«I have a theory that movies operate on the level of dreams, where you dream yourself.»
Aujourd’hui, ce ne sont que les préparations. Le véritable tournage commence dans quelques jours et quelques paperasses sont encore à régler. Honnêtement, ça te fait quelque chose de ne plus réaliser souvent , surtout produire et diriger une des boîtes les plus rentables d’Amérique du Nord. Mais ça ne te déplait pas, au contraire, comme ça te permet de travailler plus souvent de la maison. En tout cas, le calme en fait la journée idéale pour présenter le terrain à Anna ; le cas contraire vous aurait forcé à rester dans un coin pour ne rien déranger. C’est peut-être banal, mais, à toi, ça te fait chaud au coeur et ça te fait trépigner comme un môme. Ça faisait un moment que tu voulais l’initier à ton monde à toi, mais les circonstances vous en empêchaient. Même maintenant, il subsiste un peu de méfiance qui t’a poussé à choisir un plateau en dehors d’Arcadia.
Fier d’enfin pouvoir la présenter à tes collègues et amis (qui ne la connaissaient jusqu’alors que par les mots), ça se ressent quand tu fais les présentations, désignant Anna pratiquement comme un joyau rare et précieux. Ta main presse un peu plus fort la sienne, le pouce en caressant le dos. C’est le moment aussi d’afficher les deux nouvelles additions au cocon familial. D’ailleurs, ça en surprend quelques-uns de te voir avec un porte-bébé, la main sur le dos d’Arthur qui, blotti contre ton torse, chouine un peu. Tout comme pour Anna, c’est la première fois que les bambins s’amènent sur un plateau de tournage, contrairement à Taffy le corgi qui vole la vedette depuis un petit bout de temps déjà. Le cabot dodu se roule sur le dos en attendant qu’un des opérateurs se penche pour lui gratouiller le ventre. Chose faite, il retourne se pavaner à la recherche d’attention. Ce chien est une diva, c’est pour ça que vous faites bien la paire.
«I have a theory that movies operate on the level of dreams, where you dream yourself.»
Malgré ses trente-quatre ans, Anna semble encore curieuse comme une adolescente qui découvre le monde ; du moins, les belles choses qui s’y cachent. Ça te fascine autant que ça t’attriste, vu tout ce qu’elle a vécu. Mais quand elle s’émerveille devant ta passion, rien ne peut empêcher la tendresse qui enveloppe ton coeur et l’instinct protecteur qui s’éveille. Elle se penche pour embrasser la tête de vos jumeaux, ça t’arrache presque des larmes que tu pleures désormais un peu trop. Encore du mal à croire que tout ça soit vrai. Est-ce que tu mérites réellement ce bonheur-là ? T’en doutes.
- Te connaissant, commence-tu en étouffant une moquerie, je pense qu’on va commencer par les caméras ! L’espièglerie dans ton regard, tu te souviens de la fois où elle a évoqué l’idée de se bâtir une chaîne Youtube pour afficher au grand jour votre vie de famille. Clairement, elle n’aurait pas manqué de contenu. Un baiser volé furtivement avant de se diriger vers le nouveau centre d’intérêt.
Le plateau étant encore au stade bordélique, vous faites quelques détours pour ne déranger personne. Habituellement, c’est le cadet de tes soucis, mais normalement tu n’as pas deux bébés et un corgi dans les pattes. Ce qu’Anna peut désormais découvrir, c’est le plus gros de la meute de caméras, semblable à la Canon que t’utilises pour les photos de famille, mais version boostée aux stéroïdes. -Honnêtement, je préfère les appareils légers qui permettent un contact plus intime avec le sujet, de le suivre de plus près. L’image un peu plus tremblante me paraît plus naturelle, également. Distraitement, t’actives, comme un réflexe naturel, la caméra pour montrer à Anna comment fonctionnent les divers settings. - C’est une numérique pure et dure. Image nette, sans grains. Ça avale l’ombre et l’image devient très claire , presque totalement lisible. C’est une très belle qualité, certes, mais peu efficace si on essaie de composer une image hyper réaliste ou d’illustrer des émotions ou situations dures et difficiles, comme la pauvreté ou la solitude. Ma première caméra était une 16 mm, un très vieux modèle qui appartenait à mon oncle. Depuis, hors de question de laisser tomber le grain. Un petit sourire étire tes lèvres quand tu te demandes, les pupilles rêveuses, si la vieille caméra, même si elle ne doit désormais plus fonctionner, est toujours dans le grenier chez ton père…