"Oui ? Merci monsieur l'agent mais vous ne voulez pas vous en occuper ? Affaire trop vieille, qu'est ce que ça veut dire ? Pourquoi ce serait à moi de ... Très bien, oui, je comprends ... Bon, donnez-moi le numéro alors."
C'est terriblement maigre comme avancée mais après des mois de recherches, c'était la seule chose sur laquelle je peux me raccrocher. La nuit de mon accident, pas loin de là, une maison avait été incendiée et un bébé kidnappé. Quand on m'avait harcelé de questions après mon réveil à l’hôpital, je ne me souvenais d'absolument de rien. La police a donc laissé tombé son unique témoin potentiel et à présent que les souvenirs me reviennent, c'est eux qui déclarent l'affaire comme secondaire. Dans une ville comme Arcadia, je veux bien le comprendre.
Je note alors le numéro donné par l'agent de police.
- Qu'est-ce qui se passe, Kyan ? Tu m'as l'air contrarié. -
Sans même prendre la peine de répondre ou même de faire cas de cette remarque aussi inutile que vraie. Je décroche à nouveau le téléphone. Il sonne dans le vide quelques instants et je raccroche immédiatement. Je suis supposé dire quoi ? "Bonjour ! Oui, je suis le type qui s'est retrouvé témoin de votre malheur mais je ne me souviens de rien ! Ça vous dirait qu'on papote ?"
C'est totalement idiot de douter maintenant. Dans le pire des cas, je serais un soutien pour cette personne au besoin, et dans le meilleur, mes souvenirs reviendront et je pourrais même l'aider. Je n'ai pas le choix de l’appeler, et pourtant j'hésite, comme la page d'un nouveau chapitre d'une vie qu'on hésite à écrire. Je reste là, la main suspendue dans le vide à attendre avant d'enfin me décider. Je compose alors le numéro à nouveau.
Une sonnerie puis un déclic, je prend une inspiration pour prendre la parole mais je comprend vite qu'il s'agit d'un répondeur. Tant pis, ou plutôt tant mieux ! Ce sera plus simple à expliquer ainsi. Je laisse donc le message passer en réfléchissant à ce que j'allais dire, et au bip, me voilà prêt. D'une voix calme et posée, j'annonce donc :
"Bonsoir, Kyan Skovo à l'appareil. Je ne sais pas si on vous a déjà parlé de moi. J'étais présent lors du terrible accident qui vous est arrivé, à vous et à votre famille. J'ai quelques souvenirs qui me sont revenus et la police souhaite que je m'adresse à vous directement... Seriez-vous disponible demain matin pour en discuter dans un endroit neutre ? A 10h à l’Élixir, dans le Cornucopia District ? Si vous aviez un empêchement, merci de me recontacter au plus vite. J'ai ... J'ai vraiment besoin de vous parler. Bonne journée."
Et je raccroche avant d'essayer de retrouver un rythme cardiaque normal.
- C'est ... C'est moi ou tu viens d'inviter quelqu'un à sortir ? -
"Silence ..."
- Homme ou femme ? -
"Ça ne te regarde pas. Demain, je ne veux pas t'entendre. D'accord ?"
- Je me contenterai de regarder. -
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Autant dire que j'ai eu beaucoup de mal à dormir cette nuit, enfin cette fin de nuit car Sheitan n'a pas arrêté de me harceler sur le pourquoi du comment de ce coup de fil. Pour une fois, j'aurais préféré qu'il profite de sa liberté et me laisse tranquille, mais ce soir, il est simplement allé se balader dans les rues et n'a même fait aucune rencontre, obsédé qu'il est par la mienne. Pour ma part, j'espère simplement que la personne viendra.
Je m'habille donc d'une chemise blanche simple, d'un de mes très nombreux pantalons noirs et d'un manteau long de laine noire. A part la croix que je porte autour du cou, cela ne laisse pas présager de mon occupation diurne. J'hésite encore un peu, depuis que j'habite ici, il m'est très dur de sortir tant la réputation de Sheitan a tendance à me précéder. Mais je dois le faire pour le bien être de la personne.
Arrivé en avance au salon de thé, je me commande leur spéciali-thé pour me réchauffer. J'essaye d'éviter de penser à l'évidence : personne ne va venir. Je soupire et décide de rester au moins une demie-heure après les dix heures annoncées ce qui me fait encore ... trois-quart d'heure d'attente. Oui, je suis bien bien en avance, effectivement !
Le jour se lève et Preeti n'a pas dormi. Se n'est pas faute d'avoir essayé, le nez collé à l'oreiller, et l'oreille au répondeur: "... présent lors du terrible accident...Seriez vous disponible..." La messagerie monotone se décharge inlassablement depuis au moins trois heures, et la jeune femme, trop sonnée pour arrêter, écoute et réécoute cette voix qu'elle ne connait pas lui parler de ses pires angoisses.
