Tétanie.
Poids qui m’écrase, poigne sur ma gorge.
Strangulation.
Mouvement de roulis qui comprime mon bassin et flatte ses mécanismes.
Dégoût.
Regard qui fuit, qui cherche la porte. Elle sont multiples, distordus, non euclidienne. Un regard luit dans l’obscurité.
“Je suis désolée….” fait la voix mouillée.
L’incendie dévore mes chairs. Mes hanches se disloquent. Mon corps explose.

Hurlement.

J’agonise dans des draps trempés de sueur. Je mets un certain temps à reconnaître le décor : la chambre d’ami de Bro. J’allume fébrilement la lumière à la recherche du couteau sous l’oreiller. Compression du poing. Je lacère méthodiquement l’intérieur de mon poignet.

-... Un….. Deux…. Trois…..

Lignes rouges qui se dessinent sous le couteau.
Poison qui suppure et coule doucement sur la peau.

- …. Quatre… Cinq…. Six….

La douleur me ramène à la réalité, ancre mes pensées dans le moment présent. Mâchoire serrée, j’expurge le cauchemar.

Le souvenir.

La porte s’ouvre avec brusquerie. Confus, le regard voilé, ma cervelle mélange les identités. Je cisaille mon bras avec plus de sauvagerie.

- Va-t-en ! Va-t-en…. ! Pourquoi t’es encore là… Sept… Huit… Neuf….

Je ferme les yeux désespérément, recroquevillé.

Bientôt , elle me susurra qu’elle ne pouvait pas faire autrement...

- Le… hein ?!

Me voilà dépossédé de mon outils thérapeutique. Mes paupières s’ébattent et je distingue le visage de Bro’, particulièrement furax. Je constate hébété l’état de mon bras, le rouge sur les draps, et Barbecue planqué derrière les jambes de la donzelle en colère. Mon regard remonte ses échasses interminables pour mieux observer son visage.

- Bronach …? J’ai la voix enrouée et douloureuse. Ma langue est pâteuse dans ma cavité buccale asséchée.

Une rafale de vent nocturne me fait greloter de froid.

- Ferme cette putain de fenêtre ! Et… Et rends-moi mon canif… J’en ai besoin.

Barbecue couine faiblement.

Je suis épuisé. Les nappes de goudron sous mes yeux en attestent. J’ai les nerfs qui font des noeuds et cette imperturbable connasse n’ a pas l’air de le comprendre !

- Bronach…. grondement sourd….. Sois pas conne, rends-le moi….

Geste brusque, tirade assassine. Mon canif fait le grand saut.

- DE PUTA MADRE ! BRONACH !

Je me suis levé trop vite, muscles tendus et colère à vif. Le malaise me fauche par surprise. Mon sens de l’équilibre rate le coche. Ma fesse glisse du rebord du lit et je me vautre au sol.

Barbecue s’approche et risque un groin câlin contre mes cuisses.

J'essaie piteusement de me relever, une botte vengeresse m'en empêche. La pression des chairs écrabouillées libère un râle involontaire de plaisir, réponse pavlolienne d'un corps soumis maintes fois par Lune.

Je lève vers elle un regard de grenade dégoupillée.

-Tu piges vraiment rien! J'en ai besoin ! Faut que ça sorte d'une manière ou d'une autre ! Ça me libère !

Et je prends soudain une évidence de plein fouet.

-Ça te dégoûte… Je te dégoûte.

J'affiche un rire désabusé. J'attrape sa cheville fermement. J'accentue la pression de sa godasse.

-Regarde bien ! C'est ça que je suis!

Je réceptionne la mandale avec un rire grinçant. J'ai mal, une douleur moins aiguë pourtant que celle qui m'aiguillonne le palpitant. Décidément , tu génères des réactions inattendus sur ce corps de cire.
Teigneux, je constate que je ne suis pas le seul que la situation fait vaciller.

Je t'ébranle Bro ?
Mais je t'en prie, casse-toi la gueule.
Un prêté pour un rendu.

Je caresse Barbecue, lui ronronnant des mots rassurants en espagnol. Puis, je m'exécute dans silence agressif. Habillé, désinfecté, bandé, nous voilà accueillis par le froid nocturne.

- J'ai un slip et on est dehors. Satisfaite ?

