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Vingt ans à peine. Le teint hâlé, les cheveux noirs semblables aux siens, et la candeur de la jeunesse. Dans le regard, la mer imprévisible, cruelle et destructrice. Poupée déterminée, douce et impertinente, la gamine semblait faite à l’image de l’équilibre. Celui que sa déesse avait à cœur de maintenir, divinité trahie par l'aura de son hôte, et par l'instinct acéré de Bastet qui murmurait à son oreille. Leur panthéon était le même. Deux égyptiennes, deux récurrences d'un peuple à la grandeur éteinte ; deux entités piégées dans des corps faibles, voilà ce qu'elles étaient. Perdues à Arcadia, et l'une sans phare pour la guider visiblement.
Du moins, la Féline allait devoir s'en assurer.

Arpentant les dédales de couloirs aménagés par les Terribles, elle se demandait à quel prix ils paieraient leur méfiance, et ce qu'ils allaient faire d'elle. Les temps n'étaient plus aux rendez-vous courtois, aux visites amicales et aux défis qui pouvaient les aider à recruter parfois. Depuis la trêve et les décisions prises lors du Sommet - depuis surtout le retour de Khaos - il ne s'agissait plus de se croire les plus forts et d'avancer ses pions avec désinvolture. Les mesures prises pour protéger le Clan étaient drastiques ; mettre hors d'état de nuire, et poser les questions ensuite. Séquestrer au besoin, enchaîner même et parfois torturer pour débusquer les traîtres, ceux qui pouvaient causer leur perte à tous. Aucune exception n'était faite. Tout risque était tué dans l’œuf, qu'importait la jeunesse des cibles, car comme chacun sait, même le plus innocent des visages peut tout anéantir.

Un voile recouvrant son visage pour s'épargner les effluves nauséabonds qui pesaient sur l'endroit, la déesse s'approcha de la cage où la môme l'attendait. Une pièce vide et froide en vérité, où on lui avait laissé pourtant de quoi se restaurer. Cela, après l'avoir traînée les yeux bandés jusqu'à la bouche d'abiku, pour qu'elle ne sache jamais y revenir ou bien comprendre où on l'avait enfermée si elle sortait de là un jour. De maigres précautions face aux pouvoirs qu'elle semblait posséder, et aux moyens spectaculaires des obscuris.

L’égyptienne échangea un regard entendu avec les deux geôliers. Quelques instants auparavant, ils avaient fait le point sur tout ce qu’ils savaient de la gamine. Pas grand chose en vérité. Ils s’étaient assurés déjà qu’aucune marque ne gravait sa peau ; les chats de la Féline avaient servi d’espions et rapporté l’information à leur propriétaire.
Cela suffisait-il ? La récurrence de Mâât pouvait-elle s’allier au Chaos ? C’était là des questions auxquelles Sahar se devait de répondre. Comprendre dans quel but elle avait soutiré à son fils tous ces renseignements qui les mettaient dans une mauvaise posture, tant il avait avoué de secrets. La môme en savait trop sur les Terribles pour être laissée dans la nature sans qu’ils ne cherchent à découvrir ses raisons. Il n’était plus question de paranoïa mais de survie, alors, ils avaient sorti le grand jeu. Mais la divine espérait secrètement qu’ils se trompaient ; que peut-être, ils trouveraient en elle une alliée. Aussi, s’était-elle assurée qu’elle ne soit pas brusquée ni jamais molestée en dépit de la détention qu’ils lui faisaient subir. Ensuite, il faudrait lui expliquer, réussir à lui faire oublier, mais ça ne lui faisait pas peur.

« Laissez-nous ». Ordre intimé aux soldats qui gardaient la pièce, la Mambo contempla la gamine à travers la cloison vitrée qui les séparaient toutes les deux. Elle s’approcha ensuite pour ouvrir un clapet, découvrant ainsi une ouverture par laquelle elles pourraient communiquer. Il fallait rester vigilant, mais aucune stratégie ne semblait la meilleure. Même à distance, rien ne garantissait qu’elle ne subirait pas la volonté de la déesse et ses pouvoirs.

