Il est sorti pour changer d’air après d’innombrables nuits passées au bar et des journées gâchées à reposer son corps. Akio ne sortait plus qu’aux dernières lueurs du jour, le crépuscule en tableau constant et il se plaisait parmi les ombres nocturnes, ces derniers temps. Travailler ne l’empêche pas de penser à sa vie monotone ni aux regrets qui la composent et s’il existe bien une solution à ces tourments, sous la forme d’une compagnie chaleureuse, elle lui demeure interdite. Comme si des forces supérieures lui refusaient la rédemption, comme si on le condamnait perpétuellement. Alors il s’est levé tôt aujourd’hui, pour donner au change. Il n’était plus habitué à rencontrer si tant de monde dans les rues, mais il n’aurait peut-être pas dû choisir les plus fréquentées. Les boutiques sont fermées après le soleil couché, mais là, tout est ouvert. Il y a des couples et des familles, des gens pressés, des touristes curieux, des groupes bruyants et Akio se sentirait presque de retour derrière son bar. Assourdi par le brouhaha, mais à l’inverse de ces nuits au boulot, ici il passe incognito. Il porte un sweatshirt sous un manteau, la capuche rabattue pour combattre le froid automnal et le regard des autres. Il a l’air d’un jeune bougon sorti pour un paquet de cigarette, il a l’air normal comme ça.

Il était juste sorti pour changer d’air, mais le voilà deux heures après, accroché à la main d’une enfant. Elle ne doit pas avoir plus de treize ans, même tenue que lui et même pattern, à vouloir se faire discrète aux yeux des grands, mais Akio l’a vu. Elle a essayé de voler et il s’est prétendu son frère, le temps de lui acheter les snacks qu’elle désirait. Enfant perdue, armée d’un seul sac à dos et d’un regard souffrant. Âme égarée vers laquelle Akio a tendu la main, comme souvent lorsqu’elles croisent son chemin. Le coeur faible devant ces innocences que trop de gens ignorent. Combien ont détourné les yeux de cette jeune fille ? Elle ne l’a rejeté que dix minutes avant de fondre ses doigts entre les siens, mais il aurait pu avoir de mauvaises intentions et elle aussi, a eu raison de se méfier. Combien auraient profité de sa faible force ? Il lui a offert une gaufre, un chocolat chaud et elle a commencé à lui parler. De tout et de rien, mais pas un mot sur sa vie et Akio ne lui a rien demandé. ce n’est pas à lui d’en juger et il fera ce qu’il a toujours fait : la laisser entre des mains plus expertes. Le Kitsune qui l’habite depuis deux décennies a toujours eu cette bienveillance, aura protectrice qu’il ne peut ignorer et qu’il accueille même de plein gré. Il a pris de nombreuses vies en vingt ans, mais aucune qui n’ait ne serait-ce qu’une once de pureté.

« Excusez-moi, bonjour ? Cette jeune fille aurait besoin de vous… »

A peine entré dans le bâtiment, il confie la gamine à une jolie dame aux airs bienveillants, plus habituée que lui avec les enfants tant son naturel n’est pas à douter. Il fait un signe d’au revoir, touché par le sourire de l’adolescente avant de se décider à quitter les lieux. Il n’a rien à faire ici et il ne veut pas qu’on l’assomme de questions non plus, même si à force, certaines personnes le reconnaissent. Néanmoins il profite un peu de la chaleur intérieure, le regard perdu dans les locaux lorsqu’un homme d’une stature reconnaissable sort d’un bureau. Akio s’y prend à deux fois pour s’assurer d’avoir bel et bien reconnu l’homme, les yeux ronds comme s’il avait vu un tigre au milieu des locaux.

« Winston ? Je ne savais pas que tu faisais dans le social. »

Il ne peut s’empêcher de rire en retirant sa capuche, pour se dévoiler aussi et saluer son jeune ami avec décence. Il ne l’a toujours vu que derrière le bar et il réalise en cet instant, qu’il ne connaît que le Winston client, et non l’homme de tous les jours.

Winston dépaysait totalement dans le décor. Habillé le plus simplement du monde, un jean et un t-shirt bleu foncé, il se faisait remarquer pourtant par tout le monde. Il était assistant social depuis peu, mais beaucoup avait compris qu’il était digne de confiance. Il n’aimait pas faire le travail de bureau. Les dossiers s’empillaient, et quelque fois, une ou deux âmes charitables venaient lui en prendre pour les ranger, trier, accepter, refuser. Lui, il donnerait son aide à tout le monde… mais sur le terrain, dans la rue, à aider les gens à leur parler, pas à lire leur vie sur un bout de papier.

Heureusement pour lui, depuis son éclair sur la tête, il avait la possibilité de lire et comprendre les langues … et quand un papier était donné avec des mots étrangers, il pouvait se permettre de traduire pour ses collègues ou pour lui même plus tard. Il finissait aussi par garder le silence pour éviter qu’on ne remarque qu’il en oublie sa langue natale. Il lâcha sur le bureau le dossier en italien d’une femme et décida de sortir de la pièce. Faisant craquer ses os dans un sens puis un autre, il n’avait qu’une idée en tête … CAFé.

Alors qu’il sortit du bureau, son regard se posa sur une personne qui l’appela. Il observa l’origine et sourit à la présence d’une personne qui le connaissait bien … surtout quand il était seul et qu’il faisait des conneries. Cela aussi il le devait à son coup d’éclair.

- Akio ! Je ne savais pas que tu avais besoin d’aide social. J’allais prendre ma pause tu viens prendre un café ?

Bien sur, il savait que les autres assistants sociaux observaient la scène. Ce n’était pas rare qu’ils soient un peu ..; suivi par des personnes, ou qu’on pense qu’ils peuvent donner plus que ce qu’ils font. Winston lui fit un signe de tête.

- Je pensais t’avoir dit mon travail. Je suis assistant social, spécialité dans le terrain, mais je suis obligé de faire quelques heures de gratte papier pour le bien des statistiques et autres conneries. Que fait tu ici ?