Les jambes tremblent le temps que les portes du bureau sont closes. Le maire, seul, dans une ville qui s'embrase, s'inquiète, harcèle le Commissaire, ou le supplie plutôt. C'est le temps des vœux, le temps des fêtes, ou temps que les fêtes se terminent. Que la gangrène se calme, le temps que le manteau de neige fonde. Que l'hémorragie cesse, le temps que les décorations scintillent. Mais il n'en est rien. Plus violents, hors de contrôle, c'est l'ichor plus que la crasse qui s'enracine dans les rues d'Arcadia. Quelqu'un toque timidement, l'heure a sonné. « La réception a commencé, Monsieur le Maire. » L'homme se lève, les poings serrés, agacé et l'air penaud à la fois.

Et du haut de son estrade, la messe s'entame une fois les présentations d'usage consommées. Les murmures cessent, la retransmission en direct commence.

« Chers habitants d'Arcadia, ses enfants comme ses nouveaux arrivants, vous faites partie intégrante de cette ville. C'est avec un très grand plaisir que la mairie vous présente ses voeux pour cette nouvelle année, et je vous remercie personnellement d'avoir répondu à cette invitation, ou de nous suivre depuis votre foyer. Je tenais à m'adresser à d'abord à ceux qui contribuent à la beauté et au rayonnement de notre cité. A ceux qui se lèvent tôt et qui donnent sans compter pour aider leur prochain. A ceux qui s'investissent pour que notre ville devienne plus belle et plus sûre, jour après jour. De toutes les horizons et de toutes les professions, je vous remercie, vous, qui préférez semer la vie dans nos rues plutôt que la terreur.

Nous avons connu des troubles, cette année mais je reste persuadé que l'année à venir sera celle de la réconciliation et d'un avenir radieux pour notre belle ville. Vous m'avez élu, et avec le soutien de l'équipe municipale, je ferais tout pour tenir nos engagements envers vous.

Je profite de ces vœux pour m'adresser aussi à ceux qui salissent, gâchent et gangrènent nos rues, qui poussent les enfants hors des chemins de l'école et les adultes d'une vie respectable pour s'encanailler dans la crasse. Oui, vous, je vous parle à vous. Nouvelle année, nouvelle résolution. Nous mettrons fin au poison que vous injectez. Les forces de police disposeront de nouveaux moyens pour rendre notre ville plus sure. Nous mettrons fin à la violence que vous imposez. Nous vous combattrons et nous gagnerons. Nous gagnerons. Nous gagnerons. »

Les applaudissements s'élèvent, timides et circonspects mais à mesure que le maire martèle la victoire du bien sur le mal, l'audience se laisse convaincre, se laisse insuffler l'espoir de la fin de la guerre des gangs. Naïfs, ils y croient, à ces promesses de jours meilleurs. Alors, ils applaudissent, plus forts, plus vites, dans une frénésie presque sacrée.

L'allocution terminée, le visage du maire se fait blême et ses mains, jusque là fermes, tremblent. Il tremble, et une goutte de sueur, c'est tout ce qui lui échappe et que certains relèvent. Il s'écarte du pupitre, visiblement affecté par l'état de cette ville qu'il aime et qui pourrit. Silencieux, il retourne dans son bureau, ignore la réception, clamant pour une tâche qui ne saurait attendre. Les portes se ferment, et ses doigts recommencent à implorer le commissaire. Mais les nerfs l'emportent, et c'est le verre qui se brise contre le mur et le liquide qui vient souiller un peu plus le drapeau de la ville d'Arcadia.