La nuit a été longue, mais pas forcément dénuée d'utilité. Les tocs se sont réveillés après la quatrième ou cinquième écoute, et pendant que le répondeur était en haut parleur, la veuve esseulée a briquer la chambre d'hôtel, du lustre ancien aux pieds de chaises.
Elle a tout réorganisé dans ses affaires, et finalement, quand il ne restait rien pour calmer ses obsessions, elle tomba devant son autel de fortune, alluma les nombreuses bougies qu'elle lui avait acheté, mis la petite photo Polaroid qu'elle gardait toujours sur elle contre la statuette dorée qui lui faisait face et pria. Elle resta à genoux des heures, luttant contre son angoisse, pensant à ce qui avait été détruit, à ce qu'il restait. Cet homme pouvait il avoir vu, sû quelque chose de si précieux pour elle? Pour donner toutes ses chances, elle remis des encens, changea l'eau, remis en place les pétales de fleurs qu'elle achetait seulement pour cela. Elle dansa pour la déesse protectrice, elle chanta des prières inlassablement jusqu'à ce que le jour pointe au carreau.
Plus tranquille, mais pas sans cette angoisse terrible dans le ventre, elle prépara ses chapatis, en n'oubliant pas de donner le premier à l'autel. Puisqu'elle était en ville et qu'il n'y avait pas de vache sacrée, ce serait la déesse mère qui l'aurait.
Elle ne savait pas comment s'habiller. Comment paraître bien dans une situation pareille? De toute façon, son visage montrait la nuit qu'elle avait passé, et pour se débarrasser des traces de l'angoisse et passa un bon moment sous l'eau, le liquide faisant tomber les traits poisseux du stress.
Elle opta pour un sari rouge. La couleur des dieux lui porterait peut être chance, et de toute façon c'était la couleur qui lui allait le mieux. Elle enfila ensuite sa cape d'hiver (rouge aussi d'ailleurs) et des bottines discrètes. Enfin, l'indienne se fît son bindi, toujours en quête de la bonne grâce des dieux de son enfance, avant de sortir, les yeux sur l'heure de son téléphone : 10h15.
Le retard n'était pas quelque chose qui l'a dérangeait : il faisait partie de sa culture, et d'elle même. Mais ce jour là, c'était différent : l'homme au savoir si précieux était peut être un occidental ponctuel et rigoureux, qui partirait à la première seconde de retard. Sur le chemin, elle pria que ce ne soit pas le cas.
En arrivant à l'Elixir, un nouveau défi l'attendais : elle ne connaissait pas le visage de son interlocuteur, et dans la masse du peuple matinal du Cornucopia District, il lui était impossible de reconnaître une personne qui attend.
Elle prît alors son téléphone, tiqua une seconde sur l'heure (10h31), appela le numéro inscrit depuis des heures dans sa messagerie. La sonnerie retentit à quelques centimètres d'elle : un homme qui venait de se lever décrochait son cellulaire, regardant dans sa direction d'un air certainement aussi ahuri qu'elle.
Ma tasse se vide comme le maigre espoir que j'ai de voir arriver la personne attendue. Cependant, j'adore cet endroit et cela me fait plaisir de le découvrir. Le thé est vraiment bon et les petits biscuits offerts à côté sont agréable. On ajoute à cela la sympathie des serveurs et l'ambiance colorée et cela me rend très à l'aise pour continuer d'attendre mon très probable rendez-vous manqué.
Une angoisse me vient alors : et si la personne avait été sur écoute ? Si un des gars responsable de mon accident avait eu vent de cette rencontre et en profitait pour venir finir son travail ? Je commence à avoir un peu peur quand je sens mon portable sonner. N'en ayant pas l'habitude, je n'ai pas le réflexe de bondir dessus tout de suite. C'est alors que j'attire le regard d'une femme qui vient d'entrer dans le salon, elle se tient juste à côté de moi.
- Holy cow ! -
J'admets ... Cette femme et d'une beauté à damner un prêtre. Pour le coup, je suis très heureux d'être aux commandes de mon propre corps, sinon le démon serait sans doute tombé directement à genoux devant elle.
- Ouais ! Je confirme ! -
Ayant infiniment plus de retenue, je repousse Sheitan au fond de ma tête, me lève de ma chaise et vient saluer la nouvelle venue. Elle est toute de rouge vêtue alors que je suis exclusivement en noir et blanc. Évidement, elle a attiré tous les regards des autres clients quand j'apprécie d'être ignoré. Sa manière d'effectuer ses mouvements, tout en grâce et en retenue me font presque avoir du mal à me concentrer sur la suite des évènements. Ses yeux, cependant, fatigués, me ramènent bien vite à la réalité des choses.
"Bonjour, je suis Kyan Skovo. Asseyez vous, je vous en prie. Qu'est ce que je vous offre ? Le thé est excellent ici."
Le soulagement que je ressens à cet instant est comparable à celui que j'ai ressenti quand je me suis réveillé à l'hôpital et que j'ai compris que j'étais toujours vivant. Je ne peux d'ailleurs pas m'empêcher de l'exprimer à haute voix alors que je m'assois devant ... Preeti Sita, enfin ...
