Les portes du bar poussées, Soren est directement dans l’ambiance. Et c’est ce qu’il lui fallait. Comme un passage obligé après chaque contrat, ou chaque soirée de boulot. Ça ne consiste pas constamment  qu’à flinguer quelqu’un. Il y a toujours plusieurs jours ou soirées d’observation. Les habitudes, les sorties… Tout y passe, histoire d’avoir le moins de surprise possible. Et ce soir, c’était long. Long et chiant. Le mec a sans doute l’emploi du temps le plus mortellement ennuyant qui soit. Ça n’allait pas être bien compliqué de l’atteindre… du moins s’il restait sur ce rythme-là et sans surprise.
Il soupire, regarde aux alentours avant de se frayer un chemin jusqu’au comptoir du bar. Une fille –une femme- un peu trop dénudée à sa gauche, qui lui sourit, sans franchement cacher les intentions qu’elle a en tête. Les lippes s’étirent, amusé, avant de secouer légèrement la tête. Y’a vraiment de tout ici. Mais pas ce soir. Il a juste besoin d’une soirée tranquille, pas de se taper la première venue. La tête à droite, un homme avec sa bière. Le blond va pour se reconcentrer sur sa boisson qui arrive, mais il retourne vivement la tête vers l’homme à côté, pensant le reconnaitre. Remercie distraitement la barmaid en lui filant un billet, l’attention fixée ailleurs. Il le connait, l’a déjà vu. Et finalement, un sourire se dessine sur ses lippes.
Bingo.
L’employé chargé de la protection de l’un de ses anciens contrats. Le mois dernier ? Un peu plus ? Il ne sait plus vraiment. Mais c’est bien lui. Un type plus que tenace qui était doué dans ce qu’il faisait.  Si bien qu’il lui avait fait foirer son coup la première fois. Et ça, ça arrivait assez rarement pour que ça soit noté. Peut-être bien un ancien militaire, ou quelque chose dans le genre. En tout cas, quelqu’un avec un entrainement, sans le moindre doute.

Quelques gorgées de sa bière avant qu’il ne la repose. « bon boulot avec Harrington. » qu’il finit par lacher, sans pour autant se tourner vers le mec d’à côté. « J’ai eu du fil à retordre » rien à foutre de lacher le morceau, de lui laisser comprendre que c’est bien lui qui a mis fin aux jours d’Harrington. Rien de personnel, qu’un contrat comme un autre. Sans pour autant savoir si le mec à côté de lui avait développé un quelconque attachement envers son employeur, ou s’il n’était qu’une personne à protéger, comme une autre.

L’alcool avait de tout temps été utilisé pour oublier. Une bonne rasade, et vous voilà transporté dans un autre monde pour la soirée à venir. Cian avait eu quelques soucis dans le passé, avec les verres et bouteilles qui s’accumulaient entre ses doigts. Il s’agissait là de noyer les souvenirs, et le futur aussi. Ne pas se souvenir de ceux qui avaient, de ceux qu’il avait laissé mourir. Parce qu’on n’en parlait pas assez des seconds. Il avait toujours préféré détourner le regard, à se dire que ceux qui avaient besoin de son aide avaient beaucoup à cacher. De lourds secrets qu’il couvrait, auxquels il ne portait aucun regard. Fermer les paupières sur tout cela, à chaque fois. Et quand le contrat était terminé, la menace soi-disant écartée, il tournait les talons, sans un coup d’œil par-dessus son épaule. Plusieurs étaient morts par la suite, et si on lui posait la question, il répondrait juste que leur sécurité devait être peu chère à leurs yeux. Lui seul pouvait empêcher un tueur de venir jusqu’à eux. Orgueilleux, fier, mais la vie avait souvent prouvé qu’il n’avait pas tort sur ce point. Tant étaient tombés, sans que jamais il n’éprouve le moindre regret.

C’était parti depuis longtemps tout cela. Abandonnés en Afghanistan, regrets perdus dans les tréfonds d’une mémoire et d’un esprit abimés. Il n’avait pas envie d’y penser, pas envie de s’y attarder. Période sombre qui était pourtant toujours présente, au détour d’une ruelle, du coin de l’œil. On ne se débarrassait pas de ses ombres d’un claquement de doigts. Même dix ans n’étaient pas suffisants… Nouvelle bière commandée dans un soupir, et la barmaid s’exécuta dans les minutes suivantes. Le nombre de clients n’entamait en rien sa productivité et le sourire sur ses lèvres. Toujours trop avenante envers les hommes qui peuplaient l’endroit, Cian avait quant à lui décliné d’un simple regard les propositions sous-jacentes. Pas le temps, pas l’envie, trop vieux pour batifoler à droite et à gauche… Ou plutôt, la trouvant bien trop jeune à son goût.

