Merde.
J’aime que tu me réclames.
J’aime que tu me rattrapes.
J'aime  cette menotte que tu glisses dans la mienne, et nos doigts tressés.

Merde de merde.
C’est insoluble. Je suis bien prisonnier, Bronach, mais ce n’est ni de ma paranoïa, ni de mes angoisses d’abandon.

Connasse de Geôlière.
Adorable bourreau.

Je savoure cette flânerie dans les allées de fripes. J’ai presque l’impression que le cauchemar d’il y a trois jours est un mirage. J’avise un mannequin portant une robe rouge, à dos nu, s’accrochant au cou. Poitrine chase mais promesse de vertige.

- Cette couleur t’irait bien... Non ?

Un sourire s’accroche à ma gueule quand je vois tes fossettes s’animer. Badb ne t’a pas pillé ça : cette espièglerie de gamine. Cela t’appartient.

Comme je t’appartiens.
Piégé et fait comme un rat, le Tadeo.

Je t’emboîte le pas dans l’alcôve réservés aux essayages. Il y a là trois demoiselles qui gloussent comme des mouettes. Elles me jettent des œillades amusées, pendant que je fais le planton. Je me tourne vers elles, avec un de ces sourires inquiétants dont j’ai le secret.
Le silence est appréciable.

- Alors, que je fais à l’intention du rideau qui s’agite devant moi. Ça donne quoi ?

A ta mine déconfite, j’ai une vague idée de ce qui a pu se passer devant le miroir. Faisant fi des exclamations soufflées par la bande de péronnelles, je prends ta main pour retourner dans la cabine.

Avec toi.

Je ne romps le contact que pour retirer mon manteau, déboutonner ma chemise, enlever mes vêtements. Mon torse est couvert de morsures profondes, d'ecchymoses fraîches, de chair lardée qui boursoufle et croûte. Moi aussi, Ils m’ont ravagé.

J’attrape de nouveau, tes doigts boudeurs.

- C’est nos corps, pas les leurs.

Et comme promis, je suis là, avec toi pour le prouver.

Je te laisse cheminer sur ma carcasse. Mon cuir est tanné par les coups, mais les blessures les plus profondes sont sous la peau.

- Si. Mais je projette toujours les conséquences. Ce que j’inflige à mon corps pour le punir lui et garder un minimum de contrôle, je ne peux pas te l’imposer.

Je laisse mes phalanges graviter le long de ton poignet.

- Pour le plaisir fugace de la voir déchanter, je sais que c’est toi qui paiera la note. Je m’y refuse.... Bronach… Regard intense. Il existe des moyens de définitivement la chasser de ta vie…

Le veux-tu vraiment ?

- Moi non plus… Sourire sincère.

Je suis un survivant.
Un cafard qui s’accroche.

… A toi.

-J’étais à Town Hall quand Khaos a frappé. J’ai cohabité consciemment avec Ekahau. En effectuant mon premier “saut”, j’ai pris le contrecoup de plein fouet. Mon esprit est sorti de son corps et a pu “entrer” en communication avec ce beau salopard…. Jusqu’à… Je fronce les sourcils, songeur. Je n’ai parlé de cette expérience à personne... Jusqu'à ce qu’un de nos thaumaturges me fasse boire son sang. Sa présence c’est brutalement brouillée.

Je presse inconsciemment ta main.

- Une légende court à ce sujet ...

-C’est une piste que je compte explorer.

Je joue toujours avec tes doigts, absorbé par leur finesse osseuse.

- Si j’arrive à des conclusions intéressantes, si jamais c'est une solution viable, franchiras-tu le pas ?

Je te regard droit dans les yeux.

- Vivre à nouveau normalement…Sans “Elle”. Je caresse ta joue. Marrant comme je suis d’ordinaire avare de contact mais comme tu attises toujours mon envie de te toucher. Faire tes propres choix…

J’inspire profondément.

- Bien entendu, il est possible que cela te foute dans la merde vis à vis du Royaume et moi avec….Sourire en coin. Détails...

