Souffle erratique de l’homme à demi vivant. Corps massacré, âme mutilée. Dans son esprit dansent encore les souvenirs que lui a fait revivre sans relâche sa tortionnaire. Le bourreau a travaillé sur lui quelques jours, le laissant exsangue, ruisselant de sueur et de larmes. Il a pourtant trouvé la force de faire parvenir un message à Lyra. Il en ignore la teneur, se remettant entièrement entre les mains de l’inconnue qu’il a manipulée pour parvenir à ses fins. Peut-être sa tentative a-t-elle échouée. Peut-être son frère refusera-t-il de lui porter secours. Entièrement à la merci des Russes, Saturno n’a d’autre choix qu’attendre et endurer.

Garder le silence sur les activités du clan est primordial, mais chaque jour plus difficile. Assis au sol, pieds et poings liés, le visage encore ensanglanté des dernières attentions de la diabolique blonde, l’infernal contemple le vide devant lui. A la périphérie de sa vision flotte une femme, qui n’est manifestement pas là pour faire du tricot. Les yeux glaciers se posent sur elle, plein de lassitude. Il anticipe déjà les nouvelles douleurs à venir, alors même que la blessure de son épaule est encore purulente. Mal soignée, l’infection a fini par prendre le dessus. La fièvre grignote son corps, ravage son esprit. Les yeux rougis, il s’efforce d’esquisser un sourire vaillant. Refuse de montrer qu’il est en fin de vie. Chien bon à abattre. « Dites moi quand il faudra commencer à payer un loyer. Je ne voudrais pas abuser de votre hospitalité. » Voix rocailleuse, abimée par les cris et les râles. L’humour comme dernier rempart, bravade qui frôle l’humeur suicidaire. Il sait que ses dernières heures se jouent peut-être en cet instant.

DIVINES MISSIONS
rescue him

On lui avait dit qu'il était enfin réveillé, qu'on avait besoin d'elle avant de l'interroger. Alors bien sûr, Irina s'était empressée de rejoindre l'Obsesja. Elle avait grillé deux feux rouges pour ça. Mais on s'était bien payé sa tête car une fois sur place, le type semblait plus mort que vif. Agacée mais patiente, Irina avait tiré une chaise vers elle puis son portable de sa poche. Ils avaient tout leur temps et sa batterie était à 98%.

C'est sa respiration chaotique qui lui fait relever les yeux du smartphone. L'Italien douille et ça se voit. Pourtant, Irina n'en tire aucune joie, Jiva a un peu mal à l'estomac. La pâleur de son visage tranche férocement avec son sang encore frais. A+ ? O- ? C'est tout ce qui lui vient à l'esprit. Elle se fiche bien qu'il s'appelle Bellandi.

« Dites moi quand il faudra commencer à payer un loyer. Je ne voudrais pas abuser de votre hospitalité. La boutade italienne ne provoque aucun sourire sur le visage bulgare. Irina ne travaille que dans un calme olympien. La ferme, soupire-t-elle en s'approchant, matériel à la main. Elle s'agenouille et s'applique à découvrir l'épaule blessée. Le tissu sent la sueur, la plaie est bonne à faire peur. Une fois votre épaule arrangée, la fièvre devrait tomber rapidement. » Elle fera tout son possible, conscience pseudo-professionnelle oblige.

Durant l'opération, les yeux rouges du captif croisent les siens qui ne s'inquiètent que d'une chose ; qu'il perde encore connaissance. Vu son état, pas sûr qu'il revienne à lui. Quelqu'un a ôté la balle de l'épaule mais s'est contenté de ça. Résultat, la peau est brûlante, le pus installé et des saletés s'y sont greffées. Irina extrait et désinfecte ce qu'elle peut mais la blessure est ancienne. Comme elle le craignait, elle doit se résoudre à y mettre du sien. « Ne bougez pas, ordonne-t-elle à l'homme entravé. » Après une longue inspiration, Irina applique ses mains sur la carne avariée. Le don se réveille pareil à de l'eau sur le feu. Au début, on ne perçoit aucun progrès, mais à mesure que les minutes s'écoulent, l'historique de la plaie défile. Le processus est lent mais ils ont tout leur temps.

