bien moi. Malheureusement, je n'ai pas apporté beaucoup dans l'histoire. Preeti vous a beaucoup parlé de moi ? Qu'a-t-elle dit ? Et qu'a-t-elle choisi comme plantes pour nous et quelle en est la signification ?"

Je reprends un peu mon sérieux avant de poser une question qui me tient à cœur :

"Et pour la maman de Preeti, ça ira ? Je peux essayer de faire quelque chose pour me rattraper ?"

Beau papa, belle maman ...

J'approuve ses paroles. J'aime beaucoup parler à cet homme et j'espère vraiment développer notre relation dans le futur sur cette même ligne.

"C'est évidemment mon objectif principal ! Et si vous aviez des photos, ce serait parfait car Preeti ne m'en a montré qu'une seule et effectivement, c'est toujours un sujet excessivement délicat à aborder avec elle." Comme Pavel pour moi, d'ailleurs.

Ce que Preeti à dit sur moi, dans la bouche de son père, me fait presque rougir. Pour ma part, je trouve que c'est un peu exagéré mais je n'ai pas de parents à qui j'ai pu faire de telles confidences alors je ne juge pas. La période creuse doit coïncider avec notre séparation, je suis attristé qu'elle n'ai pas cherché du soutient auprès de ses parents à cet instant mais au moins, elle a gardé sous silence mon secret.

"Non, le langage des fleurs m'est totalement étranger. Que signifie la lavande ? Vous ne pouvez vraiment rien me dire sur sa plante ? Au moins sa signification ?"

Le cas de la matriarche m'est expliqué. Comment un mari peut-il à ce point contrôler les pensées de sa femme ? Je suppose que je n'aurai pas l'occasion de la voir d'ici le mariage mais ...

"C'est exclu que j'essaye de lui parler moi-même ? En dehors de tout cadre formel, je veux dire. Je m'en tiendrai à votre bon sens dans cette décision. Être bon avec Preeti est déjà acquis, même si je n'aurai pas l'occasion de pouvoir le prouver d'avantage jusqu'au mariage."

Je baisse les yeux, une dernière requête, juste une seule, une qui me tient à cœur et à laquelle j'espère que Isha consentira plus que Preeti.

"Monsieur, j'aimerai que vous considériez Nisha comme étant aussi ma fille, si cela ne vous ennuie pas. Notre mariage validera son adoption envers moi et cela me tient plus à cœur de manière spirituelle qu’administrativement parlant."

Beau papa, belle maman ...

Isha se lève et va immédiatement chercher les photos. L'album qu'il apporte est assez épais et je souris en découvrant Preeti enfant dans les premières photos. Le père les regarde un instant, visiblement attendrit avant de passer directement à la fin pour ma plus grande tristesse. J'aurais aimé connaître les histoires de son enfance et la voir évoluer dans ce monde qu'est l'Inde et qu'elle aime tant.

Nisha apparaît, beaucoup, sous différent angles. Je glisse Sheitan à mes côtés et il me débarrasse de mon sentiment de tristesse et d'attendrissement pour nous concentrer sur les détails. La couleur des cheveux, leur texture, la couleur des yeux, les traits du visage, les bijoux, les marques sur le corps ...
Malheureusement, il y a trop peu de signes distinctifs et beaucoup trop de temps s'est écoulé mais toute les informations sont bonnes à prendre.

"Pensez-vous qu'elle aurait pu garder son bracelet à la cheville ?" Je demande, sans grande émotion, totalement concentré sur ma mission d'observation. Sheitan et moi échangeons des commentaires silencieux sur telle ou telle image.

J'aperçois furtivement Pavel sur quelques photos. Il a l'air travailleur, sérieux, occidentalisé, sur une des photos, il a même l'air de me défier du regard que je détourne un peu avant que Sheitan ne me force à retourner sur une photo de Nisha, celle-là même que j'avais déjà vu une fois et que j'avais gravé dans ma mémoire.

"Oui, c'est celle-ci qu'elle m'a montré, à notre première rencontre."

Sheitan me suggère une idée que je trouve excellente étant donné les circonstances.

"Si vous retrouvez beaucoup de Preeti dans Nisha, pourriez-vous me montrer une photo d'elle à deux ans et demie, s'il vous plaît ? Je pense que ça m'aiderait pas mal."

Quand vient le sujet délicat de la mère, j'ai fini de regarder et d'analyser toutes les photos.

