Il n’est pas à sa place. Il le sait. Quartier qu’il ne fréquente pas. Jamais seul en tout cas. Il n’est pas à sa place et il s’enroule un peu plus dans son manteau. Tout est une histoire de paraître. Les vêtements qu’il porte sont des cadeaux, rares choses qu’on lui laisse. C’est les billets qu’on lui prend toujours. Kyosei-kai absent, mais leurs hommes encore là quand il s’agit de récupérer les dettes. Les siennes qui semblent infinies. Sans doute qu’elles le sont. Chacun de ses écarts coûte de l’argent. Sa fuite se paye encore, même si c’était il y a de ça dix ans déjà. Il n’a pas sa place tandis qu’il s’avance dans le quartier. Des efforts pour ne pas ressembler à ce qu’il est. Pour ne pas ressembler à une trainée de bas étages. Celui qu’on couvre aussi bien de bijoux que de bleus. Le maquillage appliqué avec soin, la démarche sûre, histoire qu’on ne le regarde pas en coin, qu’on ne le suive pas du regard. Mais tellement de panique comme toujours à chaque fois qu’il sort des rues connues du New Kabukicho. Et lorsqu’il pousse la porte du café il ne s’attend pas à grand chose. Plus à grand chose. Thé à la rose commandé comme une habitude, les serveurs lui offrant des sourires. Silhouette connue mais qui reste voutée dans son fauteuil. Interlocuteur absent. Il se demande si ça sera encore le cas cette semaine. Il se demande s’il n’avait pas eu raison au premier jour. On finit toujours par se lasser de lui. Sans surprise. Le sourire est amer derrière la tasse, ses jambes qu’il remonte un peu plus pour se cacher derrière. S’il ne ressent aucune douleur, corps immunisé, son cœur est en première loge pour les blessures. Il n’aurait pas du s’attacher. N’aurait pas du y croire. Non. Les yeux qui se ferment un instant, la promesse de ne pas attendre des heures comme les deux autres fois, il sursaute cependant en entendant la voix bien connue d’Akio. Il est venu finalement. Mais là où un sourire aurait pu se dessiner sur ses lèvres, elles restent pincées, le regard presque défiant sous sa frange trop longue. En retard. L’excuse est bateau et elle n’apaise pas le cœur meurtri de Sora. L’excuse est bateau, lui donnant comme l’impression qu’il n’en a rien à faire. De lui. De ces promesses distillées dans leurs discussions au fil des rencontres. Le silence de son côté, la déception qui pulse dans ses veines empêche la fierté de lui répondre. De lui dire qu’il ne lui a pas manqué. Qu’il faudrait être stupide pour s’attacher. Surtout à quelqu’un dans son genre. Stupide. Sans doute qu’il l’est de son côté, parce qu’il s’est attaché. Au point d’apprécier ces moments, ces instants perdus dans ce café. Comme hors du temps. Stupide. « Really … » Le mot est presque étranglé entre ses lèvres. Ses jambes qu’il détend, la posture qui se redresse tandis qu’il repose soigneusement la tasse encore trop pleine sur la table. « I’m leaving. Goodbye Akio. » Ton dur. Presque autant que son regard s’il n’y avait pas autant de vide. Habitué à être déçu par la vie. Habitué à être déçu par les autres. Et sur son manteau d’un neige poudreux, blancheur éclatante entre ses doigts fins, on peut voir un instant l’éclat ambré d’une broche. Quel idiot.

Ne pas s’attacher. Une règle élémentaire qu’il suit Sora. Qu’il devrait toujours suivre. Gamin qui a appris trop tôt. Maman qui est partie malgré ses mains tendues. Papa qui l’a vendu pour quelques billets et jetons de casino. Hino dans une tombe n’ayant plus eu la force de vivre. D’autres qu’il a voulu protéger et qu’il a vu s’éteindre à petit feu. Tous emportant une partie de son cœur. De ces morceaux qu’il offre avec les deuxièmes chances. Il ne veut pas Sora. Il ne veut plus s’attacher. Et pourtant Akio qui bouleverse ses certitudes, lui fait oublier ses principes. Et comme un idiot il s’est attaché. De la première fois avec ses promesses, la broche brillant sur son manteau comme une certitude, aux rendez-vous qui ont suivi comme une habitude tendre. Les barrières qui se sont baissées. Idiot. Les barrières sont baissées et l’inquiétude a habité son cœur. Deux derniers rendez-vous manqués, la chaise en face de lui désespérément vide, et les heures à l’attendre vainement. La crainte qu’il n’ait des ennuis, des problèmes. Mais le voilà la bouche en cœur Akio. Des excuses oubliées et le soulagement de le voir en vie, sans aucune blessure vite surplombé par cette déception. Idiot. Mais quel idiot. Sora qui ne peut que se mordre les lèvres, fierté et colère qui le font se relever, ses doigts sur son manteau, et la tasse abandonnée. Il n’aurait pas du revenir. La nonchalance et la moquerie le blessent plus qu’il ne veut l’admettre. Il s’est attaché après tout. Il n’aurait pas du. Et il a juste envie de partir. D’éteindre les dernières lueurs d’espoirs embrasées dans son cœur. D’avoir un instant compté. D’avoir cru bêtement qu’on pourrait avoir une haute estime de lui, même un tout petit peu. Les promesses sont bafouées