Il a longtemps hésité. Longtemps rechigné à prendre cette décision. Probablement la plus cruelle qui puisse être pour un père. Mais il lui faut se rendre à l’évidence. La situation n’est pas idéale. Un peu plus que cela, même. Depuis l’arrestation d’Alcide tous les yeux se sont tournés vers lui, guettant le moindre faux pas, la moindre trahison. Il sait que rien ne lui sera épargné. Chantage, pression subtile, espionnage… tous les moyens sont bons pour le tenir éloigné du trône. Il n’ignore pas non plus que Matilda fait une cible facile. Qu’elle pourrait lui être arrachée, de bien des manières. Une idée qu’il ne peut tolérer. Une image qui le met à genoux. Alors, la décision s’est imposée. En réalité, il n’a jamais vraiment eu le choix. Dès l’instant où il est devenu ce prétendant maudit, menaçant, leur destin était scellé. Les semaines qu’il a pu grapiller n’ont fait que retarder l’échéance. Et il n’aura finalement pu passer que deux mois avec sa fille. Quand la reverra-t-il ? Impossible de le dire. A partir de maintenant, l’avenir est incertain.

Il n’a pas oublié la promesse faite à Ofelia. N’a pas oublié le visage doux de Nalini. N’a pas oublié qu’au fond, elle restait sans attache. Sans lien avec le monde fait de sang et de violence dans lequel il vit. Elle est l’unique solution. Admettre cela est un crève-cœur. Mais c’est la vérité. Nalini Khatri est la seule personne à pouvoir s’occuper de Matilda sans la mettre en danger. Alors il enveloppe sa fille de tout son amour, la serre contre lui de toutes ses forces. Embrasse ses joues, son nez, son crâne. Fixe son image dans son esprit. Et, à la faveur de la nuit, quitte son appartement, emportant le bébé dans ses bras.

Devant la porte de Nalini, il ravale ses larmes. Il n’est même pas certain de pouvoir parler. Sa gorge semble obstruée par un nœud inextricable. Pourtant il ne ressent aucune honte, si ce n’est celle de n’être pas un père acceptable. Un poing levé frappe à la porte. Les coups résonnent dans la cage d’escaliers. Quelques secondes passent, puis le battant s’ouvre devant lui. La jeune femme devant lui a l’air surprise de le voir. Entre ses bras, Matilda s’agite. Instinctivement, ses bras se resserrent sur elle. Il déglutit, ouvre la bouche sans qu’aucun son n’en sorte. Le nœud l’étouffe. Il mord sa lèvre inférieure, avant de parvenir à articuler des mots. « J’ai besoin de toi, Nalini… » Un son étranglé, désespéré. A son image. Il n’a pas d’autre choix. Et cette décision le brise.