Dobrodošli

Mes yeux se reportent sur la photo du jeune garçon, la réponse erronée me fait rire.

"Non, Il s'agit bien moi."

Sur l'image en noir et blanc, la cicatrice reconnaissable entre mile est difficile à discerner. L'époque a fait que j'étais particulièrement timide et farouche avec les autres. C'est justement l'influence de mon frère qui m'a poussé à m'ouvrir ainsi.

Je laisse Preeti regarder le reste de la famille mais ne peut m'empêcher de réagir à sa remarque.

"Je n'étais complice de rien. Dmitri a envoyé cette photo ici et la "nouvelle" de mon affectation sans m'en parler. Je ne l'ai su que bien après."

Je regarde Elena tendrement. Après avoir, je suppose, parfaitement révisé son anglais, sa volonté de s'adapter à ses invités est telle qu'elle supposait que je ne pouvais pas faire un repas sans réciter mes prières. C'est vrai mais habituellement, je les récite pour moi seul. Je regarde Preeti qui elle-même a baisser la tête comme une bonne petite catholique. Cela me ferait presque grimacer de la voir se soumettre ainsi.

"Vous n'avez jamais été croyants. Je ne veux pas vous imposer ça."

Neven me fait un sourire entendu avant de nous servir une généreuse portion de ce qui s'avère être une pièce de porc accompagnée d'une crème de poivrons à l'ail et d’oignons.

"Alors bon appétit ! Cette après-midi, je vous ferai visiter la ferme et on ira voir ta maison."

Je me demande s'il reste plus que quelques ruines. Je commence alors à manger presque pensivement quand je ressens le souvenir gustatif de mon enfance dans ce simple plat. Pris d'un élan de mélancolie, je souris à ma femme avec des yeux plein de reconnaissance pour partager ça avec moi.

"Tout va bien ?"

Dobrodošli

J'éclate de rire franchement. Dmitri dans la comédie aurait eu vraiment sa place, effectivement. Mais pour nous, ce genre d'étoiles étaient vraiment trop difficiles à atteindre et nous voulions venir en aide aux opprimés avant tout chacun à notre façon, chacun convaincu du bien fondé de notre entreprise.

"Pas de nouvelles récentes, non. Je sais juste qu'il est venu ici et qu'il est reparti avant notre arrivée."

Est-ce qu'il avait réellement quelque chose à faire ou est-ce surtout pour nous laisser un semblant d'intimité ?

C'est tellement étrange d'être de retour ici. Contrairement à Preeti, je ne l'ai jamais spécialement rêvé ni fantasmé. Je suis parti il y a trop longtemps et à présent, je ne me sens véritablement chez moi nulle part.
Enfin, ce n'est plus tout à fait vrai à présent.
Partout où est Preeti, je n'ai finalement besoin de rien d'autre.

"Je vais très bien, je te remercie beaucoup d'être là avec moi. Je ne sais pas si j'aurais eu la force d'affronter cela seul."

Une chose est certaine : jamais je n'en aurais eu la volonté en tout cas !

"Du coup, Preeti, je voulais savoir, comment est la vie en Amérique, avec Kyan ?"

Le regard des deux parents s'affolent un instant devant la question intime. Pour ma part, je baisse les yeux pour masquer mon amusement. Ici, je n'ai absolument rien à cacher. Je sais que cette famille n'a aucune conviction religieuse d'aucune sorte et je suis même étonné qu'ils aient pris la nouvelle de mon mariage avec autant de facilité. Enfin, je ne peux pas juger car c'est Dmitri qui a été chargé de leur annoncer.

Dobrodošli

Quel incident diplomatique ? Je reste un instant à y réfléchir et ne voit comme explication que la seule et unique question de Dmitri à Preeti en ce qui concerne le fait d'obtenir la nationalité Américaine. Sur le coup, je ne sais pas quoi dire, si effectivement, je lui en avais voulu, je dois dire que mon frère avait toujours été là pour moi et m'avait souvent évité de tomber dans des pièges en tout point semblable à celui-ci.

"Il n'a pas été le seul à se poser la question." j'avoue dans un souffle. "Mais en ce qui le concerne, je peux t'assurer qu'il n'a plus aucun doute sur toi."

