Il suffit d’une mauvaise journée

pour détruire tout ce que l’on a bâti

Cette journée avait commencé normalement...

Je me suis levé, seul, dans la chambre. Puis je me suis habillé et préparé pour rejoindre mon église. Preeti n'étant pas là, je me suis dit que j'allais en profiter pour prendre de l'avance.

J'ai sorti une feuille et un stylo pour lui écrire :

Mon amour, je serai de retour en fin de matinée. Ne t'embête pas à faire le repas, je m'en chargerai.
Kyan

Puis, je passe mon stylo dans la main gauche et continue d'une écriture nettement moins raffinée :

Pense bien à moi quand tu vas prendre ta douche.
Sheitan

C'est quand j'ai posé le stylo que mon téléphone à sonné. N'en ayant pas l'habitude, je reste interdit devant le numéro appelant. Finalement, je décroche et passe la toute dernière seconde de bonheur de toute ma vie. Mon téléphone tombe par terre à côté de mon stylo.


J'entre dans la morgue dans un état totalement second. Ce qui m'arrive est strictement impossible. Les enquêteurs ont dû se tromper, c'est la seule explication.

Devant trois personnes à la mine sombre protocolaire, il y a la silhouette d'une personne cachée sous un drap blanc. L'un d'entre eux me regarde et je lui fais un signe de tête. Quand je me saisis du drap, je dévoile sans le vouloir les pieds de l'inconnue allongée.


Ses pieds... Avec ces bracelets de chevilles, six pour être exact, un pour chaque aspect de sa vie, des bracelets que je reconnaitrais entre mille. L'un d'entre eux est pour la danse, un est pour Nisha, et deux d'entre eux sont pour ... lui ... lui qu'elle est partie rejoindre...

Alors qu'ils dévoilent le reste de son corps, je sens la vie me quitter. Il n'y avait pas besoin de me montrer son visage mais c'est bien elle, Preeti, la femme de ma vie, sans vie. Aucune émotion ne me vient, que du vide et du néant. Je serre les poings sur ma propre impuissance à avoir pu la protéger.

On me parle de suicide, on me parle de Nisha, on me parle de sa grossesse que j'apprends de leur bouche mais que je suis incapable d'intégrer...

Je serre les poings, j'aurais pu être un père, le rêve de ma vie, la preuve que le bien existe en ce bas monde ! Et j'ai lamentablement échoué à garder ma femme dans la lumière de l'espoir. Alors voilà ce qui m'est réservé pour avoir cédé aux tentations ? Quelle punition cruelle...

Sans ajouter un mot, je m'en retourne vers la maison. Naturellement, on me conseille de ne pas rester seul, d'aller voir quelqu'un. Je ricane.

"Moi ? Je ne suis jamais vraiment seul..."

Et me voilà parti.

Ces jours se passent dans le plus grand calme spirituel. Alors que j'erre entre moi et mon autre moi, je me pose une question simple :

Qu'est ce qui se passe quand on mélange le désespoir le plus profond, les convictions et le sang-froid de Kyan avec l'impulsivité et la créativité de Sheitan ?

Je souris, la réponse est parfois terriblement simple.

C'est alors que j'organise une cérémonie commémorative pour Preeti Sita Skoro. J'y invite principalement des gens des mafias qui ont essayé de m'aider dans la recherche de Nisha ou d'abuser de moi, j'y invite également quelques ex de Sheitan, pour le reste, vient qui veut.

Aux murs de l'église, j'ai accroché d'énormes tentures rouges pour couvrir l'aspect encore un peu délabré de l'endroit. La peinture fraiche des bancs a toujours une très forte odeur de térébenthine qui semble importuner certaines personnes. Je compte à cette petite réunion un peu plus de 300 personnes qui se mettent à tousser discrètement. Aucun ne semble être spécialement triste, tous font acte de présence.

Parfait.

Les portes sont fermées et la cérémonie peut enfin commencer.
Une cérémonie de purification, de mon cru.

Je rejoins le chœur tranquillement. A mesure de mes pas, je sors de la poche de ma soutane un paquet de cigarette que je ne savais même pas que j'avais. Tranquillement, sous les regards écarquillé des gens qui le remarquent, j'en porte une à mes lèvres que j'allume comme si de rien n'était. Quelques murmures accompagnent mes pas.

Finalement, je me retourne et lance la cigarette rougeoyante vers la nef et le feu s'embrase presque instantanément.

Pour ma part, appuyé nonchalamment à l'autel, je regarde ce chaos magnifique. Les bancs de l'église sont presque instantanément devenus des brasiers. Ici et là, de véritables fantômes de feu courent en tout sens. Les flammes viennent me lécher les pieds sans oser s'approcher. En un instant, ce sont les étoffes rouges carmin qui s'embrasent et dégagent une épaisse fumée noire.
Déjà, quelques personnes essayent désespérément de sortir par les portes qui restent désespérément closes.

Je ris, je ris à n'en plus pouvoir, je ris jusqu'à ce que mes poumons aient remplacé ce qu'il restait d'air pur par ce vent carbonisé.

Le feu fini par attraper un bout de tissu de ma soutane, je le laisse faire avec plaisir. La brûlure me gagne petit à petit. Je remarque avec fascination que je suis resté le seul debout, tous les autres corps sont recroquevillés et parfois en proie à d'étranges spasmes et convulsions.

C'est là que la lumière se fait. Les portes de l'église s'ouvrent en grand et un énorme jet d'eau en jaillit. La fumée perd de son magnifique aspect noir pour devenir grisâtre.

J'écarte les bras pour accueillir ces nouveaux arrivants en casque et costume jaunes. Si je suis toujours en proie aux flammes, je suis surtout toujours victime de mon rire qui se répercute sur toutes les surfaces de l'édifice.

Mon esprit s'est éteint.
Il n'y a plus que la folie comme porte de sortie.