Le silence dans lequel il s’enfermait finit par se briser. Une voix, simple, efficace, moqueuse, et il n’eut même pas besoin de voir le visage pour faire le rapprochement avec une ancienne affaire. Après tout, même lorsqu’il l’avait stoppé cette fois-là, il avait à peine vu ses traits. Les dents se serrèrent dans la foulée, la gorgée termina la bière de son verre. « J’oubliais qu’Arcadia était cette merveilleuse ville où les meurtriers n’étaient pas obligés de cacher leur sale boulot. » Ton monocorde, Cassandre l’obligeait à garder son calme, à user de ses iris pour détailler le visage, le corps de l’autre. Le moindre mouvement tirerait certainement la sonnette d’alarme dans son esprit, poussant à la réaction avant même que lui ne le perçoive. C’était comme ça depuis plusieurs mois maintenant. « Qu’est-ce qui vous amène ici ? » Pause. « A part me narguer, mais je ne suis pas dans une excellente humeur pour cela. » C’était aussi ce que les iris clamaient, derrière le sourire. Froideur qui le pousserait possiblement à attaquer dans les prochaines minutes. Sauf si la Princesse reprend le contrôle en amont.

Ça avait été une longue journée. Trop longue à son goût. Et le bar était devenu presque un passage obligatoire après le boulot. Petit moment hors du temps avant de retrouver Noah. Comme pour laisser toute la merde ici, se vider, laisser les flingues et le sang à l’extérieur avant de reprendre son fils être ses bras. Un entre deux nécessaire pour se retrouver et le retrouver tout en le préservant.

Pinte de bière posée sur le comptoir du bar, et la tête qui tourne en remarquant la présence d’un mec juste à côté. Pas trop proche, mais assez pour tourner la tête par curiosité. Il ne lui a pas fallu bien longtemps pour le reconnaitre. Il avait passé trop de temps à surveiller son ancien client pour qu’il demeure inconnu. Mais il aurait été étonnant que lui sache qui il était. L’irritation se lit sur ses traits, mais ça ne suffit pas à démonter le norvégien. « J’oubliais qu’Arcadia était cette merveilleuse ville où les meurtriers n’étaient pas obligés de cacher leur sale boulot. » le sourire amusé de soren s’étend un peu plus. Cette ville n’avait plus de secrets pour ses habitants. Quoiqu’encore un peu en ce qui le concernait. Le norvégien hausse les épaules. Il se cache seulement des autorités, et même là, se cacher reste un grand mot. Il se contente juste de ne pas laisser de traces, de faire un boulot propre pour ne pas se faire choper. Mais à côté de ça, il ne joue aucun rôle. Ne joue pas les citoyens modèles ou ne s’invente pas une vie. Il se joue sans doute un peu de la vérité avec les gens qu’il rencontre, ceux un peu curieux de son activité professionnelle. Ça ferait un peu tache de lacher qu’il est mercenaire. « Qu’est-ce qui vous amène ici ? » soren prend une gorgée de sa boisson, le regard un peu dans le vide, face à lui « A part me narguer, mais je ne suis pas dans une excellente humeur pour cela. » le verre reposé, il secoue doucement la tête. « vous narguer ? Non. » il se tourne un peu plus vers son compagnon de fortune. « Votre présence ici –ou la mienne- est hasardeuse. J’venais juste prendre un verre et je vous ai reconnu. Sincèrement, bon boulot. On m’donne rarement du fil à retordre. » à sa manière, ce serait presque un compliment. Soren a profité de l’absence du garde du corps pour remplir sa mission. La fois où il avait tenté de l’abattre avec l’homme à ses côtés, il avait échoué. Et ça, l’employé pouvait s’en féliciter. Malheureusement, personne n’était infaillible, et aux dernières nouvelles, il était impossible de protéger quelqu’un 24 heures sur 24. « On était que deux mecs faisant leur taf. » mais vu le regard de l’homme, soren se demande s’il n’est pas un peu rancunier. Ou blessé dans son orgueil peut-être ? aucun idée, mais il y avait quelque chose. Si sensible… Il y avait désormais une chance sur deux pour que ça finisse de manière musclée. Certainement pas une première pour le scandinave, mais ce n’était pas franchement comme ça qu’il avait prévu de finir sa soirée. M’enfin… à voir. « faut pas le prendre personnellement » un nouvel haussement d’épaules, suivi d’une gorgée de sa boisson en attendant de voir comment tournait tout ça