« Nous voilà seules », assura-t-elle en laissant traîner son regard sur le plateau repas offert à la captive. « Tu as mangé ? »

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Tout est noir.

Tu ne te souviens pas t’être évanouie. Tu ne te rappelles pas de la douleur fulgurante quand on t’a frappée derrière le crâne. En fait, ni toi, ni Ma’at n’avait compris de quoi il en retournait. Quelque chose cloche, mais les décharges électriques le long de son échine ne suffit pas à te réveiller. Tu plonges, au fur et à mesure des minutes, jusqu’à rester dans une espèce de magma noirâtre écoeurant. Enfin, tu respires, c’est une bonne nouvelle. Même si c’est douloureux, même si tu es encore plongée dans les ténèbres. Dans quoi t’es-tu fourrée encore ? Oh, évidemment, tu aurais pu faire une liste de tes ennemis, de ceux qui t’en veulent. Néanmoins, tout est arrivé si vite, et tu commences à avoir peur. Réellement.

**

Tes doigts se portent doucement sur tes tempes. Tu peux bouger, rien ne semble entraver réellement tes mouvements. Tu en profites pour te redresser, malgré les courbatures. Tes pupilles s’adaptent à la noirceur ambiante, mais il te faut quand même plisser les paupières pour observer les environs. Et même de la sorte, tu ne vois pas grand-chose sur l’endroit où tu es… Retenue. Oui, c’est le mot. Retenue, enfermée, le tout contre ton gré (bien sûr). Tu serres les dents. Tu as beau savoir que ce jour arriverait, tu pensais au moins pouvoir te défendre, comme tu l’avais si bien souligné à Akio. Finalement, la réalité en a décidé autrement. Tu te retrouves dans un cachot, sans savoir qui ni pourquoi on s’en est pris à toi. Magnifique.

Tu tentes de retracer tes souvenirs, les derniers instants avant la fin. Cependant, plus tu te plonges dans ce passé, plus le mal de tête s’intensifie. Ton cerveau tente-t-il de te protéger de ce qui s’est réellement passé ? Ou es-tu encore trop fatiguée pour une telle introspection ? Tu masses tes tempes, dans l’espoir de faire remonter les évènements, mais rien ne semble y faire. Alors, tu mourras sans savoir ? Sans comprendre tes erreurs ? Ma’at feule, Ma’at enrage, prête à combattre, prête à détruire les barrières de ta prison, oubliant par la même occasion que ses pouvoirs dans cette incarnation sont bien différents de ceux qu’elle a pu avoir par le passé. Enfin ça, tu ne le sais pas encore. Tu dois juste contrôler la présence de la déesse avec ta volonté, sans savoir comment les précédentes, si elles ont existé, ont fait. Tu auras bien leur aide à un moment ou à un autre…

Les ailes à plumes transparentes frémissent sous l’effet d’un courant d’air. Une porte a-t-elle été ouverte ? Où ça ? Vient-on t’interroger ? Si jusque-là, tu n’as rien subi, peut-être attendait-on que tu sois complètement remise. Tes yeux se portent vers ce qui te paraît être le couloir (même s’il n’est pas visible derrière la porte et tu restes silencieuse, immobile, à l’affût.

Un bruit de clapet te confirme une nouvelle présence. Tu ne sais pas pour les soldats, pour ceux qui te gardent dans cette pièce. Tu ne dis rien, ne réagis pas quand une voix féminine s’élève. Seules, l’êtes-vous vraiment ? Tu n’y crois pas. Quant à la nourriture, tu jettes un coup d’œil sur le plat. Tu n’y avais pas fait attention, mais tu ne penses pas que tu y aurais touché si tel avait été le cas. « Que me voulez-vous ? » La question est directe, mais tu n’as pas été enfermée pour rien. « Vous pensez que je vais manger un plat de la part des personnes qui m’ont… Enlevée et enfermée ? » Pause. L’anxiété enserre ton cœur, et avec la panique, tu plonges dans la provocation. « Vous avez vraiment de drôles de manières de traiter avec les humains. » Même si l’aura de ton interlocutrice ne trompe pas. Et tu n’as même pas besoin de la voir en entier pour qu’elle danse devant tes iris…

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La situation n’était pas celle qu’elle espérait. Brusquer les éléments qu’elle comptait voir rejoindre le clan était rarement une bonne idée. Certains avaient besoin de comprendre qu’ils traitaient avec plus forts qu’eux, et alors, ce traitement rude à leurs débuts portait ses fruits. Mais la mambo doutait que la gamine soit de ceux là, plus encore maintenant qu’elle se tenait debout et lui répondait sans détour. Elle profita du face-à-face pour l’observer.

