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Un éclair rougeoyant dans la nuit.

Debout sous les étoiles, l'Amazone se dressait devant les portes closes comme une statue de marbre gardant une entrée. En haut des escaliers, devant le grand building, elle scrutait Arcadia dans son voile de ténèbres, un sourire de défi ornant ses lippes vermeilles. Elle bravait l'interdit. Le couvre-feu instauré comme une règle absolue par les nouveaux-venus en ville, qui la bridait dans ses activités annexes. Même son travail s'en trouvait affecté ; et ce soir, elle n'avait pas de laisser-passer pour rejoindre Downtown, mais rien ni personne n'aurait pu la dissuader de retrouver son frère. Elle avait bien failli crever. Chaque fois que la fin était proche, que la Mort caressait sa carcasse de ses doigts pâles et empressés, le Sang la rappelait à lui ; comme un sifflement doux, que la Guerrière ne pouvait ignorer.

Evgenia laissa choir l’allumette à ses pieds. Elle tira sur la sèche, exhala des nuages de fumée, et tapota le crâne du premier des cerbères. Dans le noir presque entier, le pelage des cabots ne se distinguait pas. Seuls leurs deux yeux brillants ressortaient dans la nuit, et leur maîtresse complétait ce tableau. Gardien des Enfers à trois têtes, ils tournèrent les talons de concert, guidés par la mortelle, et s’engouffrèrent sans un bruit dans l’immeuble.

L’endroit était désert. Reconnaissant le lieu et l’odeur de leur maître - puisqu’ils s’en partageaient la garde - Zeus et Apollon s’agitèrent avant de pousser des grognements tièdes. La Guerrière relâcha la bride de ses alliés fidèles, et les laissa filer devant dans la cage d’escaliers. Elle grimpa derrière eux les marches quatre à quatre et s’arrêta enfin sur un vaste palier. Alessio possédait deux étages, un appartement hors budget avec vue panoramique sur toute la métropole, et un chauffeur privé. Du haut standing digne des plus grands avocats de New York, et le ciel soit loué, il faisant profiter sa sœur de sa fortune en réglant sans réserve ses séances de shopping et ses caprices les plus tordus.

Observant les colonnes, le marbre et les sculptures, elle frappa à la porte, cria pour s’annoncer, et attendit qu’on ouvre.

« Calma ». Les dents serrées, elle donna l’ordre aux dobermans de se tenir tranquilles. Alors le bois grinça, le rideau tomba sur la scène et les prunelles azur de l’Amazone flanchèrent sur un corps inconnu.
Des courbes ravageuses. L’appel au vice sous les pans dénoués d’un peignoir en satin, des cheveux noir de jais ondulant jusqu’aux seins, desquels elle eut grand peine à détourner les yeux. Spectacle familier qui s’offrait à sa vue, il allait à merveille avec les remugles d’alcool, de cigare et de baise, et le parfum de la putain qui s’infiltraient dans ses narines. « Je dérange ? » L’italienne afficha un sourire carnassier. « Tant mieux ». Elle fit le premier pas, autorisa les chiens à pénétrer dans l’antre et fit de même en reluquant la poupée dénudée.

Pas besoin d’observer son entrée pour comprendre que son frère n’était pas loin. Jamais il n’’aurait laissé ouvrir sa catin s’il n’avait pas été certain qu’Evgenia se trouvait derrière la porte. Sans doute avait-il reconnu sa voix.
L’oreille alerte écouta les jappements des chiens lancés à sa rencontre, mais l’Amazone ne prit même pas la peine de se tourner vers Alessio quand ce dernier apparut dans la pièce. « Je manque d’y passer et pendant ce temps tu joues à saute-mouton avec une créature divine ». Aucune pudeur ni gêne ne venant tempérer son regard affamé, elle continua d’observer la travailleuse du sexe sans daigner accorder d’attention à son frère.  « Elle en valait la peine, au moins ? »
   

