Face à la porte d’entrée de sa modeste habitation, Hazel se prend un instant. Un long soupire s’expulse, la journée éreintante est terminée. Le travail dans le milieu de la vente n’est pas difficile, la connaissance du produit est primordiale ainsi que la sociabilité. Résonner les clients reste la compétence qui demande le plus de concentration ; écouter, réagir en conséquence, conseiller sans vexer et réussir une vente. Le dernier jour d’ouverture des magasins, le samedi. Il se termine. Hazel ne souhaite qu’une chose, se déconnecter de la réalité le temps d’un instant. Stoïque face à sa demeure, elle ouvre son sac à main et débute une fouille qui se qualifie d’archéologique ; les clés. Elle retourne le bazar dans cet environnement clos de sa main, touche à tâtons différents objets qu’elle arrive à peu près à identifier. Après quelques minutes, la mission touche à sa fin, l’objectif est atteint. Son trousseau entre les mains, la clé se glisse dans le barillet et effectue une double rotation. Son sac à main jeter à même le sol, sa veste sur le porte-manteau, la divine se dirige vers son salon avant de s’écrouler sur la méridienne de son sofa.

Les yeux de la déesse s’ouvrent lentement, difficilement. Allongée dans son salon, la fatigue a pris le dessus. Le sommeil s’est installé, une heure s’est écoulée. Inerte, elle refuse de bouger. Quelques minutes, son ventre gronde ; il est temps de préparer le repas. Hazel n’avait pas retiré sa paire de talons, ce qu’elle s’empresse de faire avant de poser ses pieds sur le sol. Une sensation de bien-être prend possession de tout son être. Bien qu’elle soit habituée de se déplacer sur plusieurs centimètres de talons, la nordique apprécie être à plat. Pieds nus, elle se dirige vers sa cuisine et ouvre son frigidaire, examinant les différents aliments qu’il reste des courses du début de semaine. Un instant de réflexion lui est demandé, elle se lance dans une préparation rapide qui lui permettra d’assouvir son besoin de nourriture. Le repas avalé, la divine se dirige dans sa pièce d’eau. Le robinet est tourné, la cuvette est hermétiquement fermée, l’eau s’écoule. La mousse remplit la baignoire, Hazel entre et s’allonge. Le temps s’arrête, la sensation de bien-être l’envahit.

Le corps possède à présent une odeur agréable de fleur d’ylang-ylang. Hazel apprécie cette variété de savon, liquide et à la senteur douce et délicate, à la présence discrète. Ce soir, la divine n’a pas l’intention de rester chez elle. Personne ne semble disponible pour l’accompagner, elle n’a même pas fait le pas de le demander. Soirée de rencontres, malgré l’heure avancée. Elle se laissera peut-être même aller à un verre d’alcool. Rare mais possible. Traversant le couloir du premier étage nue, elle entre dans sa chambre. La porte de la penderie se mouve sous son geste, son regard balaie les différents étages à la recherche d’une tenue. Solitaire épisodique, la priorité est de se plaire cette nuit. Peut-être donner l’envie aux autres de l’aborder, mais ce n’est pas l’urgence. Son choix se porte sur une robe jeans blue, au col rond et sans manches. Enfilée, celle-ci se termine mi-cuisse. La boucle de sa ceinture se ferme, située en taille-haute. Un bref regard dans le miroir, son vêtement est souple et agréable au toucher. Quelques recherches afin de trouver son large bracelet doré qu’elle passe autour de son poignet gauche. Le jeu est limité, ce qui lui permet une bonne tenue. Le maquillage, comme d’habitude, est discret au niveau des yeux. Sa bouche se voit colorée de red lipstick. Prête à partir, sa chevelure est légèrement bouclée ce soir. Ses pieds trouvent leur place dans deux chaussures à talons de six centimètres. Chaussures fermées, qui se terminent à la cheville et dont l’ouverture est légèrement plus grande. Son sac en main, elle quitte sa demeure en direction des docks. Ce soir, ce sera un pub.