"J'avais tellement peur que vous ne veniez pas sachant que je n'ai pas pu voir avoir de vive voix au téléphone. Est-ce que tout va bien ? Vous souhaitez entrer directement dans le vif du sujet ou vous préférez que je me présente un peu d'abord ?"
Je me demande si Madame Sita a ne serait-ce que dormi un peu cette nuit. Et si ce n'était pas le cas, je me demande encore plus avidement si c'est à cause de moi. Sans doute qu'elle doit avoir une vie nocturne bien remplie mais sans doute aussi que cela ne laisse pas de tels traits aussi tourmentés. Je lui laisse donc le temps de répondre quand elle s'en sentira capable. Je ne veux surtout pas la brusquer, pas maintenant.
Dès qu'elle serapproche de lui, l'homme se présente et me demande ce qu'elle prendrais. Un peu sonnée, Preeti bégaye :
"Un thé... Sera parfait. Merci beaucoup ... Preeti Sita, mais appelez moi Preeti, je ne suis pas habituée au vouvoiement et autres formalités."
La jeune femme déboutonne sa cape et la dépose sur la chaise, la pliant en deux pour ne pas la faire traîner, puis s'installe en face de l'inconnu. -J'aurais dû mettre quelque chose de plus formel, comparé à lui... J'aurais dû essayer de prendre un habit Occidental.- S'était d'autant plus réel qu'avec son vêtement traditionnel, le regards des tables voisines curieuses s'aimantaient sur sa particularité. Ce n'était pas la première fois, mais une pointe de malaise naquit dans son esprit. L'orientale la chassa rapidement, se concentrant sur l'homme qu'elle était venue voir. Il était grand, un air fatigué, une croix au cou. Formel en forme, mais une pointe de malice dans les yeux qu'elle ne comprit pas, étant donné la situation.
"Alors..."
Les mots moururent dans sa gorge. Elle qui avait attendu ce moment à la seconde où le message était apparu... Elle ne savait pas comment enclencher les choses.
L'homme se rassoit, et dit sur un ton de confidence qu'il n'était pas sûr qu'elle viendrai. Le visage de la jeune femme se releva, surpris. Il était impossible qu'elle laisse ça de côté ! C'était si important! Mais elle ne dis rien, écoutant les mots de son interlocuteur . Ses questions la rassurèrent, et le thé, arrivé au milieu du monologue, ajouta la note destressante à point nommé. Elle le goûta, le trouva très bon, et poussa un soupir de contentement.
"En réalité... Je vais comme je peux. Et vous? Je n'ai jamais entendu parler de vous auparavant... Si vous voulez bien, commençons par vous, histoire de détendre l'atmosphère et de faire de ce moment si crucial et stressant un moment convivial !
Elle sourit. Penser positif, c'est ce que disais toujours son psychiatre, et elle suivait ce conseil à la lettre.
Je regarde Preeti face à moi. C'est tellement étrange de me retrouver face à une femme dans de si banales circonstances pour parler de quelque chose d'aussi hors du commun. J'en profite pour me commander un autre thé alors que le sien arrive. D'un coup, quelque chose s'est détendu entre nous. Elle souhaite que je commence par mon histoire et je trouve ça très normal étant donné les circonstances.
Par la suite, elle me sourit ce qui me désarme légèrement. Il me faut une petite seconde pour chercher ce par quoi je vais commencer. Raconter mon histoire brut ? Essayer d'enjoliver ma situation ? Aucune n'est une bonne solution, autant opter pour la plus simple : l'honnêteté.
"Hé bien, je ne sais pas si mon histoire a le pouvoir de détendre l’atmosphère ... Ni de rendre ce moment particulièrement convivial. Elle est assez inintéressante. Mais je vais essayer..."
Je lui souris à mon tour, prend une gorgée de thé, inspire pour trouver l'inspiration et essaye de me lancer. Raconter sa propre vie n'est jamais simple, mais je peux passer outre.
"Déjà, c'est normal que vous ne me ... Que tu ne me connaisse pas. Je suis arrivé ici il y a quelques mois à peine. Avant, j’habitais à New-York, c'est là bas que j'ai grandis et ait passé quasiment toute ma vie, j'ai été élevé dans un orphelinat catholique où j'ai découvert la foi."
Quelque chose me dit que Preeti est sans doute une adepte aussi assidue que moi à ses propres dieux. Je peux sans doute me tromper mais cette idée est quelque chose de très rassurant pour moi, donc je m'y accroche.
"En 2017, je faisais une collecte de vêtements dans toute la ville. A New-York, entre les t-shirts à 20 cents et la mode qui file très vite, c'est un véritable filon. C'est là que je suis passé par ton quartier et que je me suis fait renversé par une voiture, le soir de l'accident. Elle était très certainement conduite par ceux qui t'ont fait du tord parce que j'ai du voir quelque chose que je n'aurais pas du."
Je laisse s'écouler un instant. Le temps pour elle d'encaisser et pour moi de rassembler mes idées.
