Déimos avait frappé, Déimos s’était encore diverti. Empereur des terreurs, divinité des ténèbres, l’hôte avait joué de ses mains célestes et nuisible, tirant les ficelles d’une âme malheureuse. Elle avait été jolie la demoiselle, celle qu'il avait rencontrée au fond d’un bar sombre et animé. Une longue chevelure dorée, des yeux ronds et brillants, une silhouette gracieuse et délicate. Et ce sourire à faire briller les plus sombres des cavernes. Puis elle avait dansé, et peut-être l'avait elle hypnotisé. Une proie parfaite pour l’humain, en quête d’une jolie poupée à ramener chez lui. Alors il l'avait séduite, jouant de ses charmes, finançant les boissons. Un rituel dans lequel il était devenu maître désormais. Mais Déimos en avait décidé autrement. Le Dieu de la terreur avait pris le dessus, s’ennuyant ferme au plus profond de l’hôte qu’il occupait. Et c’est une fois arrivée chez lui qu’elle dû subir les pires tourments. L’esprit fouillé rapidement, à l’aide de quelques caresses parsemées, puis la découverte de la pire terreur. Le pire cauchemar de la mortelle enfin révélé. Et Asmodée n’était plus, Asmodée était Déimos. Quant à elle, elle n’avait plus qu’été un pantin sans aucune once de joie, une carcasse revivant encore et encore ses pires peurs. De jolie demoiselle enjouée, elle n’avait plus été que l’ombre d’elle-même, plongée dans un cauchemar éveillé.
Puis les jours s’étaient écoulés trop lentement, Asmodée regrettant presque à en souffrir les évènements récents. Ce n’était pas moi, se répétait-il en boucle, et pourtant. Et pourtant. Divinité funeste, l’humain en payait les conséquences. Comme il en paierait encore de nombreuses, toutes plus dévastatrices les unes que les autres.


Les mains agrippées au tissu de son canapé, l’homme était tétanisé. Sa respiration bloquée, il voulait hurler. Mais il en était incapable. Immobile, son esprit s’agitait. Figé, la terreur l’enserrait. Triste conséquence, pour le mortel qui n’avait rien demandé. Mais la malédiction était là, bien présente, gravée à même son âme. Déimos terrorise, Asmodée s'en voit terrorisé. Il revit ses terreurs à elle ce soir, cette jolie poupée. Il ressasse ses pires craintes, impuissant mortel. Elles deviennent siennes le temps d’un instant, et il y croit, dur comme fer. Sa conscience s’en empare, s’en saisit, et il subit. Plongé dans les limbes de son esprit, les tourments de la dernière victime se mêlant aux siennes, elles sont amplifiées, multipliées. Et il ne peut rien y faire, le brun. Il le sait, en est pertinemment conscient, par expérience. Alors il souffre, hurle silencieusement, tente de garder la tête hors de l’eau. Il en sortira, comme toujours, de cette transe destructrice. Il en était déjà sorti après tout, et pas qu’une fois.

Il reprend alors son souffle brusquement, émerge du tourbillon psychique dans lequel il était coincé. Ses yeux s’ouvrent brutalement, il halète. Ses démons l’ont enfin laissé tranquille, l’emprise de Déimos s’était enfin affaiblie. Fixant le sol, il tente de recoller ses pensées une à une. Il bouge lentement la tête, se rappelle brièvement qu’il se trouve chez lui, sur le canapé de son appartement. Probablement s’était-il endormi. Il regarde l’heure, il est déjà bien tard. Il ne parvient plus vraiment à se rappeler le temps qui s’était écoulé. Rien de grave après tout, il n’avait rien de prévu en cette sombre soirée. Le silence l’apaise alors, tandis que plus rien n’hurle au fond de son crâne. Il reste engourdi quelques minutes, puis se décide enfin à se mouvoir. L’expérience n’était pas agréable, mais elle faisait malheureusement partie intégrante de sa nouvelle existence. Il devait s’y habituer, ou du moins, savoir y faire face sans en subir de trop lourds dégâts. Il secoue alors la tête, chassant cet instant terrifiant de ses pensées. Se levant sans plus attendre, c’est vers sa salle de bain qu’il se dirige. Une douche froide, pile ce dont il avait besoin. Puis les minutes s’écoulent, tandis qu’il erre au sein de sa propre demeure sans but particulier. Une soirée gâchée, c’est tout ce qu’il avait gagné.

Jusqu’à ce qu’on vienne sonner à sa porte. Il incline la tête, perplexe. Qui pouvait bien vouloir lui rendre visite à une heure pareille ? Devait-il même ouvrir ? Les doutes l’assaillent, mais il se décide finalement à se diriger vers la porte. Après tout, il pourrait toujours renvoyer son visiteur de là où il venait, il ne manquait pas de ressources. Se raclant la gorge, affichant alors une mine renfrognée, il déverrouille sa porte, puis l’ouvre d’abord de peu. Et c’est là qu’il la voit, sur son seuil. Il écarquille lentement les yeux, surpris de sa présence. S’étaient-ils donnés rendez-vous sans qu’il ne s’en rappelle ? L’avait-elle prévenu sans qu’il ne s’en soit aperçu ? Il en doutait fort. Quoi qu’il en soit, une telle apparition ne lui déplaît pas. Il s’autorise alors un sourire chaleureux, face à la belle Pandora. Sa soirée n’était peut-être pas si gâchée que ça, finalement. Ouvrant la porte en grand, sans se douter de quoi que ce soit, il prend la parole. « Pandora, je ne t’attendais pas ! Mais je suis heureux de te voir. » Il s’écarte du passage, levant le bras pour l’inviter. « Entre donc. » Mais le silence se pose, presque assourdissant, lourd, étrange. Alors il plonge ses yeux dans les siens, plus profondément, et il remarque quelque chose. Rien qu’il ne peut identifier, mais il voit bien qu’elle semble différente. Elle ne sourit pas, comme à son habitude lorsqu’ils passent des moments ensemble. Et il doute, tandis que de nombreuses questions l’accablent. Que s’était-il passé ? Une boule se forme au creux de son estomac, il n’est plus sûr de rien. Asmodée ne sait pas en réalité, ne se rend pas encore compte, que son monde entier s’écroulait. Que tout redeviendrait cendres.