Malgré la pénombre régnant dans ces tunnels aménagés, un néon blanc au dessus de leurs têtes lui permit même de la dévisager. Elle sentait quelque chose derrière cette assurance que l’enfant dégageait. Peut-être de la peur ? A ce stade, elle n’aurait su le confirmer, mais elle possédait des alliés qui eux, pourraient le lui assurer.

« Des réponses », répondit la Féline, croisant les bras sur sa poitrine alors que l’expression de son visage illustrait l’évidence. « D’ailleurs, je te retourne la question ». Devant la réticence, elle força plus encore son analyse des traits ; une mâchoire crispée, des paupières tremblantes… tout était bon à relever.

Soupir. L’Enfant Terrible darda ses prunelles sombres sur le plateau repas laissé à la gamine. Elle comprenait qu’elle n’ait pas confiance, mais se plut à la contredire. « Tu manques de discernement. Si on avait voulu se débarrasser de toi, ce serait déjà fait. C’est maintenant qu’il faut manger », ajouta-t-elle, appuyant sur les mots pour lui laisser entendre qu’elle n’était pas tirée d’affaire. « Je te l’accorde. Et j’aurais préféré qu’on discute autour d’une table ». Elle décroisa les bras, plongea ses orbes d’obsidienne dans la pâleur océane. « Mais les temps sont peu propices aux interrogatoires cordiaux. Il y a des êtres qui ne pardonnent pas », rétorqua l’égyptienne, la langue claquant sur son palais déjà sec.

Elle se tourna, regagnant la table où trônait une carafe remplie d’eau. Dans un vieux placard poussiéreux, elle attrapa deux verres qu’elle remplit aussitôt, puis retourna auprès de la captive. Elle but la première, d’un trait, et, par le clapet ouvert, lui tendit le gobelet. Ainsi, Sahar prenait le risque d’un premier contact. « Humains ou non », répondit-elle en lui faisant comprendre qu’elle était au courant de sa véritable nature, « Nous traitons tous nos ennemis potentiels de la même façon ». Elle tapota ses lèvres avec le tissu de son voile, et posa le verre à ses pieds. Il était temps d’entrer dans le vif du sujet.

« Bien. Où as-tu rencontré Ilyès ? Depuis quand est-ce que vous vous voyez ? Pourquoi lui avoir posé toutes ces questions sur sa famille ? » Et par famille, elle voulait dire le Clan. Elle savait à quel point les idées de son fils et ses actions pouvaient être stupides, mais qu’il en ait tant révélé à la gamine à propos des Enfants Terribles lui paraissait suspect. La mambo ne voyait qu’une solution possible à cet échange d’information : elle l’avait forcément manipulé, et lui n’avait rien expliqué parce qu’il était toujours sous son emprise. Toutefois, elle renonça à dévoiler sa théorie dans l’immédiat, et chercha plutôt à destabiliser l’enfant. Ses airs de gosse de riche, à la fois indignée et prête à mordre, cachaient peut-être un coeur sensible… « Tu es enceinte ? », demanda finalement l’égyptienne, les yeux posés sur la silhouette gracile.
Et elle guetta sa réaction. Elle-même ne croyait pas à cette option, même si elle refusait d’exclure le fait que son aîné ait pu délier sa langue pour une idylle. Mais elle savait néanmoins à quel point les réponses aux questions personnelles pouvaient être révélatrices.  