"Quand je me suis réveillé à l'hôpital, je n'ai rien pu dire aux policiers venus m'interroger. Et puis j'ai eu quelques soucis d'ordre neurologiques des suites de l'accident."
- Des "soucis d'ordre neurologique" ? Ça peut être mon nouveau surnom ? -
"Du coup, peut-être à cause de ça, je ne me suis souvenu de rien sur le coup. Quand mes problèmes se sont révélés permanents, que j'ai compris que je devrais vivre avec et à l'accepter, mes souvenirs ont commencés à me revenir et j'ai pu retrouver la plaque minéralogique de la voiture qui m'avait renversé ce soir-là. C'est elle qui m'a mené ici, vers toi."
Je m'arrête, je sachant pas trop quoi dire d'autre. Je bois une nouvelle gorgée de mon thé qui est passé du stade brûlant à température impeccable.
"Voilà, c'est à peu près tout. Dis moi si tu trouves que je survole trop certains points. Et toi, Preeti, quelle est ton histoire ?"
L'indienne écoute attentivement l'homme qui se présente. Le fait qu'il ne soit pas d'ici ne la surprend gère. Le fait qu'il soit arrivé avant elle en cherchant quelque chose qui lui était lié, ça, c'était peu banal.
"Vous êtes arrivé à Arcadia avant moi qui suit arrivé il y a un mois. Drôle de coïncidence...Et donc, vous êtes religieux. Ça doit compter beaucoup pour vous."
Sa propre religion était importante pour elle, et bien que les deux religions étaient différentes, ça ne l'a dérangeait pas. La sienne était ancrée dans son sang, pulsée par les pratiques de sa mère, très croyante, et son père qui avait suivi. Le pays était trempé dans l'hindouisme (bien qu'elle n'était qu'une religion parmi d'autres) et elle avait grandit dedans.
"Avez vous retrouvé cette voiture? Et comment êtes vous remonté jusqu'à moi par ce biais? Êtes vous sûr que nos deux affaires sont liés ? Avez vous vu quelque chose du kidnapping, ou de l'assassinat ?"
Après tout, il y avait des milliers d'habitants à New-York, des dizaines d'accidents par jour. Et si cet homme n'avait vu que l'incendie, il n'était qu'à rajouter à la liste des voisins effrayés qui avaient été sur place... Sans voir les choses qui l'importait le plus.
Quand il lui demanda la pareil, elle reprit du thé. Elle se concentra un instant puis commença par des ce qu'elle savait.
"Je suis née dans l'Inde du nord d'un indien et d'une réfugiée tibétaine qui s'est toujours considérée indienne à cause de sa fuite du pays par la répression chinoise. Née fille, mes parents m'ont donné le nom "Sita", un nom divin pour une déesse de notre région. Il voulait que je devienne une déesse vivante, une Kumari, mais lorsque le moment est arrivé, j'ai échoué au test. Cependant, je dansais bien, et pour se consoler, ma mère m'a fait danser pour les dieux.
L'indienne repris son souffle.
"Je devins renommée dans la danse sacrée, et je gagnait bien ma vie. Puis il fût le temps que je me marie, et ma famille m'a trouvé mon époux. À 23 ans, c'était l'âge idéal. Peu de temps après mon mari m'a dit que nous déménagions en Amérique. Cela ne me plaisait pas plus que ça, mais j'étais positive, alors j'ai juste demandé à ce que je puisse accoucher dans mon pays. Ce fût fait. Nous sommes partis vivre à New-York. Un vrai choc culturel pour moi, et comme vous pouvez le constater, je ne me suis pas vraiment faite à la vie Occidentale.
Elle rit, une pointe d'amertume dans la voix, mais pas assez pour que ce soit cynique.
À New York j'ai trouvé un agent, et j'ai repris mon travail. Mais en revenant d'une représentation un soir, je n'ai retrouvé que des flammes et des cendres. En fait, je ne me souviens que de ce brasier immense. J'ai été frappé par la foudre se soir là. C'est à l'hôpital qu'on m'a raconté ce qui m'était arrivé."
Son regard divagua vers la fenêtre, les mains sur sa tasse, luttant contre l'angoisse des souvenirs. Elle ne se souvenait presque plus de l'homme qui l'a regardait avec curiosité.
La remarque me fais sourire. Effectivement, même si je ne suis pas d'accord avec tous les préceptes, la religion m'a aidé toute ma vie, depuis la mort de mes parents jusqu'ici. La foi mérite que je lui consacre une belle partie de ma vie.
J'essaye de répondre aux questions qui m'arrivent comme un bombardement aussi précisément que possible. Je remarque que la jeune femme continue de me vouvoyer. J'hésite à lui rendre la pareille mais je souhaite pour rien au monde créer ce genre de faussé entre nous. J'insiste donc dans le tutoiement.
