Sa remarque me fait rire sous cape. Un message de la part de l'univers ? Quel peut-il être ? "Le sexe, c'est pas si mal, et les règles sont faites pour être interprétées" ? Pour ma part, j'y voyais malgré moi une notion hautement religieuse dans ma petite aventure : savoir accepter le démon qui est en nous plutôt que d'essayer de le combattre. Accepter et savoir reconnaître ses propres faiblesses, ne pas juger, reconnaître le Bien du Mal même s'il n'est pas le concept qu'on s'en fait à la base.
La base de la religion catholique, malheureusement depuis très longtemps oubliée. Depuis que le Diable a revêtu une importance capitale dans le traitement des affaires du peuples et qu'on a commencé à le voir dans son prochain plus que Dieu lui-même.
"Oui... L'ironie est que nous habitions la même ville, étions dans le même hôpital pendant mon accident, avons déménagés en Arcadia presque en même temps et que nous nous sommes rencontrés pour la toute première fois qu'après."
Donc même si je l'avais trouvé avant, sans Sheitan, rien de tout ceci n'aurait été possible. Sans doute que je ne me serais pas autorisé d'avoir des sentiments ou être dans une relation où j'aurai eu l'impression d'abuser d'une femme.
Je regarde un instant Samaël jouer avec son anneau. Je compatis énormément et décide d'arrêter un instant sur ce sujet. Écoutant les raisons de son silence sur la-dite personne, j'ai peur un instant que ces fameuses "capacités" ne soient utilisées à de mauvaises fins. Cependant, je n'ai pas d'autre choix que de croire en la bonne foi de Samaël et espérer que cette personne n'ai pas pour but d'abuser de lui comme cela arrive fréquemment en ce moment.
Déçu mais résigné, je hoche la tête et accepte cette vérité. Cependant, mon silence est largement récompensé. L'homme hésite visiblement et je m'apprête à désamorcer la question quand la réponse vient enfin. Elatha donc... Je ne m'y connais pas beaucoup en mythologie celtique mais je sais que je vais sans doute m'y pencher de beaucoup plus près à présent. Je hoche donc la tête.
"Je comprend, ce n'est jamais facile d'accepter cette nouvelle identité. Tu as donc été touché par la foudre d'il y a deux ans ? Pour ma part, j'ai été transformé ce fameux soir aussi mais il s'agit plus d'une coïncidence qu'autre chose."
Ou l'est-ce réellement ? Après tout, personne ne semble être au courant de rien et le divin m'ayant toujours fasciné, je suis surpris que cela reste encore à ce point tabou. Après, ce n'est sans doute pas plus mal que les dieux vivants restent cacher et n'essayent pas de retrouver leur grandeur et leur puissance d'origine.
"Art et science, donc... Pas étonnant que tu te sois retrouvé attiré par l'église et très flatteur que tu m’as écouté jouer. Avoir du public, cela me bloque et j'ai du mal à jouer en présence de quelqu'un."
Il espérait sincèrement ne pas s’être trompé sur Kyan à cet instant alors qu’il avait décidé de lui faire confiance. Il était encore novice dans tout ça mais on lui avait dit que les satyres pouvaient manipuler l’esprit. Cependant… il ne pensait pas que c’était le cas à cet instant. Il avait passé une bonne partie de sa vie à voir différents psychologues au point qu’il avait développé une certaine résistance face aux différentes méthodes de manipulations… lui-même avait appris à en user. De plus, la soirée n’était pas sous le signe de la supercherie, ils avaient fait tomber leur masque plus tôt, les remettre n’avait aucun sens.
– J’ignore comment et quand c’est arrivé… C’est arrivé… voilà tout.
À vrai dire il ignorait encore pas mal de chose sur ce qui c’était passé, les Obscuri ne lui avaient pas donne toutes les informations tant qu’il ne se serait pas montré digne de confiance. Donc il ne mentait pas, il ne savait pas à quel moment la divinité avait décidé de se réincarner en lui. Il n’avait jamais été frappé par la foudre donc ce n’était pas ça.
La discussion revint vers un thème avec lequel il était plus à l’aise : l’art. Il eut un petit sourire aux paroles de Kyan. Il devait reconnaître qu’il avait toujours admiré l’architecture des lieux de cultes quels qu’ils soient. Mais ce soir, c’était l’instrument si familier qui l’avait attiré.
– Je suis donc un privilégié d’avoir pu t’entendre…
Il apparait alors, ce rire sincère qui s’était fait rare ses derniers temps, privilège rare accordé au satyre. Une sorte de retour des choses.
– Il va falloir que je te rende la pareille alors. J’ai cru voir un piano à l’intérieur.
