Véritable temps de chien, tempêtes dangereuses et effrayantes qui éclataient partout autour et à l’intérieur d’Arcadia. Comme si la colère des dieux primaires s’abattait sur cette partie du monde, là où fourmillaient les récurrences de panthéons aussi divers que variés. Et au milieu de ces ténèbres qui menaçaient d’engloutir le monde, se trouvait une pauvre petite créature absolument perdue. Evoluant dans un brouillard mental des plus opaques. Parfois femme incandescente, au caractère violent et démesuré, séductrice avérée ne craignant rien ni personne. Et à d’autres instants, comme celui-ci, la van Heusen redevenait chétive, geignarde. Complètement perdue. C’était Eris qui se battait contre les réminiscences de la première habitante de cette carcasse. Humanité faiblarde contre déité tyrannique. Mais Alecia avait repris le contrôle, du moins, pour quelques instants. Ou quelques heures. Impossible de prévoir. Et chaque changement de personnalité entraînait de douloureux maux de têtes, une fatigue extrême et un déphasage total et complet avec la réalité présente. Difficile cohabitation pour ces deux femmes au caractère complétement antithétiques. Trempée jusqu’aux os, la sylphide apeurée avait traversé la moitié d’Arcadia en pleine nuit pour venir retrouver une figure bien connue, un homme dans lequel elle avait placé son entière confiance. A tort, mais cela, elle s’en rendrait vite bien assez compte. Cael, psychiatre terrifiant et perfide qui s’était occupé de son cas à l’asile où elle avait été enfermée de force. Et où elle avait basculé dans une sombre et douce folie. Ce fût avec l’énergie du désespoir qu’elle se mit à frapper à la porte du médecin qui ne lui voulait pourtant que du mal, hurlant qu’elle avait besoin de lui, besoin de lui parler, qu’elle ne comprenait pas ce qui était en train de se passer, qu’elle devenait folle. Les larmes ruisselaient sur ses joues de porcelaine, noyées cependant par le déluge torrentiel qui continuait de s’abattre sur elle. Comme si le monde entier se liguait afin de la mettre dans la situation la plus pathétique possible. « Cael, je t’en supplie, ouvre la porte ! » S’adresser au Diable pour trouver remède à ses maux ? Pas la meilleure idée qui puisse être.

« Tu sais, tu aurais pu sonner à l’un des interphones à ta gauche et la porte se serait ouverte d’elle-même. Mais je t’en prie, entre. » C’étaient des yeux adorateurs qu’elle posait sur lui. Simple petite humaine mise en face d’une véritable déité. Elle voulait tomber à genoux devant lui, baiser ses pieds et implorer sa clémence. Alecia idéalisait plus que de raison cet homme qui se trouvait en face d’elle, qui devenait un véritable Saint pour son esprit embrouilleur, le Sauveur de ses terribles maux. La sylphide avait placé une confiance folle, aveugle, ridicule en lui. Jusqu’à le faire devenir son véritable phare dans l’obscurité épaisse qu’était devenue son existence. « Ma pauvre Alecia, te voilà trempée jusqu’aux os. » La blonde voulait se jeter à son cou, verser toutes les larmes de peine sur ses épaules carrées. Pourquoi ne s’était-elle pas éprise d’un homme bon, patient et tendre comme lui ? « Si tu ne veux pas attraper la mort, je te conseille de retirer tes vêtements dégoulinants. » Et elle d’obéir, avec une célérité extraordinaire. Oubliant toute pudeur, elle laissa tomber au sol ses vêtements trempés, s’enroulant dans la couverture comme pour s’en faire une carapace. Se drapant à l’intérieur pour tenter de réchauffer cette humanité à l’intérieur d’elle qui semblait éteinte depuis plusieurs jours déjà. Le temps du règne d’Eris à l’intérieur de cette carcasse. Reine de la discorde qui ne ressentait rien pour qui que ce soit, qui imposait sans jamais demander, terrible tyran capable de rivaliser avec un homme de l’envergure de Cael. Mais Eris n’avait que faire de lui, ne connaissait même pas son existence. C’était Alecia qui se raccrochait à lui, désespérément. Profondément. Qui voyait un Ange là où pourtant ne se trouvait qu’un Démon. « Il m’arrive des choses étranges. Etranges et terribles. J’ai besoin de toi Cael, j’ai l’impression de devenir complètement folle. » Et les larmes qui, pour la millionième fois de la journée, dévalèrent ses joues de porcelaine. Ces maux de tête permanents, cette sensation de flou, ces souvenirs qui persistaient à lui échapper. Elle perdait la raison. Parce qu’elle était en train de disparaître, la petite geignarde. S’effaçait au profit de l’infâme déesse qui avait pris possession de son corps. « J’ai comme des impressions de déjà-vu et puis il y a ces gens qui s’enfuient sur mon passage alors que je ne les connais pas. Et s’ils ne s’enfuient pas, ils se mettent parfois à s’arracher les cheveux juste à côté de moi. On dirait que je suis maudite. Qu’est-ce … Qu’est-ce que tu en penses toi ? Tu crois que je perds la raison ? Qu’est-ce qu’on peut faire contre ça ? » Elle s’était approchée de lui, jusqu’à presque le saisir par le col dans une supplication physique, un immense appel à l’aide, qui résonnait à travers toutes les couches de l’atmosphère.