Octobre 2018, Teddybeer, Downtown, Arcadia

Il est là. Endormi, dans son lit, à l'attendre depuis la veille. Elle n'a pas été très présente, ces derniers temps. La guerre qui se profile lui prend ses jours et ses nuits. Elle n'est que discussions et pensées, que rêves et cauchemars. Elle ne parvient plus à dormir aussi convenablement qu'avant. Le souvenir de véritable sommeil salvateur remonte à l'adolescence, lorsqu'elle n'était pas encore promise au poids que représente la couronne qui la surplombe. Aujourd'hui, elle est celle qui prend les décisions, celle qui guide, celle qui n'a pas le droit au faux pas sous peine de voir l'un des siens tomber. Et elle a peur, Fiona. Son palpitant regorge d'inquiétudes qu'elle ne peut pas partager sous peine de paraître trop vulnérable. Elle qui ploie sous l'ignominie du monde et qui préfère dissimuler les failles. Elle, qui pourtant, n'est que tourments et incompréhensions, elle qui n'est que femme aux milles brûlures sous la carne. Elle n'est que monstre caché sous la lueur des flammes. Et il y a cet autre, cet enfant qu'elle a vu grandir, cet enfant qu'elle s'est surprise à chérir. Adnae, le visage innocent, profondément égaré dans le lointain néant. Il n'est que pureté macabre dans un monde dénué de clarté. Telle mère envers son enfant, Fiona n'est que chaleur agréable, sensation profonde d'une affection qui rayonne et qui lui caresse les ventricules. Nul doute qu'elle l'aimera toujours, au-delà des erreurs, au-delà des meurtrissures. Elle se souvient le jour où il lui est apparu, pour la première fois. Fébrile avorton provenant d'un univers si différent du sien. Et plus les années trépassaient devant lui, plus il devenait, en son sein, l'enfant abandonné qu'elle a un jour du enfouir. Les afflictions, traîtresses, se sont égarées sur sa peau. Et elle n'a pu annihiler l'écho maternel qui a bientôt jonché la chair. La Reine referme discrètement la porte. Son frère lui a dit que l'enfant est arrivé tard dans la soirée, avec l'espoir de la voir. Mais elle n'était pas là. Chose devenue habituelle ces derniers mois, depuis que l'apogée du chaos est venu les bercer violemment. Et si tout porterait à croire que Fiona aurait oublié ses âmes soeurs, ce ne sont là que révélations mensongères. Car c'est pour eux, car c'est pour lui, qu'elle entreprend le combat, chaque jour. Pour le protéger. Pour le voir survivre. Lui qu'elle estime comme avenir. Lui qu'elle estime comme futur.

La chair appelle la chair. Mère qu'elle est se rapproche doucement du baldaquin. Contemple, quelques minutes, les détails du visage endormi. Elle aimerait qu'il soit loin, aujourd'hui. Egoïstement, elle aspirerait à l'envoyer à l'autre bout du monde, pour simplement le savoir en sécurité, loin de tous ces monstres. Loin de ce Clan qui le réclame. Loin du Chaos qui les menace. Elle s'assied près de lui, pose délicatement la paume sur le front, glisse les doigts dans les cheveux. Le voit se réveiller, tranquillement, sans broncher, sans bouger. A la regarder, de ce regard qu'elle connait si bien désormais. « Haigh...* » Salutations tacites, à peine murmurées, préservation de l'enveloppe somnolente. La lionne sourit doucement, la main qui chahute dans les épis du garçon, à s'épanouir d'un instant si apaisant, en ces temps de peur constante. « Je suis désolée de t'avoir fait attendre. Je sais que je ne suis pas très présente, ces derniers temps. » Elle aimerait pouvoir allonger les jours, étirer les heures, pour s'accorder quelques parenthèses agréables auprès de ceux qu'elle considère comme sa plus proche famille. Mais là encore, la guerre semble tout lui prendre, tout lui arracher. « Les conflits récents ne m'octroient pas de repos. Jamais. » Elle aimerait s'excuser encore. Mais n'est-ce pas là seulement son rôle qu'elle joue ? N'est-ce pas le dur fardeau de la Reine ? « Je sais que tu désires ardemment prendre part à ce conflit. Mais je ne veux pas risquer de te perdre. Je ne pourrais pas le supporter. » Elle lui accorde cependant un sourire, tandis que la main s'égare sur la joue. « Je t'ai cependant trouvé quelque chose à faire... » Elle sent le coeur qui frétille, qui s'agite, à l'idée même d'avouer ce secret, si bien gardé, si bien enfoui, presque oublié pour ignorer le mal qu'il lui inflige. Mais a-t-elle seulement le choix ? Pas lorsque la bataille fait rage dehors. « Il faut cependant que je te mette dans la confidence. » Alors elle s'abaisse à son niveau, colle un doux baiser au sommet de son crâne, et s'enfuit lentement des draps. « Lève-toi, Mac*. »

