Je retiens mon appétence avec un sourire douloureux.

C’est toi qui a commencé.
Tout ça c’est de ta faute.
Ne va pas me reprocher,
que fleurissent les graines plantées

Front à front, je fais crépiter à nouveau mon don. L’onde imprime un mouvement circulaire qui se meut en tourbillon. Une nouvelle fois nos corps se dissèquent sans douleur, en papillons amniotiques. Nos carcasses déliquescentes se recomposent dans les coulisses du Bel Opéra d’Elysium Hight, et plus exactement dans le réserve de costumes. Sous nos yeux, s’étalent quantités de frusques, modernes, classique ou avant-gardistes sur des portants en rang d’oignons.

Cette fois, tu ne peux pas retenir ton estomac. Je me marre gentiment. Pourtant, je ne devrais pas faire le malin. Je me fatigue à jouer à saute-mouton et je peux à tout moment dissocier corps et esprit. Tu me rends imprudent et passablement stupide. Je t’essuie la bouche avec la manche en mousseline de soie d’une robe qui dépasse. Rose bonbon.

- Celle-ci t’irait à MER-VEI-LLE.

Je ricane et recule d’instinct pour ne pas me prendre ton poing.

- Mon oncle Paco travaillait ici en tant que manutentionnaire. Il m’emmenait parfois visiter, gamin.

Sans chichis, je retire mes frusques trempées.

Ta silhouette de tige honore magnifiquement le costume masculin. J’enfile, pour ma part, un trois pièces à carreaux que j’accessoirise avec de fausses lunettes

- Tío Paco est le jumeaux de mon père. Il est né sans essence et il a savamment affûté sa réputation d’imbécile. Il aimait le théâtre et la musique mais il n’avait aucun talent. Alors il a choisi de devenir “lutin de l’Imaginarium” comme il disait. Nous avions interdiction de lui rendre visite… mais je trouvais toujours le moyen de le retrouver en coulisses. T’as déjà vu un Opéra du point de vue de la scène ?

La question me colle un foutu vertige. Je me précipite vers le petits tas de fringues mouillées, inquiet. Quand je suis avec toi, j’oublie tout. T’es un putain de syphon, Bro. Tu me noyautes les neurones. Tu me rends con.
Faut que je mette un terme à cette relation.

Mais j’en suis incapable.

Au milieu des frusques, une petite forme s’ébroue. Un bout de groin rose suit un bâillement de bienheureux. Barbecue s’est simplement endormi contre ma poitrine, imperméable aux évenements. Il nous regarde avec un air curieux puis trottine pour venir se frotter… à Bronach.

- Traidor ! fais-je, offusqué.

L’angoisse se délite, tout doucement, beurre fondant. Je la lis encore sur ton visage et dans mon palpitant tachycarde. Tu en as eu bien assez pour ce soir et j’arrive moi même à mes limites.
Je viens caresser doucement ta joue.

- Ok.

Bécot sur ton front. Je te laisse le soin de porter “notre” cochon. Je ramasse nos vêtements éparpillés et je viens m’arrimer.
Troisième voyage.
Cette fois, je lutte contre le vertige, la sensation du corps dédoublé. Mon esprit réintègre ma carcasse à temps. Tout ce laps tu m’auras servi d’ancre.

- Laisse-moi dormir avec toi, s’il te plait...

J’essaie de te retenir, bras tendu. Tes doigts brisent la jointure. Comme d’habitude, tu me laisses au point de rupture, plus détruit à chaque fois.
Il est temps que cela cesse.

- Demain, je ne serais plus là.

Il est temps de revenir à nos sens et d’échapper à ce tango infernal sentimentalo-divin.

- Il est temps que je rentre chez moi, Bronach.

Il est temps de se rappeler que nous sommes de deux camps ennemis.

- Tu as raison, nous avons un sale effet l’un sur l’autre…

Sourire tendre. Je ramasse mes affaires et chemine vers la chambre d’ami.