"Je vais me fier à votre jugement, dans ce cas. Je verrai si en partant, je me sens d'essayer d'aller lui parler." et rien n'était moins sur ... "J'ai été surpris, le courant est pourtant bien passé avec Chaachee."

Le sujet de Nisha revient à nouveau, je souris à ses remarques et rassure le père.

"Oui, Preeti est au courant. Nous avons déjà signé les papiers d'adoptions. Je ne vous cache pas que ça n'a pas été facile mais elle était d'accord. Vous pouvez toujours lui en parler sans soucis."

Je sens la conversation proche de se terminer, et je dois dire que j'ai vraiment hâte d'aller retrouver ma fiancé pour voir ce qu'elle a à me dire, en espérant que je la laisse parler sans lui couper la parole par mes propres mots ou ... mes gestes.

Beau papa, belle maman ...

Ce que dit Isha me rassure, il y aurait au moins les bracelets pour essayer de retrouver Nisha, ou encore d'éventuelles traces de brûlures. Je ferme les yeux un instant, priant pour une nouvelle fois n'importe quelle divinité qui m'entendrait de nous aider à retrouver Nisha. Cette pensée apaisante passée, le sujet de la fillette disparue semble plus facile à appréhender.

Je hoche la tête à l'histoire des parents de Preeti, cela a du être un vrai crève-cœur pour eux comme pour Preeti de ne pas pouvoir s'autoriser à avoir d'autres enfants. Surtout quand on comprend que le mariage n'était pas à la hauteur des espérances de chacun et en considérant comme il s'est terminé...

"Du coup ... Je comprend à quel point la voir se remarier a du être une véritable source de tension pour vous deux." Je dis ça sans vraiment y réfléchir, sous le coup de la réflexion. "Moi qui angoissais à l'idée de vous décevoir, je fais bien de n'apprendre ça que maintenant. Je pense que j'aurais été totalement pétrifié alors. C'est d'autant plus admirable pour vous que de m'accepter."

A ce moment, j’hésite à revenir sur le sujet de la dot. Annuler le prix purement et simplement pourrait certainement les aider dans leur vie, seulement Preeti m'avait prévenue qu'il s'agissait d'une tradition sacrée et d'un sujet sensible. De plus, si la ferme prospérait comme on pouvait l’espérer, je pense qu'il serait judicieux que la famille de Preeti tire aussi sa partie des bénéfices.

"Oui, je monte à cheval. Cela fait un moment que je ne l'ai pas fait mais cela ne s'oublie pas. Par contre, à dos d'éléphant, ce serait une première. Qu'est ce qui serait plus à même de plaire à votre fille et à votre femme ? Ce serait parfait si je peux déjà rencontrer les montures demain, nous pourrons faire connaissance."

L'idée était excellente ! Même si le cheval a un peu de sang, cela me rappellera mon enfance. De plus, si le mariage tourne mal, j'aurais un excellent moyen pour enlever ma belle et partir avec elle...

A la révélation du nom, je reste bouche bée pendant un moment. Avais-je gaffé ? Non, ce n'était pas mon genre.

"Je ne le savais pas... En réalité, c'est elle-même qui m'a demandé de l'appeler comme ça quand on a fait la cuisine ensemble..."

Note à moi-même, il faudra que je le dise à Dmitri pour ne pas qu'il ne tombe dans le panneau. Lui pense certainement qu'il s'agit de son prénom. C'est parfait alors si Gyanada a une haute estime de moi et peut influencer sa sœur ! Je pense d'ailleurs déjà à trouver pour elle les meilleures fleurs d'hibiscus possible pour lui faire une infusion afin de lui servir du véritable jus de Bissap rafraichissant.

L'idée que finalement, le mari nourrisse tout de même des craintes vis-à-vis de sa femme me fait sourire. Elle lui est visiblement soumise mais j'ai l'impression qu'il éprouve un profond respect envers elle.

Le cadeau qu'il me donne est presque trop précieux mais j'en aurai besoin. Il en va de la vie de ma fille. Je l'accepte en m'inclinant respectueusement.

En revenant dans le salon, je croise Dmitri à qui je donne l'album pour qu'il le range dans son sac. Il m'interroge du regard mais à mon sourire, il comprend que ça s'est très bien passé.

Je vois alors ma future femme, magnifique bien que couverte de bijoux. Comme d'habitude, je suis ému.
Comme d'habitude, je ne sais pas quoi faire.