Broderie Noctambule {Ariel&Fedora} - Sam 29 Fév - 19:10
La nuit opaque caresse la berline qui file dans les rues désertes. Matveï conduit, son éternelle mine renfrognée et silencieuse de porte flingue fixant le peu de visibilité frontale que lui offre ses phares. De temps à autre, son regard se dérobe vers le rétroviseur pour mieux voir sa patronne : Fedora Sokolov, une femme difficile à suivre pour ses propres standards. Certes, il donnerait sa vie pour elle, cependant, il a du mal à comprendre ce qui se trame derrière son expression paisible. Les rouage de la cervelle de Madame sont impénétrables. Elle le rend confus. La Matriochka n'obéit a aucune logique, aucun calcul. Elle déjoue le plus souvent ses déductions, faisant parfois montre d'une imprudence dictée par un cœur trop large et d'autres fois d'une habilité hors norme pour les jeux de dupe. A quoi réfléchit-elle, absorbée dans la contemplation des ténèbres, sa fourrure fushia sur les épaules, ses doigts peints jouant négligemment avec la broche en tourmaline rose épinglé à son chemisier lavallière de soie noire ? Le garde du corps se débat encore avec cette question quand il se gare finalement aux abords du commissariat.
- Rоспожа, êtes vous certaine de vouloir faire cela ? - Plus que jamais. Elle presse l'épaule de son fidèle homme de main avec chaleur. J'ai bien en tête tes réserves sur ma démarche mon bon Matveï, mais j'ai mûrement réfléchi et pris ma décision en conséquences. - Je n'ai jamais voulu dire que vous agissiez de manière irréfléchie ou inconséquente, Rоспожа ! S’empresse-t-il de se justifier, son teint rose prenant des accents d'écrevisses ébouillantée. - Je sais, tu es simplement inquiet et sache que j'en suis touchée.
Matveï hoche simplement la tête avant de sortir de la voiture et d'ouvrir la portière à celle qu'il a juré de protéger.
- Dans ce commissariat, je ne pourrais rien pour vous. - Et il n'y aura rien à faire. Je suis une honnête citoyenne américaine qui vient simplement chercher un ami dans le besoin.
Se faisant, alors que rien d'autre que les néons blafard du poste n'illuminent le pavé, Fedora ajuste son rouge à lèvres et se part de lunettes de soleil. Provocation amusante, pas tout à fait innocente. Elle fait une entrée remarquée dans un commissariat effervescent et bondé. Ses talons vernis d'un magenta soutenu claquent sur le sol, alors qu'elle trottine élégamment vers le comptoir du réceptionniste. Elle y pose sa pochette en sequin noir et d'un mouvement gracieux du poignet, retire ses verres fumés. Elle offre un battement de cils charmant au jeune policier de garde. - Bonsoir monsieur, je suis là pour payer la caution d'Ariel Soria. Pourriez-vous m'indiquer la marche à suivre je vous prie ? demande-t-elle d'une voix douce.
Parlent mais ne dit rien. A tenter de soutirer des informations qui ne viennent pas, ils s’agacent et perdent patience. Lui aussi, un peu. Mais les lèvres restent résolument closes. Douces amères fermées sur des secrets qu’il ne livrera jamais. Petit félin en cage, les séjours mauvais en cellule ne lui font rien, du mieux c’est ce qu’il laisse entrevoir. Quand en profondeur c’est la débandade. Chaos infernal, peur au ventre de trahir, de faire souffrir plus qu’il ne peut déjà le faire. Il n’y a que ses doigts pour témoigner de la torture qu’il subit, à se tortiller les uns entre les autres, faire craquer des articulations qui pleurent leur malheur à des oreilles sourdes pour pouvoir les entendre.
Pas son premier passage, sûrement pas son dernier, il est fiché Ariel. Il le sait. Pour des morceaux de vie ayant fuités, il a posé ses pieds sur le fil d’un rasoir qui effleure mais ne coupe pas encore. S’étonne presque que les coups ne soient pas déjà tombés pour le faire parler. Ca viendra. Il s’en fout un peu, de ce qu’on pourra lui faire, il ne dira rien. Se persuade même qu’il pourra toujours manipuler quelques esprits les plus dociles pour s’en tirer sans trop de peine. Ca parle mais il n’écoute pas vraiment, seul avec le désordre dans sa tête. Ses angoisses et ses peines. Petits mots au fond d’oreille, caution, une russe rose bonbon. Fronce les sourcils et lève le nez. Ses geôliers s’agitent jusqu’à venir devant les grilles de sa cellule. S’ouvre, un signe de suivre. La méfiance au corps il ne bouge pas de suite, s’active quand la porte reste ouverte. Un peu bancal sur ses guiboles, pas très à l’aise dans un décor qui dérange, loin du flamboyant qu’il peut être entre les murs de son royaume de luxure.
Maman est venue faire sortir sa mignonne. Ricane et se moque, lui a le cœur qui saute dans la poitrine. A l’élastique pour remonter dans la gorge et retomber aussitôt. Pas sa mère, la vraie, la seule. Mais une autre. Une figure un peu tordue au milieu de son océan de Russie qu’il déteste. S’invite sous les signaux lumineux faisant office de lumière faiblarde au milieu de la nuit dans laquelle la ville est plongée, on lui rend ses pauvres affaires et il reste là, planté au milieu du poste, les doigts crispés sur son téléphone et son portefeuille. Hagard dans le brouillard d’un autre monde qui lui revient violemment dans la figure. Et enfin il l’aperçoit, la russe rose bonbon. Esquisse un sourire au soleil un peu cassé pour s’avancer dans sa direction.
« - Ce n’était pas nécessaire de te donner la peine de me faire sortir. Ils auraient été obligés de me relâcher à un moment comme je n’ai rien à dire. » Souffle-t-il finalement, un peu gêné de la situation. Parce qu’il espérait quelqu’un d’autre. N’attendait personne en vérité.