Le regard s’enflammait à la vision de l’autre, alcool jouant avec l’esprit déjà brisé de l’homme. Il en fallait peu pour le voir en venir aux mains, encore plus dans cette situation. Souvenirs de guerre se mêlant à vie tranquille, à Arcadia et ses batailles de mafias. Finalement, la vie d’aujourd’hui n’est guère si différente de son passé de militaire. Y’avait toujours un regard suspicieux par-dessus l’épaule, l’attente de se faire attaquer, voire tuer. Quoi qu’il fasse, le passé le rattrapait. Les dents serrées, à fleur de peau, l’autre devait parfaitement pouvoir en jouer s’il le décidait. Sauf si Cian parvenait à se calmer. Et pour une fois, Cassandre semblait être de son côté, à son grand soulagement. Y’avait pas besoin de prendre de profondes inspirations, de faire du yoga, de la méditation, ou ce genre de choses parfaitement stupides… Mais qui fonctionnaient de manière générale. Juste, à l’armée, il s’agissait plus de tirer et tuer pour mieux survivre… Nouvelle gorgée d’alcool qui lui brûlait l’œsophage, quand il aurait mieux fallu s’arrêter là. Au pire, ça finirait par en venir aux mains, par sa mort, et qu’importait ? Le goût du sang était bien trop présent sur sa langue pour qu’un peu plus le perturbe.

« C’est pas grand-chose. » Il maugréa. « C’était juste mon boulot qu’il s’en sorte en vie tant qu’il me payait. Si j’étais pas foutu de faire ça, j’aurais pas choisi d’être payé pour protéger. » Pathétique excuse. Y’avait tellement de choses qui payaient mieux que garde du corps. Et il valait plus que ce travail en vrai, sans le stress post-traumatique qu’il se trimbalait de la guerre, de cette fameuse soirée qui s’était terminée dans un bain de sang. Stupides ordres qu’il avait suivis, qu’il aurait mieux fait de refuser. Mais c’était l’armée. Et il était un brave petit soldat courbant l’échine. Un brave petit soldat serrant les dents, jusqu’à cette fois de trop où il avait détourné les yeux, claqué la porte. Renier l’armée était une idée saugrenue quand on l’avait tant servie. Les doigts se mirent doucement à tapoter le comptoir, simple tic pour mieux gérer l’esprit de feu, la peur qu’il cachait sous les poings. Ce serait si simple de percevoir le passé, qu’il laissait échapper, cette guerre qu’il haïssait, tout comme ce qu’il était devenu. Mais mieux valait ne pas l’obliger à parler de cela. Parce qu’il ne le supportait toujours pas.

« Qu’est-ce qui pousse quelqu’un à tuer ? » Un murmure, empli de questions, de sous-entendus. Destiné à son interlocuteur… Comme à lui-même. Pourquoi avait-il tant de sang sur les doigts ? Pourquoi connaissait-il plus la mort que la vie ? Un soupir quitta ses lèvres, la main se leva un instant, nouvelle commande passée auprès de la serveuse. Y’avait du fric à dépenser maintenant de toute façon. Il était derrière lui le temps de la galère, Cassandre avait été d’une aide précieuse pour s’en sortir. Cette foutue princesse, souvenirs douloureux mais dont les compétences étaient si utiles… Pour un peu, il aurait aimé avoir un dieu en lui, pour ne pas avoir à traverser tout ce qu’il avait traversé… Bien plus simple de s’en sortir avec des pouvoirs, non ?

Puis, traversé par un éclair de… Génie. D’instinct. De déjà-vu, ce sont les pupilles qui s’accrochèrent soudainement à la silhouette de l’homme. Aura qui dansait sous ses iris, bleu pâle que l’esprit cataloguait sans la moindre hésitation. Nordique. « Je ne crois pas connaître ton nom. » Question masquée, là où une autre brûlait sa langue, là même où dansait la flamme de sa réincarnation. Qu’es-tu ? aurait été préférable. Mais qui était-il pour être aussi direct ?

