Un jour de plus. Un jour de plus, terré dans ma chambre d'hôtel, avec plusieurs millions de dollars cachés dans la ventilation et des armes dissimulés à des endroits stratégiques, à regarder la télévision, à grappiller la moindre miette d'information pour savoir si je peux rentrer chez moi. Ça va faire presque un mois que je suis arrivé à Arcadia, et j'ai bien l'impression que l'enquête sur mon braquage piétine, mais je ne peux pas me permettre de prendre le moindre risque. Je suis malgré tout un peu sorti faire un tour dans la ville, histoire de prendre mes marques, et de commencer à prospecter un peu. Il faut que je trouve un moyen de blanchir tout mon cash et d'écouler les bijoux. Je me suis aussi ravitaillé, les prix du room service sont beaucoup trop chers pour que je puisse me permettre d'y manger tous les jours. Il n'y a rien de plus frustrant que d'être assis sur un aussi gros paquet de fric et de ne pas pouvoir le dépenser. J'ai encore quelques centaines de dollars d'économies, et j'ai payé l'hôtel plusieurs mois d'avance, mais j'ai malgré tout l'impression que tout mon pécule fond comme neige au soleil. Je ne sais pas combien de temps il me reste avant de devoir trouver du pognon autrement. Et autrement, ça risque de rimer avec « enfreindre la loi ».

Je chasse toutes ces idées de ma tête et je vais prendre une douche. L'hôtel a organisé un vernissage ce soir, et je compte bien y participer. Non pas que je sois passionné d'art, bien au contraire, mais une bonne partie du gratin de la ville sera présent et c'est un moyen parfait de se faire des contacts. Une fois lavé, j'enfile un des costumes que j'ai acheté la semaine précédente. Noir, luxueux. 750 dollars. Je le porte sans cravate et je pose sur mon nez ma paire de lunettes de soleil. On est certes en pleine soirée, mais je préfère éviter qu'on me reconnaisse plus que nécessaire. Une fois ces formalités effectuées, je vérifie que mon bout de ficelle est toujours scotché au dessus de la porte. Moyen simple mais efficace de savoir si quelqu'un est entré en mon absence. Je jette un dernier regard à ma chambre : tout est en ordre, impossible de savoir qu'un criminel se cache ici. Parfait. Je descends, l'esprit tranquille, et je me mêle à la foule. J'ai quelques picotements dans les doigts en imaginant la somme que je pourrais obtenir en faisant jouer mes talents de pickpockets, mais le jeu n'en vaut pas la chandelle.

Je me fraye un chemin jusqu'à une table, au fond de la pièce, un peu dans l'ombre. Parfait pour observer les gens sans être vu. J'ai l'impression d'avoir une petite fenêtre vers un autre monde, un monde dans lequel tout le monde serait riche et insouciant, badinant et plaisantant en sirotant du champagne hors de prix. Mon yeux et mes oreilles sont attirés vers la table voisine. Une silhouette féminine de dos discute avec plusieurs hommes. Je capte quelques mots de la conversation. Et ça ne me plaît que moyennement. Manifestement, ce sont des gangsters. Je n'ai rien contre le crime organisé, bien au contraire, mais les risques encourus quand on surprend leurs discussions privées sont généralement assez importants. Mourir, par exemple. Je préférerais éviter. Je me lève un peu précipitamment et je mets les voiles le plus discrètement possible, en jetant un coup d’œil par dessus mon épaule. Et merde. La fille s'est levée à ma suite, et elle regarde dans ma direction, un regard qui n'annonce rien de bon pour moi. Je me faufile dans la foule à contre-courant pour rejoindre la porte, et je sors dans la rue en courant. Je tourne au premier croisement, je me plaque contre le mur, et je me tiens prêt à bondir sur ma poursuivante si elle m'a suivi jusque là.

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'OUI/NON' : 1

Alors que je m'étais mis en position, prêt à bondir sur ma poursuivante - et prêt à renoncer par la même occasion à tous mes principes sur les violences faites aux femmes, je suis tellement surpris de la voir que je n'esquisse même pas ne serait-ce que le début d'un mouvement. Elle n'a pas traîné, je ne m'attendais pas à ce qu'elle retrouve ma trace aussi vite. Il faut croire que mes compétences en matière de camouflage urbain laissent à désirer.

Son visage s'éclaire d'un fin sourire, qui est plus proche du prédateur carnassier que de la jolie femme amusée. Un frisson me traverse le corps quand j'entends le son de sa voix, plus froide qu'une cascade glacée. Je ne sais pas qui est cette fille, mais elle est manifestement bien plus dangereuse que ce à quoi j'aurais pu m'attendre.

Et dire que la règle numéro un pour rester en vie est justement de ne pas sous-estimer son adversaire...

« Vous aimez courir, non ? »

Mes jambes ont très envie de dire oui et de lui faire une petite démonstration sur le champ, mais mon cerveau bloque tout initiative. Je reste planté là, ne sachant réellement quoi répondre. Allez, réfléchis, qu'est ce qu'un homme innocent dirait dans cette situation ? A part « Ne me faites pas de mal, j'ai une famille » ?

"Euh... Pas particulièrement. Et vous ?"

Gagner du temps, trouver un stratégie de sortie tout en la gardant à l’œil et en restant sur ses gardes. Instinctivement, j'adopte un comportement que j'ai dû voir à la télévision, probablement dans un documentaire animalier sur les grands fauves. Paumes ouvertes, face à elle, en évidence. Epaules détendues, mais la droite légèrement en recul, prête à délivrer un coup de poing à tout moment. Mes jambes bougent un peu, pour abaisser mon centre de gravité en cas de choc, et pour se préparer à toute situation.

Ce n'est pas ma première bagarre, bien sûr. Je sais à peu près me battre, ça m'est arrivé de nombreuses fois dans ma vie de me trouver dans des situations si inextricables qu'il valait mieux laisser tomber les mots et se mettre à cogner le premier. A vrai dire, ce n'est pas sorcier. Une voix de maître d'arts martiaux dans un film de série B parle en boucle dans ma tête.

"Pour frapper fort, le mouvement part du pied. Il pivote, les hanches suivent, puis l'épaule."

Du blabla stérile. Quand on est menacé, vraiment menacé, le cerveau paye ses tournées générales d'adrénaline et plus rien ne répond. On lance des coups de poings désordonnés en espérant être assez chanceux pour que l'un d'entre eux mette l'adversaire KO.

Assez tergiversé. Improvise un truc.

"Je vous ai vue à l'hôtel. Est ce que j'ai oublié quelque chose à ma table que vous souhaitiez me rapporter, ou quelque chose dans le genre ?"

Jouer les idiots, ça me connaît. C'est peu crédible, mais ça me laisse le temps de trouver autre chose de plus convaincant. Je n'ai pas entendu grand chose, mais si ça vaut la peine qu'elle me poursuive - et potentiellement qu'elle me tue dans cette ruelle miteuse, ça doit être des informations très importantes. Je ne dois pas lui révéler que je sais quoi que ce soit tant que je ne suis pas sûr de ses intentions à mon égard.

Même si je doute fort qu'elle m'invite à danser une valse.