Les néons pourpres et violines caressent sa rétine sans plus de violence qu'un délicieux cocon de velours. Les dragons, sculptés dans un bois rouge à le croire minéral, l'ont accueillies de leur majestueuse douceur, leur peau lisse reflétant les quelques lumières de lampadaires et les enseignes du casino. Mai ne s'est pas effrayée d'y entrer.

Elle pourrait connaître les dangers, les rumeurs ; ressentir l'inquiétude et l'adrénaline d'un endroit mystérieux et glauque – mais ses oreilles sont sourdes aux Cassandres qui pourraient l'avertir. Mai ne cherche pas la lucidité ou la connaissance, Mai ne s'importune pas de vérités susceptibles de perturber sa santé (physique et mentale) durement retrouvée. C'est un orage miraculeux qui a balayé le sang coagulé de ses plaies traumatiques : peut-être qu'enlever de ce mystère risquerait de raviver le feu de la souffrance. Regarder sous les bandages et s'apercevoir que la peau est loin d'avoir cicatrisé... ou bien regarder la cicatrice et devoir accepter que jamais la peau ne sera lisse à nouveau.

Only gods forgive, donc. Au cœur de New Kabukichō, à même pas vingt minutes de chez elle, Mai y met les pieds pour la première fois ce soir. C'est sa cousine, fille d'une tante qu'elle ne voit pas très souvent, qui l'a invitée à passer la soirée ici. C'est elle qui amène l'argent. Son ne t'occupe de rien résonne encore aux oreilles de Mai, peu à peu recouvert par les pluies de pièces, les crans de roulettes, les balles, les cartes battues, les verres servis... L’opulence l'envahit. Le carmin de ses lèvres répond à celui des tapis. Elle est seule, cherche rapidement sa cousine du regard, ne la trouve pas, ne panique pas. Les visages sont concentrés, les matières sont précieuses, tout est enrobé d'une esthétique qui lui sied parfaitement.

Ayant fini son tour de piste, n'ayant pas trouvé l'ancre à qui s'accrocher pour la soirée, la demoiselle décide simplement de se poser au bar comme un papillon sur une fleur – même sérénité, même oisiveté indolente et confortable, même aisance délicate. Elle attendra ici, c'est décidé. Que sa cousine arrive, ou qu'un homme, qu'une femme inconnue se pose sur la même fleur pour lui offrir nectar et compagnie sucrées.

Les lumières vibrantes faisaient en sorte que les ombres des visages des clients aux regards désespérés semblaient encore plus menaçantes. L’odeur d’alcool et de sueur empestait le casino à l’ambiance pouvant être décrite comme étant mystérieuse, étrange. Tout respirait la désespération, l’envie de fuir cette réalité cruelle, l’adrénaline qui faisait battre ces coeurs morts. La musique résonnait sourdement, distraction sournoise. Les voix s’élevaient dans l’air, tirant un air agacé au jeune renard qui ne lâchait pas son écran du regard. Le bout de ses doigts effleuraient les touches alors que les données défilaient sur l’écran d’une vitesse presque hallucinante. Ses jambes battaient l’air, impatiemment. Son regard noisette jetait des regards furtifs à l’entrée. Il n’aimait pas attendre, la patience n’étant pas son fort malgré toutes ces années. Il attendait quelqu’un et cette personne semblait se tarder ou c’était simplement lui qui perdait la notion du temps.

Ses mains se mirent à triturer son bracelet qui survivait tant bien que mal aux décennies qui défilaient. Tout était si compliqué de nos jours. Les prétentions selon laquelle on cherchait à faciliter le quotidien de cette génération n’étaient que constants mensonges, des artifices pour les yeux de la population. Il avait dû essayer de convaincre pendant près d’une heure la cousine de celle pour qui il avait un réel intérêt. L’agacement qu’elle lui avait provoqué lui en avait fait grincer des dents pendant quelques heures.

Il souffla un coup, en reportant son attention sur l’écran devant lui. Obsession technologique dévorante, il n’arrivait à s’en passer à son grand désespoir. Mikio avait commencé à s’intéresser récemment à ceux surnommés les “foudroyés”. Les dieux étaient quelque peu inquiets, incertains alors que lui, ça en devient un jeu. La foudre donnant une nouvelle identitée à ses victimes, identitée dissimulée, grattant dans le fond du crâne comme un rat emprisonné. Mikio, c’est son nouveau petit jeu, le renard au coeur de lion aux connaissances surprenantes sur les différents dieux. Il essaie de deviner qui est qui. Qui a donc eu le malheur d’être maudit par un être divin. Ça le divertit, l’amuse parfois.