Spoiler:

Octobre 2018, Teddybeer, Downtown, Arcadia

Douceur palpable, seuls instants, pendant cette guerre, qu'elle affectionne particulièrement. Il ne semble pas parsemer la réalité, perdu en dehors du temps, comme à chaque oeillade que Fiona pose sur le-dit enfant qu'elle a choyé toutes ces années. Années qui n'ont en rien terni l'amour qu'elle lui porte, et qui ne saurait encore la priver d'une quelconque contemplation du fils prodigue. Prodigue à ses yeux, elle le craint, car nombre de ses pairs ne se dissimulent pas le véritable caractère, au-delà du grec qui se cache en ses veines. Fort caractère qu'est le sien, mais aucune farce d'Adnae ne pourrait la faire reculer. Comme Mère aime profondément sa progéniture, malgré les tares et les vices. « Ikaar n'ignorait pas ta venue. » qu'elle lui intime, sourire aux lèvres, tandis qu'elle désigne un petit-déjeuner soigneusement déposé sur le bureau. Il est de loin, lui aussi, atout précieux pour la grande Reine. Hommes de sa vie, hommes de sa famille, ils sont à ses yeux grands trésors à farouchement protéger, conserver. Elle donnerait sans conteste sa vie pour eux. Se sacrifierait volontiers pour leur permettre de survivre. Et Adnae fait indéniablement partie de ceux-là. De ceux qu'elle garderait égoïstement entre ses bras salvateurs jusqu'à la fin de son existence. « Je n'ignore pas tes talents pour le travail de l'ombre, et ainsi, j'aimerais que tu surveilles quelqu'un pour moi. Que tu la surveilles, et que tu sois attentif à chacune des personnes qu'elle côtoie. Je veux absolument tout savoir. » Sérieuse, qu'elle est, pendant quelques instants, à soutenir le regard, à s'asseoir sur son trône de chambrée. Elle aurait aimé l'envoyer à la Nuova Camorra, qu'il se fasse traître dans leurs rangs. Elle sait qu'il pourrait entrer facilement, qu'il n'aurait qu'à sourire, donner de belles paroles. N'est-il pas l'un d'entre eux ? N'est-il pas convoitise charmante à leur transférer ? Il pourrait trouver informations importantes, peut-être même leur permettre de trouver une faille, une faille dans cette guerre qui fait rage. La Reine s'en servirait certainement, immédiatement, mais la Mère, elle, ne parvient pas à s'y résoudre. Car si Fiona annihile les émotions et les sentiments au sein du Royaume qu'elle entretient, il en est certains qu'elle ne peut se dissimuler. « Je n'aurai pas d'oeil sur tes méthodes. » qu'elle précise, parce qu'elle ne veut pas savoir, parce qu'elle sait qu'Adnae serait capable d'entrer par effraction, de voler, de piller, de faire tout ce qui pourrait bien la tourmenter. Elle n'est pas sotte, ni aveugle. Elle connait chacun de ses traits, en particulier les mauvais, ceux qu'on lui a rapporté par inquiétude, parce que Maman ne grondait pas assez, ne veillait pas assez. « Tu surveilleras Elilhïa. » Oh, elle sait, là encore. Elle sait que quelque chose se trame. Elle sait qu'il n'est pas idiot. Qu'il a peut-être déjà cerné brides de potentielles raisons à sa venue. Qu'il a bien remarqué la fuite inexorable dans laquelle Fiona se pâlit en sa présence. « Tu sais qui elle est, n'est-ce pas ? Ou tu t'en doutes. » Sa véritable fille. Celle qu'elle cachera encore aux yeux du monde, afin d'éviter que celui-ci ne la lui prenne.