L'immeuble se dessine, sur les hauteurs et depuis lesquelles il y a une vue sur la ville d'Arcadia au loin, et comme elle l'avait déjà remarqué la veille, les fenêtres n'ont pas encore été mises. C'est au dernier étage qu'elle lui a demandé de se montrer, éviter une descente trop dangereuse pour elle et se planter droit dans le mur. Situation cartoonesque mais qui en réalité n'a rien de drôle. Elle replie ses larges ailes le temps de passer entre les murs, une fois à l'intérieur, elles battent frénétiquement pour ralentir et optimiser l'atterrissage. L'obscurité ne la dérange pas, Némésis est née de la nuit. Redresse le dos, les ailes repliées, elle se tourne vers la silhouette qu'elle attendait ici, Saturno. « Ils savent. » Elle n'y va pas par quatre chemin, elle ne l'a pas fait venir pour parler chiffons. « Augustin est télépathe, jamais il n'a fouillé dans mon esprit, il l'a fait. » 

Il a accepté le rendez-vous sans broncher, sans poser de questions. Parce qu’elle lui a accordé sa confiance, il se doit de faire de même. Tout en sachant qu’il pourrait s’agir d’un piège. Némésis a peut-être retourné sa veste, mais rien ne lui prouve sa sincérité. Les serments sont si vite trahis, dans ce monde de vice. Elle pourrait l’avoir attiré ici pour le vendre aux consigliere. Pour montrer à tous à quel point Saturno Bellandi est un monstre, un pourri, un raté. A quel point il ne mérite pas de régner. L’idée, douloureuse, le force à fermer les yeux un instant. Depuis qu’il a mis Matilda à l’abri, il n’existe plus de rempart entre lui et ses ténèbres. Il est désormais prêt à céder à ses pulsions, pour peu qu’on le pousse dans cette direction. Comme Luca l’a fait il y a quelques mois. Mais l’ancien sous boss l’avait mené sur un chemin bien différent. A lui de ne pas gâcher ce don. Cette opportunité de montrer qu’il n’est pas celui qu’on dit. Un bruissement d’ailes attire son attention et il veille à rester entre deux fenêtres, pour laisser toute la place nécessaire à Sybille. Il n’est pas surpris par son apparence, ayant déjà eu vent de son accouchement. Il est cependant étonné de la trouver sur pieds aussi rapidement. Sans prendre de gants, elle lui annonce ce qu’il sait déjà. « Ça devait bien finir par arriver. » Aucun reproche dans sa voix. Il sait qu’il est très difficile d’échapper à un télépathe. Tranquillement, il cherche son paquet de cigarettes et en glisse une entre ses lèvres. Le briquet claque entre ses doigts et la flamme illumine son visage une seconde. « Qu’est-ce qu’ils savent, exactement ? » Regard clair levé sur la jeune mère. Maintenant plus que jamais, elle n’a pas intérêt à lui mentir.

Elle est dans l'embarras et en même temps Saturno sait que certains dons sont difficiles à contourner, comme un télépathe ou même pour elle qui possède une clairvoyance qu'elle a utilisé à son insu avant de se ranger de son côté. Pour autant que Augustin l'ait découvert, elle ne compte pas changer de camp, elle a choisi le sien et refuse de voir Bellandi sortir de prison ni même avoir Zeus avoir quelconque influence sur le panthéon. Némésis se redresse, les ailes repliées dans le dos, l'agacement se lit sur le visage, elle n'a pas pu trouver un terrain d'entente qui soit satisfaisant avec Augustin. Ce qui les lie encore, c'est leur fils qui a besoin des deux. Il ne comprend pas ses motivations il n'a jamais voulu l'écouter là-dessus de toute façon. Et bien qu'elle l'aime et qu'elle compte le protéger de tout, elle était prête à agir sans son accord. Poussée par la déesse de la vengeance, Sybille a fait son choix. Saturno n'a pas l'air surpris de la nouvelle, Augustin est doué pour cela, rien ne lui reste jamais longtemps caché. « Ils savent que je t'ai couvert, c'est tout, de là j'imagine qu'ils te soupçonnent d'agir  dans leur dos. » Rien de plus, parce que Saturno ne l'a pas mis au courant de tout et il a eu raison de le faire, ce sera au moins cela qu'on lui laisse d'avance. « Ils viendront sans doute te voir pour savoir de quoi il en retourne, si tu as besoin de moi pour éloigner Augustin tu peux m'appeler je saurais le faire. » Et parce qu'elle veut s'assurer qu'il tiendra sa promesse de ne pas lui faire de mal. « Qu'est ce que tu vas faire ? Le procès d'Alcide approche, on sait tous qu'il y a peu d'espoir, mais qu'il finira forcément par sortir. » La téléportation d'Augustin sans aucun doute, ou alors à coups de valises remplies de billets pour soudoyer la police. « Et surtout qu'est ce que tu veux que je fasse ? »