Une ombre familière se glissa dans un banc du bar, quelque peu éloignée de lui. Il redressa la tête, reconnaissant les doux traits de celle qui se tenait là presque avec une innocence éblouissante. Il humecta ses lèvres un instant, glissant l’ordinateur dans le sac à dos qui ne le quittait jamais. Il se leva avec douceur avant de se glisser aux côtés de la jolie blondinette. Il lui fit un sourire en coin, indécis quant à la façon d’aborder la danseuse. « On s’est déjà croisé quelque part si je ne m’abuse, non? » Commença-t-il avec un sourire en coin, sa politesse trahissant quelque peu son véritable âge. Il avait de la difficulté à se débarrasser de cette habitude. Politesse dissimulant souvent de l’arrogance malgré tout, les bonnes manières envers une jeune dame était quelque chose que lui avait pris ses parents quand il était encore qu’un gosse et cela l’avait suivi jusqu’à ce siècle. « Ton visage m’est familier », tenta-t-il d’expliquer.

Mikio l’avait vu danser, du moins, il avait eu un aperçu de ses compétences. C’est d’ailleurs ce qui avait éveillé ses soupçons quant à sa nature, mais il était tout de même curieux de savoir si elle se rappellerait de son visage. Il avait souvent croisé la famille de la jeune japonaise et avait parfois travaillé avec ces derniers.

p.s.: désolé d'avoir pris plus de temps que prévu, j'espère que ça te plaira♥

La surface lustrée du bar miroitait les couleurs des différents éclairages, des verres versés, de l'alcool prêt à être ingéré et diffusé dans les veines et les cœurs, analgésique tant physique que moral pour les êtres esseulés venus s'échouer ici. Mai n'en faisait pas partie, le pétillement de ses yeux trahissait ce décalage qu'elle cultivait sans y prêter attention. L'époque où elle se soulait pour oublier, tout à la fois pour apaiser ses émotions et les laisser couler à flot, pour relever tous les défis et principalement celui de rester en vie – toute cette époque était révolue. Quand bien même Mai aurait voulu la prolonger, s'adonner encore au plaisir doux-amer du bourrage de gueule en règle et aux cocktails : elle n'en aurait pas la capacité. Elle l'avait appris à ses dépends : un verre était déjà de trop... Après une, deux, trois, dix tentatives à finir malade et inconsciente après une toute petite goutte, elle avait fini par définitivement abandonner l'idylle communément entretenue entre le genre humain et son addiction favorite.

Elle n'attendait donc rien de particulier, la délicieuse brune perchée sur son tabouret de bar en vigie discrète. Le barman lui fit un signe qu'elle esquiva poliment, sachant pertinemment que tôt ou tard, elle devrait consommer. Elle faisait confiance à la bonté des gens, au destin, à l'arrivée promise de sa cousine qui allait s'occuper de tout. Ses yeux divaguaient sur les différents visages l'entourant, ne cherchaient plus réellement cette cousine pour laquelle elle était venue, déjà simplement divertie par l'observation de la foule... lorsqu'un jeune homme s'approcha d'elle. Mai sourit avant même qu'il ouvre la bouche, ravie de voir sa confiance à nouveau récompensée. « On s’est déjà croisé quelque part si je ne m’abuse, non ? » Le jeune homme avait un joli visage, une mâchoire bien dessinée et une bouche... qui ne heurte pas le regard, dirons-nous. Mai essaya de se remettre en mémoire les attributs qu'elle détaillait, étonnée de ne pas mieux se souvenir d'une personne si peu vilaine. (Bref, elle se demandait pourquoi ce beau gosse ne l'avait pas plus marquée.)

Elle devait certainement être en train de froncer les sourcils dans son effort de mémoire, puisque le jeune homme tenta d'ajouter une explication : « Ton visage m’est familier. » Bon et bien, puisqu'il le disait, il ne devait pas l'inventer. Après tout, si vous attendez seule dans un casino et que la Providence vous offre de la compagnie, ne serait-il pas idiot de refuser ? « On a du se croiser quelques fois, oui » commença la jeune femme en évitant soigneusement de mentir (et de dire la vérité). Elle jeta un dernier coup d’œil au casino décidément vide de cousine avant de s'intéresser à nouveau à son envoyé anti-ennui : « J'attends quelqu'un, donc je risque de devoir te quitter à tout moment... » prévint-elle, loin d'imaginer que sa cousine ne viendrait pas. « Mais si ça te va, on peut saisir cette occasion de se rencontrer officiellement. » C'est de son plus beau sourire qu'elle finit de proposer sa compagnie : « Qu'en dis-tu ? » Il restait quelques places au bar, bruyant, mais également quelques fauteuils plus éloignés où il serait plus facile de se poser et discuter. Mai laissait la décision libre à son partenaire, comme différentes possibilités d'engagement : l'alcool proche et la frivolité du bar, ou l'intimité posée des fauteuils.