"La voiture était une voiture volée, elle a été retrouvée ici-même en Arcadia. Je n'ai pas pu aller la voir encore. C'est en téléphonant à la police qu'ils m'ont donné tes coordonnées. Je ne suis sur de rien, mais d'après l'endroit où on m'a retrouvé, je n'aurais, à priori, rien pu manquer du déroulement de l'incendie. Je suppose que j'ai vu quelque chose, du coup, mais j'en suis sincèrement navré, il va me falloir encore un peu de temps pour que tout cela revienne."
En disant cela, je me suis rendu compte que je n'étais qu'en dessous de la vérité. En réalité, je suis profondément chagriné de ne pas pouvoir l'aider plus et cela doit se lire sur mon visage au moment où je le dit. Comment faire revenir la mémoire ? Par la prière ? L’hypnose ? Sheitan ? Cette dernière idée n'était pas vraiment là pour me plaire mais elle me parait être la plus vraisemblable de toutes. Après tout, mon premier souvenir m'est revenu dès son premier soir de liberté.
Devrais-je parler de lui à Preeti ? Sans nul doute, je vais devoir en passer par là. Je pense que le plus tard sera le mieux ... Mais en même temps, j'ai peur que Sheitan n'essaye d'aller la voir lors de ses moments de liberté. Ce que j'aime les dilemmes ...
Après un petit moment, Preeti me parle d'elle et de ses origines indiennes. Visiblement, elle a été versée dans la religion sans avoir eu besoin d'elle au préalable, je trouve cela admirable que malgré les épreuves et les douleurs, cette danseuse continue à se consacrer à ses dieux. Peu de personnes font preuve d'autant de dévotion, je suis admiratif.
- Danser pour plaire aux dieux ? Kyan tu t'es gouré de religion ! -
La remarque manque de me faire rire et je me cache derrière mon thé. Son histoire exotique continue alors que son accent roule agréablement dans sa bouche. J'aime à croire que Sheitan commence à avoir une mauvaise influence sur mes pensées à moi mais je pense que je serais l'hypocrite le plus total de croire ça à cet instant précis.
"Qu'est ce qu'une Kumari ? Et à quel genre de test as-tu échoué ?" Demandais-je alors pour essayer de me remplir l'esprit de nouvelles connaissances.
Elle me parle alors d'un mariage arrangé qui a l'air de s'être globalement plutôt bien déroulé jusqu'à l'accident. Comme quoi il est toujours facile de préjuger des usages des cultures inconnues. J'aurais aussi énormément de questions à poser sur cette coutume mais même si je pratique souvent l'union, la vie de couple n'est certainement pas mon fort.
Le reste du récit est plus saccadé, plus confus, exactement comme le mien. Frappée par la foudre ? Est-ce une métaphore ? Confusément, je devine que non. Quelle horreur ! Être témoin de la perte d'êtres chers et d'avoir la nature qui s'acharne en retour...
Par la suite, elle fuit mon regard et s'enferme dans un silence. Pour ma part, je médite sur ce qu'elle vient de m'annoncer : dans nos deux récits, il y a trop de choses floues, trop de coïncidences pour que ce soit simplement le fruit du hasard. La curiosité commence à me ronger et dans un élan d'audace, j'ose poser ma main sur l'avant bras de la déesse, ce qui fait frémir le démon en moi.
"Excuse-moi de te demander ça du coup mais ... Pourquoi es-tu venue ici, en Arcadia ? Je veux dire, moi c'est la plaque d'une voiture, plutôt maigre comme indice. Mais pour toi ?"
La serveuse vient vers nous et je prend l'initiative de recommander un peu de tout. Elle nous apporte alors des chocolats, offerts par la maison.
Il sourit, et le visage de Preeti s'eclaire: "Plus que ça, vous en avez fait votre profession, je me trompe? Votre visage décrit un amour religion profond, alors je me trompe peut être mais... Ça vous correspondrais bien!
Les précisions du catholique éclairèrent le lien. Sa position proche pouvait en avoir fait un bon témoin... Encore faut-il que ce soit le fautif de l'incendie qui l'ai heurté. En comprennant qu'il n'était vraiment pas là pour être un témoin parmi d'autres, mais bien LE témoin manquant, la jeune femme senti qu'elle avait été peut être un peu rude.
"Je vous prie de m'excuser pour mon empressement. Après deux ans de silence et de recherches infructueuses... Je ne m'attendais pas à retrouver une trace de New-York. Je suis... Heureuse de vous rencontrer, Kyan, et j'espère , autant pour moi que pour vous, que vous retrouverez la mémoire."
Pendant son explication de vie, son nouveau compagnon d'infortune est très attentif, et lorsqu'il posa des questions sur les Kumaris, elle tenta d'expliquer brièvement ce mythe réalisé :
"Il serait long de vous expliquer l'histoire en détails mais je vais faire de mon mieux pour être courte et concise. Les dieux népalais et hindous sont les mêmes, et seuls les noms divergent, comme la mythologie grecque et romaine. L'histoire originelle raconte que Taleju, ou Durga en hindou, a voulu visiter le royaume des homme, et que pendant sa visite un roi s'est épris d'elle et à tenté de la forcer. Furieuse, la déesse l'a condamné à une malédiction et le roi à fini par vouloir se faire pardonner. Elle lui a donc ordonné de choisir une enfant avec un tas de critères bien précis, qui deviendrait sa réincarnation vivante. C'est la que la tradition rejoint le mythe. J'ai failli être l'une de ses réincarnations de déesse vivante.