Désignant la porte de la cour qui menait au bar, il se leva, toujours avec un sourire. C’était une chose qu’il n’avait pu abandonner. C’était encore douloureux de repenser à leurs moments à eux mais renoncer à jouer, c’était renoncer à son souvenir. C’était le moment de faire un petit concert improvisé, peut-être que ça apaiserait un peu le personnel après l’altercation violente. Il attrapa sa bière et invita Kyan à le suivre à l’intérieur où il croisa le regard interloqué de la serveuse, mais avant qu’elle ne puisse parler, il désigna le piano.
– Je peux ?
La serveuse acquiesça en hochant de la tête et l’invita à s’installer. Après l’avoir remercié avec un sourire chaleureux, qui contrastait avec l’éclat de sang quelques temps plus tôt, il s’assit, posa sa bière sur le piano et joua quelques notes pour s’échauffer. Il s’était demandé un instant ce qu’il allait bien pouvoir jouer, puis un éclat apparut dans ses yeux quand son choix se fit.
Il commença alors en jouer les premières notes de « Deam on » d’Aerosmith, laissant ses doigts parcourir le clavier alors qu’il connaissait cette chanson par cœur. Puis vint alors la partie chantée et sa voix commença à s’élever dans le bar.
– Everytime that I look in the mirror All these lines on my face gettin' clearer The past is gone
Il ne la chantait pas exactement comme l’originale, adaptant en fonction du timbre de sa voix, la rendant plus intime alors qu’il continuait les paroles tout en jouant sans réellement regarder ses doigts. Il se doutait qu’à cet instant, l’attention des quelques personnes présentes étaient sur lui, mais cela ne le dérangeait pas. Il se sentait d’humeur à se changer les idées. Samaël continua ainsi jusqu’au moment où la chanson prenait son envolé. Il avait commencé quelques notes plus bases pour ce moment, afin de ne pas paraître ridicule quand il devrait monter un peu plus dans les aigues, n’ayant pas la performance vocale de Steven Tyler.
– Sing with me, sing for the year Sing for the laugh and sing for the tear Sing with me, if it's just for today Maybe tomorrow the good Lord will take you away
Arrivèrent ensuite les « Dream on », qu’il fit de façon plus calme. Le chant sonna alors comme une invitation poétique au rêve. L’aura de l’artiste semblait englober le lieu d’une aura mystique qui pouvait être troublante quand on repensait à l’autre facette de son visage. C’était ainsi que le géant était dans toute sa complexité : brutal mais capable d’une sensibilité enfouie. :copyright:️ DABEILLE
Cela ne provient pas forcément d'un orage, dans ce cas ? Il va falloir que j'approfondisse drastiquement mes recherches. Se faire frapper par la foudre ne pouvait pas s'oublier ainsi. Est-ce possible qu'à l'instar de certaines créatures, certains dieux puissent naître avec leur corps d'humain directement ? Les créatures dans ce cas sont rarissimes mais... après tout, pourquoi pas ?
"Pardonne ma curiosité, j'essaye d'aider les gens aux mieux mais ma principale source d'information a soudainement disparue."
Un privilégié, oui, ou plutôt quelqu'un qui s'est octroyé cet avantage vu que je ne l'avais pas choisi. Peu importe, il avait été là au bon moment et si ce qu'il avait entendu l'avait ravi, alors c'était pour le mieux. L'homme se lève pour me montrer son propre talent. Il s'installe au piano et joue un air que j'ai du mal à reconnaître pour l'avoir peu entendu.
Dream on, évidemment, des Bad Boys de Boston. Ce n'est pas étonnant que je ne suis pas au fait de ce genre de musique. Je me met debout à côté de lui, un peu intimidé, et particulièrement fasciné. Contrairement à moi, Samaël n'hésite pas une seconde à chanter en public. Pour ma part, j'ai toujours joué et chanté que pour moi-même et personne ne s'était spécialement intéressés à cette facette de ma personnalité et encore moins demander de jouer.
J'ai donc toute possibilité d'écouter les paroles dont je m'abreuve comme un curieux qui découvre une nouvelle culture. Soudainement, je comprend que, comme beaucoup d’œuvres, il y a un lourd symbolisme religieux : le miroir, le reflet, les péchés, les fous et les sages, et Dieu, bien entendu. En réalité, je comprend confusément que je suis en train d'écouter les paroles de ma vie au moment où je voulais mettre fin à mes jours, un retour sur ma propre existence faite de l'écriture de mes journaux et de lectures de gros livres. Est-ce la le signe d'une œuvre réussie ? De se sentir concerné par quelque chose qui à priori ne devrait pas nous parler ?