Il médite un instant l’information dont lui fait part Sybille. Il ne peut que se féliciter d’avoir distiller avec parcimonie les différentes parties de son plan. S’il n’avait compté que sur la déesse, il aurait perdu tout avantage. Mais en ne donnant que de petits détails, en préservant toute l’étendue du schéma, il peut conserver une longueur d’avance. Suffira-t-elle à lui permettre de remporter la guerre ? Difficile à dire. Il n’est pas prophète, capable de lire l’avenir et de deviner à l’avance ce qui va leur arriver. Pensif, il recrache un long filet de fumée grisâtre. « Ils me soupçonneront quoi qu’il arrive. Pour eux, je suis l’ennemi public n°1. » Simple constat, sans une once d’amertume. Il ne peut pas exactement dire qu’il soit totalement innocent. Il a bel et bien conspiré à plusieurs reprises pour mettre la Camorra à genoux. Parce que le mépris dont il a longtemps souffert a fini par engendrer une haine tenace, qui commence seulement à s’estomper. L’ambition s’est transformée. Désormais, il ne souhaite que prendre une place pour laquelle il s’estime légitime. « Non, laisse-le venir. Inutile de leur donner d’autre raison de se méfier. » Il y en a déjà trop. Il regrette certaines choses qu’il a faites, certains choix. Mais il est trop tard pour revenir sur le passé. Trop tard pour être bon, à nouveau. Il a tenté d’être l’héritier parfait, et n’y a gagné que plus de mépris. « Disons qu’il m’a, en quelque sorte, donné sa bénédiction. A voir si les autres prennent sa volonté en compte.  » Il se doute que plus d’un gradé de la Camorra sera trop heureux d’ignorer les directives d’Alcide le concernant. Mais il n’est pas prêt à les laisser faire. « Laisse traîner tes oreilles. Ecoute tout ce que tu peux et rapporte-moi ce que tu découvres. Et profite de ton fils. »

Rien à faire, face à Augustin, elle ne peut que lui faire confiance pour qu'il n'oublie pas leur accord de ne pas lui faire de mal. Elle acquiesce, restera en dehors du conflit quand il éclatera. Et alors il lui fait une déclaration surprenante concernant Alcide. Le visage passe du marbre à l'étonnement, de savoir qu'Alcide lui a donné sa bénédiction. Est ce que Zeus a abandonné la Nuova Camorra et le panthéon aussi facilement ? Il a senti le vent tourner alors il fuit c'est ça ? Némésis déglutit presque déçue d'avoir servi le roi de l'Olympe pendant les millénaires pour le voir finalement se lamenter sur son sort. Disons que ça leur facilite la tâche et que de toute manière elle ne voulait pas revenir. Elle ne fait pas de commentaire, peut être que cela devait se passer ainsi et Némésis sait que cela apaisera son envie de vengeance sur lui et que l'équilibre divin enfin prospérera.

Elle se mordille les lèvres par réflexe, profiter de son fils est un grand mot puisqu'il est prématuré elle n'est pas sortie de l'hôpital avec lui. Elle rentre seule chez elle et la chambre de son enfant est effroyablement vide, elle fait ce qu'elle peut pour s'occuper l'esprit. II s'agit de détails dont elle ne parle pas dans le cadre du travail ou de ses missions. En outre elle est surprise qu'il lui dise cela. Ça fait déjà la différence avec Alcide, on lui avait dit de cacher sa grossesse un maximum parce qu'Alcide a du mal avec les enfants. Sybille aussi, avant d'avoir le sien, d'ailleurs. « Mon fils est à l’hôpital encore » C'était presque sûr que sa venue au monde soit mouvementée avec un hybris comme le sien qui déclenche d'affreuses crises. Elle l'en informe quand même, cela veut dire qu'elle a du temps libre s'il a besoin qu'elle aille quelque part pour lui. « Je te dirai tout ce que j'entends et ce que je vois » Un hochement de la tête, elle obéira a ses directives « Et si Augustin et Alfonso ne coopèrent pas malgré l'accord d'Alcide ?» Inquiète elle l'est, l'idée n'est aps de faire une guerre interne