Elle prit le temps de regarder son auditoire, puis reprit avec un rire franc:
"Il se trouve que j'ai échoué à la première étape du test de sélection, celui sur le physique. J'avais un grain de beauté, et c'est éliminatoire. Malheureusement ou heureusement, je ne sais pas !"
À la fin de son pauvre récit, l'homme, plus si étranger, posa sa main sur son bras, se qui donna des frissons à Preeti: il y avait des années qu'elle n'avait plus eu de contact physique avec quelqu'un, même aussi anodin. Le picotement de sa peau était un effet étrange, mais après la confusion, elle s'habitua et sourit timidement en posant sa main en identique sur l'homme, comme si le lien de leur histoire se rejoignait physiquement.
"Ma fille, Nisha, est quelque part dans cette ville. Une lettre m'est parvenue anonymement, qui l'attestait, et je sent que c'est la vérité. Je vais retrouver ma petite, disparue il y a deux ans, enlevée cette nuit là loin de moi. J'ai besoin de la retrouver."
Preeti se sentit, à cet instant là, plus proche de Kyan que de n'importe quel homme sur la terre.
"Tu m'as démasqué. Je suis prêtre, et un peu flatté que tu ais su le reconnaître." "flatté" est un mot encore assez faible, je me sens presque rougir alors qu'un franc sourire vient illuminer son visage. "Hé, si on se tutoyais à présent ?"
Ce sourire... et voilà à présent la déesse refoulée pour un grain de beauté poser sa main directement sur la mienne. Pour ma part, je sens que je ne peux plus m'empêcher de sourire, je me sens terriblement bête dans ce genre de cas, même si ça ne m'est vraiment pas arrivé souvent. Alors je profite de ce que la vie m'offre.
Enfin, moi je maîtrise un peu la situation. Dans ma tête, un démon vient d'avoir une attaque cardiaque et sa tête vient d'exploser. Je ne le savais pas si émotif, les contacts tactiles devraient être monnaie courante pour lui.
Autant dire qu'à présent, je comprend parfaitement son empressement et sa nervosité à mon égard. Ayant peu l'habitude de juger, de toutes façon jamais je n'aurais pensé du mal de Preeti, on aurait rapidement pu perdre la tête pour bien moins que ça.
Mais c'est alors que Preeti m'avoue que sa fille est probablement vivante et qu'elle est sans doute quelque part dans la ville. Mon autre main se desserre de ma tasse et vient se porter sur ma bouche. Cet aveu que je n'avais pas vu venir vient totalement ébranler mes pensées. Sa fille Nisha serait encore vivante et cela ferait deux ans que Preeti est sans nouvelle d'elle ? Finalement, être frappée par la foudre n'est qu'une petite tuile de la vie comparée à ça. En fait, même mon problème de démon n'est qu'un aléa de la vie !
Pour le coup, je reste sans voix et j'admire encore plus la femme qui se tient devant moi. Pour ma part, il est évident que j'aurais sombré aussi sûrement que j'ai failli le faire.
Parfois, la vie vous offre un signal simple, à prendre ou à laisser. Et parfois, il vous l'affiche en gros plan sur une pancarte bien colorée avec signalement lumineux et des flèches tout autour. "Tu n'as plus le choix, il faut que tu aides cette femme !"
Plus d'audace qui tient à ce moment, plus de gêne, plus rien, juste une évidence. Sans même y penser, mon autre main vient rejoindre les siennes que je saisis peut-être un peu plus fort que je le souhaite.
"Alors je t'aiderai à la retrouver, quoi qu'il m'en coûte !"
Il aurait été très agréable de voir à ce moment là un signe de Dieu pour la rédemption de mon âme. Une épreuve à passer avec brio pour me pardonner tout mes péchés, mais en réalité, je me contrefiche de moi-même à cet instant précis. Mes yeux vissés dans les siens, nous venions d'une manière tout à fait étrange de seller nos destins.
"Déjà, je vais essayer de retrouver la mémoire. C'est plus crucial que jamais à présent. J'essayerai aussi de faire un tour dans les orphelinats, on sait jamais ... Ta fille à quel âge exactement ? Tu as une photo ou une marque de naissance qui permettrait de l'identifier ?"
Et d'un coup, mon ton devient un tantinet plus bas. Presque plus grave.
"Tu en as parlé à la police ?"
Ceux-ci ne m'ont absolument pas mentionné la moindre lettre et s'ils ont effectivement parlé d'un kidnapping, il avait été évident pour eux que la fille n'avait simplement pas été trouvée dans l'incendie et n'était probablement déjà plus de ce monde. Peut-être que Preeti n'avait simplement rien dit par manque de confiance.