Je me revois encore, sur le toit de mon église, les bras en croix, les larmes au bord des yeux, le visage tourné vers le ciel, la détresse en plein cœur et surtout ce sentiment égoïste de sacrifice que je m'apprêtais à accomplir. Alors que la musique s'apaise après mon moment fort, je m’aperçois que je me suis laissé totalement submergé par mes émotions. Que s'est-il passé ? Encore une aura divine surnaturelle que je ne peux comprendre ? Je reviens donc sur terre et souris à Samaël avant de l'applaudir à la fin de ce petit concert à mon attention.
"Je te remercie, je ne t'en demandais pas tant..."
Derrière son comptoir, la serveuse applaudit aussi, suivie de près par quelques paires de mains. Tous les spectateurs semblent sous le charme et je me sens un peu moins seul dans mon introspection.
- Putain ! J'adore ce mec ! -
"Tu devrais jouer plus souvent. Il y a d'autres instruments que tu maîtrises ? C'est impressionnant !"
Après tout, s'il pouvait s'épanouir plutôt dans l'art que dans la violence, je ne pouvais que l'encourager dans cette voie. La création était, à mon sens, bien plus salutaire que la destruction, même si elle était moins séduisante de prime abord.
"C'est dommage qu'on ne se soit pas rencontré avant. Nous n'avons pas eu de séance photo convenables avec ma femme pour notre mariage..."
Je ne sais pas ce qui me fait dire cela, mais c'est sorti comme une évidence.
Samaël se laissa porter par l’instant virtuose, fermant les yeux, se laissant guider par les notes qui retentissaient alors qu’il posait sa voix. À cet instant, il ne sentait pas les regards sur lui, il était seul dans son antre mental. Il oublia le temps d’un instant ses pensées sombres comme heureuses, même ce feu qui le rongeait de l’intérieur, affamé, se tut. Puis les dernières notes arrivèrent, résonnant un instant avant de disparaître. Le géant expira alors, reprenant contact avec la réalité et ouvrit les yeux tandis que quelques applaudissements retentissaient. Il avait failli oublier ce sentiment de bien-être quand il était acclamé par un public.
Le géant se releva et adressa un hochement de tête à la serveuse et aux quelques clients présents pour les remercier de leur écoute. Visiblement, son petit interlude musical avait marché comme il l’espérait : malgré la misère apparente du quartier, la magie du lieu opérait et l’ambiance chaleureuse sembla s’accentuer un instant, comme si l’extérieur et sa réalité n’existait plus.
Il se sentit soudainement galvanisé et quand les derniers applaudissements discrets cessèrent. Il eut même la sensation que quelque chose d’enfoui s’éveillait, satisfait, avant de se rendormir aussitôt. Mais Samaël n’eut pas le temps de se questionner sur l’origine de ce sentiment nouveau caché sous la familiarité de la situation. Il se tourna enfin vers Kyan, toujours avec un sourire bienveillant.
– Je t’en prie, Je me suis incrusté pendant ta cession, je me devais de t’en offrir une.
Le compliment de Kyan le flatta, il dut le reconnaître, même s’il se gratta légèrement la base de la nuque avec une once de pudeur. Il ne s’attendait pas à ce que son registre lui plaise, mais c’était tant mieux.
– J’avoue que je ne pensais pas que ça te plairait autant. Mais si ça te plait, je pourrais jouer d’autres morceaux à l’occasion. Je joue principalement du piano mais je pratique aussi la guitare. Je reste assez classique pour le coup.
Il trouvait qu’il excellait plus dans l’art graphique, ses talents musicaux n’étant que le pâle reflet de celui de sa bien-aimée qui aimait jouer avec lui. La main toujours sur sa nuque, il sourit de toutes ses dents quand Kyan évoque son regret de ne pas l’avoir connu plus tôt. Là il parlait à sa fibre artistique la plus exacerbée. Pas de séance photo décente pour son mariage ? Qu’à cela ne tienne ! Il allait régler ça.
– Si ta femme et toi avez toujours vos tenues de mariage, je peux vous en offrir une digne de votre amour. C’est fréquent de faire les photos du couple après le jour du mariage, je travaille principalement comme ça maintenant. Ça évite aux mariés de devoir laisser en plan leurs invités pour aller faire des photos. Je n’aime pas travailler comme ça, on est pressé par le temps et au final tout le monde a faim et n’est pas d’humeur pour les photos de groupes après avoir attendu deux heures.
Les joies des séances photos pendant les mariages… Il se rappelait trop des attentes interminables en tant qu’invité : des batailles pour réunir tout le monde, la liste interminable des photos de groupes parce qu’il faut faire avec les témoins, avec les amis d’enfances, puis les cousins d’un côté, puis de l’autre, et c’est sans fin. Pendant ce temps tout le monde attend pour le vin d’honneur et quand tous pensent que c’est enfin fini et bien non : la témoin a fait la liste et a oublié un côté de la famille de la mariée. Lui, qui était déjà un bon mangeur avant, commence à avoir faim donc il patiente en faisant ce qu’il fait de mieux : prendre des photos. Et ça marche, tout le monde s’amuse, rigole, et il prend des photos tout au long de la soirée pour qu’au final les siennes soient plus réussies que celle du photographe que ses cousins ont tenu à prendre pour ne pas l’embêter.