La brune le rabroue sans méchanceté, lui intimant de fermer sa gueule. Il lui adresse un sourire qui se veut cabotin, alors même qu’il n’en a pas les moyens. Il n’a pas besoin de regarder pour savoir que son épaule fait peur à voir. Son visage, comme le reste de son corps, n’est pas en reste. Les Russes se sont bien amusés avec lui. Et d’une manière ou d’une autre, il le leur fera payer. Surtout à la blonde. Lorsque son infirmière attitrée dévoile son épaule, la débarrasse du tissu imprégné de sang qui la recouvre depuis un mois, il grimace. Le coup d’œil, furtif, lui apprend ce qu’il sait déjà. Ca va faire mal. La brune lui balance pourtant trois mots pour le rassurer, lui faire voir le bénéfice de cette souffrance à venir. Le regard ironique qu’il lui lance se suffit à lui-même. Comme si les Russes se préoccupaient réellement de son bien-être.

La femme s’attaque à la plaie, tandis qu’il serre les dents. Son front se couvre d’une nouvelle pellicule de sueur froide, provoquée à la fois par la douleur et ses efforts pour rester conscient. Le cœur au bord des lèvres, il sent le monde chavirer autour de lui. Il mobilise pourtant ses dernières forces, se concentrant uniquement sur le ballet des mains salvatrices. Très vite, la brune se rend compte que la chirurgie ne sera pas suffisante. Son ordre amène un nouveau regard éloquent sur le visage du prisonnier, croisement d’ironie et de lassitude. Son expression se modifie néanmoins sous l’effet de la douleur. Lentement, la plaie se résorbe. Comme un fer rouge appliqué sur l’épiderme, elle le brûle. C’est seulement temporaire, se répète-t-il. Mais les minutes s’égrènent à une lenteur insupportable pour l’écorché. Les globes roulent dans les orbites enfoncées, l’équilibre est rompu. Un court instant il perd connaissance, ramené à lui par la douleur. L’air siffle entre ses dents serrées. Livide, l’italien fixe de ses yeux écarquillés la femme qui s’applique à prolonger ses souffrances. « Vous en mettez, un temps, grogne-t-il. » Fausse impatience qui cache le martyre qu’il endure. Qu’on l’achève, voilà tout ce qu’il réclame.

Un message. Un simple message, un nom de nightclub. Rien de plus. Un numéro inconnu, et pourtant, elle avait su. Saturno. Elle ne savait pas comment, où ou pourquoi, mais ce message était de lui. Elle le savait au plus profond de son âme sans être foutue de se l’expliquer. Trois semaines qu’il avait disparu. Pas un mot, pas de message, le néant total. Et maintenant ça. Certainement pas une coïncidence, mais peut-être un piège. Tant pis. C’était de Bellandi qu’il s’agissait.
Il lui avait fallu faire preuve d’un véritable contrôle pour ne pas frôler tête baissée. Comme à chaque fois avec l’italien, sa réflexion est brouillée. Mais le récupérer était la priorité, alors elle devait se calmer. C’est vers le Don qu’elle s’était tournée. Ca ne la concernait pas qu’elle. Ca concernait toute la Nuova Camorra. Si elle y voyait un affront personnel, c’était surtout un foutu règlement de compte de Mafia.

Elle aurait voulu lui faire savoir qu’elle avait eu son message, qu’ils arrivaient, qu’il fallait tenir bon, encore un peu. Parce qu’elle se faisait pas d’illusions, Lyra. Il avait pas atterri dans un club de vacances. Il se faisait pas choyer à coup de danseuse de l’Est. Il était prisonnier, torturé, selon le bon plaisir de la Bratva. Elle ne savait pas dans quel état elle allait le retrouver, et c’était bien ça qui l’inquiétait le plus. Si elle connaissait Saturno parfois impitoyable, fort et divin, il n’en restait pas moins humain. Il avait ses faiblesses, et des blessures qui s’apparentaient plus à des plaies béantes qu’à une belle cicatrice. La jordanienne prenait sur elle, plus que n’importe quand, mettant au passage ses rancunes envers l’italien de côté, mais elle s’inquiétait. Et imagine ce qu’il subissait la faisait frôler la panique.

