On lui a dit 18h30 à l’école élémentaire de St Perry, en pleine quartier huppé d’Arcadia. Jamais en retard, jamais à l’heure, elle débarque avec dix minutes d’avance Lulu, le sourire sur le visage, à l’idée de continuer son apprentissage de la langue française. Majken lui a dit qu’elle devrait réellement prendre de vrais cours, vu la soupe qu’elle lui sert chaque jour quand elle chante le refrain de ses chanteurs préférés. Il est vrai que le français n’est pas aussi simple que l’américain ou que l’espagnol, ou de prendre l’accent anglais et clairement, ça l’ennuie beaucoup, la leprechaun, de faire rire sa meilleure amie à défaut de la séduire. Le français n’est-elle pas la langue de l’amour ? Visiblement, non, quand c’est elle qui le parle !
Alors après quelques recherches, choisir des cours de français gratuits donnés par une école élémentaire aux jeunes de moins de trente ans et majoritairement en réinsertion, lui a semblé parfait pour débuter ! Bon, elle n’est pas en réinsertion mais elle a moins de trente ans. Et vu son passé au foyer, elle a pu jouer la carte de l’enfant abandonné avec un grand sourire. Et visiblement ça a fonctionné ! Ten points pour Lulu Gold !
Arrivée en avance, prête à en découdre avec la grammaire et Gilbert, tout se serait bien passé si elle n’était pas tombée nez à nez avec une exposition de premier cycle où les feuilles ont été toutes décorées de paillettes. Foutu leprechaun qui n’en fait qu’à sa tête quand le monde brille. Elle a perdu vingts bonnes minutes Lulu, à tourner à droite à gauche, découvrant les oeuvres d’arts des petits de maternels, l'index tapotant sur ses lèvres, l'intérêt réellement piqué. Et puis un coup d’oeil sur son téléphone, voir qu’elle a plus de 125 notifications à vérifier et qu’il est 18h45 passés. Merde. Les jambes qui cavalent, les bouclettes au vent, elle ouvre la porte qui lui semble être la bonne, s’excuse d’un signe de tête et fonce au fond de la salle. Le cours a déjà débuté, elle se sent bête d’avoir dérangé la classe pour des dessins pailletés. Les yeux rivés sur le professeur, les sourcils se froncent au fil des minutes. « Hello, ça se prononce éllo, pas HEULLO… on réessaye. Heeelllloooo…. » Hello. Les yeux qui voguent discrètement de droite à gauche, la mine suspicieuse, par respect, elle répète ce que la professeur demande. « Heellllo…. He pssst » Ça, la prof ne l’a pas dit, mais elle l'articule quand même, plus inquiète sur le contenu du cours que de suivre les directives. « C’est pas la classe de français ici ? » Un geste à sa voisine de table qui a l’air encore moins à son aise qu’elle. Mais dans quoi elle s’est fourrée encore, Lulu Gold ?
Des cours intensifs d'Anglais pour éviter des incidents diplomatiques avec les mafias quand on la laisse parler avec eux. Mais elle était pourtant persuadée qu'il lu demandait où se trouvent les toilettes, et elle était persuadée de lui avoir répondu correctement à ce monsieur. La tête qu'il avait tiré lui avait donc indiqué que non et la jeune femme a su plus tard qu'elle avait décliné une fausse invitation à coucher avec lui. On avait cru à du harcèlement après et pendant une réception intermafia, créer des conflits ou propager des rumeurs est la dernière des choses à faire. Si Jan ne l'avait pas obligée à écouter ce que tout le monde dit pour le lui répéter ensuite, peut être qu'elle aurait pu se concentrer une demi seconde de plus et sortir autre chose. Du coup comprendre l'anglais est devenue une nécessité pure. Bien entendu sans en avoir l'air, Jan en lui demandant de bien travailler à l'école, Maria est celle qui lève la main en premier comme si sa vie en dépendait. Au fond de la classe, les coudes sur son bureau, le dos droit et les lunettes sur le nez, elle ferait presque l'intello de première alors que les autres cours elle les a passés à switcher les mecs sur les applications de rencontre. Parce que si elle avait un boyfriend peut être que ça la motiverait réellement à parler anglais. A condition qu'il sache quand même parler espagnol.