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Tu l’observes, la détailles. Enfin, tu cherches qui est cette femme avec les quelques éléments qui passent sous tes yeux. Malgré la fatigue, le stress, l’une de tes facultés semble encore sous ton contrôle. Ou peut-être est-ce Ma’at qui appuie de sa puissance, tu n’en sais jamais trop rien. En tout cas, tu es bien heureuse de n’avoir aucune chair à portée de mains, ou plutôt à contact, car tu ressens bien l’autre don fourmiller sous tes doigts. Quant à celui qui t’a offert tes ailes, incapables de voler… Tu préfères ne pas y penser sur le moment. Les réactions de l’autre femme t’arrachent un léger rire, et une réponse encore plus provocatrice. Tu t’en fous, malgré l’anxiété. Tu sais que tu ne sortiras pas, alors autant enlever le masque que tu portes habituellement, le besoin de ne plus plaire à tous. « Si vous voulez des réponses, il va falloir poser des questions. » Pause. Ca brûle à l’intérieur de ton crâne, ça t’empêche d’avoir les pensées claires, mais tu t’en moques. « Parce que je n’ai aucune idée de ce que vous attendez de moi. » Aucune, cela reste à prouver. Néanmoins, dans les faits, on ne t’a pas donné d’os à ronger pour avoir une potentielle piste. Qu’as-tu encore fait ?

« Sauf si vous ne le pouviez pas. » Pour des raisons d’alliances ; de conséquences. Tuer quelqu’un à Arcadia peut mettre le feu aux poudres en quelques secondes. D’un claquement de doigt, tout s’effondre, tu l’as appris à tes dépends. « Ca tombe bien que nous soyons toutes les deux autre chose qu’humaines dans ces cas-là. » Si elle veut jouer à ça, tu peux aussi t’en mêler, dévoiler ce que tes iris perçoivent. Tu t’en moques qu’elle sache, tu refuses juste de lâcher du terrain. Chien enragé, perdu dans ce nouveau monde… Non. Tu ne l’es plus vraiment, perdue. Tu as appris, tu comprends mieux les rouages derrière les mafias. « J’aurais été plus encline pour répondre à vos futures questions autre part que dans un cachot. » Et avec vous derrière une porte. Enfin, tu es une ennemie à ses yeux. Mais une ennemie qu’elle se doit de garder en vie. Tout son discours n’a aucun sens, mais il faut le reconnaître : si tu t’en sors, tu feras encore plus attention aux ombres autour de toi…

Les questions te font hausser un sourcil. Tu dois creuser ta mémoire pour te rappeler du prénom, savoir à qui il fait référence, ce qu’il t’a dit. Et, quand tu t’apprêtes à répondre, elle t’enfonce. Enfin, peut-être était-ce son idée. « Vous êtes donc complètement folle, c’est définitif. » Tu te serais bien étouffée, mais ça n’aurait pas été glamour. Et surtout, tu tiens à la vie. Quand même. « Je l’ai sorti de la merde votre Ilyès. Ce n’est pas de ma faute s’il a répondu avec autant d’épanchements lorsque je lui ai demandé qui il était et ce qu’il faisait là. » L’anglais tremblote, mais tu hausses les épaules. Tu ne mens pas. De toute façon, tu sens bien que cela t’ait impossible. Les plumes frémissent dans ton dos, toujours aussi translucides, toujours aussi lourdes. Si tu avais menti à cet instant précis, tu sais que la nausée, les vomissements ne t’auraient pas épargnée.

« De quelle mafia êtes-vous membre ? » La question semble sortie de nulle part. Pourtant, ton regard se fait plus froid, s’accroche à la silhouette de l’autre femme. Elle est prise au piège, inconsciemment, et comme l’autre, elle parlera. De toute façon, tu n’es pas bête. Si elle a évoqué Ilyès, c’est qu’ils devaient faire partie du même clan. Ca t’apprendra à exploser Ma’at. Tu peux presque l’entendre pester dans un coin de ton esprit, à moins que ce soit ton imagination ? Qu’importe, tu attends juste la réponse, que l’autre ne pourra retenir. Sauf si elle a de quoi contrer ton pouvoir, mais tu ne sais pas encore qu’une telle chose peut exister…

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L’égyptienne observait la gamine, attentive aux changements dans sa voix, sur ses traits, et même dans sa façon de se mouvoir. Elle nota l’air perplexe affiché à sa question indiscrète, dérangeante, qui remplit sa mission. Elle voulait la heurter un peu plus au fil de l’interrogatoire, la déstabiliser pour tenter d’en tirer avantage. La captive avait beau lui paraître bien jeune, il ne lui serait pas venu à l’idée de la sous-estimer. La Benhadi savait leurs ennemis capables d’enrôler des esprits forts et entraînés, elle ne devait prendre aucun risque.

