eastern promesses - feat. stoyan - Sam 24 Mar - 0:00
eastern promesses
stoyan & milena
« And if the birds are just all the words flying along, singing a song, what would they do ? If they just knew what they could do. »
Ses doigts froissaient nerveusement les étoffes délicates, entassées de façon maladroite sur la petite table basse du salon. Des croquis s'empilaient sur le sol, rejets d'une longue journée de réflexion. Les retrouvailles avec ses outils avaient été tendres et passionnées. L'index paré d'argent, le dextre fit danser l'aiguille. Le tissu, ainsi piqué, frémit sous la poigne légère de la couturière. La lune pâlit et les étoiles s'effacèrent alors que la nuit laissait peu à peu place à l'aurore. Après une nuit blanche de travail acharné, elle s'échoua sur sa couche défaite pour quelques malheureuses minutes de répit.
En fin de matinée, munie de son oeuvre, ce fut d'un pas résolu qu'elle s'engagea vers l'opéra.
Ce lieu n'était pas sans lui rappeler le curieux domaine où une bonne partie de son adolescence s'était déroulé. Elle se rappelait ces longs après-midi où, dissimulée dans les coulisses, ses yeux allaient et venaient entre les ballerines impatientes qui investissaient les planches. Les arpèges s'envolaient dans les airs, tantôt crachés par un vieux poste de radio rafistolé, tantôt par un pianiste pré-pubère à moitié dévoré par les ombres des vastes rideaux. Lorsque la volée s'était éparpillée et que la scène redevenait déserte, la gosse s'y aventurait, mimant quelques uns des pas de danse entraperçus. L'évidence l'avait assez rapidement frappée : il lui serait impossible de rivaliser avec ces beautés délicates. La danse restait un plaisir honteux auquel elle s'adonnait sans spectateur ou mentor pour l'espionner. Un flash bref l'étourdit, une douleur sourde faisant trembler ses doigts. Désormais, c'était de leur cour dont elle faisait partie. Costumière discrète, les corps devenaient des toiles à parer. Ces cygnes s'élevaient, rieurs, parmi la peuplade des petites gens qui évoluaient dans leurs sillages. Était-ce une jalousie mordante qui l'avait poussé à éborgner cet élégant volatile ? Chassant ces quelques fantômes du passé, la jeune femme s'assit sur une place quelconque, ses bruits de pas ayant été - bien heureusement - étouffés par la musique.
Devant elle, les danseuses faisaient vivre les tissus. Le rythme frénétique les guidaient. Sagement, elle se résolut à attendre la fin de la répétition. Après quelques minutes passées à admirer ces belles et leurs tutus immaculées, elle se releva et se tourna vers le maître tandis que la musique mourut peu à peu.
« Mr Ozerov » murmura-t-elle, accompagnant son salut d'un geste de la tête. La familiarité n'était pas de mise au sein de la bratva, du moins, pas pour elle. Lors de leur première rencontre, elle avait détaillé son visage, sa posture, cet étrange écho à l'Autre. Curieuse, elle avait tenté de gratter la surface et d'esquisser un portrait plus en profondeur du jumeau. Au fil de la discussion, une idée s'était formé, une promesse aussi. Les costumes n'étaient qu'un prétexte. L'envie de séduction qui avait fleurit dans un coin de son esprit n'était qu'un prétexte égoïste. Les yeux abîmés par la lumière faible de son établi, elle avait tissé ses ambitions en même temps que les costumes qu'elle lui amenait aujourd'hui. C'était l'avidité causée par leur rencontre qui l'avait poussé à le pourchasser. Par cette proximité presque blasphème avec l'écho de son bourreau, la jeune femme jouait indéniablement avec le feu. Le contrôle illusoire et le fragile sentiment de contrôle que lui apportait ces initiatives lui donnait un nouveau souffle. « Je suis contente de vous revoir. » souffla-t-elle en adressant un léger sourire à son interlocuteur.