Quand sa main se pose sur la mienne, je remarque le regard d'Elena sur ce contact. Sur le coup, je me dis qu'elle est simplement surprise de voir que je tolère nettement mieux les contacts physiques à présent. Mais il devient presque trop insistant. Peu m'importe en réalité.

La question posée naturellement ne désamorce pas la situation mais Preeti répond comme si de rien était. A la fin de sa réponse, c'est un bruit de fourchette laissé tombé par le patriarche qui me fige.

"Parce que vous êtes réellement mariés ? On pensait à une nouvelle blague de Dmitri, nous ! On y a absolument pas cru !"

C'est instantané : Irina éclate de rire d'un coup, rire que je suis de près.

"Tu as la réponse à ta question : personne ne veut croire que tu veuilles bien de moi comme époux."

J'embrasse la main de Preeti pour la rassurer : c'était bien son genre de blague à lui, faire croire, ou laisser planer le doute. En fait, il y arrive si bien que quand il énonce une vérité dure à avaler, il sait que tout le monde prendra son contrepied. Alors que toute la famille y va de son petit commentaire pour savoir comment ils s'étaient laissés bernés, je me penche vers Preeti pour répondre à sa question silencieuse.

"Je ne sais même pas comment tu peux douter que je veuille vivre avec toi. J'espère simplement que tu sais dans quoi tu mets les pieds."

Je me rappelle cette conversation sur mon emménagement, cette étincelle de désaccord, la première entre nous, qui aurait pu engendrer une dispute qui aurait mis fin à tout. Sa proposition d’emménager avec elle et mon refus que j'avais amèrement regretté même si j'étais convaincu du bien fondé de ma décision.

Pourquoi douter alors que je le lui avais promis ? Et maintenant que nous sommes mariés, je vais avoir un foyer à moi avec la femme que j'aime. Me voilà en train de sourire comme un idiot.

"Du coup, racontez-nous le mariage ! C'était où ? Et c'était comment ? Vous n'avez pas eu trop de mal à vous entendre sur les formalités ?"

Dobrodošli

Sa phrase me fait rire. Effectivement, de mon côté, ils étaient rares à accepter que je puisse me marier, prétextant qu'un prêtre n'y avait droit en aucun cas. C'est amusant comme beaucoup prétendent mieux connaître une profession que celui qui en est le représentant. Malgré tout, je perçois une pointe d'amertume dans son regard.

"Ma chérie, il ne faut pas mal le prendre. C'est juste qu'il était inconcevable pour moi de me marier, même de mon propre aveu. Considère ce manque de foi comme une fierté, celle d'avoir accompli quelque chose d'impensable."

J'espère que ça suffira à faire pencher sa balance interne et ne plus prendre ombrage de ce genre de choses. Si véritablement ce genre de chose la rend triste, alors elle ne devrait probablement plus s'approcher de l'église d'Arcadia. Les médisances sont beaucoup trop nombreuses.

Le haut de ses joues se teintent de rouge, je le vois à présent. Un regard me renseigne sur ce qu'elle pense actuellement. A son contact, je vais définitivement devenir le pire des érotomanes et je serais probablement viré des ordres pour ne pas m'être montré à mon travail pendant plusieurs semaines.

Alors que Preeti raconte, je revis moi-même ces moments intenses. Je remarque le regard rêveur d'Irina alors qu'elle parle de sa ville natale. L'ambiance qui était jusqu'à présent formelle se détend encore d'un coup. Nous rions tous sur le "pas beaucoup dormi" et quand l'histoire de la dot me revient, je me raidis. Ce n'était clairement pas mon meilleur souvenir.

"En Inde, il faut que les parents acceptent un mariage pour qu'il soit mené à bien. Et il faut négocier une dot, je pense que Dmitri vous a dit qu'il s'agissait des deux pur-sangs indiens que vous avez reçu..." assentiment silencieux. "Ça non plus, ce n'était pas une blague. J'ai eu beaucoup plus de mal à prouver ma bonne foi aux parents de Preeti. Son père a fini par m'accepter, mais j'ai lamentablement échoué avec sa mère."

