Nous luttons, désespérément.
Toute ma vie n’a été que le produit d’un abus. Et je devrais encore subir ?

Non !

Mes reins ne m’écoutent pas. Ils saccadent et frémissent. Mes lèvres mordent la chair, mes doigts la pétrissent, goulus, alors que nous chutons sur le parquet.

Non !

Le plaisir d’Ekahau n’a que faire de mon refus. Il la qualifie de déni.
Et toi ?
Toi, tu pleures.

NON !

Je mobilise toute ma volonté : ma tête heurte plusieurs fois le mur. Le sang goutte sur ton visage, mêlé à tes larmes. J’ai reflué, te libérant des appétits d’Ekahau.

- Je… n’suis pas un JOUET !

Blocage brutale de la respiration. Je m’étouffe. Ma gorge renâcle douloureusement pour retrouver son précieux oxygène. Je peine à regagner mon souffle, à genoux, tremblant, à demi-nu… Mais victorieux.

La douleur a toujours été ma précieuse alliée.

Je lève le pif vers Badb, fier. Mes poumons persiflent à travers un rire mauvais.

- Il sait, lui, qu’on ne détruit pas son hôte pour s’en faire un allié. Qu’elle choisisse pour une fois!

Sourire las, je rampe jusqu'au mur pour m’y adosser.

-Tu sais bien, comment ça va finir… Laisse-nous juste le temps...

Silence.

- J’veux pas qu’elle chiale... s’il te plait.

Je me mets debout, reboutonnant mon futal. Je titube vers la cuisine, fous la tête sous le robinet. L’eau glacée nettoie mes plaies.

-  La “mériter” ? Tu la violes pour le plaisir de t’envoyer en l’air avec mon “colocataire”. Parle pas de ce que tu connais pas.

Silence. Je m’éponge la gueule avec un torchon.

- J’cause à une gonzesse qui, jetée par le mec qu’elle kiffait, a décidé de l’étouffer en se transformant en anguille ! Quand Ekahau t’as ramassée, t’étais en miette. Il t’a rafistolée. Respectueusement. Amoureusement, même ! Toi, t’as fait quoi pour “le” mériter ?

Rhétorique dangereuse.
Sujet épineux.

Médusé, j’observe la scène au ralenti. Un drame Mathusalemien se joue sur le carrelage de ma cuisine. La lutte pour occuper ce corps est âpre. Badb a juste le temps de dévier la lame fonçant droit vers l’abdomen pour la planter dans la cuisse.

- BRONACH !

Je me précipite vers elle, pour la rattraper, sans me préoccuper de savoir  si je porte secours à la déesse ou à l’humaine. J’écarte lentement ses doigts du manche.

- Puta Madre, Bro...! J’ai un vieux rire nerveux, yeux plongés dans les siens.

Cette femme vient littéralement de prendre mon palpitant en otage...

Les injures sont réconfortantes. La voilà de retour, la gouaille plein le gosier. Je n’arrive pas à m’arrêter de rire.

- En même temps, t’étais prévenue!

Je retire délicatement la lame fichée dans la chair, faisant rapidement compression avec mon satané torchon.

- Bouge pas de là...

Je vois mal comment elle pourrait. Je reviens avec ma pharmacie personnelle. Je suis un habitué des ecchymoses et des points de croix. Je désinfecte la plaie abondamment, puis, je fais démonstration de mes talents de couturière. J’affiche un sourire de couillon satisfait.

- Tu veux que je reprise tes chaussettes après ?

J’aimerais la titiller davantage mais on ne nous laisse aucun répit. J’observe la dévastation du décor : les fringues déchirées, le sang sur le mur, une femme nue (mais avec une botte !) qui pisse l’hémoglobine sur le sol de ma cuisine.

Une vaste blague.

Sans lui demander son avis, je soulève Bro en princesse pour la conduire à mon pieu. Je l’y dépose, près d’un Barbecue planqué dans les coussins.

- Surveille-la, amigo !

J’enfile un T-shirt propre et je vais ouvrir à la mère.

- Maureen ? Votre mari est déjà passé… comme vous pouvez le constater… Ma tronche bleuie parle pour moi.

-Mon mari ?! Elle blêmit. C’est lui qui vous a fait ça ? Où est-il ?
-Entre autres. Vous ne m’aviez laissé aucune consigne…

Elle hurle à pleins poumons, son angoisse se déversant en flots rageux sur mon paillasson et ma gueule. J’ai moyennement la patience et j’entends des pas claudicants dans mon dos qui n’ apaiseront pas la situation.
Mon pouvoir s’exerce d'autorité et dans ma voix coule le miel d’un arrangement à l’amiable auquel elle ne peut résister.

- Maureen, vous ne souhaitez pas que nous portions plainte pour coups et blessures, n’est-ce pas ? Alors arrêtez de crier.
- D’ accord, dit-elle, atone.

Je glisse entre les mains de Maureen une carte du Mezcal.

- Allez causer à Gabriela de ma part. Racontez-lui votre histoire. Si elle s’avère convaincante, votre mari disparaîtra de la circulation.

La porte se referme sur sa mine estomaquée. Bro me gratifie d’un de ces mots doux.

- Je suis bon à marier, qu’est-ce que tu crois.

Je lui croque le bout de son museau juste pour le plaisir de voir son nez se froncer.

- Mais si tu continues de t’agiter, je te laisse crever la dalle.


Et sur ces mots je l’attrape comme sac à patates.

A éplucher et rissoler.