derrière ce sourire narquois sur les lèvres d’Akio et Sora en a assez. C’en est assez. Adieu. Mais une main s’enroule autour de son poignet, supplique qu’il reste dans le geste comme dans les mots. « Let me go. » Le ton est froid, malgré tout. Malgré ces caresses sur son poignet, la prise plus délicate qu’on ne l’aurait cru. Et quand la vérité sort finalement des lèvres du yakuza, il ne peut que se figer. Le regard vers l’extérieur. Vers les ombres. La crainte qu’on l’ait suivi lui aussi. La compréhension aussi. Le corps tendu, il finit pourtant par se rasseoir lorsque son poignet est libéré, le manteau posé avec soin sur l’accoudoir du fauteuil dans lequel il est placé. « I could have understand. I know them. Better than you will. » Ce n’est pas pour se vanter. Il n’a pas de quoi être fier Sora. Mais il pense les connaître mieux hélas. Il connaît leurs colères, leurs déceptions. Il connaît leurs manigances et comment ils agissent. Ses bras qui se croisent, l’attitude reste hostile. La confiance bafouée, mise à mal. L’impression qu’ils sont revenus au tout début. Il se replie même un peu dans son fauteuil lorsqu’il décide de prendre place non pas en face de lui mais à ses côtés, le regard en coin et ses jambes qui se replient naturellement devant lui comme une protection. « I’m … tired. Nothing new tho. » Même s’ils ont disparu, les journées se ressemblent à New Kabukicho. Et il reste une des âmes damnées du quartier à trainer sa peine. « Where did you disappear? I have the right to know that at least if you want me to pardon you. » Et le sourire d’Akio le fait soupirer. Il devrait s’y faire pourtant, son attitude toujours un poil arrogante, le garçon trop sûr de lui. Il ne pense sans doute pas à mal. Non. Mais ce qu’il y a entre eux a été ébranlé dans sa fragilité. Et il ne peut nier la déception qui lui enserre le cœur Sora. Parce qu’il s’est laissé attaché comme un idiot.  

Liens qui auraient dû se renforcer qui se retrouvent ballants, effilés. Et Sora qui ne peut qu’être déçu. Parce qu’il s’est attaché. Même s’il comprend la raison de ces absences. De ce silence, la déception pèse si bien qu’il peine à la cacher dans son regard. Confiance fragile et il se rend compte à quel point Sora. Ego mis à mal plus qu’il ne le voudrait. Il sait bien. Ce qu’il est. Il sait. Que ce n’est pas des beaux vêtements qui changeront son être. Gamin-objet. Rien d’autre. Jamais rien d’autre. Pourtant Sora qui rappelle amèrement. Qu’il connait ce monde. Le Kyosei-kai. Il les connait. Leurs vices. Leurs actions. Leurs sourires requins. Il connait. Sait. Le danger qu’ils représentent. Il sait très bien Sora. Les noms connus, leurs mauvaises habitudes également. Leur état d’esprit, leurs coups d’éclat, de colère. Rien qu’il ne connait pas. Et il devrait aussi connaître le genre d’Akio, mais voilà qui celui-ci le désarçonne. Si facilement. Question qui le trouble, et le rose qui vient teinter ses joues un instant. La réponse qu’il ne donne pas pourtant Sora. Parce que le dire, entendre les mots s’échapper de ses lippes, ça serait comme se l’avouer. Accepter qu’il s’est attaché. Non. L’homme qui prend place à ses côtés, et voilà que son espace vital est envahi. Il ne dit plus rien pourtant. Le garçon qui sait bien que ça ne changera rien. Protection en automatisme, ses jambes qu’il relève et le visage qu’il voudrait cacher derrière. Mais voilà qu’une main s’enhardit et que ses cheveux sont dégagés sur son front. « There’s nothing to do. » Fatalité qui lui est propre, et c’est presque triste cette habitude de ne jamais espérer, de s’attendre au pire. Létalité face à son propre destin, si noir. Réponse sans en être sûr, il ne dit rien si ce n’est acquiescer derrière ses genoux. Sora qui finit pourtant par récupérer sa tasse quand Akio évoque la panne de courant. « It’s … good to see you’re doing fine. » les mots sont comme un murmure fragile. Il ne sait pas comment lui dire en vrai. Il est toujours fâché Sora. Blessé d’avoir été tenu à part. Blessé de son silence. De son absence. « Next time you do that, I will never speak to you again. » Voix fragile, mais le regard sûr. Sora qui ne plaisante pas. Son cœur qu’il garde protège, et s’il est vraiment attaché, alors que Dieu le garde des fléaux des émotions. Il sait très bien qu’il est celui qui a le plus à perdre. Il ne le sait que trop bien. Les joues de nouveau rosées face à cette fourchette tendue en face de lui, il finit par laisser ses jambes redescendre, barrière qu’il abaisse, avant de prendre le morceau de gâteau entre ses lippes. Le geste délicat. « I wouldn’t have come back if I was feeling forced. » Le regard qui finit par se poser sur le visage d’Akio, cherchant ses yeux. Élan de courage. Témérité et franchise qu’il offre. « If you want this friendship to function, you need to treat me as your equal. Please. I know what I’m … But just … For once … Could you consider me as a person? »