L'intrusion nouvelle surprend Maria, alors qu'elle avait levé la main et que le professeur était prêt à l'interroger. Elle doit bien travailler, elle doit répondre, pitié interrogez moi MAINTENANT !! Main levée, maintenue en l'air par son autre bras alors qu'elle commence à avoir des crampes, l'intruse tient trop l'attention du prof et Maria est prête à monter sur le bureau. La bouclée pose une question, attire l'attention de Maria, elle lui demande si c'est le cours de Français. « Français ? Non, c'est Anglais ici !! » repérées en plein bavardages, le prof demande à Maria et Lulu de se taire et Maria baisse soudainement la main. Elle doit être sage, elle ne doit pas faire d'histoires. Mais cette fille elle a l'air trop sympa. Maria est jalouse de ses boucles rebondies qui ont un mouvement de ressorts quand elle bouge la tête. Elle lui montre sa pancarte avec son prénom écrit « MARIA MAGDALENA FRANCESCA CABALLEROS ASTURIES» en stabilo rose avec un cœur à la place du point sur le i. « Il est barbant le prof mais je dois répondre à ses questions, je dois bien travailler !! »
Cours d’anglais. C’est….Saperlipopette ! Mais comment t’as pu te tromper Lulu ? Tu parles parfaitement anglais, tu le lis, tu l’écris… C’est ta langue maternelle, comment tu peux te retrouver ici ! Tu perds ton temps et en plus, le cours de français avait l’air si bien…. Tu aurais pu mieux chanter Gilbert et lui rendre un bel hommage ! Même s’il n’est pas mort et qu’il ne te connait pas, au moins, t’aurais arrêté de casser les oreilles de Majken avec ta prononciation sortie d’une marmite à soupe ! La tête dans les mains, le grognement énervé qui filtre de tes lipes, tu prends des allures de Drama Queen en relevant la tête. Ta vie est finie. Du moins, jusqu’au à la fin du cours. La pancarte montrée par l’inconnue te fait plisser des yeux. Waouh, elle doit avoir deux lignes sur sa carte d’identité vu le nombre de prénoms qu’elle a… C’est impressionnant, elle dit tout quand on lui demande comment elle s’appelle ? Ou juste le premier ? Ou elle tire au hasard en fonction du moment de l’année ? Un jour Maria, un autre Francesca, un autre…. « Il manque un coeur sur le premier i… de Maria. » Que tu réponds du tac-o-tac face à la réplique sur le prof et le travail, le doigt pointé sur la pancarte. Si elle veut bien travailler, elle doit déjà bien écrire. Et clairement, là, y’a une erreur. Petit sourire sur la trogne, oui t’es un peu moqueuse parfois Lulu, petite joueuse qui s’amuse sans faire attention aux blessures que ça peut infliger, tes répliques piquantes sont comme de la sauce barbec’, point trop n'en faut pour ne pas s'étouffer.
La tête qui se pose sur tes bras, le corps avachi sur la table, tu souffles un peu trop fort et fait la mauvaise élève. L’école ne t’a jamais réussi, toi t’aimes quand ça bouge et quand t’apprends des choses utiles. Et clairement, Hello, tu le dis depuis que t’as 2ans, donc à part l'apprendre en verlan... Olleh ? Ohé ? Ohé ohé, Capitaine abandonné.... ! Toujours une chanson française pour te faire sourire Lulu, même quand rien ne t'aides. « Pour bien travailler, faut… » Le visage tourné vers Francesca (t’as choisi ce prénom, il est mignon, ça ressemble à français, t’aimes mieux que Maria), t’as l’air malicieux du leprechaun en action. « … faut dire tout haut les réponses et se mettre debout sur sa table, sinon le prof ne te voit jamais ! Essaye, tu verras. » Et avec ta tête adorable, qui pourrait ne pas te croire ?