"...Cette incertitude doit vraiment hanter tes nuits et tes jours ..." J'ai dit ça dans un souffle, alors que je sens mon rythme cardiaque revenir à un état à peu près normal.
Preeti ressenti de la joie pour cette reconnaissance si simple mais qui illuminait le catholique, et se mit à rire, un petit rire franc et gai, comme elle le faisait quand elle était heureuse de quelque chose, ce qui n'était plus arrivé depuis longtemps.
Avec toutes ses émotions, elle n'avait pas remarqué qu'elle vouvoyait encore son interlocuteur.
"Excuse moi Kyan, le vouvoiement t'allais si bien !
La situation est détendue franchement, et Preeti était heureuse qu'une matinée commencé avec tant d'angoisse continue sur un ton de détente. Et avec les chocolats, ça enjolivait clairement sa journée !
Elle voulu lui poser des questions sur son rôle dans sa religion, mais la jeune hindoue ne voulait pas gâcher l'ambiance chaleureuse, alors elle laissa cela de côté. S'il avait décidé de vivre dans la foi, sans autre construction que l'amour pour son Dieu, c'était son choix, et elle le respectait pour ça.
Pourtant, le mood se figea lors de la révélation pour la princesse disparue de Preeti. Les yeux du prêtre s'assombrirent, et elle lu une sorte de tristesse dans ses yeux. Soudain, ses mains joignirent celles de la jeune femme, qui rougit instantanément, et clama son aide assez fort pour que les voisins de tables les zieutent un instant.
Il commença à établir un plan d'action, et Preeti, les mains toujours serrées par ce contact autant inconscient et désarmant , tentait de suivre en bégayant des réponses à ses questions.
"Ça fait deux ans... Elle dois avoir six... Deux ans et six mois...
À la demande de la photo, l'indienne rentra dans un état de sidération. Elle délaissa ses mains et, lentement, défie une partie du tissu cachant sa gorge. La photo de Nisha était toujours enserrée contre son coeur, quoi qu'il arrive, et jamais on ne lui avait demandé de visuel d'elle. Elle attrapa la petite photo et la tendit en resserrant le drapé.
Le Polaroid montrait la petite contre sa mère, qui faisait dos à la photo et dont on ne voyait que les cheveux. Les bouclettes de Nisha aériennes tombaient sur son front, la photo avait été prise en Inde, quelques semaines avant sa disparition, lors d'une visite à la famille. Les yeux clos, endormis, la main posé dans le dos de Preeti, les bracelets qu'elle ne devait plus porter, mais qu'elle avait lorsqu'elle avait disparue, le bindi noir tracé sur le front par sa grand mère... Elle connaissait les moindres traits de cette photo par coeur. La seule qu'elle ait pu avoir, et que sa mère lui avait envoyé dans un de ses colis mensuel, après l'accident, pour se souvenir et la retrouver...
Si elle avait appelé la police?
"La police de New-York étaient sur le coup, et j'ai rapatrié le dossier ici le jour de ma venue. Je pense même contacter un détective privé...
La dernière phrase de Kyan mourût dans sa bouche et Preeti senti le désespoir revenir. Il fallait de reprendre. Inspirer. Expirer. Répondre.
"Je prie chaque seconde mes dieux pour la revoir un jour."
Je n'ai pas d'enfants et je n'en aurai certainement jamais. Dans ma communauté, tous les mômes, je les considère comme les miens mais je sais que c'est loin d'être comparable. Un enfant, qu'y a-t-il de plus sacré que ça ? Une autre pensée achève de me rendre triste. Deux ans et six mois, cela signifie qu'elle a moins connu son propre enfant que ses ravisseurs...
Alors, je regarde Preeti qui est visiblement très bouleversée elle aussi. Je me calme comme je peux. Je ne peux vraiment pas me permettre ce genre de chose avec elle, je dois garder mon énergie pour les recherche et ma sympathie pour la déesse indienne.
"Je suis sincèrement désolé, Preeti" Dis-je d'une demie-voix "Tu avais visiblement besoin d'un moment de détente et j'ai vraiment tout gâché."
Allez, bonne humeur et bienveillance, revenez à la surface. Rapidement, je sens que j'arrive à reprendre pied. Je vais faire de mon mieux pour essayer de racheter ce qui peut encore l'être.
"Tiens, prend un chocolat ! On ne les a même pas touché encore. J'espère que ça contribua à marquer déjà quelques points entre nous."
Les sucreries n'ont jamais vraiment été mon truc, mais j’admets qu'un bon chocolat noir est un plaisir que j'ai du mal à refusé. J'en prend donc un dans la petite assiette et le glisse dans ma bouche, cela me procure un plaisir immense, comme à chaque fois. Mon sourire m'est revenu presque immédiatement, pas le même que celui que je devais avoir quand on se tenait les mains mais c'est toujours un début.
