L’électricité n’était plus depuis des jours désormais, avec ainsi la certitude qu’elle ne reviendrait avant longtemps, avant des lustres. Afin de l’accompagner, afin de transformer Arcadia en terrain de ses souvenirs, les rues se voyaient envahies de militaires, des ses anciens partenaires à qui Lio n’avait parlé.
Personne ne se souvenait de lui ; il n’était qu’un parmi tant d’autres.
Pour se protéger, par réflexe défensif dans cette atmosphère tendue, son cou s’ornait de ses badges, de ses plaques métalliques rappelant son appartenance au corps armé. Parfois, dans la rue, des soldats l’interpellaient et lui demandaient où il avait servi.
Irak.
Syrie.
Et il forçait le respect.
Et on balayait tout soupçon sur sa personne.
Alors il venait régulièrement au bar, sans craindre les perquisitions, sans se soucier des patrouilles.
L’ambiance lui rappelait les camps dans le désert, à un détail prêt. La température ; là-bas, le Soleil écrasait les toiles des tentes et obligeait les tenues à être légère. Aujourd’hui, il faisait si froid que les murs ne protégeaient du frimas. La nuit, les lueurs semblaient similaires, les flammes des bougies et des réchauds dansaient ; au front, ils devaient les éteindre régulièrement pour ne pas se faire repérer, à Arcadia, elles brillaient comme des phares pour dire aux amis qu’ici il faisait un peu plus chaud, il y avait de quoi manger, de quoi boire.
Le soir, le Royaume se réunissait en ces lieux pour nourrir l’assemblée et les plus démunis de la famille improvisée ; derrière le comptoir, Lio servait une maigre pitance et du whisky pour se réchauffer ainsi qu’oublier la ville prise dans le froid.
L’après-midi, il préparait la venue du crépuscule et profitait des maigres rayons du Soleil glacial. Un petit réchaud tempérait de l’eau pour nettoyer le sol et nettoyer les verres et la vaisselle salis la veille. Quand il avait terminé de mettre au propre le bar, il préparer de la nourriture pouvant se conserver et être mangée froide.
Des œufs durs la plupart du temps.
Il en faisait à foison.
Les téléphones ne pouvaient plus se charger, alors il avait un vieux minuteur qui résonnait dans le bar au lieu d’utiliser le chronomètre du smartphone.
Il avait même un sablier pour le thé.
Il fallait tout réapprendre.
L’après-midi, Lio économisait les bougies, habitué à travailler dans le noir. Il savait remonter et nettoyer son arme les yeux fermés, alors passer un coup de serpillière pouvait se faire au clair-obscur du crépuscule hivernal sans que cela ne le dérange.
Il avait enfin terminé la plupart de ses tâches, mis les provisions dans un coffre à l’extérieur où les températures frôlaient le négatif et entamait la cuisson des œufs pour la nuit à venir, le bacon grillait sur les poêles et quelques légumes blanchissaient dans le dernier réchaud. Tout n’était qu’un système alternatif de cohésion de groupe, d’entraide et, ici, il en était un peu le pivot, le chef d’orchestre improvisé et le gardien des stocks.
De toute façon, peu de gens voulait se frotter à lui.
Paradoxalement, Lio succombait à la chaleur du travail du intense et demeurait en tenue sans manche, luisant de sueur qui risquait bientôt de l’engourdir d’un incroyable froid.
L’après-midi, personne voulait le voir, tant il était occupé à gérer le bar. En temps normal déjà, personne ne venait tant que les portes ne s’ouvraient officiellement, à moins d’avoir besoin d’une information ou d’un produit officieux, mais maintenant que l’électricité n’était plus et que hommes et femmes vivaient au crochet de la cire et du Soleil, Lio était tranquille.
Alors il ne rendit pas compte quand une silhouette poussa les portes battantes du bouge irlandais. Il continuait de surveiller son bacon afin qu’il ne crame pas et se demandait combien de gaz il lui restait, priant tenir jusqu’à la fin de la semaine.
La voix le fit hausser un sourcil.
Il fixa la silhouette, incrédule.
Non.Il retourna le bacon de la poêle. Il ne lui restait que quelques secondes de cuisson.
Il n’est pas là. Peut-être ce soir.Ses iris se posèrent sur l’intruse. Il ne l’avait jamais vue, sinon il s’en rappellerait, cependant, les rumeurs venaient aisément à ses oreilles ; il s’agissait même là de son rôle principal, écouter. Lio connaissait les murmures et peu parlaient des aïeux du Royaume, des membres les plus anciens, épargnés par les balles et présents depuis des lustres. Une femme avait une certaine réputation, particulièrement de mettre les pieds dans le plat et de fouiner partout, et d’avoir beaucoup d’argent aussi, plus qu’il n’en aurait jamais.
Il grogna.
Il devait s’agir d’elle, sans aucun doute.
A quel point avait-elle de l’influence sur le Roi ? Comme un puissant lobby financier sur le gouvernement ?
Je lui laisse votre message, Miss Montgomery?Le bluff le plus total, s’il se trompait, cela n’avait que peu d’impact, mais si Lio visait juste, il mettrait probablement la puce à l’oreille de son interlocutrice. Comme un vulgaire barman pouvait la connaître si aisément ? A moins qu’elle ne soit connu de tout le Royaume.