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Ceux qui disaient qu'il n'y avait rien à faire durant le black out et l'installation d'un couvre feu ne savaient pas ce qu'ils disaient. Même un homme tel qu'Alessio savait que ce genre d'événements étranges et encore jamais arrivé lui permettait de récupérer bon nombres d'heures qu'il n'avait pas pu prendre pour son travail. Lire des dossiers qui traînaient, écrire des notes, continuer sur d'autres projets qui lui tenait à cœur comme par exemple, apprendre une nouvelle langue ou lire un livre ancien qu'il avait dégoté pour sa large bibliothèque ou il y avait encore tant d'espace vide. Il fallait dire que la pièce en elle même pourrait contenir aux grands mots trois appartements modestes et tout autant de famille, c'était dire le nombre de livre qu'il y avait. Le fait est que tous les bons stratèges, tous ceux qui ont réussis dans la vie comme dans la guerre avaient une parfaite connaissance des différents champs de batailles, comme de ses soldats ou encore de la culture de son adversaire. Les siens actuellement, étaient bien nombreux depuis l'éveil. La Justice était son pire ennemie, il devait toujours trouver un subterfuge, une passe pour arriver à la convaincre que ses clients criminels ou non sont des victimes et non pas des criminels. Choses délicates, mais pas impossible pour l'avocat.

Ses autres ennemies n'étaient autres que les Divinités elles mêmes. Ces anciens dieux pas si disparus que ça. Il avait tant d'autres choses à faire, découvrir sur eux et leurs légendes. Il avait apprit l’égyptien quelques semaines plus tôt et avait... comme qui dirait voulu pratiquer la langue avec une personne qui en était originaire. Une personne qui connaissait cette culture et qui pour couronner le tout, passait par un réseau de prostitution haut de gamme. Il savait à qui parler, à qui s'adresser et la personne qui s'occupait de tout cela était comme qui dirait très très exigeante sur ses filles comme ses clients. Il ne fallut que quelques heures à cette entremetteuse pour mettre la main sur la perle rare qu'il recherchait, enfin non, deux mêmes. La somme de dollar pour leurs services n'était pas si colossale vu qu'elles étaient toutes nouvelles, mais lorsqu'elles passèrent par la porte de sa demeure, il comprit pourquoi. Elles ne resteraient pas aussi abordables longtemps, mais leur niveau d'américain était tout à fait pitoyable et il profita de leur langue maternelle pour converser et parfaire ses connaissances... linguistiques. Pourquoi s'en offrir une alors qu'il avait les moyens d'en avoir deux ?

Fervent travailleur, il loua ses services pour un bout de temps et ce quelqu'un venant tambouriner à sa porte qui le sortit de ses songes et autres travaux. La façon de frapper, la cadence. Ce n'était autre que sa sœur. Dans un égyptien parfait il demanda à l'une d'elle ; Jamilla d'enfiler quelque chose pour aller ouvrir à leur invité. Le temps que lui même et Shani se rhabille également. Un fin sourire s'afficha sur son visage lorsqu'il l'entendit parler, une véritable emmerdeuse, mais une emmerdeuse qui était tout pour lui. Les deux chiens, Zeus et Appolon ne tardèrent pas à venir réclamer une caresse ainsi qu'une léchouille. Les marques d'affection terminés, ils filèrent à la cuisine ou une gamelle était toujours prête pour eux. Sans même un regard pour son frère, elle ne se détache pas de Jamilla, il sait qu'elle est parfaitement à son goût et elle se plains encore et encore bien qu'une pointe de mystère plane. «  Oh oui, je suis à présent capable de parler Égyptien grâce à elle et son amie.  » Elle portait le même peignoir que l'autre et lui avait juste enfilé un caleçon. «  Mais tu n'es pas ici pour cela n'est ce pas ? Dans quel merdier tu t'es encore fourrée Evgenia Versari ?» Entre elle et Jennie, c'était toujours à celle qui fera le plus de connerie il avait l'impression.

D'un claquement de doigt, il demanda en égyptien qu'elles aillent servir à boire pour tout le monde alors qu'il regarde sa sœur. «  Tu n'as pas l'air à l'article de la mort.  » Il soupire. « Des problèmes qui doivent êtres réglés ?  »
   