Je ne me rappelle pas t’avoir appris à jurer dans ma langue. C’est infiniment sexy. Je me frotte l’arrière du crâne sans mot dire. Trois enjambées dans ton sillage et voilà mon arme à portée de vue. Je me penche pour la ramasser. Je rentre soigneusement le cran d’arrêt.

Silence.

- Ne va pas croire que je fais ça pour me punir…. Billes noires fixées sur toi. C’est le seul moyen que j’ai trouvé pour garder le contrôle.

Mes mains tremblent, pourtant. Je suis tellement fatigué.

- J’imagine que tu dois déjà t’être fait ta propre idée sur mon “cas” , Doc.

- J’aime pas ce show…..

Je finis par lever les yeux au ciel.

-Ok, je vois… Je ne me punis pas, mais toi tu vas le faire…

Pourquoi suis-je entrain de t’obéir ? Le masochisme qui court dans mes veines est sans limite. Lentement, sans te quitter des yeux, je dégrafe mon blouson pour te le jeter à la gueule.

- TIENS !

Je fais de même avec mon futal et mon t-shirt, que je te balance avec de plus en plus de hargne.

- La thérapie par l’humiliation, hein?! Psychiatre à la con !

A toi de te prendre mes godasses sur le pif.

Trou noir.
On m’aspire un élément fondamental. Mon essence divine s’agite, perturbée. Et soudain, la fulgurance me frappe. Je n’ai plus froid. Je ne sens pas le bitume sous mes pieds, je ne perçois plus la douleur des entailles.

J’ai perdu ton contact.

De tout cet ensemble, c'est cette perspective qui me terrifie le plus. Ta peau, sous mes doigts, entre mes paumes, contre mon derme… Plus jamais. Mon expression se fendille en découvrant tes lèvres bleuies, ton regard voilé.

- Cabron… qu' as-tu fait !?

Tu décroches et je tu vacilles. Je te rattrape.
Il est temps de rentrer.

La remontée est périlleuse. Nous ressemblons à deux ivrognes titubant à chaque marche. Je croise le regard ahuri d’une vieille sortant son chien. Tes voisins vont jaser.
Une fois chez toi, je te jette sur le canapé et m’empresse de te couvrir d’une couette. Je me cogne dans tous les meubles, évaluant mal les obstacles. Mon sens du toucher est revenu, mais il demeure distant, ouaté. Je fais chauffer du thé et reviens prudemment à toi. Tu es glacée.


- Bois, tonta..... C’est bon j’ai saisi : quand je me fais mal, tu souffres. Tu pouvais le dire de manière moins dramatique...

Adorable connasse.
J’aide tes doigts hésitants à se refermer sur la tasse.

- Si je commence à te raconter… Il faudra que je te dise tout.

Suis-je prêt à ça ?
Mes sensations me reviennent doucement. Pas assez pour que je parvienne à boutonner correctement mon pantalon. Je me cale dans le canapé avec toi, t’enlaçant de mes bras gourds.

Ta gueule!
Je ne te laisse pas le choix.

Ma propre chaleur s’infuse, mutique, jusqu’au déverrouillage de mes lèvres.

- On a abusé de moi, gamin. Je le revis régulièrement, en rêve.

Silence pesant.

- Une histoire de famille à la con...

- Tout se règle par la violence chez toi...Hein ?

Tu gigotes. Je sais que tu as horreur d’avoir le rôle de “la faible femme”. C’est moi qui le tient en général.

- Y a personne à tabasser, Bro. Ma belle-soeur n’a fait qu’obéir à mon frère. Mon frère voulait juste cacher son homosexualité. Mon neveux est sans doute mon fils et moi je dois simplement fermer ma gueule. Il existe des moyens plus subtiles de se faire justice….

Soupir.

- Je ne me cisaille pas pour jouer les victimes. Je le fais pour rester focalisé sur mon objectif. Est-ce que tu comprends ?

Je n’aime pas évoquer Esteban. Je ne suis pas son père. Je ne veux pas l’être.

- Je vais lentement mais sûrement le dépouiller. Il a déjà perdu toute sa crédibilité. La famille le méprise. Je lui ai volé son titre, son rôle et ses hommes. J’ai fait en sorte qu’il ne puisse plus jamais dormir sans craindre de se faire trouer la peau. Je consolide ma position et j’accrois lentement mon pouvoir. Et, le jour où je jugerais le temps venu, lorsqu’il sera à bout de souffle et cul nu, je l’achèverais gracieusement sous ma botte....