Boum boum.

Il pouvait entendre les battements de son cœur à l'intérieur de sa cage thoracique.  

Boum boum.

Il pouvait sentir ses entrailles se tordre à chaque résonance.

Boum boum.

Il pouvait sentir une de ses veines violemment palpiter au même rythme dans sa tête.


Il se sentait mal ; non, correction : il était mal. Ce bruit incessant dans sa tête le rendait complètement fou, tout du moins quand il n'était pas occupé à lutter contre son propre corps pour éviter de dégueuler partout dans la rue. Ces derniers jours avaient été intenses, peut-être trop, même pour lui grand habitué des évènements trop arrosés. Il avait enchaîné les soirées et les conquêtes, n'avait pas mis un pied au Kremlin depuis le début de son week-end de folie, et n'était pas rentré chez lui non plus.

Alors à ce moment précis, la porte de son appartement lui apparut comme une bénédiction. Non sans difficulté, il inséra la petite clé dans la serrure, et poussa doucement la porte. Il bailla en mettant un premier pied à l'intérieur, fermant ainsi les yeux par réflexe. Quand il les rouvrit, ce fut le choc. Il fit marche arrière et referma rapidement la porte, comme pour effacer le spectacle. S'était-il trompé d'habitation ? Il avait une énorme gueule de bois, certes, mais il avait toujours pu retourner chez lui les yeux fermés (véritable talent really). Il regarda autour de lui, reconnut le couloir, souffla un bon coup puis inséra à nouveau la clé. Celle-ci correspondait parfaitement à la serrure. Il s'agissait bien de SON appartement.

Malheureusement, la vision d'horreur se confirma. Si un compromis avait été fait entre Yuliya et lui (murs blancs et parquet noir – si la décoration n'avait tenu qu'à lui, le parquet aurait été tout aussi blanc) à leur emménagement, il n'en restait rien. Tout était si... noir et gris et... rouge. Un rouge qui lui brûlait la rétine après lui avoir fondu la cornée. Les meubles n'étaient plus les mêmes aussi, tout avait été modifié. Puis il réalisa. Elle avait abusé de son absence pour tout changer. Refermant doucement la porte d'entrée derrière lui, il s'avança dans le salon pour lister tous les changements qui avaient été opérés dans son dos. À vrai dire, il gagnerait un temps fou à faire le contraire : compter ce qui était resté.

Puis une seconde réalisation – encore plus importante (oui oui) – le frappa. Ne se souciant plus de ce qui se trouvait actuellement sous ses yeux, il s'engouffra dans le couloir qui menait à leurs pièces respectives à la vitesse de la lumière. Ils partageaient peut-être la même chambre, mais ils s'étaient tous deux offert le luxe d'avoir chacun une pièce bien à eux dans l'appartement, pièce inaccessible pour l'autre. Sa porte disposait d'un excellent système de sécurité dernier cri, mais il pouvait s'attendre à tout avec Yuliya. Et son instinct ne s'était pas trompé.

Il la retrouva assise sur une chaise – rouge bien évidemment – au milieu de la pièce entièrement vidée, un verre de vin – rouge, encore – à la main. Son malêtre insistant dû à son weekend de débauche, il l'oublia complètement. À défaut de contourner le système de sécurité, elle avait tout simplement fait démonter la porte (blindée).

« Je vais te tuer. »

Les traces de peinture rouge encore présentes sur les doigts et le visage de son épouse le mirent encore plus en colère. Elle affichait clairement qu'elle avait elle-même mis les mains à la pâte pour défigurer leur appartement, et le rendre fou. Comme toujours, elle affichait un demi-sourire suffisant et taquin, fière de sa pseudo-victoire qui, dans ce cas précis, ne lui faisait guère plaisir. Elle mit quelques temps à lui répondre pendant qu'il restait là, sur le pas de la porte, les sourcils froncés et la mine déconfite.

« Bienvenue à la maison, Monsieur Vassiliev. Comment était ta sortie ? Je suppose que tu as bien bu, comme d'habitude. »

Son accent russe résonnait dans la pièce vide. Il la soupçonnait de l'exagérer, mais il n'avait jamais fait la remarque. Il s'en fichait quelque peu. Quant à ses paroles, il ne fit aucune remarque. Il passait son temps libre à boire, c'était un fait. Se levant enfin de sa chaise rouge, elle se dirigea vers lui d'un pas calculé, comme une lionne chassant une antilope. Lui ne bougea pas d'un pouce, se contentant de la suivre des yeux.

« Je ne sais pas si tu as remarqué, mais j'ai changé deux/trois trucs dans la maison... Ça te plaît ? », demanda-t-elle en gardant ce même petit air si agaçant. Elle savait pertinemment qu'il n'aimait absolument pas les changements apportés, cette question ne servait qu'à retourner le couteau dans la plaie. Il s'agissait peut-être seulement de deux ou trois choses, mais ces choses en question étaient loin d'être petites. La peinture au mur et le déménagement de meubles entiers pour les remplacer, on était loin des petites modifications de déco. On entrait carrément dans le champ des gros travaux.

« J'ai même pensé à toi ! » Le regard dur d'Igor se posa sur le vase qu'elle alla récupérer pour lui montrer. Il était d'un blanc immaculé, mais minuscule. Et pas très beau non plus, rien à voir avec ses goûts habituels, si ce n'était la couleur. Il arracha l'objet des mains de Yuliya, et l'observa sous toutes ses coutures. Elle n'avait même pas pris la peine de retirer l'étiquette qui affichait un prix misérable. Elle ne l'avait pas du tout respecté. Il était habitué à ces querelles, ils étaient constamment dans cette compétition, cette course à celui qui prendrait l'ascendant sur l'autre dans la maison. Malgré la laideur du pot, il le garda contre lui, ne souhaitant pas se séparer de la seule de blanc restante dans sa pièce personnelle.

« Est-ce que je ne suis pas la meilleure femme au monde, très cher mari ? » Pour toute réponse, il plissa des yeux et lui lança un regard haineux. D'humeur encore noire, il alla déposer le « cadeau » sur le fauteuil avec une grande délicatesse. Se remettant face à la jeune femme, les mains enfin libérées, prêt à en découvre si nécessaire. Pas de chichis chez eux ; ils savaient chacun se défendre, on ne pouvait pas réellement parler de violence conjugale.

« Où sont mes affaires ? », demanda-t-il enfin. « Où as-tu déplacé mes affaires ? »

Il ne la quitta pas des yeux, cherchant des réponses partout où il pouvait.

« J'espère pour toi que tu les as cachées quelque part, et pas jetées... »

Il pensa au fait qu'il rangeait tous ses vêtements blancs, secrets, ici. Et qu'il ne lui resterait donc que des costumes noirs à porter jusqu'à ce qu'il remette la main sur les meubles déménagés.

« Si jamais je retrouve mes fringues abîmées à cause de tes bêtises... Et mes plantes ! J'en ai besoin, Yuliya, dis-moi où elles sont. »