« Mia, range tes affaires, sois sage, tiens toi droite. » On lui avait toujours dit quoi faire à cette gamine. « Souris, ne les laisse pas savoir. » Personne ne doit jamais savoir, car une émotion ça se prend, ça se jette, ça se manipule, ça détruit. Le sourire toujours sourire, malgré les aléas.

Malgré la mafia. Le sang sur les mains en permanence, la culpabilité aussi. Mais Mia elle est épargnée, c’est une enfant illégitime, y a l’argent sale sur son compte en banque, l’argent sale mais l’amour véritable, celui d’un enfant qu’on ne peut aimer à la lumière. Une enfant calme, intéressée, solaire, proche de sa sœur aînée qui vit le même sort qu’elle. Au fond, elles n'en ont jamais souffert, trop occupées à se raconter des histoires avant d'aller dormir, de se poursuivre dans les couloirs pour cette même robe qu'elles ne pouvaient pas partager, sous aucun prétexte. A cette époque, tout avait le goût de l'innocence, elles tentaient de vivre de manière normale sans se soucier des menaces pouvant peser sur elles, par leur simple filiation.

Il y a eu le premier battement de coeur, l'annonciateur. Les regards en coin, les papillons dans le ventre. Ca sortait tout droit d'un compte de fées, tout ce qu'on a toujours rêvé ; il avait le pouvoir de tout rendre plus léger, toute leur relation reflétait le cliché de la relation parfaite que tout le monde rêve d'avoir, les lettres d'amour se mêlent aux retrouvailles nocturnes.

Et ça, c'est Jupiter.
Comment tu le sais ?
Je le sais, c'est tout ! Regarde le ciel, vois comme ça brille, tu ne peux pas te tromper !

Seize ans et la déesse qui se manifeste.
Des primus. C'était évident.
J'ai peur de la mort, j'ai peur qu'elle nous emporte.

Il faut vivre un maximum avant que toute les fleurs ne fanent.

Alors, marions nous.

La bague au doigt, le sourire aux lèvres, les yeux pleins d’étoiles. Oui, il est l’amour de sa vie c’est sûr, c’est ce qu’elle se dit quand elle passe les portes de la mairie, la robe immaculée qui traîne au sol. Ils se sont sans doute précipité, lui s'est mit à genoux trop vite, ils venaient de fêter leur dix-neuf ans quand ils sont passés à la mairie, tout le monde leur a dit qu'ils étaient stupides et naïfs, qu'ils faisaient une grossière erreur mais pour eux, rien ne comptait plus que leur bonheur, aussi éphémère était-il. Parfois, elle entend encore les cloches et les premières notes de l’ouverture de bal, ses cheveux qui ne tiennent pas en place et les mariés qui s’enfuient du buffet pour se commander un fast food chinois à l’arrière de la salle ; l’union aura toujours dans sa tête l’odeur caractéristique de nouilles froides.

« Quand aurons-nous un enfant ? » Pas tout de suite. Car si la décision de se marier est venue naturellement, celle de fonder une famille prenait plus de temps. Les ennemis se sont accumulés du côté de son père et il est temps de protéger les siens, les protéger de ceux qui lui veulent du mal et qui pourrait les supprimer. On fait partie du Royaume, maintenant. Est-ce de bonnes conditions pour élever un enfant ? De toute façon, elle ne tombe pas enceinte, c'est un échec en permanence.

Et puis, il est mort.

C'est comme ça, c'est arrivé d'un coup ; on se couche une nuit et on ne se réveille pas, le coeur cesse de battre d'avoir aimé trop vite et trop intensément. Veuve, à peine la vingtaine et tout qui s'écoule. Mia tu es si forte. Tu ne pleures pas. Je ne sais pas. Peut-être que ce n'est pas ce qu'il aurait voulu, les larmes ne viennent pas. Les larmes viennent mais quand personne n'est dans la cuisine, quand la déesse pétrit la pâte désespérément en y voyant la métaphore de son coeur brisé. Dans le four, la première fournée brûle, elle n'est plus capable de rien.

Mais il n'est pas question d'abandonner ; Mia elle a son sourire accroché aux lèvres, ce n'est pas sa tristesse qui doit se refléter auprès des autres, personne ne doit la prendre en pitié. Alors on rebondit, mieux, à chaque fois. Jusqu'à l'accident.


Au revoir, chère soeur. Tu étais tout ce qui me restait, désormais tu es partie le rejoindre, j'imagine que ça doit être merveilleux là bas pour que vous vous y donniez tous rendez-vous. Je te reconnais pas, parmi les éclats de pare-brise. Je te reconnais pas, sur la table. J'ai pas l'impression que c'est toi, sous les draps.


***

Douce Mia, c'est donc ta boutique qui sent le paradis, chaque matin ? On sent la cannelle se mêler au beurre fondu, est-ce toi qui fait gonfler le pain aussi bien ? La rumeur dit que tu rajoutes toujours une douceur de plus dans les sachets, comme pour rendrez le sourire à ces gens qui viennent chercher leur petit déjeuner, pour affronter la journée.

Tu te donnes à n'en plus finir, un petit bout de toi à chaque pâtisserie.
Parce qu'on avance, on se relève, on enfile son tablier et on retourne apporter du bonheur, quitte à trouver le sien dans celui des autres.