Mais cette histoire la perturbait. Avant tout parce qu’elle concernait son aîné, ce qui décuplait sa paranoïa. Elle craignait qu’il en ait trop dit à la française et pas assez à elle, sa propre mère. Elle soupçonnait un charme ou un lien fort de les lier et de le museler sur certains points après lui avoir délié la langue. Elle se demandait à quel point tout cela pouvait n’être qu’un hasard quand tant d’informations avaient changé de mains, quand on savait ce qui hantait les artères d’Arcadia.

Elle les avait vus, elle, s’exhiber à la foule et trancher la gorge du Maire. Elle savait qu’à présent Khaos comptait dans ses rangs des fidèles aux auras timides, différents des novums, peut-être plus puissants et bien plus dangereux. Elle ne savait rien en revanche de ce qu’ils avaient pu emmener avec eux, de leurs capacités, du potentiel magique éveillé par leur Chef. Elle les craignait tout simplement parce qu’elle ne les connaissait pas, et pouvoir identifier le panthéon et la divinité de la gamine ne lui suffisait pas.

Elle décela l’indignation qui lui parut sincère, puis l’incompréhension. L’antiquaire distingua aussi les variations dans la voix claire, et dut se contenter de cette version venue corroborer les dires d’Ilyes. Peut-être qu’elle s’était vraiment trompée à son sujet et sur ses intentions... « Est-ce que tu as répété ce qu’il t’a dit ? » La mambo sembla un instant plus posée, plus calme qu’elle n’avait jamais été.

Une quiétude éphémère, quand l’accent mélodieux de la déesse résonna entre les barreaux de sa cage. Là, la Féline demeura immobile, toujours posée en apparence mais au fond d’elle en proie à un dilemme insurmontable. Et à son tour, elle put sentir la vérité qu’on arrachait du fond de ses entrailles. « Enfants Terribles », avoua-t-elle, privée de contrôle sur elle-même. Alors, les prunelles d’obsidienne se posèrent sur l’enfant, tandis que la stupeur déformait tous les traits de son visage derrière le voile.

Un pouvoir, très certainement, puisqu’elle avait été fouillée avant d’être enfermée. Un élixir de vérité dont elle venait d’être victime, qui lui faisait comprendre aussi qu’Ilyes n’avait pas eu le choix ni l’occasion d’y résister. Elle n’en était pas sûre encore, mais allait pouvoir vérifier.

Lentement, et de façon imperceptible, sa main glissa dans la poche de sa veste. Elle y chercha le double anneau qu’elle emportait toujours, démêla habilement les fils qui l’entouraient pour l’empêcher de s’égarer, et l’enfila sans demander son reste. A travers le tissu, le geste resta invisible. Ne manquait plus que la prochaine question, et la mambo retint son souffle en guettant des yeux la captive...    

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Tu ne l’aimes pas.

Quoi que tu tentes de voir derrière la silhouette, tu as juste envie de tourner le dos et de fuir, le plus loin possible. Elle ne t’apparaît pas violente pourtant, tes dons te murmurent juste de rester sur tes gardes. La froideur, la manipulation, tu peux ressentir une partie de son caractère, dansant autour d’elle en même temps que son aura. Tu ne peux pas lui faire confiance. Quels que soient les mots prononcés, rien n’entachera le ressenti que tes sens t’offrent. L’autre ne comprendrait pas si tu lui expliquais, ou plutôt, elle tenterait d’interférer avec tes pouvoirs, tu n’en doutes pas. C’est peut-être pour cela que tu te tais, pour une fois. Que tu ne tentes pas d’en rajouter, ou d’essayer de t’expliquer. Peut-être en avais-tu marre aussi, qu’on te prenne pour une tarée, pour responsable de tous les problèmes. De même, on te manipule si facilement… Plus maintenant.