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Evgenia trépignait. La cigarette roulait entre ses doigts et ses prunelles se baladaient sans interdit sur les lignes exotiques qui s’exhibaient à elle. Elle exhala de la fumée qui entoura la silhouette élancée de l’égyptienne, et s’avança de quelques pas pour rejoindre fauteuils et canapé.
L’appartement était immense. Les pièces étaient meublées pourtant mais il restait suffisamment d’espace pour les couloirs et les allées sans fin. Pour lui parler depuis l’autre bout de la salle, son frère devait élever la voix. L’Amazone fit de même en traversant le hall, et s’arrêta devant un guéridon moderne ; laqué, ébène, sur lequel reposait un cendrier en pierre. Evgenia y planta son mégot desséché, avant de retirer sa veste. Un ricanement sauvage s’échappa de ses lèvres, et elle leva les yeux au ciel. « Putain de polyglotte », cracha-t-elle en réponse aux boutades, la langue articulant naturellement son italien natal. Curiosité piquée au vif, elle osa finalement un regard vers son frère et la jumelle surprise. Puis elle croisa les bras sur sa poitrine, blouson jeté sans ménagement sur l’un des fauteuils libres, avant de se laisser glisser contre un coussin moelleux. « Mais puisque je suis là, tu pourrais partager ». Aucune remarque ne lui vint sur la tenue qu’il arborait. Entre eux, les Vesari n’affichaient qu’une pudeur relative ; enfants, ils s’étaient vus bien trop souvent en tenue d’Eve pour s’en formaliser, et adultes, les passions partagées et le lien qui les unissait ne donnaient lieu à aucune gêne. Evidemment, chaque instant de la sorte échappé de leur cercle leur valait toutes ces rumeurs et quolibets que propageait la plèbe. Les deux intéressés s’en contrebalaçaient. Parfois, ils s’en amusaient presque. Ca ne les ferait pas changer.

La question d’Alessio lui fit relever la tête. La Guerrière soupira à son tour, s’enfonça davantage dans le sofa vermeil - quels goûts étranges avait son frère - et s’épargna tout savoir-vivre. Elle releva ses hanches et reposa ses Docs Martens sur la surface en verre, la table de salon se recouvrant ainsi de terre battue et d’eau de pluie. « Ca, c’était hier ». Elle attendit que les deux créatures s’échappent vers la cuisine pour lui conter la suite. « C’est bien fait, hein ? Un gars du boulot m’a rafistolée ». Un peu plus et elle crevait cette fois. Pour de bon. Et ça, Alessio n’avait pas vraiment besoin de le savoir maintenant. Il le découvrirait tout seul d’une façon ou d’une autre.

« A toi de me dire ». Elle arqua un sourcil à sa dernière question. La veille, l’altercation avait été rapide. Une silhouette dans les ombres, une lame bien aiguisée, l’homme l’avait attaquée par surprise et les talents de l’Amazone n’avaient pas surpassé le guet-apens. Elle avait riposté, et lui était peut-être mort, depuis ; elle n’en avait aucune idée. « Il y avait une voiture. Ca s’est passé dans le quartier industriel ». Ce n’était pas la première fois qu’on s’en prenait à elle pour atteindre son frère. L’histoire serait réglée rapidement, elle le savait. En attendant, comme elle manquait de pistes, il lui fallait tout raconter, ou presque. « C’était pas contre moi. Myers, ça te dit quelque chose ? C’est ce qu’il a dit avant de déguerpir ». Et l’italienne marqua une pause. Alessio était le genre d’homme que les plus audacieux tentaient d’intimider. Un plaignant ou un adversaire pouvait commanditer ce genre d’attaque ; Evgenia en faisait souvent les frais, mais la Triade gagnait toujours. Ce ne serait pas différent cette fois là.  

« J’ai pas pu te prévenir avant avec cette connerie de blackout - les plombs avaient sauté quelques instants après sa guérison. C’est rien de plus que d’habitude, jm’en occuperai. Mais j’ai besoin d’en savoir plus parce que j’ai aucune piste ». Et puis, c’était lui le cerveau ; lui qui donnait des directives, et elle qui les suivait.

Comme les deux prostituées reparaissaient les bras chargés d’alcool, les yeux de l’Amazone s’aggripèrent de nouveau aux galbes tentateurs. « Je l’ai bien amoché », poursuivit-elle, un sourire carnassier aux lèvres. « Mais ce fils de pute s’est tiré pendant qu’je f’sais la sieste sur le trottoir ». D’un geste de la main, elle fit s’approcher la plus jeune des filles et lui intima de s’installer près d’elle.  