Le soulagement que ça avait été que de voir Alcide accepter de se bouger. Elle ne connaissait que trop bien leurs rapports, mais il avait pensé business avant leurs histoires de famille, et la môme, ça l’avait soulagé. Alors ils étaient là, les volontaires. Une petite équipe, pour plus de discrétion. Un mélange de force brute et de douceur réparatrice s’il se trouvait en trop mauvais état. Non, mieux valait ne pas y penser maintenant. Ils avaient tout misé sur la banalité du contexte. Un nightclub, quatre jeunes avec une profonde envie de s’amuser. Des filles au sourire assuré sur les lippes, des atouts en première ligne… Et un poignard ancien, son meilleur amie, glissé dans son dos. Faculté déclenchée, le petit groupe continue sa marche. « A toi de jouer… » qu'elle lance dans un murmure à Aura alors qu'ils se trouver face aux portes de l’établissement et de l’éternel vigile. Si ce charme lui joue parfois des tours, Lyra doit bien reconnaitre que cette aura lui est bien utile ce soir. Le regard capté, la concentration à son apogée, et Aura qui parle un russe parfait –de ce qu’elle en capte. La magie opère, un bref coup d’œil, à leur tête, leurs fringues, un matage dans les formes et le chien de garde s’écarte. Lyra retient un soupir de soulagement. Safe, but for how long ?

Dénuée de contenance, la posture est nonchalante. Le regard se perd sur les visages qui l'entourent, sur les corps, les silhouettes qui deviennent floues. Ses doigts enlacent un verre d'alcool et la paille gagne ses lèvres à allure régulière. Silencieuse. Elle observe la foule, tend vaguement l'oreille, attrape au vol quelques mots de ses compères, mais se laisse bien vite emporter dans le vague au rythme des mélodies slaves. Distraite. Fatiguée. L'heure tourne et dehors, il fera bientôt jour. Morphée l'appelle. Elle songe à se lever, dire au-revoir, mais son dos ne fait que se courber et elle dégringole chaque heure un peu plus au milieu des coussins rougeâtres. Banale, cette soirée. Comme l'endroit. Comme les gens. Ce sont les mêmes faciès chaque fin de semaine, les mêmes lèvres qui s'étirent pour laisser s'échapper des insultes ou juste des rires. Quel boucan, là-dedans. Mais ce vacarme est apaisant, pour les calmes comme la brune qui sourit dans le vide, aussi pour ceux qui déversent des flots d'anxiété sur la piste de danse. Familial, l'endroit. Alors quand des traits jurent dans la foule, les habitués ne voient que ceux-là. Et lesquels voient les prunelles de la divine maintenant, pas n'importe lesquels justement. Le sourire fond, elle pose son verre. Elle se rassoit convenablement et sa bouche frôle l'oreille du sovietnik, juste à côté d'elle. « Vito Bellandi est là. » Grand blondin qui se fond si bien dans la masse, mais elle le connaît tant. Alors sans jamais quitter le dit homme des yeux, elle fait sa déclaration.

Spoiler:

Silhouette longiligne, habillée d’un noir de rigueur, et de confort. Elle regardait, accoudée à la rambarde, le monde qui devant elle trouvait distraction dans le bruit et l’alcool à l’excès, acceptant n’importe quelle médiocrité, et n’importe quel alcool pour un prix ridiculement haut. Le bruit qu’ils semblaient appeler musique était devenu un bruit de fond, tant elle ne l’écoutait plus et cherchait à apprécier le peu de distraction qu’elle trouvait dans une boite de nuit. Lis leva son verre à la foule avant d’engloutir le verre. Ses yeux scrutent, elle se redresse quand elle entend Malkina et le nom de Bellandi. La cavalerie était donc arrivée pour sauver le roi en détresse qui se trouvait dans les dédales du lieu de débauche, et au mains de patients tortionnaires. Chacun savaient, ou se doutaient qu’un otage Bellandi appelleraient à un sauvetage en mer. Bouteille balancée au gré des caprices de la ville, il semblait qu’un message ait trouvé un destinataire, ainsi venait les conséquences de la réception. Et  l’ambulance risquait de se faire tirer dessus. Pour ce soir, la moralité pouvait bien aller se faire voir. A la seconde où un Bellandi passait le pas de la porte, il fallait oublier distraction. Lis se disait qu’il était dommage pour la foule d'avoir choisi ce soir là pour se retrouver entre une défense russe et une mission de sauvetage. Elle se tourne vers Artyom, et Malkina, s’adosse doucement, nonchalante et désinvolte, buvant une gorgée de vodka. Le regard est entendu. Et Lis s’ennuyait assez pour trouver que la distraction de ce soir puisse devenir des plus joyeuses, si on l’oubliait le potentiel victimes collatérales dans l’équation. Et encore .. Lis y voyait plus une manière de se rapprocher de ce qu'elle était vraiment. La mort ne fait pas peur à la Mort. La torpédo restait silencieuse, ferme les yeux en craquant sa nuque. Les affaires de grandes personnes allaient commencer. Gare à celui qui se trouve au milieu de tout cela. L’hospitalité russe, ne pouvait qu’être appréciée dans ce genre de contexte, n’est ce pas ? Et Pourquoi pas une Bérézina ?

Les lois universelles des hasards et pas les complots hasardeux des hommes.

Il est là pour un oncle – le seul – celui qui le tenait par la main pour lui montrer le chemin de l’école, le même qui lui ébouriffait les cheveux. Vito plisse le regard, le signe discret du bout des doigts vers le reste de la troupe. De tous, il est celui qu’on reconnait le plus, les rôles distincts au sein des tambours d’une guerre d’un genre nouveau et il s’éloigne, inconscient que d’autres yeux aux teintes claires et aux visions creuses le suivent déjà.

Il ne l’a pas vue, Malkina, n’a pas senti l’attention douce et mortuaire qu’elle lui portait. L’aurait-il fait, qu’un froissement d’âme serait passé sur lui. Il aurait aimé qu’elle ne soit pas là, la silhouette fine et les yeux trop grands l’isolant un bref instant, le fil tenu et simple entre eux. Depuis l’enfance dit-on. En ont-ils seulement eu une finalement ?

Celles qui l’accompagnent sont guerrières et fantômes, des cartes dans un jeu maintes fois mélangées. C’est sans un regard pour elles pourtant qu’il vogue entre les corps, la musique au même rythme que son cœur. Ils ont chacun leurs rôles, chacun leurs croix. Le blond cherche et scrute, le souffle en suspens au bord des cils. Il est presque trop grand au sein de la marée humaine. Les murmures sont échos dans la pièce tonitruante, les lumières se font psychédéliques sur les visages. Les plus belles opportunités ont toujours été noctambules après tout et ils ont la Nuit dans leurs sillages. « On peut fumer ici ? Je sais que vous êtes très stricts sur le protocole. » Il s’attable au bar, le sourire charmeur vers le barman affairé. Il cherche les portes mais il ne voit rien et pire les yeux azurs picotent sous les parfums capiteux environnants.