Tu lis au travers moi et du cuir épais de la couverture.

- Je vais finir vraiment par croire que t’es une bonne psy… J’ai un petit rire, adossé au mur de la cabine, surplombé par ta hauteur. Je ne sais pas où j’en suis avec lui. Nos rapports sont devenus… tendus.

Long soupir.

- Avant c’était mon partenaire de travail, maintenant… Si je n’arrive pas à le domestiquer comme un outil efficace et utile, il faudra que je prenne une décision.

Je joue franc-jeu avec toi.

- J’ignore si je vaux quoi que ce soit sans lui… Regard vers le miroir.

Je le vois dans ton regard, je le vois à tes joues. Je t’ai touchée quelque part sous tes côtes saillantes. Et la chaleur qui t'inonde les joues, elle m’éclabousse un peu aussi.

On est cons, un peu.

- Il a pas besoin de moi pour se lustrer l’ego, va. Tous ces putains de dieux sont des "pervers narcissiques"… c'est bien le terme consacré, non ?

C’est toi la pro après-tout. Soupir résigné.

- Je verrais quand j’y serais...Mais ça change rien pour toi, querida mía. Si tu veux qu'on te débarrasse d’elle, je m’y emploierais.

C'est une promesse, Bro, un pacte.

Je fronce les sourcils, fâché.

- Tu crois franchement que je te laisserais crever ? C’est pas le but de la manoeuvre. Si je fais ça, c’est parce que j’veux que tu sois libre... libre d’avoir ta vie à toi!

La question me prend au dépourvu. Elle éveille en moi un brasier inattendu. Je t’enlace doucement.

- C’est ça qui t’angoisse, Bronach ? Tu as peur de me perdre…. J’ai un sourire de sale con. T’es pas la seule qui ira te repêcher aux Enfers s’il le faut. Tu fais partie de ma vie, que ça te plaise ou non.

Ma tempête,
Mon ouragan.

Ton sourire, ce sourire qui n’appartient qu’à toi, plein de fossettes et d'effronterie, ce foutu sourire… A quel moment, ai-je baissé la garde pour ne plus trouver ta présence envahissante, pire pour ne plus pouvoir m’en passer ?
Les mots sont superflus.

Nous sommes trop fiers pour les prononcer, de toute façon.

- Il n’est clairement pas prêt….

Escarmouche sur tes lèvres.
Elles n’avaient qu’à pas être si proches.

- Excusez-moi… ? Fait irruption une voix à l’extérieur. Les tenues vous conviennent-elles ?

Ricanements complices. Il n’y a que moi d’à poil. J’entre-ouvre le rideau.

- Je crains que la robe soit un peu serrée…

Je me marre au dépend de la vendeuse, enfilant tranquillement mes sapes. En sortant j’ai un sourire fielleux à son endroit.

- Vous inquiétez pas, on va la prendre quand même…

On se gondole comme des sales gosses, mains dans la main. Merde, ça fait du bien, de rire un bon coup, d’évacuer le stress et le dégoût de ces trois derniers jours.

- Je suis sérieux, je te l’offre. Je pense viser juste niveau mensurations, vu que je t’ai nue sous le pif les trois quarts du temps.

Nous arrivons au rayon animalier. Des jouets, il y en a par millier...

- C’est une vraie question ? Parce que je te connais, T’es comme les gosses : si je dis “habillée” tu vas te foutre à poil, si je dis “nue” tu vas porter des doudounes H24 juste pour me faire chier….

J’ai du mal à ne pas sourire. J’ai envie que ce petit moment de grâce, rien qu’à nous , perdure.

- Mais pour honnête, j’apprécie pouvoir lentement te désaper…

Surtout si tu portes mes fringues.

Je brandis un jouet qui fait un “pouic” comique dans mon poing : une sorte de jambon cartoon en caoutchouc souple.

- C’est son doudou préféré… apprécie le sens de l’ironie.