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Sa sœur avait tendance à toujours s'incruster quand elle n'était pas invitée. De toute façon, la relation qu'ils entretenaient était bien au delà de celui d'un frère et d'une sœur. Bien plus intense, bien plus complexe si bien que beaucoup s'imaginaient des choses. Cela faisait rire Alessio, tous ces gens qui pensaient toucher la vérité sur cette famille, tous ceux qui s'amusaient à lancer des rumeurs pour tenter de salir leur image. C'était bien de la connerie humaine que de faire ça, probablement de la jalousie plutôt. Alessio n'en avait rien à faire et n'avait pas peur de se montrer ainsi devant sa sœur, encore moins avec les deux créatures qu'il avait loué pour quelques temps. Elle connaissait bien assez son frère pour connaître ses penchants pour la luxure et il connaissait bien assez sa sœur pour savoir qu'elle aussi avait ce genre de penchants que certains appellerait de malsain. A quoi bon nier ce désir et cette attirance ? Ils avaient les moyens alors pourquoi s'en priver. « Il ne faut jamais perdre une occasion pour apprendre ma sœur. » Partager ? Il pourrait, il n'est pas possessif, pas avec elles. Pour ce qui est de sa sœur... c'est tout autre chose. Il se contente juste de hausser les épaules. Sourire sur le coin des lèvres, ils s'installent et demande aux filles d'aller chercher à boire alors qu'ils prennent leurs aises.

Il fronce les sourcils en la voyant mettre ses chaussures salles sur sa table en verre tout en lui demandant ce qu'il lui était arrivé de si grave. Elle montre ensuite sa hanche, une blessure fraîche, très fraîche même qui ne lui plaisait pas tellement au vu de l'emplacement. « Tu devrais faire plus attention... ça aurait pu être je présume ? » Il avait le plan du corps détaillé dans son esprit, il avait prit le temps de lire en version rapide tout ce qui était apparenté au corps humain, pour diverses raisons. Une lame à ce niveau la pouvait rapidement se frayer vers un organe bien plus important, mais le fait qu'elle soit la était déjà une bonne nouvelle. Seuls, elle lui raconta donc ce qui c'était passé. Les deux coudes sur ses genoux, les mains croisées au niveau de son visage, il se mit à réfléchir à tout cela, ce nom lui disait quelque chose. « Oui, c'est un type qui détient pas mal de bâtiments dans cette zone ci et il tente de faire main basse sur d'autres propriétés que je suis en train de défendre juridiquement parlant. Menaces et autres tentatives d’enlèvements sont monnaies courantes avec ces crapules pour faire peur à ceux qu'il veut racheter à bas prix. Je ne pensais pas qu'il tenterait de s'en prendre à moi. » Il eut un maigre sourire de satisfaction. « A croire que mon plan pour l'empêcher d'avoir accès à mes futurs propriétés fonctionne. » Les pauvres propriétaires étaient dans une situation délicate, alors pourquoi ne pas les aider pour le moment pour tout racheter une fois que tout serait terminé ?

Oui, il était manipulateur et trouvait toujours un moyen pour tirer le meilleur partie de la situation. « On va donc devoir s'occuper de ce Myers. Je ne pense pas que la police viendra chercher de notre côté, il a bien des ennemies dans la ville. Le marché de l'immobilier est une véritable guerre camouflé. Si nous pouvons l'attirer sur un chantier d'un de ses concurrents... on pourrait faire peser les soupçons sur des querelles entre lui et l'autre promoteur. » Il voyait déjà un plan se former dans son esprit, il devrait donc choisir spécifiquement qui il pourrait mettre dans l’embarras, mais déjà les deux créatures égyptiennes étaient de retour avec de quoi boire. Sa sœur lui confirma qu'elle avait bien amoché le type pendant qu'elle était par terre, sûrement inconsciente. Ça l'inquiéta le temps d'une palpitation, elle était bien trop sauvage et têtue pour lui dire qu'elle devait faire plus attention. « Je pense que tu mérite donc une petite récompense pour ça non ? » Elle avait déjà attirée à elle l'une des deux femmes, Alessio se laissa servir avec plaisir, un verre contenant un alcool sans prix. Ici, c'était l’opulence, c'était au delà de ce que le commun des mortels pouvait connaître, alors ce ne fut même pas choquant de voir la créature faire glisser son peignoir pour venir s'installer à genoux, aux pieds de son client pour le satisfaire.

Etait-ce normal ce genre de pratique ? Pas vraiment, pas pour ceux qui n'avaient pas une vision bien différente du monde, mais il n'en avait que faire Alessio, tout pouvait tenir dans le creux de sa main. Et il continuait sans soucis la discussion avec sa sœur en italien. « Des nouvelles de Jennie ? Si ce Myers s'en ai prit à toi, il y aurait des chances qu'il tente de s'en prendre à elle. Bien que je doute qu'il puisse la retrouver aussi facilement que toi. »

   