Immédiatement, de nouvelles questions fusent sur les détails. Toute la famille est visiblement très intéressée par un rapport précis des évènements. Elena semble heureuse pour moi et pour une fois ravie qu'une des blagues de Dmitri n'en soit pas une. Irina ne peut s'empêcher de soupirer avec envie en disant qu'elle rêverait de partir en Inde, je me dis que s'il faut faire des allez-retour pour échanger des chevaux à Varanasi, sans doute qu'on lui fera la surprise du voyage.

Le plat est finalement débarrassé au profit du dessert : un genre de baklava aux noix et au miel.

"Mangez vite. Juste après, on ira vous montrer où nous avons installés vos chevaux. Ce sont des bêtes magnifiques !"

Dobrodošli

Je me penche sur ma femme, un sourire sincère aux lèvres.

"Les médisances et les incrédulités le ternissent que si tu le vois ainsi. Moi je prend ça comme une petite victoire à chaque fois."

Mais c'est vrai, un jour tout cela sera bel et bien fini et notre mariage ne choquera plus personne. Pour être franc, je n'ai pas spécialement hâte que cela arrive tout de suite. A chaque œillade étonnée sur mon alliance, à chaque regard retourné sur nous, à chaque question incrédule, je jubile intérieurement. Je suis triste que Preeti ne le voit pas de la même manière mais c'est pourtant vrai : je n'ai jamais servi aussi bien les intérêts de mon Dieu que depuis que j'ai retrouvé ma vrai foi, depuis que je suis avec elle.

Mon sourire s'étend quand elle me dit que le coup de l'éléphant avait finalement marché avec la maman de Preeti. J'aurais plutôt tablé sur ma recette secrète de jus de bissap que je lui ai passé un matin ou sur ma volonté de m'intégrer à la culture indienne en apprenant tout par cœur mais c'est l'éléphant qui avait fait mouche. Je retiens un rire, ne comprenant pas tellement comment monter une bête aussi docile pouvait à ce point me faire monter dans son estime en tant que gendre. Sans doute que le mariage indien me réserve encore des surprise et que ce "talent" sera utile plus tard.

J'écoute Preeti parler du mariage avec enthousiasme, sans ajouter de commentaires. Son adorable accent indien semble être devenu presque plus présent et je profite de cette voix presque plus que du récit en lui-même. Malheureusement pour moi, son récit est finalement fini.

"Dmitri nous a tout expliqué, que vous souhaitiez développer un peu la ferme et l'ouvrir à plus de tourisme. Je dois dire que nous avons été véritablement surpris. On a jamais eu autant de succès que depuis ces derniers jours. Votre couple est presque devenu une mascotte. C'est un beau cadeau doublé d'un magnifique symbole."

Comme dans mes souvenirs, le dessert est délicieux et il me faut faire violence pour ne pas en reprendre plus que nécessaire. A présent que j'avais le goût de bien manger, me restreindre devient de plus en plus délicat.

Une fois fini, nous voilà en train de nous habiller pour sortir. Des habits "salissables" et chauds nous sont prêtés pour que nous puissions nous balader avec plus d'assurance dans la neige. Le ciel est d'un bleu magnifique et son éclat dans la neige m'en provoque presque une cécité.

Dobrodošli

"Je comprend ce que tu ressens. Moi, je le vois ainsi : j'ai épousé la meilleure femme du monde. C'est presque normal qu'ils soient médisants."

Ce doit être mon côté Sheitan d'en éprouver de la fierté. Il sera sans doute bien temps de m'en repentir plus tard.

Ses désirs étant des ordres, je demande discrètement la recette des Baklavas à Elena qui me la donne avec plaisir. Elle y ajoute des conseils et des variantes afin d'avoir toujours de quoi faire. La pâtisserie n'a jamais été spécialement mon fort, il va falloir que je m'y mette sérieusement parce que ce n'est pas un dessert facile à faire contrairement à ce que la cuisinière m'assure.

Une fois dehors, je ressens à nouveau cette mélancolie qui me vient tout droit du passé. Je reconnais cet arbre qui n'a pas été abattu avec le temps, je vois cette barrière qui a été réparée...