« Pourquoi irais-je dévoiler quoi que ce soit ? » Pause. Tu ne comprends vraiment pas ce qui se passe dans cette ville, même si tu te rends compte qu’elle est bien plus atteinte par la crasse que dans tes attentes. « Ce genre d’histoires de gosses qui veulent finir dans une organisation criminelle, ce n’est plus de mon âge. » Enfin, ça ne devrait plus l’être. Mais dans le fond, si l’autre est ici à cause de ce que ce gars lui a raconté, c’est qu’il y a une part de vérité, non ? « Il faut croire que c’était plus que de simples histoires. » Tu as beau comprendre que ton pouvoir pousse les gens à dire la vérité, tu n’en restes pas moins étonné, qu’effectivement, les Enfants Terribles étaient une mafia. Encore plus quand la femme te le confirme, presqu’à contre-cœur. Tes lèvres se pincent légèrement. Tu n’as jamais voulu te retrouver mêler à tout ça. La seule raison de ta venue ici était de retrouver ton géniteur, et de lui transmettre la dernière lettre de ta mère. Comme un hommage pour la femme tombée au combat. Et maintenant, te voilà au milieu de guerres de gangs, avec une divinité qui tend à n’en faire qu’à sa tête, quitte à t’influencer dans une direction dangereuse.

Il n’y a pas à dire, la vie est vraiment pleine de surprise, et pas de bonnes.

Tu soupires doucement, baisses le regard. Tu ne perçois pas les mouvements de ton interlocutrice et t’en moques en réalité pas mal. De toute façon, c’est toi qui es derrière les barreaux, dans un cachot, en plein territoire ennemi… Quoi que l’autre fasse, tu ne pourras rien y changer. Si elle décide soudainement de sortir une arme et de te la mettre sous la gorge… Hé bien tu accepteras ton destin. Définitivement, c’est bien quelque chose qui ne te fait plus stresser… Ou alors, ton état d’angoisse est si important que plus rien ne semble pouvoir t’enfoncer.

« Pourquoi vous inquiétez ? » Tu ne peux pas comprendre ce que c’est de protéger son identité, sa famille. Tu n’en as plus depuis longtemps, et tu préfères la solitude aux mensonges proférés jour après jour… « Êtes-vous en danger ? » Une question comme une autre, toujours influencée par le pouvoir. De toute façon, tu ne peux savoir si l’autre peut l’empêcher d’agir, tu ne sais rien des contres possibles. Tu restes une gamine, perdue dans un monde prêt à la noyer…

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Comment croire aux mots de quelqu’un que l’on soupçonne du pire, au plus profond de ses entrailles ? Comment ne pas céder à la paranoia ambiante, étant donné les risques et les enjeux de cette bataille contre les ombres ? Comment ne pas laisser la peur de perdre ceux qu’on aime commander à son coeur, et enfin à ses actes ?
Il y avait dans sa tête, autant de questions auxquelles l’égyptienne n’avait pas de réponse. Elle pouvait seulement faire de son mieux, comme toujours, mais il n’y avait pas de recette miracle - ou peut-être que si, justement, mais cette dernière se trouvait de l’autre côté de la cage. Elle allait tâtonner tout au long de l’interrogatoire, jusqu’à juger avoir assez d’information pour décider ou non de la culpabilité de l’enfant. C’était le jeu, et après tout, elle devait déjà s’estimer heureuse de ne pas subir outre mesure l’effet de ses pouvoirs…

Car une fois enfilé à son doigt, l’anneau divin sembla effectivement la protéger.

A la question suivante, elle le sentit chauffer un peu, preuve que le bouclier se déployait, quand rien ne vint l’empêcher de mentir. Elle eut tout le loisir de réfléchir à sa réponse, de trouver l’interrogation étrange, et même, d’en voir venir une autre.