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Evgenia connaissait Alessio par coeur, et c’était certainement le seul être qu’elle pouvait se targuer de connaître vraiment. Même la dernière de la fratrie lui échappait sur certains points ; mais de lui, l’aîné, elle pouvait presque anticiper les gestes, deviner les mimiques et même prédire les réactions. Ce n’était pas tant de l’avoir observé durant des décennies ; entre eux, il y avait aussi l’instinct, ce lien indescriptible que sont censés partager les jumeaux. Jumeaux qu’ils n’étaient pas mais qui trompaient souvent par le bleu de leurs yeux. Seuls les méandres de l’esprit et sa stratégie aiguisée restaient troubles à l’intuition de l’Amazone ; mais si le contenu de ses manoeuvres lui demeurait caché, elle savait quand et si il allait la surprendre. Au moins gardait-il le mystère sur ses ruses, ce qui faisait de lui l’adversaire redoutable que tout le monde craignait. Du reste, Evgenia n’était pas assez maligne pour suivre les réflexions acérées d’un cerveau comme le sien.

Alors, elle n’eut pas besoin de le regarder pour se mettre à imaginer l’expression contrariée qui fleurissait sur son visage. Un sourire étira ses lippes, mais elle ne retira pas pour autant ses chaussures sales de la surface vitrée. « S’il a donné son nom, c’est bien qu’il voulait que tu saches, non ? Et qu’il n’avait pas l’intention de me tuer ». Même si ce n’était pas passé loin. « C’était donc un avertissement. Ou bien il s’attend à ce que tu répliques ». Ses propres déductions n’avaient pas d’importance, mais la Guerrière les exposa quand même. Au sourire satisfait qui éclaira le faciès de son frère, elle s’alluma une autre cigarette, puis écouta la suite avant de soupirer. Une fois de plus, il ne s’était pas laissé prendre au dépourvu. La tournure des évènements l’avait peut-être surpris, mais ils n’en faisaient pas moins partie d’un plan aux rouages parfaitement huilés. Est-ce qu’elle s’en étonnait ? Décidément pas. Elle se leva pour rapprocher le cendrier et jeta un coup d’oeil vers la cuisine d’où revenaient les créatures. « Soit. Tu n’as qu’à me dire ce que je dois faire ». Les détails ne la concernaient pas, sauf s’ils risquaient de compromettre l’objectif final. Mais Alessio restait seul juge et maître des informations à lui communiquer. Au fond, qu’y comprenait-elle, au marché de l’immobilier ? Ses magouilles juridiques ne l’intéressaient pas. Son truc à elle, c’était la contrefaçon et les faux billets. Mais ces deux business là étaient derrière elle depuis longtemps déjà.  

Son regard heurta la courtisane et sa croupe dévoilée. Le manège auquel elle s’adonna n’était pas inhabituel, pourtant cette fois l’Amazone contempla la scène avec un voile dans les pupilles. L’influence de la Reine et ses principes bousculaient quelques fois Evgenia dans ses propres travers, ou ceux de sa famille. Elle ne comprenait pas la colère qui naissait en elle à voir la femme obligée de l’homme et de ses billets verts ; alors elle détourna les yeux, se désintéressant dans le même temps de la Sublime aux boucles ébènes qui patientait à ses côtés.

« J’ai plus rien à me mettre », cracha-t-elle à travers un nuage de fumée. Mensonge. Mensonge mais le shopping de la Vesari ne prenait jamais fin. Il pouvait la payer en Gucci, en Dior et en Chanel ; remplacer sa Ducati si cela lui chantait. Mais pour la prostituée… elle paraissait avoir changé d’avis.

« T’as des infos là-dessus, au fait ? » Référence au blackout qui commençait tout juste à surprendre la ville. « Ca va durer ? » Même elle ne savait pas si sa faction en était responsable. Peut-être qu’Alessio n’était pas censé le lui dire. Peut-être que lui-même n’en avait pas la moindre idée. Khaos et Alecia faisaient parfois leur petite vie tranquille. Ou bien ils devaient cette coupure aux militaires...  

« Pas depuis quelques jours ». A la mention de leur jeune soeur, elle arqua un sourcil. Les chiens les rejoignirent dans le même temps, et la Furie se pencha en avant pour vider son verre d’un seul trait. « J’pensais que tu en avais. Je passerais la voir en partant ». Et la mâchoire refaite se mit à grincer bruyamment. Evgenia se leva, passablement inquiète, et réfléchit quelques instants. « Tu devrais peut-être la prendre avec toi le temps que ça revienne. Qu’est-ce qu’elle peut bien faire sans électricité, de toute façon ? »