C’était peut-être pas très malin de se présenter ainsi… De tout lacher et d’avouer un crime, même si ce n’était pas un flic. Ps très malin et pourtant soren n’avait su résister à l’occasion. Drôle de hasard. Ça pouvait continuer en discussion tout juste cordiale, tout comme l’homme face à lui pouvait perdre son sang froid en quelques secondes… « C’est pas grand-chose. C’était juste mon boulot qu’il s’en sorte en vie tant qu’il me payait. Si j’étais pas foutu de faire ça, j’aurais pas choisi d’être payé pour protéger. » « pas faux. » que Soren finit par concéder. Valait mieux s’orienter dans quelque chose dans lequel on était doué. Soren n’avait jamais vraiment su quel était son domaine. Les conneries, qu’il s’était souvent dit, plus jeune. Pas un acharné de l’école. Il avait une intelligence plus manuelle, plus tactique parfois. Rien qu’ils n’enseignaient vraiment à l’école. Il n’aimait pas franchement les maths, et la littérature ne l’avait que peu intéressé. L’économie et le commerce l’avaient ennuyé au plus haut point… Sauf peut-être quand il s’agissait de gérer les petits commerces des banlieues de merde d’Oslo. Alors il avait choisi l’armée. Par dépit, pour se calmer ou se défouler. D’une certaine manière, ça lui avait peut-être permis de se trouver.

« Qu’est-ce qui pousse quelqu’un à tuer ? » rire nerveux qui s’échappe de sa gorge. Pas mal. C’était la question à un million. Qu’est ce qui pousse un homme à prendre la vie d’un autre ? Tellement de réponses. Si peu valables ou acceptables pour une personne à la morale descente. Il porte sa pinte à ses lèvres, réfléchit à quoi répondre, ou plutôt faire le tri. Il détaille son voisin, repasse en mémoire ces fois où il l’avait observé. « J’pourrais peut-être vous retourner la question. J’croirais difficilement que vous n’avez pas eu un entrainement… spécial. » les forces spéciales, l’armée… champion d’art martial –moins probable- mais sans doute quelque chose dans cette veine. Y’a des réflexes qui trompaient rarement. « en ce qui me concerne… j’en sais rien. Un talent, j’imagine. Le fric parfois. On n’est pas tous destinés à devenir médecin. » surtout, soren se retient de lacher que s’il n’y avait pas des mecs comme lui, l’homme en face n’aurait probablement pas de boulot –en tout cas pas celui là- personne à protéger d’éventuelles menaces. Il ne dit rien, se dit que son trait d’humour ne serait surement pas apprécié. Tout comme il aurait pu préciser que dans ce métier qui semblait sans foi ni loi, le norvégien avait quelques règles de base. Mais il ne voyait pas l’utilité de se justifier. Au fond, un meurtre restait un meurtre. Et ce n’était pas Fenrir qui allait le faire changer là-dessus. Loup géant, bête incomprise et décriée par ceux là-même qui l’avaient élevé.

Une autre gorgée de son breuvage doré avant de capter l’insistance du regard du garde du corps.  Il tourne la tête à son tour, hausse un sourcil, interrogatif. Il va lui mettre une droite ou quoi ?  « Je ne crois pas connaître ton nom. » surprise totale. Il veut quoi ? enquêter et le retrouver ? peu probable, et pourtant la question l’étonne fortement. « Jørgensen » autre gorgée avalée, il repose la chope et reprend « Soren Jørgensen. A qui ai-je l’honneur ? »

Qui irait balancer un meurtre, un crime, autrement qu’à Arcadia, ville de tous les vices ? heureusement que Cian ne s’était pas dirigé dans une carrière dans la police, sinon, il aurait été servi pour les arrestations. Il en connaissait tellement, des tueurs à gages, des criminels de tout genre. Il suffisait de rajouter Cassandre à cela, détecteur de mensonges ambulant, et l’irlandais aurait fait un flic exemplaire, et bien utile. Néanmoins, la vie en avait décidé autrement, et son utilité s’était révélée dans une violence plus brute que jamais. Faire selon les lois, il avait déjà donné. Alors, désormais, il préférait jouer selon ses propres règles, au milieu de l’horreur de ce monde. Finalement, autant détruire les environs comme lui l’avait été. Même si c’était en un autre lieu, sous d’autres conditions. L’horreur de la guerre… Tous disaient qu’ils y avaient été préparés, mais la réalité était bien plus crue. Une fois devant les gerbes de sang, les décisions irrationnelles, l’esprit se brisait. A cet instant-là, qui que vous soyez, soit vous vous dissociez pour supporter le traumatisme… Soit vous vous rebelliez. Mais personne ne venait aider, car tous étaient dans le même bateau : à vouloir survivre, envers et contre tout.