On rentre sans trop de problème. Les filles sont plutôt douées avec les vigiles. Je reste prudente, c’est plus fort que moi, je regarde derrière nous avant de pénétrer dans la gueule du loup. Un loup affamé avec un fort accent russe, il faut le dire quand même.   La musique est forte, on rentre dans une boîte de nuit, elle est remplie de jeunes qui sont là pour profiter de la nuit. Génial. Cela dit, cela peut s’avérer être à notre avantage. Je regarde Vito s’éloigner, je me retiens de le rattraper. Je crois qu’il veut faire diversion, je ne sais pas… J’ai du mal à le laisser sans personne. Pourtant, si on se fait tous repérer la mission n’aurait pas eu grand but. Je me dirige au bar en compagnie des filles. Il faut que je repère les lieux. Je vais avoir besoin d’un remontant, pas un petit, pas pour les mortels. Je commande un verre de whisky, comme n’importe qui pourrait le faire. Je le bois d’une traite, je ne grimace pas, l’alcool ne me fait plus d’effet. Discrètement, je verse dans mon verre vide une fiole d’Ambroisie, je vais avoir besoin de me connecter. L’Ambroisie limite le contre-coup. Je lance un regard nerveux à Lyra. Je lui fais un signe de tête, elle connait mon don. Mes yeux vont prendre la couleur de ceux de Saturno une fois que je l’aurais trouvé. Elle saura. Machinalement j’attrape la main d’une des filles. Un contact dans la réalité puis je m’en vais. Je me connecte. Mon esprit cherche Saturno, un lien de sang, il ne devrait pas avoir trop de mal. Il y a du monde, il passe, s’éloigne de la foule, la musique est moins forte. J’entends une voix féminine, empreinte d’un accent slave que je ne connais pas. J’y suis. Je vois ce que Saturno voit. Je le repère dans l’espace. Il n’est pas seul. Il est faible, blessé, c’était à prévoir. Je dois être en train de broyer la main que je tiens fermement. Je tente de ne rien laisser paraître comme si je fixais la foule. Et tout s’arrête. Mes oreilles sifflent, mon cœur bat trop fort. Je reprends mon souffle. Je sens une goûté épaisse couler de mon nez. Je l’essuie immédiatement cachant ce léger saignement. Je lance un regard aux filles. « - Il est dans une pièce, dans les backstages, seulement, il y a une femme avec lui. Elle le soigne… il est blessé et faible. » L’Ambroisie fait son boulot, il agit. Un boost qui n’est pas de trop. « - Alors, on fait comment ? »

La soirée suit son cours, est exactement la même que les centaines d'autres passées ici. Artyom règne ici comme un chef d'orchestre, préside ce soir sur son empire de vice. Malkina est là, jamais bien loin du sovietnik. Elle s'éloigne et Artyom laisse ses yeux l'oublier quelques instants pour se concentrer sur Yuliya non loin de là, ne se reposent sur la prophétesse que lorsqu'elle vient se rassoir à ses côtés. Les gestes sont posés mais Artyom la connaît par coeur: quelque chose cloche. Les lèvres de la poupée frôlent son oreille alors qu'elle lui conte son nouveau secret: Vito Bellandi est ici.

Il n'en faut pas plus à Artyom pour prendre des mesures. Si la présence de Vito aurait pu passer inaperçue en temps normal, cette fin de mois d'août n'a rien d'ordinaire. Les hautes sphères de la Bratva sont sur le qui-vive et Artyom ne fait pas exception aux bonnes volontés de la terrible. Les risques sont rapidement calculés: si Bellandi est ici, cela ne peut être que pour une chose et une chose seulement, récupérer l'âme en peine cachée dans l'une des arrières salles.

Le sourire ne quitte pas ses lèvres et, extérieurement, rien n'a changé. La soirée continue de se dérouler comme toutes les autres si ce n'est pour le sovietnik qui a tiré un téléphone de la poche de son costume. Le message envoyé est clair et ne laisse place à aucune interprétation: "Ils sont là. Prépare Bellandi pour le transport. Maintenant." Le téléphone est remis à sa place alors que Tchernobog montre le bout de ses crocs. Le roi des maudits a envie de jouer mais a bien conscience des enjeux de ce soir. « Yuliya! - la fiancée appelée alors qu'il profite qu'elle se rapproche pour exposer son plan - l'équipe de sauvetage de Bellandi est apparement enfin arrivée (méprisant, toujours). Occupe toi d'aller fermer toutes les issues. » Le regard se tourne vers Lis et Malkina - « Je vais plonger l'endroit dans le noir. Lis, occupe toi de les neutraliser. Malkina, tire au milieu de la foule pour créer un effet de panique. J'ai prévenu Irina de préparer Bellandi pour le transport, il faut le bouger d'ici le plus vite possible. » Discrètement, la main d'Artyom passe de sa ceinture aux genoux de Malkina, dépose une arme aussi noire que leurs accoutrements ténèbres. « Ils ne doivent pas parvenir jusqu'à Bellandi. Surtout pas. » L'ordre est assumé, asséné entre les basses avec une autorité glaciale. Artyom plonge de nouveau les doigts dans une des poches de sa veste, en sort quelques petites doses d'ambroisie. Le sovietnik a appris des années, en a toujours un peu sur lui. Surtout pour le moment. La drogue est rapidement partagée entre les divins présents, s'évapore en quelques tours de main.