La Féline grimaça derrière son voile, incapable de voir si la gamine se jouait d’elle ou si toutes ses questions étaient sincères. Elle décida toutefois de lui répondre, évasive mais honnête, sans oublier les menaces sous-jacentes. « Tu devrais t’inquiéter aussi ». Hors de question de lui paraître faible, idiote, ou trop sensible. Hors de question de la laisser penser que son âge ou ses airs innocents la feraient hésiter au moment où il faudrait prononcer la sentence. C’est ainsi qu’elle devait se montrer : féroce et capable du pire, même si elle espérait de tout son être se tromper et découvrir que la française n’était pas un danger…

« On l’est tous. Autant toi que moi ». Un ricanement léger s’envola de ses lippes. « Protéger ses arrières et préserver les siens, ça fait faire des folies ». Elle en était consciente, et elle voulait que la danseuse le soit aussi. Elle ne reculerait devant rien…

« Tu ne sais donc pas ce qui rôde dans les tréfonds d’Arcadia ? Ce qui ne craint plus de se montrer même en plein jour… ? ». L’antiquaire soupira, et reprit ses cent pas devant les barreaux de cellule. Elle ignorait où ces questions pourraient mener. Peut-être qu’elles contribueraient à lui montrer son innocence. Peut-être pas…

« Tu ne m’as pas entièrement répondu tout à l’heure. Ilyes, où l’as-tu rencontré ? Depuis quand vous vous connaissez ? ». Elle ne voulait qu’un lieu, qu’une date, pour être sûre que leurs versions corroboraient. « Tu lui as fait quelque chose pour qu’il te dise ce que tu voulais. Comme tu m’as fait à l’instant. Qu’est-ce que c’était ? ».  

La gamine avait trop d’audace, trop d’aplomb pour que la Mambo réussisse à voir qu’elle était réellement perdue. Surtout, ses craintes l’empêchaient de le croire, préférant lui prêter des talents de menteuse et manipulatrice hors du commun. Pourtant, il n’en restait pas moins qu’elle était seule dans ce cachot, et soudain, Sahar se demanda si elle avait une chance de pouvoir la rallier à son camp.

« Si tu fais partie des leurs » - elle évoquait les fidèles de Khaos évidemment, « j’imagine qu’ils ne devraient plus tarder à venir te chercher ». Elle s’humecta les lèvres, mouvement imperceptible derrière sa barrière de tissu. « A moins qu’ils n’aient pas l’intention de se sacrifier pour toi ? » Elle ne savait rien d’eux, de leurs façons de faire ; mais elle n’avait aucun mal à les imaginer se servir de leurs membres comme de la chair à canon. Si elle lui avait menti et avait eu le temps de leur raconter ce qu’ils voulaient, sans doute s’en moquaient-ils, à présent. Pourtant, son talent la rendait précieuse… « Il y a des familles qui n’abandonnent pas les leurs ». Ajouta l’égyptienne, tout en stoppant sa marche. Elle chercha juste après à capter le regard de la déesse. Sans aucune certitude du contraire, elle continua à la traiter en ennemie : « Peut-être que tu t’es trompée de camp ? »


   

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Tu ne comprenais pas qu’on puisse résister à ton pouvoir. En fait, ça n’avait jamais été une possibilité dans l’esprit de Ma’at, donc pour toi, pauvre mortelle, ça ne peut pas te traverser l’esprit. Alors, tu continues de l’utiliser, tu continues de forcer ce don pour extraire la vérité, savoir pourquoi tu es enfermée dans un cachot. « M’inquiéter ? Désolée, je n’ai plus trop le temps pour ça. » Et en réalité, l’anxiété fait partie de ton quotidien depuis tant d’années que tu n’en ressens plus les effets comme les autres. Tu la sens, serrer tes entrailles, faire remonter la bile au bord de tes lèvres. Néanmoins, tu vis avec. Les crises te paralysent, physiquement, mais l’impact sur ton esprit devient moindre jour après jour. Alors, tu ne sais plus t’inquiéter, tu ne sais pas à quoi ça te servirait, avec la mort à tes trousses. Il faut revoir ses priorités. Protéger, préserver, le danger… Ca te fait sourire, doucement. Tu le connais le danger. Ca pue la mort autour de toi depuis des années, en accord avec l’abandon, puis la traque que cela a provoqué. D’ailleurs, tu attends toujours les meurtriers de ta mère, ils finiront bien par venir réclamer leur dû… « Je sais bien, ça pousse les gens comme vous à trouver des excuses pour tuer. » Comme pour ta mère, non ?

