La plupart des histoires clichées commence en disant à quel point un gamin aime sa mère. Ici, c’est la même chose : Basilio voue une admiration sans bornes à celle qui l’a mit au monde. Il savait déjà qu’il était le fruit de l’amour entre deux récurrences, mais le fait qu’il soit l’unique qu’elle ai pu porter et le courage avec lequel elle s’est remise de la tragédie de la stérilité. Oui, lui aussi est un petit miracle, aux yeux de sa mère.

Pour son père, tout n’est pas aussi simple. Ils vivent et évoluent dans le milieu de la mafia, dans la violence, la loi de la jungle. Basilio comprend très jeune que sa vie sera loin de celle qu’il peut rêver dans les livres, même les pages sont tâchées de sang. Pour lui, ça se résumait à devenir fort, à attendre que le dieu en lui s’éveille car c’était évident qu’il en serait un, il n’y avait pas d’autre alternative, du moins c’est ce que son père lui répétait sans cesse. On lui répète un peu trop souvent qu’il ressemble à sa mère et qu’au niveau de ses gênes, on peut toujours chercher du côté paternel. Il a la violence dans les veines, c’est simplement qu’elle grandit et qu’elle se nourrit de celle des autres, jusqu’au jour où elle explosera, rien n’est plus dangereux que le volcan qui dort.

Et puis voilà qu’il se réveille, le volcan. Dix ans et déjà Basilio suit les traces de ses anciens, tout est une excuse pour se battre et pour prouver sa valeur, y’a que la mafia qui compte et la loi du plus fort. Camilla, elle peut pas le retenir, il est trop implanté là dedans, pur produit de ce qu’en a fait son père. Ce n’est pas grave : après tout, n’est-ce pas la famille qui compte le plus ? Les jeux de pouvoir, c’est de côté ; une fois rentré dans le foyer, tout va bien, tout est apaisé.

C’est faux.

Aussi faux que les larmes de sa mère, le jour où Basilio assassine son père d’un coup de couteau. En plein coeur, avaient dit les nettoyeurs. On ne reprocherait rien au gamin, lui avait protégé sa génitrice d’une pluie de coups, d’une spirale de violence où tous avaient fermé les yeux face à l’influence. Un Dieu est mort pour en élever un autre, une vie s’est envolée au profit de celle d’une mère et de son fils. Désormais, ils ne compteraient que sur l’un et l’autre, en essayant de panser les plaies de son enfance et d’un mariage gangréné par la soif de pouvoir.

L’élément perturbateur éliminé, Basilio put s’adonner à d’autres activités qu’une bagarre constante avec la vie : ses poings et ses pieds ne seraient plus au service de la violence mais de l’Art ; le gamin a compris qu’il n’avait pas besoin de ça pour s’exprimer, qu’il ne serait que l’ombre de son père s’il continuait. Au lieu de ça, il y a la musique et le rythme. Il voyage, Basilio. Il transporte avec lui son art, son petit talent qu’il cultive et que sa mère le pousse à embrasser. Des rues de Delrey jusqu’à l’Opéra de Paris, son parcours attise les curiosités et les admirations, ils viennent de partout pour assister à ses prestations, les plus grands chorégraphes s’arrachent ce brun si exigeant avec lui-même. Le Dieu vit en lui et Basilio n’est pas sans savoir son identité, quand on vit dans la mafia et surtout quand on naît de primus, il est difficile d’ignorer son identité. Il l’a acceptée, comme il a accepté son pouvoir.

Il se fait aussi son petit caractère. Sérieux, charmeur, il ne parle pas beaucoup de lui pourtant il est toujours présent, il s’élève dans les conversations. Devant les autres, il ne fera pas le moindre faux pas, mais tout le monde sait, personne n’a oublié que le gamin dansait pour se canaliser, on a encore le souvenir du carmin sur le bitume là où il passait. C’est dans cette période qu’il rencontre son épouse : un mariage après plus de cinq ans de relation, lui qui pensait ne jamais réussir à s’attacher, les amourettes restant dans leur pays respectif tandis que Basilio s’envolait, la belle avait réussi à le captuer.

Quand il rentre à Arcadia, définitivement, il a vingt-huit ans : il a prit son indépendant, décide de réintégrer la Calavera tout en poursuivant ses activités de danseur. Tout l’argent propre gagné est aussitôt reversé pour Delrey, qu’il aime profondément et dont il ne veut que l’expansion pour ses habitants, les siens. Il est faible, Vasquez. On peut se le faire. Tous ceux ayant un jour prononcé cette phrase l’ont amèrement regretté, l’homme déchainant les enfers lorsque cela était nécessaire. Il apprend à maîtriser son pouvoir, véritable saloperie qu’il utilise sur ceux qui lui veulent du mal. Oui, Basilio est un artiste, un artiste de la catastrophe, la Calavera l’élève à différents rangs et plus il prend du grade, plus Basilio s’assure de son influence. Pour lui, la Calavera et Delrey est une grande famille,  si ses méthodes ne sont pas celles d’un ange, il réussit à instaurer un climat de confiance. Lorsqu’il devient capitano, il est aux côtés d’Alejandro qu’il épaule au maximum. Et finalement, la Calavera a changé, comme ce que son idéal lui avait toujours soufflé ; quand Alejandro part, c’est presque naturellement qu’il désigne son capitano comme successeur, sur les conseils de Camilla, évidemment. Et puis, Alejandro est parti, laissant Basilio avec le titre qu’il n’avait jamais réellement convoité mais pour qui il avait toujours eu le plus grand des respects.

Qu’aurais dit ton père, en te voyant ? Aurait-il été fier ?  

Mais toute ascension se paye : à trop gravir d’échelons, on perd des alliés sur la route, ce fut le cas de son épouse. Cayetana a décidé de se donner à un autre, ce que Basilio surprit un jour en rentrant. Tout le monde avait parié sur la mort du malheureux car tout le monde sait que Basilio ne pardonne pas la trahison, mais ce ne fut pas le cas, du moins publiquement.

Non, Basilio signe les papiers, enterre cette relation.


Puis, elle, peut-être.
Avec lui.
Ils ont du refaire leur vie ailleurs, dit-on.

Sans doute.
En avait-il réellement quelque chose à faire ? Il avait une famille dont il devait s’occuper.