Artyom se lève alors que le petit groupe se met en route vers leur tâche respective, s'accoude aux balustrades l'air de rien. Petit à petit il s'affaire cependant à détacher chaque ombre comme on retrouve une ancienne amie, à les laisser venir caresser ce qu'il reste de son coeur. Et alors qu'il peut sentir toute leur puissance pulser à travers ses veines, il les étire brusquement - plongeant l'endroit dans une nuit presque totale.

Accoudée non loin du bar, un verre en main. Yuliya a l'air de cherche une proie, un mec à draguer, une femme à palper ou une bouteille à vider ; alors qu'en vérité, elle surveille la scène. Les gens dansent, et tout cela ressemble à n'importe quelle soirée du Klub, mais elle sait. La jolie blonde n'est pas là que pour boire et mater, elle chaperonne. Ils ont un invité très particulier ce soir, qu'elle connait relativement bien. Un sourire étire ses lèvres carmines. La déesse sait que tout cela ne terminera pas bien, que la Nuova Camora cherchera à récupérer celui qui porte trop de secrets. Elle a bien entendu pris ses armes, attachées à ses cuisses sous sa robe aussi noire que la nuit. La voix de son cher et tendre la sort de sa rêverie. Heureusement que l'alcool ne la touche plus, sinon son regard aurait été tremblant, imprécis.
Ils sont là et son sourire s'étire, carnassier. Enfin un peu d'action, elle qui commençait à s'ennuyer. Faussement obéissante, elle attend que les ordres soient donnés avant de s'élancer. Calmement, mais déterminée, Yuliya va fermer chacune des portes menant vers l'extérieur, sans oublier l'obligatoire porte de sortie. La clef tourne dans le dernier cadenas quand la pièce est soudain plongée dans une noirceur absolument pas naturelle.

C’était une mission suicide, avec une chance de réussite bien inférieure aux 25% qu’elle préconisait habituellement. Mais elle avait fini par s’y greffer, bien au courant que les ordres passaient avant la survie des membres de l’équipe. Elle n’était pas du genre à s’embarrasser des émotions, quand il s’agissait de sacrifier quelqu’un.

Devant la porte du club où Saturno était supposé se trouver, il n’y avait qu’un vigile, bien peu armé au goût d’Aura, qui aurait pu l’éliminer en quelques mouvements. Mais le groupe avait décidé d’entrer comme n’importe quel jeune venant faire la fête, aidé de Lyra et son charisme, et du russe de l’italienne. L’avantage que personne parmi eux ne soit connu… A part Vito. Et peut-être Calliope. Quoi qu’il en soit, leur présence rendait Aura légèrement plus tendue. Peut-être qu’eux ne pourraient pas vraiment mourir ou se faire enlever. Et cela rajoutait un souci supplémentaire à une mission déjà bien bancale. Mais aller contre les ordres du Don n’était pour l’instant pas dans ses capacités. Plus tard. Quand elle apprendra que le groupe de sauvetage avait été repéré dès qu’ils ont foutu un pied à l’intérieur, malgré les ténèbres de la boîte de nuit.

D’un rapide coup d’œil, elle fit le tour de l’endroit, cherchant à repérer les issues, et à garder en mémoire les lieux, autant que possible. La mémoire photographique ne faisait pas partie de ses capacités, mais elle n’en restait pas moins douée pour se souvenir un minimum sur le court terme.

Elle écouta Calliope, ses réflexions, sur le lieu où était retenu Saturno. Dans les backstages… Elle hocha une seule fois la tête, preuve qu’elle avait entendu et intégré, alors que ses yeux cherchaient déjà comment accéder à ces fameuses coulisses.

Ce fut les ombres qui mirent fin à ses réflexions.

Ce fut les ombres qui se glissèrent jusqu’à elles, et un fin sourire se dessina sur ses lèvres. Les doigts se posèrent sur le bras de ses camarades, légers, alors qu’elle les invita à  reculer de quelques pas.

