Ce serait mentir que de dire qu’elle n’est pas heureuse de retrouver Julius au restaurant dont le nom, connu de tous, garde jalousement ses tables loin des yeux indiscrets n’ayant par un porte-monnaie assez généreux pour ouvrir ses grandes portes.
Robe bleue, cheveux libres et talons claquants, elle rentre dans l’établissement comme en terrain conquis, salue d’un sourire aimable les personnes aux visages familiers.
- Monsieur Gates vous attend Madame Vogh.
Elle le remercie et déjà Julius apparaît à ses côtés, souriant, charmant, ayant visiblement pris soin de ne pas sortir n’importe quel costume. Elle n’aura donc pas été la seule à prendre garde à sa tenue.
Si elle ne se donne pas le temps de s’affubler de tenues d’exception au Times, l’élégance, elle y travaille, est toujours là. Mais même ainsi, on ne rentre dans le restaurant. Alors il a fallu se changer et s’apprêter avec des gestes machinaux, permettant à ses pensées de dériver vers la soirée.
- Rachele ! C'est un réel plaisir de te revoir ! Tu es magnifique ce soir !
- Julius ! Ton invitation ne pouvait pas mieux tomber ! Et quel costume !
Elle rit légèrement, passe sa main sous le code de l’avocat le temps de se rendre jusqu’à leur table. Privée. Bien. Il n’y a guère de place pour les badinages innocents ce soir, que n’importe quelle oreille pourrait écouter. S’ils ont voulu se voir, ce n’est pas pour parler chiffons. Pas eux.
- Merci Julius.
Remerciements prononcés alors que la chaise est retirée et qu’elle y prend place.
- J'ai l'impression que cela fait une éternité que nous ne sommes pas vus. Et le destin semble être joueur puisque nous avons voulu nous voir en même temps ! A croire que les dieux sont avec nous.
Elle a un sourire ironique et amusé aux lèvres. Oui, les dieux sont avec eux. En eux, pour certains. Et si certains semblent parfois l’oublier, elle est pour sa part parfaitement conscience de ce « petit quelque chose » qui ne le fait pas chatoyer comme les autres.
- Je n’ai pas vu le temps passer … Je regrette qu’on ne se donne cette peine que quand un soucis se profile.
Le sujet est lancé. Il y a un problème.
Les Yakuzas se font plus présents. Les alliances sont incertaines après des semaines sans grands coups d’éclats qui semblent calmer les choses. Pourtant, la tension est toujours là, bien présente. Chaos aussi, ses alliés avec. On raconte que leur aura est sombre. Parfois, rarement, Rachele envie certains avantages divins, tel que la perception du halo qui semble les entourer.
Bellandi a choisi une alliée monstrueuse, dirigée par un homme monstrueux. Et si Rachele ne peut pas se battre à ses côtés à coups de pistolets, les média roulent entre ses doigts. Le Times est prêt à mordre et tourner contre leurs ennemis un public rageur.

Un serveur arrive, elle ne prend guère le temps d’ouvrir la carte. Comme d’habitude, elle demandera une surprise et comme d’habitude, on ne lui refusera pas.
- Mais la soirée est belle, attendons un peu avant de parler de sujets moins joyeux. Comment vas-tu Julius ?

- Ma foi, je vais très bien, ma chère. Les affaires du cabinet se portent à merveille. Je suis actuellement sur un projet avec un... ami et il avance bien. Rien de concret pour le moment mais on espère que ce sera prêt pour la mi-janvier.
Un ami. Elle n’aura pas beaucoup de mal à trouver ce compagnon d’aventures si elle décide de se pencher sur le sujet, dans sa curiosité compulsive. Mais peut-être que Julius en parlera de lui-même dans la soirée. Peut-être aussi qu’il n’a pas envie de développer davantage. Elle le respecte assez pour ne pas le heurter à ce sujet.
- Enfin, quand ce sera au point, je ne manquerai pas de t'en parler car je pense passer une annonce dans le journal à ce sujet.
Elle a sa réponse et mieux encore. L’avocat lui apporte souvent des nouvelles fraîches et assez intéressantes pour qu’on y dédie des articles. Sans doute pas de là à faire la une, mais assez en avant pour que le nom de Gates attire quelques lecteurs supplémentaires.
- Tiens moi au courant, tu connais les délais dans le milieu, ça doit être rapide.
- Et toi Rachele, comment vas-tu ? Les soucis ne sont pas trop gênants ? Si je peux aider en quoique ce soit, fais signe. Je serais plus que ravi d'aider.
Il peut peut-être l’aider oui. L’image de la mafia est difficile à contrôler, impossible à créer. Il y a des choses où elle n’a pas besoin d’intervenir, des incidents mineurs, dont personne ne parle, quand les victimes sont dans l’ombre, que personne ne veut voir. Rachele les connaît, elle, elle en a conscience et parfois même pitié. Mais elle n’a pas beaucoup de temps pour les sentiments et jamais pour les remords. Parce que ce sont les choses plus graves qu’elle prend en charge, celles dont les commères sont avides, les journaux à sensation également. Il n’y a pas que le Times qu’elle doit surveillée, elle s’échine aussi, par ses contacts, à influencer également les autres media. Quant au contenu de son papier … Elle ne peut pas faire de miracles et mettre en péril sa réputation et qualité. Parfois, les actes sont trop forts. Comme au mois d’août. Comme en ce moment, quand la Nuova semble tanguer, dans une période de transition. Luca est parti, Sciarra et Pasolini arrive. Des femmes, jeunes, qui apporteront de la jeunesse et du renouveau à la mafia. Rachele s’en réjouit, mais le reste du tableau est obscur.
- Le Times se porte bien, les ventes sont toujours au beau fixe et on a réussi la transition vers internet avec succès.
Rien à signaler de ce côté.
- C’est la Nuova qui m’inquiète. La Calavera est ce qu’elle est, je ne peux pas mouiller mon journal pour eux, mais si l'alliance saute, c’est sans doute perdu pour nous.
Seul contre trois mafias, voire quatre avec les nouveaux, venus d’Asie ? Impossible.
- Je pense commencer à infléchir la ligné éditoriale. Jusqu’à maintenant, je me contentais de défendre la Nuova. Je me demande s’il ne faudrait pas commencer à mordre les autres. La Bratva a assez de casseroles pour que ce soit aisé.
Elle pense à leur célèbre bordel et serre les dents en se remémorant les traitements des filles qui y travaillent.
- Un dossier sur la prostitution russe, c’est alléchant non ?