Y’eut un rire soudain, avant qu’il ne vide son verre une fois de plus. « Pas besoin d’entraînement spécial quand on est à Arcadia. La ville se suffit à elle-même. » Mensonge. Juste de nouveaux mensonges pour compléter ceux qu’il proférait à longueur de journées. Le fric ou le talent… Le sourire sur ses lèvres se fit plus ironique, amusé. C’était ainsi que le monde tournait, quoi qu’ils fassent. « Et on règle plus de soucis en tuant qu’en les soignant. C’est plutôt une bonne chose de choisir un autre métier. » Dommage qu’il n’ait pas tué les grands de ce monde. Y’aurait nettement moins de problèmes en éliminant le mal à la racine. « Et t’as jamais pensé à rejoindre une mafia ? » Tant qu’on y était… Ca ne l’étonnerait qu’il en ait rejoint une. Et oui, il en parlait librement, au milieu d’un bar. De toute façon, aucun regard n’était dirigé vers eux, comme le lui signalait d’un murmure Cassandre. Ses talents lui étaient si utiles, complétant les années passées à l’armée.  C’était… Etrange en y repensant. Tout ceci s’était si bien goupillé…

« Cian. Scully. » Irlandais jusque dans la moindre de ses identités. « Nordique ? » Lui. La chose en lui. Tout et rien. En tout cas, même l’humain paraissait venir d’autres contrées que le sol américain. Enfin, des colons de ces lieux, même si cela faisait quatre cents ans. Hé, l’histoire des Etats-Unis d’Amérique, beaucoup l’avaient oubliée…

Soren ne se cachait pas spécialement. S’il n’allait pas crier sur tous les toits qu’il était un mercenaire plutôt réputé et doué dans son domaine, il ne s’en cachait pas pour autant lorsqu’on lui posait la question. Et sans doute se fondait-il un peu plus dans la masse dans une ville comme Arcadia. Il avait beau être habitué à ce que lui demandait son job, il ne trouvait pas moins que cette ville était complètement dingue. Un gros bordel, comme il ne cessait de le répéter. Parfois, il avait encore du mal à réaliser où il avait foutu les pieds. Ça les dépassait, il le savait, il faisait seulement en sorte de ne pas complètement s’y perdre. Une mimique amusée à sa réponse, forcé d’admettre qu’il n’avait pas tort « hm j’suis forcé de reconnaitre que c’est pas complètement faux… mais quand même. Y’a des choses qui trompent pas » parce qu’il y a certains réflexes qui se reconnaissent. Arcadia décuple la brutalité et a violence. Elle ne forme pas les gens aux différentes techniques de combat ou aux armes feu. Arcadia permet d’y accéder mais pas de les maitriser. Mais tant pis, si l’inconnu ne voulait rien lacher, il n’allait pas l’y forcer. « pour certains, ce n’est même pas une question à poser » en tout cas, pour ceux qu’il avait eu à flinguer, iil ne doutait pas un seul instant que le monde se portait mieux sans eux. Il était loin de se prendre un quelconque justicier, mais tous ceux qui avaient eu des contrats sur la gueule ? Des enflures. Des mecs plus ou moins puissants qui avaient tous quelque chose à se reprocher, d’une manière ou d’une autre.
Soren hausse un sourcil, étonné de la franchise de sa question, surtout considéré qu’il n’avait pas répondu à la sienne. Du moins pas sincèrement, il était prêt à le parier. « Pas vraiment. J’ai quelques contacts mais… » il grimace, la machoire qui se contracte malgré lui face aux sales souvenirs qui remontent. « J’ai du mal à me fier à certains. Et je bosse mieux seul. » ce qui n’était pas complètement faux non plus. « Parce que toi oui ? » demande-t-il un peu curieux. Après tout, il ne savait pas tout sur ce gars.