Et il y a même un enfant venu tout droit de mon enfance qui me lance une boule de neige en pleine tête. Je me retourne pour voir ma femme hilare, je fronce les sourcils. Si Sheitan avait été là, il m'aurait sans doute demandé de lui mettre la tête dans la neige. Je souris en attrapant Preeti dans mes bras et de lui murmurer dans le creux de son oreille :

"Profites tant qu'il y a du monde. Je me vengerai ce soir."

Nous arrivons devant un enclos avec une large partie couverte où je reconnais la jument palomino de Preeti. L'étalon, d'un gris d'argent, galope et saute comme un jeune poulain alors qu'il découvre la neige.

"Nous allons les laisser là le temps de l'hiver, ils ont le temps de s'habituer un peu. Nous les faisons travailler un peu en manège couvert, en attendant."

J'approuve silencieusement. Le patriarche nous désigne alors deux autres montures purement posavina. A côté des deux chevaux légers, ces montures-là ont l'air effectivement bien plus rustiques. Neven nous explique qu'elles sont à nous pour toutes les balades que l'on souhaiterait faire pendant ces quelques jours.

"L'endroit où vous allez dormir ce soir est à environ deux heure de cheval d'ici. Vous y serez isolés et tranquilles."

Ce fameux tourisme vert qui semble attirer les foules est venu jusqu'ici. J'avais hâte de me retrouver à nouveau seul avec Preeti et le lui signifie dans un sourire qui en dit très long.

Dobrodošli

Sa question me ramène brusquement à la réalité, une réalité terne et triste. Pour ma part, l'avis des autres n'ont plus aucune importance et jusqu'à présent, j'étais persuadé qu'il en allait de même pour elle. Je me rend compte que ces choses-là la blesse véritablement et je m'en veux de ne pas l'avoir perçu avant.

Je passe une main sur la sienne pour la serrer.

"S'il s'agit de Dmitri, il faut que tu saches qu'il ne faisait que me surprotéger comme il l'a toujours fait. Il t'apprécie énormément et te considère désormais comme une véritable petite sœur. Pour ce qui est des autres, je prend simplement pitié."

Après tout, il existait une époque où moi aussi j'aurais jugé très sévèrement un confrère de s'être marié ainsi, détournant les lois cléricales à ses fins. La plupart des personnes que je côtoie sont cependant bienveillantes et ont globalement très bien accepté mon union. Comme les autres, ils étaient surpris, comme les autres, ils se sont certainement imaginés beaucoup de scénarios, et cependant, ils n'ont actuellement que des questions ou des félicitations en bouche quand ils viennent me voir.


Je note que cela fait deux fois que Preeti abuse de ma confiance pour elle. Mon sourire s'agrandit à mesure que mes idées de vengeances me viennent. D'une voix douce et calme, je lui répond.

"Je t'encourage à profiter, ma jolie ..."

Les chevaux découvrant la neige sont un véritable régal pour les yeux. Prudents, puis plus téméraires, la poudreuse sous leur sabots semble les rendre dans un état second.

Quand nous voyons nos futures montures, je seconde Preeti dans ses réflexions.

"C'est certain qu'ils sont moins élancés que les chevaux indiens. Cependant, ce sont des boules d'amour et de générosité, tu verras ma demoiselle !"

L'homme s'écarte pour nous laisser saluer nos montures. Je caresse la mienne tendrement et ne peux réprimer un rire quand j’entends ma femme me dire qu'elle ne sait pas monter.

"Pour notre mariage, tu as monté ta jument et un éléphant ! Ne t’inquiètes pas, tu vas non seulement apprendre sans t'en rendre compte mais tu auras même l'impression d'être faite pour ça."

Je souris à ma femme sous la neige, la dévorant littéralement du regard. Pour le moment, Neven est parti pour commencer à harnacher nos compagnons et je ne peux plus détacher les yeux de Preeti, m'imaginant déjà ce que nous pourrions faire dans une cabane isolée, sans personne pour nous entendre.

Inspirant profondément pour essayer de faire partir toutes ces idées toutes plus tentantes les unes que les autres. Je demande doucement :

"Tu es prête à partir ? Plus vite nous serons sur les routes, plus vite tu te retrouveras seule avec moi."