Alice, Nesryn et Deirdre

Ruines des Anciens et non d'Alice, compris ?

Le commerçant lui tend la poche, un sourire des plus commercial étirant des lèvres blanchies par la fraîcheur environnante de la boutique, relevant les bords tombants d'une moustache épaisse et fournie. « En vous r'merciant de vot' achat M'dame; et bonne journée. » Elle s'apprêtait à ouvrir la bouche lorsque le client suivant, extrêmement pressé et impoli au possible, la bouscula du devant de la caisse pour passer commande. Levant la main vers le vendeur, qu'elle connaissait depuis maintenant quelques années, Deirdre lui adressa un signe d'au-revoir, repartant avec son poisson fraîchement acheté sous le bras. La jeune femme s'arrêta devant l'aquarium de la boutique, observant les homards aux pinces attachées et les crabes se frayant un chemin de travers dans cette grande cuve d'eau; elle tapotait la vitrine, comme une enfant, espérant surement que l'un des petits habitants ne finissent par lui répondre ou, pire, qu'il finisse par l'engueuler comme du poisson pourri pour ce désagréable dérangement. Souriant de sa propre bêtise, elle eut tout juste le temps de retenir ses cheveux lorsqu'une bourrasque de vent s'éleva, si violente que des pétales vinrent tourbillonner autour des passants. Elle ouvrit la bouche, par réflexe, à la fois fascinée et troublée par ce spectacle, quand un intrus s'invita sur sa langue...

Et elle ouvrit les yeux, sur cet endroit étrange sans savoir comment elle était arrivée ici. Deirdre ne se souvenait que du pétale déposé, du gout étrange qui avait enveloppé son palais; puis du vide. De cette sensation glaciale et brutale de froid, comme médusée sur place, incapable de quoique ce soit; pas même de se rappeler. Elle se redressait, tant bien que mal et l'impression d'être comme un poisson-clown loin de son anémone s'insinuait dans ses entrailles; elle ne remarqua pas la silhouette qui se mouvait non loin d'elle, avant qu'une voix légèrement éraillée ne se fasse entendre, lui faisant tourner la tête vers elle.
Une dame d'âge avancée, aux traits gracieux, tentait de s'asseoir pour un confort tout relatif, vu l'endroit dans lequel elles se trouvaient. Arquant un sourcil lorsqu'un proverbe vint ponctuer sa phrase d'une pointe d'ironie; la cadette Kearney retint difficilement un rire moqueur. « Pourtant... Même le poisson qui vit dans l’eau a toujours soif. » S'approchant de sa compagne d'infortune, elle lui propose son bras comme appui, le temps de trouver un endroit plus confortable.

Alice, Nesryn et Deirdre

Ruines des Anciens et non d'Alice, compris ?

Elle n’aurait pas dû venir ici.

Quand le prospectus lui était tombé entre les doigts, elle avait ri un instant, puis avait pensé au cabaret qu’elle gérait, à la programmation qui tombait à l’eau, progressivement. Ils étaient revenus sur des procédés bien plus archaïques, pour continuer à fonctionner, néanmoins, Nesryn avait du temps devant elle. Parfois, s’éloigner de son travail, des mafias, tout pourrait lui faire du bien. Surtout pour elle, qui gardait jusque dans sa chair les stigmates de ses combats. Beaucoup s’étaient soldés par un échec, mais la vie ne lui avait pas encore été arrachée. Autant en profiter alors…

C’était pour cela qu’elle s’était retrouvée dans cette agence, et qu’elle avait accepté, un peu bêtement, de boire ce verre d’eau avec un pétale posé dessus. Juste après, la mémoire avait fui, jusqu’à ce qu’elle se réveille, au milieu de draps de satin, avec la mer à perte de vue… La suédoise n’était pas assez calée en mythes mythologiques, elle ne savait pas réellement à quoi l’Atlantide faisait référence. De plus, cela n’avait jamais été de son ressort, elle qui préférait suivre les affaires politiques ou judiciaires en tant que journaliste. Le passé se devait de rester à sa place, même si elle aurait préféré avoir plus d’informations sur l’endroit où elle venait de finir…

Une fois les effets de… L’eau dissipés, elle entreprit de partir à l’exploration. Si Nesryn n’était pas très courageuse, elle n’avait pas pour autant envie de se tourner les pouces dans cette chambre, ma foi fort confortable. Quitte à prendre des vacances, autant visiter, même s’il faudra qu’elle fasse attention à là où elle posait ses pieds. Elle n’avait pas envie de finir à l’hôpital, pour peu qu’il y en ait un sur cette… Ile paradisiaque ? Pour l’instant, c’était de la sorte dont elle en parlerait.

Après de très longues minutes, si ce n’était heures, la voilà qui errait du côté de… Ruines ? Encore un endroit dont elle se moquait bien, et qui l’aidait bien peu à comprendre où elle se trouvait. Deux silhouettes se détachèrent au milieu des ruines, attirant son attention. En les observant de plus près, il lui sembla les avoir déjà aperçues au Royaume, non loin d’Ikaar… Ou alors ressemblaient-elles simplement à des gens par là-bas ? Doucement, elle s’approcha. Dans tous les cas, elle n’avait pas mieux à faire la gamine, et tant qu’elle ne les regardait pas dans les yeux, tout devrait bien se passer. Et si sa réputation de danger public la précédait, elle n’aurait même pas besoin de les éviter. « Bonjour. » Petite voix fluente alors que les proverbes qu’elles prononçaient toutes les deux lui semblaient si éloignés et étrangers. « Suis-je la seule à être perdue par ici ou vous aussi … ? » Quitte à apparaître comme une folle, autant y aller franco dès le début.