Il acquiesce d’un signe de tête, une manière de lui dire nice to meet you avec un côté un peu plus viril. « Le nom ou ça se voit tant que ça ? » lache-t-il avec un léger rire avant de reprendre une gorgée de sa bière. « Norvégien. Né et élevé dans la banlieue d’Oslo. « Irlandais j’imagine ? » il se fiait au prénom, parce que son nom… il aurait  peut-être hésité avec l’angleterre ou l’écosse, pas franchement spécialiste des origines des patronymes.

L’alcool montait, au fur et à mesure que les secondes défilaient. Il n’aurait pas dû boire, il aurait dû croire cet instinct qu’il s’efforçait à noyer. Lui qui avait si souvent entendu parler des divinités, de leur rapport à leur nature, de la perte de contrôle, la vivait à présent. Une situation peu agréable qui lui donnait des envies de meurtre. Ou juste de vomir. Entendre une voix, partager un passé, se rappeler d’une vie qu’il n’est pas la sienne, dans un claquement de doigt… Il devrait se reposer, avant de craquer. Sauf que ce n’était pas sa façon de fonctionner. Quand son corps, son esprit lui hurlait de ne pas s’arrêter, sous peine de perdre pied, il continuait juste de marcher, d’avancer. En titubant, en trébuchant, en s’explosant les poings et phalanges contre les murs. La violence comme défense, il l’avait toujours eue. L’armée n’avait fait que décupler le tout… « Arcadia ne fait que ressortir l’horreur du monde ? » Croyait-il à ses propres mots ? Etait-ce propre à cette ville, ou à la société dans son ensemble ? La religion, le pouvoir, tout poussait à l’horreur finalement. C’était survivre, qu’importait le prix, le carmin sur les doigts blanchâtres.

Un léger sourire, voire rire, pour ponctuer les propres de l’autre. Oh, certains méritaient la mort, mais qui étaient-ils pour la donner ? Lui avait cru bien faire en s’en prenant à des terroristes, des talibans. Néanmoins, des innocents avaient aussi péri, et Cian avait été l’envahisseur, le destructeur. Les histoires politiques, les batailles pour si peu, ça l’écoeurait à présent. A se croire capables de faire la paix, beaucoup avaient perdu l’objectif de vue et s’étaient vautrés dans leur pouvoir. C’était le cas des mafias. Peut-être pas de toutes, mais dans leur ensemble… « J’ai bossé pour le Gouvernement, ça m’a suffi. » Pas celui-ci, un autre, mais était-ce si différent d’un pays à l’autre, d’une guerre à l’autre ? Le gouvernement comme mafia, comme organisation criminelle quand cela l’arrangeait. Cian ne connaissait pas la confiance. Cian percevait désormais une partie des mensonges, sur-analyser son environnement. Il remarquait ce que certains cherchaient à faire disparaître. Il remuait la merde, et cela ne l’aidait pas à s’attacher ou apprécier. « Il faudrait être aveugle ou naïf pour penser pouvoir faire confiance à quelqu’un ici. » Tous dans le même panier, même ceux qui n’y étaient pour rien. Surtout eux. L’innocence le dégoûtait presque en y pensant.

« Ca se voit. » Pas un mot de plus, parce que sa nature le lui interdisait. Même s’il y avait le nom. Même s’il y avait la noirceur mêlée à une pointe de couleur. Même si c’était surtout Cassandre qui aimait mettre son grain de sel. En parler ne changerait rien, et il n’aimait guère dévoiler l’héroïne. Enfin, si lui voyait l’autre, l’inverse devait être possible aussi non ? Ou cela fonctionnait-il différemment ? « On peut dire ça. » Ah, l’Irlande… Un pays dont les souvenirs s’étaient échoués sur les rivages de sa mémoire, dont il lui restait que quelques personnes… Parce qu’il avait fui, et qu’il avait manqué à son devoir de protection. La sœur était pourtant si proche une fois à Arcadia… Pourquoi avait-il fui ? « Je n’y suis pas retourné depuis quelques décennies. Les Etats-Unis sont vraiment l’eldorado pour les déchets. » Rire pour conclure le tout, avant de boire une nouvelle gorgée.

Voilà ce qu’il était : un déchet. Un simple rejet sur les côtes américaines, tas de viande qui avançait avec la force du désespoir…