Tu n’essaies même pas de te lier avec cette femme, de lui inspirer la pitié. Tu n’aimes pas ça, tu n’as jamais aimé ça. Puis ça fait des années que tu donnes l’illusion d’une personne complète et indépendante, malgré les pouvoirs, la présence d’une divinité en toi prête à tout détruire. « Toute la ville est un danger, pas besoin d’aller chercher dans les tréfonds. » Pause. « Mais je ne vois pas pourquoi ça vous inquiète plus que cela. » L’aura danse devant les iris, comme la présence d’une comparse. Avec une telle déesse, pourquoi aurait-elle peur ? Bastet combattait les ténèbres depuis toujours. Si elle est effrayée, mieux vaut pour elle qu’elle prenne la fuite dès maintenant. « Et dans le fond, je ne pense pas que la peur ou l’inquiétude soit très utile au milieu du chaos. » N’est-ce pas Ma’at ? Mais tu ne crois pas si bien dire. Khaos est là, Khaos gagne en puissance à chaque jour qui passe. Et tu ne te rends pas compte qu’un jour, l’Ordre viendra le combattre. Ordre que tu représentes.

Tu es trop audacieuse, mais tout cela est simplement fait pour cacher les sentiments réels. C’était comme avec Akio, comme la découverte de sa vraie nature. Tu avais donné l’illusion de bien la prendre mais en réalité, tu étais juste trop perdue pour laisser transparaître le maelström dans ton cœur. Ca te jouera des tours, mais que peux-tu y faire ? Tu hausses les épaules à la question de Sahar, te concentres à nouveau sur l’instant présent. Pas de temps à perdre avec des pensées autres… « Je l’ai sorti d’un mauvais pas, il a manqué de se faire arrêter » Pause. En réalité, tu n’as rien fait, et ce n’est que la faute de ton don de s’être déclenché. Tu aurais préféré qu’il reste tranquille. « Ce que c’était ? » Tu joues, donnes l’illusion de ne pas savoir. De toute façon, elle ne peut être certaine pour ton pouvoir. « Je lui ai juste posé des questions sur lui et pourquoi il se mettait en danger de la sorte. Pas ma faute s’il a eu envie de me parler. » L’accent chante, rappelle que tu n’es pas d’ici. Tu es loin de tout, même de ta famille… Qui n’existe plus.

Tu l’écoutes parler, as presque envie de rire en l’entendant. Néanmoins, ça te rappelle aussi à quel point tu es seule. Il n’y a personne pour te sacrifier, mais personne pour venir te sauver non plus. Tu ne sais pas t’attacher, à cause de Ma’at, et tes proches ont juste disparu avec les années. Ton père n’est qu’un inconnu, ta mère un cadavre, et le reste… Le regard s’assombrit, les iris s’enfoncent dans celles de l’autre. Elle te dégoûte à vrai dire, à oser parler en se pensant au-dessus de tous. Si jamais tu pouvais la faire taire… « Ils n’ont pas besoin de m’abandonner, ma famille est morte. » Pause. « Tuée par une mafia quelconque en Europe. » Antipathique. Elle dit vouloir défendre les siens, mais elle est incapable de discerner la vérité. « Si vous passez autant de temps à vous en prendre à des inconnues qui ont juste sorti votre fils d’un mauvais pas, je comprends mieux pourquoi Arcadia est sur le point de s’effondrer. » Tu en viens à l’insulte. Mais peut-être que ça t’énerve juste d’être traitée comme une prisonnière. « Donc, si vous voulez me tuer, allez-y, personne ne viendra me sauver ou me venger. » Tu t’adosses un peu mieux contre le mur. « Et ça vous fera certainement du bien. » De toute façon, si tu avais été un réel danger, tu auras déjà tenté de la tuer, non ?