"Bon, dis moi ce que tu veux faire à présent ? Je te préviens, je ne te lâche pas avant de m'être assuré que tu vas mieux et de te revoir à nouveau sourire. Et essayer de me mentir ne marche pas, je suis un pro des confessionnaux !" Dans un souffle j'ajoute "J'espère que tu me pardonneras de m'être emporté ainsi. Ça ne m'arrive jamais d'habitude..."
L'euphorie est passée, et Preeti autant que le prêtre s'en sont rendus compte. Il se confond en excuses, et la jeune femme lui reprend la main, doucement, ce qui l'arrête.
"Kyan... Ne te sens coupable de rien. Après tout, ce n'est pas ta faute si mon histoire n'est pas un sujet à rire. Au moins j'ai pu en parler avec quelqu'un. Ça me fait du bien je pense, d'en parler ni à des médecins, ni à des policiers. Ça change. Je suis contente de cette entrevue, merci de ton écoute."
La proposition cacaotée ramène un peu de joie dans la conversation, et Preeti se remet à sourire lorsque le carré fond sur sa langue. L'effet à l'air d'être efficace unanimement, puisque le visage de Kyan se détend de même.
"Je ne compte pas mentir. Je ferais de mon mieux pour être une compagnie agréable. Que voulez vous faire, vous? Je n'ai pas l'habitude des sorties et à cette heure ci, c'est plus la préparation du déjeuner que je suis sensée faire !"
Et dire que je pensais que c'est mon histoire qui allait mettre une mauvaise ambiance... Bon, c'est vrai que j'avais soigneusement évité les drames de mon enfance. Ceux-ci appartiennent au passé pour moi et à moins que Preeti ne souhaite savoir, je ne vois pas pourquoi je ternirais un peu plus sa journée.
"Alors moi aussi, je promet d'être de compagnie agréable."
Pour une raison étrange, elle repasse furtivement au vouvoiement. Cela arrive et ne me choque pas, mais pendant quelques instant, je suis persuadée qu'elle s'adresse autant à moi qu'à Sheitan.
- Alors si on me demande mon avis sur comment passer une bonne fin de matinée entre deux personnes ... -
Mais je ne l'écoute déjà plus. La serveuse passe et j'en profite pour payer l'addition. Nous voilà libre à présent, mais je ne suis pas spécialement plus avancé, que proposer pour essayer de détendre à nouveau l’atmosphère ?
"Je t'avoue que je ne suis pas spécialement non plus un accroc des sorties, mais je peux toujours te proposer d'ailler visiter le marché de noël du coin... Après, tu parlais de devoir faire le déjeuner, tu attends du monde, peut-être ?"
"Est ce que ça te paraît bizarre si je te dis que je n'ais jamais fait de marché de Noël ? "
Après tout, Noël était une fête chrétienne, et ça faisait moins de trois ans qu'elle vivait en Amérique. Noël n'avait pas de signification dans sa famille, et la seule différence qu'on pouvait noter lors du 25 décembre indien était la noix de coco mise en avant dans la cuisine. De plus, elle n'avait besoin de rien: elle n'avait de cadeau à faire à personne... Le prêtre était sûrement inconscient de tous ça, et elle prit cette invitation comme une ballade bon enfant. Après tout, pourquoi pas ?
"Je n'attend personne de particulier. C'est l'habitude, je cuisine beaucoup. Et si j'en fais trop, je donne le surplus, aux associations d'Arcadia le plus souvent.. Cependant, si ça te plaît comme idée... Tu veux venir déjeuner à la maison?"
"Non, cela ne me surprend pas spécialement. Je côtoie des non-chrétiens aussi !" Je dis sur un ton faussement défensif, comme pour me dédouaner.
Alors, elle m'invite à déjeuner chez elle. Moi qui souhaitais avant tout rester dans un endroit neutre, me voilà quelque peu pris de court. Le fait qu'elle donne volontiers sa cuisine aux associations me va droit au cœur. Sincèrement, j'ai même du mal à ne pas lui sourire.
Le dilemme reste toujours délicat. Puis-je sincèrement accepter de suivre une femme chez elle comme ça ? Même si nous ne nous connaissons pas depuis très longtemps, je me sens vraiment très proche de cette Preeti. Sans doute est-ce le lien le plus fort que j'ai en cet instant précis d'ailleurs. Je sais que ce lien peut se briser facilement et cette idée me révulse. Après un instant d'hésitation, j'accepte finalement :
"Très bien. Je vais te suivre alors ! Nous devons faire quelques courses avant ? Je pourrais t'aider à la cuisine ?"
Il faut dire que pour ma part, je ne suis vraiment pas un as des fourneaux et je me contente bien souvent de produits alimentaires peu transformés et peu sophistiqués. Me nourrir pour simplement restaurer mon corps. Je suppose qu'avec cette femme, je suis loin d'être au bout de mes expériences.
Une fois levés de nos chaises et rhabillés, nous voilà partit du petit salon de thé. Notre différence frappante de couleur arrive encore à me faire rire et si des passants se retournent sur notre passage, très franchement, peu m'importe.
