-Oh, je suis touché.

Mon ton est à la limite du sarcasme lorsqu'il avoue être plus gérant que prof. Je reconnais sans soucis l'honneur que me fait le Don de m'apprendre les bases mais je ne peux m'empêcher de me demander pourquoi tant d'honneurs. Volonté de se dégourdir les jambes à cause d'une paperasse pas si intéressante que cela ? A moins que ce soit pour conforter l'égo ? Les possibilités sont multiples et toutes peuvent apparaître comme crédible. Cela dit, je note soigneusement l'information concernant son rôle dans l'établissement. C'est toujours bon à savoir.

Alors que les coups s'enchaînent, ma technique pour l'agacer se retourne contre moi. J'ai parfaitement compris son sous-entendu et son regard insistant au sujet des petits-enfants. Ma mâchoire se crispe violemment et je m'abstiens de répondre. Le dernier coup qu'il me donne dans les côtes me force à expulser violemment de l'air.

-Oui, ce ne serait pas de refus la pause.

Surtout qu'il ne m'a clairement pas loupé sur ce coup. Je vais avoir un joli hématome je pense. Enfin, tant que ce n'est pas sur le visage. De toutes façons, lorsque je suis monté sur le ring, c'était de toutes façons inévitables ce genre de trucs. Je me laisse choir sans grâce à côté de Bellandi. Clairement, je fais bien épuisé que lui.

-Je ne vais pas commencer les enfants à mon âge. Sérieusement, vous vous voyez commencer ou plutôt recommencer les couches maintenant ? Moi, non. Mon plan de retraite est déjà fait et n'inclut pas des morveux briards et chieurs.

Mon ton est catégorique à ce sujet. Que Bellandi ne compte pas sur moi pour accomplir son projet de grand-père gâteux.

-Et puis, j'estime que mon patrimoine génétique mérite un peu plus de considération que d'être dispersé dans les premiers utérus croisés.

C'est assez ironique de m'entendre ça alors que j'ignore être père depuis plus de vingt ans d'une fille dont j'ignore tout. Cependant, quand on sait que je suis la réincarnation d'un dieu particulièrement chatouilleux concernant ses enfants, mes mots prennent tout leur sens.

-Le mariage est une plaie. Vous n'avez pas idée à quel point les gens finissent ruiner par un divorce. Vraiment, j'ai pas connu le mariage et c'est clairement pas quelque chose que j'accepterai. Et puis, je suis immunisé.

Un sourire entendu apparaît sur mes lèvres alors que je pense à ce petit bout de papier reposant innocemment avec d'autres papiers.

Lorsque la réincarnation de Zeus me dit que ce n'est pas de notre responsabilité de nous occuper des couches, je ne peux m'empêcher de hausser un sourcil. Je dois clairement avoir cette expression de personne âgée qui a déjà tout vu et qui n'est pas dupe par rapport à ce qu'il raconte.

-Pas de notre responsabilité ? Et vous faites comment si le mioche en question se met à hurler à cause d'une couche bien remplie et que vous êtes seuls dans les parages ? Vous avez un pouvoir permettant de nettoyer des couches sans avoir à les changer ? Tant mieux pour vous parce que c'est pas mon cas. Je suis le dieu de la Guerre, pas le dieu des couches culottes ! Il faudra que je les change pour éviter d'avoir les tympans explosés par les vagissements parce que l'option de le mettre à la poubelle est -oh déception !- interdite. Je maintiens donc ce que j'ai dit : ne pas avoir d'enfants est la meilleure idée que j'ai eu car ça règle tout ce genre de problème.

Ma logique est implacable. Je suis curieux de voir ce qu'il va me répondre face à ça tiens.

-Comment ça aider le panthéon ? Et puis, de toutes façons, pourquoi voudrais-je repeupler l'Amérique d'individus intelligents ? Je veux pas fermer mon cabinet parce que j'ai du mal à faire mes fins de mois. Vous ne trouvez pas qu'il y a plus d'avantages à ce qu'il y a une majorité de crétins pas trop agaçant pour notre tension artérielle ?

J'adresse un sourire faussement niais à cette remarque. Non mais franchement, Bellandi me déçoit un peu. On y gagne plus à avoir des crétins qu'une foule intelligente. On peut faire plus facilement dans la manipulation de masse comme ça.

-Et les quelques personnes intelligentes comme le psy Amadori, on travaille avec eux pour analyser les personnes stupides.

Vrai qu'Amadori est un médecin des plus compétents. Mais si je le mentionne, c'est surtout parce qu'Arès tente d'envoyer un message à Zeus et sa réincarnation. Un de ses petits-fils se trouve actuellement à Arcadia mais sa réincarnation est trop bouchée pour s'en rendre compte et qu'il aurait besoin d'aide.

J'éclate de rire lorsque j'entends Bellandi me parlait de divorce.

-Non mais ne me dîtes pas que vous pensez que je sois porté sur l'"Amour avec un grand A, unique, pour toute la vie" ? Je pense que je dois l'être autant que oui.

Si c'est ça, c'est d'un risible. J'ai une tête à faire ce genre de trucs ? Visiblement oui. Ou alors, est-ce simplement dû au fait que je suis la réincarnation d'un dieu connu pour ses déboires conjugaux avec son amante régulière ?

-Je suis partisan du "tant que tout le monde est consentant et majeur, chacun fait ce qu'il veut". Il y a pas besoin d'être marié pour faire ce genre de trucs. Donc, non, je ne me marierai pas comme ça, mon compte en banque ne souffrira pas de mon changement de partenaires et je laisse avec grand plaisir les embrouilles du divorce aux autres.

Je me mets à gratter la tête lorsque Bellandi me fait sa proposition.