L’umbrakinésie s’effaça, reprit le contrôle de certaines ténèbres. Pas autour de là où les femmes étaient, non, mais à plusieurs endroits de la boîte, comme si l’équipe s’était séparée, était plus nombreuse qu’estimée. Beaucoup de subtilités, alors qu’il fallait désormais profiter du capharnaüm pour avancer vers leur objectif… Même si elles avaient perdu l’homme de leur expédition.

Elle aurait pu aimer, Lyra. Elle aurait pu aimer le lieu, l’ambiance. Elle a jamais rien eu contre les russes. Contre la Bratva par contre. Et ils arrangeaient pas leur cas en ayant pris l’ex fiancé. Elle lui en voulait. Enormément. Mais ça l’empêchait pas de venir risquer sa vie pour sa tête d’idiot. Au fond, elle savait que ce serait toujours comme ça. Ils seraient tout le temps tous les deux assez cons de risquer leur vie pour sauver l’autre.

Les filles ont fini par se diriger sur le bar. C’est sans doute une première victoire que d’être entrés là sans se faire sauter à la gorge. Autant en profiter le temps que ça dure, pas sûr que ça soit bien long. Accoudée, Lyra tourne la tête. Dans un sens, puis dans l’autre, comme n’importe quelle cliente qui apprécierait l’atmosphère du lieu. Comme n’importe quelle personne qui s’imprégnerait de l’ambiance, à poser ses yeux sur chaque personne présente. Forcément qu’elle reconnaissait personne. Elle s’était toujours tenue à une distance raisonnable de tout ça. Elle avait eu à faire avec les Bratva, mais sans doute pas à ceux-là. Elle soupire, et d’un signe de la main demande au barman d’approcher. Une vodka citron, juste par plaisir, sans avoir à se soucier des effets de l’alcool. Qui sait, ça renforcera peut-être même ce pseudo cirque de normalité dans lequel ils ont voulu se fondre.
Mais elle voit Calli. Elle la voit se concentrer et ses yeux changer. La jordanienne ne l’avait jamais vu faire. Seulement avoir la couleur des yeux de Sat face à elle, ça la fige. Un bleu glacial dans lequel elle a trop aimé se perdre. Et elle grimace quand son amie lui attrape –lui broie- la main. Le verre descendu cul sec, elle encaisse. Elle ose même pas imaginer l’état de l’italien, parce que si elle le faisait, elle oublierait les pensées cohérentes ou la stratégie. Elle foncerait en se foutant de tout et de tout le monde.

Les backstages ? elle tourne la tête, aperçoit un couloir, qui doit sans doute mener un peu plus loin, à l’une des arrières salles. « Elle le soigne ? » pas une véritable question, plus une surprise totale. Enfin, s’ils le veulent en vie et utile, effectivement, c’est peut-être plus sage. Les pensées qui se coupent quand le noir se fait. Rien de naturel, pas à cause d’un manque de courant qui aurait pu couper l’éclairage. Non, c’est similaire à son don. Et elle sourit. Ils savent. Elle se demande bien combien de personne sont capable de voir dans le noir ou de gérer les ombres de leur côté. Mais en voulant les handicaper eux, ils aveuglent sans doute une partie de leur équipe aussi. Peu importe, c’est pas son problème, Lyra se démerde parfaitement bien là-dedans. Et elle voit le sourire d’Aura, elle aussi, ça commence à lui plaire. Les ombres se dispersent, aléatoirement, et elle la laisse faire. Ca forme presque plusieurs groupes, un bordel monstre. « On fonce. » du bout du doigt, elle désigne le couloir aperçu, désormais dissimulé, mais loin d’être un problème pour elles. Parcee qu’elle les sent, elle aussi, les siennes, s’agiter dans ses veines, qui ne demandent qu’à sortir, à être libérer, à se déchainer.
Elles avancent, dissimuler, la main de Lyra dans celle de Callie pour la guider. Ils en ont déjà perdu un dans la foule, ils ne peuvent se permettre d’en perdre une autre. Lyra pousse quelques personnes, complètement aveugles dans cette obscurité, se fraie un chemin, pour rejoindre le couloir.