Les corps se heurtent, s’entrechoquent, se cognent. Les peaux marmoréennes s’ornent progressivement d’ombres violacées, à mesure que les coups-caresses pleuvent. Les grognements résonnent dans le silence de la nuit, se mêlent pour ne former qu’une unique voix, colérique, rageuse. Les dents se plantent dans la chair, étouffent les grondement sourds. Ce n’est pas de l’amour ; c’est un champ de bataille. Un collier de perles bleutées s’incruste sous l’épiderme de la mère, alors que l’enfant empoigne sans ménagement le cou de sa génitrice. Un bijou comme un autre. Un présent comme elle en a reçu des centaines. Une offrande qu’elle accueille avec satisfaction. C’est une preuve. Le témoin de leur amour. Aussi malsain et torturé qu’on puisse l’imaginer. Aussi malade et dépravé que les amours de quelque dieu millénaire. Lorsqu’on a vécu aussi longtemps, la réalité se distord. Les limites deviennent floues, de même que les normes. Aimer se confond avec haïr. Et les larmes sont autant de lames plantées dans la chair immortelle de l’être désiré. C’est un duel auquel ils se livrent depuis trop longtemps, sans qu’aucun gagnant ne ressorte jamais. Egalité constante, et pourtant. Au fond, la gamine sait qu’elle remporte chaque bataille. Parce qu’il reste. Parce qu’il ne l’a pas encore quittée.

Allongée sur le matelas, son corps nu constellé de bleus, elle fume en silence. Fixe le ciel de lit, joue du pied avec le fin voilage qui les coupe du monde. Sa main libre cherche à tâtons celle de l’amant. Trouve la chair tendre d’Oscar, pour y planter les griffes. « Crache le morceau, Valdieu. » Elle n’est pas idiote. Elle sait que cette fois, ça n’était pas exactement pareil. Tout au fond, il y a quelque chose pour mettre en colère son bel enfant. Elle ignore encore quoi – tellement de possibilités – mais elle entend savoir. Se retournant sur le ventre, elle pose un regard acerbe sur le brun. Sans concession, sans compassion. Ils se sont trop blessés l’un l’autre pour espérer raviver ces sentiments. « Je sais qu’il y a quelque chose. » Langoureuse, elle lève son avant-bras à hauteur d’yeux pour examiner la morsure profonde qui le décore. Une autre preuve de l’amour malade qui les anime. Une autre preuve que quelque chose perturbe le français.

Les amants de la nuit se perdent dans leur propre désir alors que la danse endiablée poursuit son cours. Cœur rongé par la colère, celui-ci vient se bercer dans des danses dangereuses. Il a beau avoir embrassé l’innocence et la férocité des femmes à travers les années, celle d’Avdotya aura toujours un goût différent. Goût unique pour lequel il donnerait son âme. Elle est à lui comme il est à elle ; la nuit est l’occasion parfaite pour le lui rappeler. Elle qui a sûrement été butiné d’autres fleurs abîmées, elle qui s’est sûrement oubliée dans d’autres draps doit se souvenir du plaisir et du désir charnel qui unit les deux. L’homme idiot comme il est, décide d’agir comme l’imbécile qu’il est à ses côtés, défend son territoire comme si elle n’était qu’objet. Pourtant, il est le premier à savoir qu’elle est bien plus. Pierre précieuse qu’il a toujours idolâtré, vision idyllique maintenant embrumé par des révélations douloureuses qui ont, une nouvelle fois, assombri le cœur déjà bien nécrosé de l’immortel. Pourtant, ce n’est pas cela qui vient empêcher le brun de déposer baisers et morsures sur la peau porcelaine de la ténébreuse. Terrain d’entente bien connu des deux, ils ont beau avoir l’éternité devant eux, ils ne se fatigueront jamais de ces jeux et danses brûlantes.

On vient bientôt le perdre dans ses pensées lorsque la valse est terminée. Yeux immobiles qui reflètent des souvenirs douloureux alors que le cœur ne prend plus la peine de se serrer sous les coups. Visage impassible pour un cœur qui souffre alors que la belle est à ses côtés. Elle l’utilise, il n’est que le pantin de son jeu et l’idiot reste à ses côtés. Il l’aime tant, si fort, si douloureusement que partir semble l’idée la plus idiote qu’il ait pu entendre pendant ses cent nonante six années d’existence. Le contact des peaux crée un choc, le brun revient bientôt à lui alors que la ténébreuse lance ses mots dans les airs, souffle chaud qui caresse la peau du français pour venir le figer sur place. Les sourcils froncés, il tourne son visage vers la reine mère. Un sourire léger, un sourire qu’elle connaît mieux que quiconque, du moins toute personne vivante, vient réceptionner ses mots. « Je ne te satisfais plus, c’est donc ça ? » Il le prend avec humour pour cacher les vraies raisons, celles qui blessent et qui arrachent. « Il n’y a rien. » Il reprend son sérieux, prunelles posées dans les siennes, mensonges qui s’alignent parfaitement. « Si comme tu le sous-entends, il y a quelque chose, peut-être que c’est de ton côté. Je n’ai rien à cacher. » Il attrape son poignet et admire la morsure laissée par sa propre personne, son pouce caresse celle-ci avant de l’embrasser de ses lippes rosées. Plus doué dans les gestes que dans les mots dans certaine situation, il aimerait que la belle ne continue pas cette conversation et qu’elle arrive à s’oublier dans leurs draps comme elle pourrait le faire dans d’autres. Désolation pour l’immortel qui se retrouve tirailler par un million de questions.