Assise au bar, la divine s’est fait plaisir ce soir. Guinness entre les mains, elle avale une gorgée. Son visage se sert un instant, elle n’a pas l’habitude de ce goût un peu étrange. Seule, elle pianote sur son smartphone quelques mots dans un moteur de recherche. Entre images de chats et quelques articles qu’elle lit rapidement, la soirée s’annonce plus longue que prévue. Première fois qu’elle se rend dans cet endroit, elle comprend rapidement faire tache parmi tous les habitués, qui la dévisage de temps en temps. Le malaise s’empare d’elle, elle se plonge dans ses lectures pour passer le temps, avalant une gorgée de temps en temps. Sa boisson ne lui plaît guère, elle aura essayer.

« Mais j’y peux rien, Dick, t’es trop con, voilà tout ! » Et vlan, elle claque la portière de sa caisse, met le contact et plante là Richard Myers, bassoniste amateur dans l’orchestre philharmonique, qui essayait de se faire raccompagner en voiture jusqu’au quartier des Docks. Bon, en faisant cela, il a commencé à dire des conneries, avec un sourire goguenard comme il en a le secret, et puis à faire son lourdingue, et Sinead s’est dit qu’il valait mieux qu’elle le plante là. Une bonne marche de vingt minutes ferait le plus grand bien à ce type parfois si cool et parfois si fatiguant. Il la fait rire la plupart du temps, mais vu l’heure, elle est claquée et elle préfère faire le trajet seule, en silence. Elle n’allume même pas la radio, c’est dire.
Sans doute est-ce lié à l’hallucination qui lui raconte sa vie imaginée, allongée sur la banquette arrière. Elle lui a dit trois fois de mettre sa ceinture, mais en vain. À un feu, Sin regarde dans le rétroviseur arrière, pour vérifier : l’apparition a disparu comme elle était venue.

I need a fucking drink., conclut-elle alors que le feu passe au vert et qu’elle reprend sa route. Elle finit par garer la petite voiture grise dans une rue crade des Docks, en sort et prend son étui d’alto qu’elle avait mis dans le coffre avant de planter Dick. La bandoulière passée à l’épaule, la voilà qui se dirige vers un pub de ses habitudes, en sifflotant une chanson de marins. Quand elle entre, elle est accueillie par les effluves d’alcool et de sueur de plusieurs jours et sourit gaiement. Parfois une rumeur circule comme quoi elle serait née dans un pub, sous une table poisseuse d’alcool renversé. Elle l’aime bien, cette rumeur : bien plus en tout cas que celle qui voudrait qu’elle conduise comme une patate pourvue de mains et de pieds. Quelques auras se font repérer dans le pub, certaines qu’elle connaît pour les côtoyer dans le Royaume, une autre qui fait un halo presque imperceptible autour d’une jeune femme assise au comptoir, en train de boire une pinte d’un liquide bien sombre que l’habituée identifie rapidement comme une Guinness. Au froncement du nez de la blonde, Sinead imagine que le goût âpre de la binouze n’est pas apprécié. Pauvre chérie, fallait prendre autre chose !

Arrivant au niveau du bar, elle attend qu’un des barmans se pointe et lui tend son étui : « Tu peux le mettre sous le bar, s’il te plaît ? Comment ça je risque pas de le salir… » Elle minaude et cille avec ses yeux de biche, histoire de bien obtenir ce qu’elle attend. L’autre rechigne un peu, puis finit par accepter de prendre l’étui en dépôt, et lui demande ce qu’elle veut. « Une Lager, en pinte, merci. » Et le temps que la pression soit servie, Sinead ne se gêne pas pour dévisager sa voisine -à quelques sièges vides d’écart cela dit- pour lui assurer en haussant un peu la voix : « Promis, c’est pas une bombe ! » Et d’accompagner ses paroles d’un déplacement, se hissant de tabouret haut en tabouret haut sans redescendre et sans toucher le sol, jusqu’au siège voisin de l’inconnue puis de lui tendre la main pour se présenter. « Sinead Reed, bonsoir. Votre robe est archi canon, j’suppose que vous le savez déjà, mais ça fait jamais de mal de le dire. » Elle hoche la tête et récupère sa bière, sans pour autant payer immédiatement le barman. « Est-ce que vous attendez quelqu’un ? »