-Ma foi, même si cela me fait mal de l'admettre, je crois que j'en ai besoin, ne serait-ce que pour éviter d'éventuels ennuis. C'est que les avocats sont pas forcément aimés, vous voyez ?

Surtout quand ce sont eux qui vont donner un grand coup de pied dans la fourmilière en face, avec la bénédiction du chef.

Je ne peux m'empêcher de regarder de travers Bellandi lorsqu'il évoque la possibilité d'engager deux nourrices pour s'occuper d'un éventuel rejeton. Et il est vraiment sérieux en plus. Quelle personne prendrait deux nourrices ? C'est stupide. A moins qu'il ait sérieusement formulé ce regret pendant les périodes d'insomnies entre une couche et un biberon ? C'est vrai que pour avoir rencontrer certains jeunes parents, ce genre de solution leur apparaît comme étant bien tentante. Mais bon, on en revient à la solution de base à savoir : ne pas faire de mioches. Pas de préoccupations de couches ou de biberons et pas besoin de se préoccuper de babysister. J'ai un sourire en coin en voyant Bellandi ne pas insister sur le sujet. Bien sûr que j'ai raison à ce sujet ! Il saurait en être autrement.

Par contre, je fronce les sourcils en l'entendant parler des divinités des autres panthéons.

-Ce ne sont que des quantités négligeables. Inutile de s'en faire un ulcère pour si peu. Et au pire, ne me dîtes pas que vous n'avez pas envisagé des méthodes pour les faire rentrer dans le rang ? Vous me décevez. Par contre, je ne vois définitivement pas le lien entre faire un môme et le panthéon.

Et je dis cette phrase sur un ton agacé. S'il pouvait éclaircir sa pensée, ce serait plus que le bienvenue. Je déteste particulièrement lorsqu'on se vante d'une information que je ne possède pas. Dans d'autres matières, j'aurais fait une rapide recherche mais, vu le sujet concerné, je pense que seul Bellandi peut en cet instant m'éclairer à ce sujet.

-Consulter un psy, moi ? Naaa. En revanche, je travaille avec lui. Il est des fois utile d'avoir des avis médicaux dans le monde des affaires. Quant à le conseiller, le docteur Amadori est plus que compétent dans son domaine. Il travaille de manière plus qu'efficace et consciencieuse, tient les délais que je peux lui soumettre tout en jonglant avec ces rendez-vous à l'hôpital de la ville et rend des expertises compréhensibles sans avoir besoin de passer par un dictionnaire médical.

Tandis que je fais un portrait plus qu'élogieux du psychiatre, je suis inconscient de laisser transparaître la fierté paternelle du dieu que j'habite. Si on était sur l'Olympe, Arès gonflerait fièrement la poitrine en disant à tout le monde "c'est mon fils à moi !".

-Par contre, évitez de lui forcer la main pour qu'il arrange quelques avis médicaux, cela m'arrangerait beaucoup pour mes affaires. Un expert qui apparaît comme intègre au tribunal permet de gagner plus facilement les plaidoiries.

Outre mes affaires, mes mots sont l'écho d'un lointain avertissement d'Arès à Zeus. Ce n'est pas parce que les siècles sont passés qu'il ne risque pas son courroux en malmenant l'un de ses enfants. Arès n'a jamais fait dans la demie mesure lorsqu'il s'agissait de protéger sa progéniture et il entend bien continuer à le faire dans cette vie.

Je me pince l'arrête du nez lorsque le nom d'Augustin vient dans la conversation.

-Si Augustin doit avoir raison à ce sujet, je ne veux pas savoir où il a pu l'apprendre. Merci de l'avertissement, j'éviterai de me retrouver avec du guacamole en sa présence.

Parce que si Augustin est un type très fiable dans le boulot, dès que cela part sur des sujets un peu frivole, bizarrement, j'ai tendance à ne plus être aussi confiant. Pas que je ne l'apprécie pas. Juste que c'est Augustin et que c'est la meilleure explication possible.

Lorsque la conversation s'enlise, je fais le choix de ne pas insister afin de le convaincre. Il semble un peu bouché et ne pas vouloir ne serait-ce comprendre ce que je peux vouloir dire. Et puis, franchement, j'ai une tête à lire des études statistiques ? Je lis volontiers des commentaires d'arrêts et autres écrits juridiques parce que cela concerne mon métier. Pour le reste, je n'ai pas spécialement le temps. Une fois qu'il aura compris cela, je pense que cela ira bien mieux à l'avenir sur ce sujet. Ou pas.

-Au même titre que vous vous informez au sujet du docteur Amadori, je vous fais simplement part de mon avis sur lui. Et définitivement, je ne vous imagine pas réussir à tenir en place suffisamment longtemps en place sur un canapé de ce genre.

Cette image est assez incongrue. Cela dit, au moins, l'information est passée au sujet du médecin est passé et c'est l'essentiel. En réalité, Arès serait plus à pousser un énorme soupir face à l'attitude de sa réincarnation au sujet de Phobos.

-Pourquoi pas pour un golf. Cela fait des années que je n'en ai pas fait mais, pourquoi pas ?

J'ai appris à golfer au début de ma carrière pour pouvoir suivre quelques riches clients amateurs de ce sport. Ca doit bien faire vingt ans que j'en ai pas fait. Mais bon, après m'être copieusement humilié à la boxe, je pense que mon égo ne souffrira pas plus si je me retrouve avec un lumbago à cause d'un swing défaillant.

-Je crois que je vais vous laisser pour cette fois. Vous comprendrez qu'à mon âge, je fasse une reprise en douceur.

En me relevant, je tends la main afin de serrer celle de Bellandi. Puis, je tourne les talons afin de regagner le vestiaire et quitter les lieux.