– J’ai un studio donc si ça te dit, passez ensemble et on pourra se fixer une cession. Je fais de tout : en studio ou à l’extérieur. De l’urbain au naturel à toute saison. Je suis équipé.
L’enthousiasme pouvait se lire dans ses yeux alors qu’il imaginait déjà des photos dans un sous-bois à l’approche du printemps, sous-entendant la nature du satyre par le décor bucolique. Il aimait sincèrement l’histoire de Kyan et de sa femme. L’homme de foi qui aurait dû mourir et renaît autre pour rencontrer l’amour de sa vie, ouvrant les yeux sur un monde nouveau. :copyright:️ DABEILLE
Samaël accepte mon compliment avec enthousiasme, ne voulant pas jouer la fausse modestie. La musique a le même effet sur lui que sur moi : apaisante mais mélancolique, un feu qui réchauffe l'âme mais qui peut finir par brûler si on s'y perd trop.
"Piano, guitare et chant, donc. Pour ma part c'est le piano et le violoncelle. Je fais un peu de chant aussi mais c'est surtout du chant de chorale."
A présent, le géant n'avait plus aucunement l'air menaçant a parler ainsi de musique. C'en était presque déconcertant si je ne vivais pas cet état moi-même. Cependant, pour sa part, il s'agit de deux facettes de sa personnalité, pas de deux personnalités distinctes qui ont du mal à s'accorder. Un Samaël sensible et un Samaël violent, donc, mais toujours Samaël.
"Très franchement ... Peut-être pas pour moi tout seul mais pour le centre d'aide, j'aimerais beaucoup que tu joues un soir, juste quelques morceaux. Si avoir un public ne te fait pas peur, s'entend."
Après le départ d'Hadrien, c'était devenu assez délicat de s'occuper d'eux. Leur chef bien aimé, fort et charismatique a laissé place à un prêtre qui n'a que sa bonne volonté pour lui. Je suis persuadé qu'un peu de musique pourrait permettre de calmer un peu les mœurs.
A sa proposition de refaire les photos de mariage, je suis tout à fait séduit par l'idée. Nous pourrons avoir un album à nous même s'il n'a pas été pris en Inde, il sera pris dans notre lieu de rencontre. Ce sera un vrai cadeau pour mon épouse si je parviens à tenir ma langue ! J'essaye cependant de ne pas trop m'emballer, avec tout ce qui se passe...
"Oui, nous les avons toujours ! Ce serait possible de passer à ton studio pour voir ce que tu proposes ? Moi, je verrais Cornucopia District, le parc, ou même l'Elixir, c'est le salon de thé où nous nous sommes rencontrés !"
Ne pas s'emballer, on a dit ...
"Pardon... avec la coupure de courant générale, ça ne doit pas être possible pour le moment, je suppose."
Je me souviens de mon propre mariage et effectivement, la "séance photo" a été d'une longueur interminable, toute l'après midi en fait. Et pour ce qui est des photos, on en a toujours pas vu la couleur, à part celles de mon frère qui ont surtout comme sujet principal la sulfureuse cousine de ma femme.
"Je vais essayer de ne rien dire à ma femme pour le moment et de lui faire la surprise. En tout cas, merci beaucoup pour l'idée !"
Durant un court instant, son regard se voila quand Kyan révéla jouer également du violoncelle : son instrument. Mais il garda cette pensée pour lui, ne voulant pas troubler l’instant. La lueur enthousiaste réapparut à l’invitation de Kyan. Jouer quelques soirs devant un public pour remonter le moral dans un centre d’aide. Pourquoi pas ?
– J’avoue que je n’ai pas l’habitude d’être de ce côté de la scène. Mais je veux renouveler l’expérience.
D’habitude, c’était elle qui donnait les concerts dans les associations, il l’accompagnait et couvrait l’événement de son œil de photographe quand il arrivait à avoir un contrat avec un journal local. Peut-être que cela lui ferait du bien de tenter cette expérience.
Quoi qu’il en fût, l’idée du géant plaisait beaucoup au satyre, et il en fut ravi de le voir aussi enthousiaste. Il pouvait sentir les idées foisonner dans l’esprit de Kyan alors qu’il en apprenait un peu plus sur lui. Il évoqua Cornucopia District et Samaël ne put s’empêcher d’avoir son sourire taquin des coïncidences.
– Cornucopia District ? Ça ne pouvait pas mieux tomber : j’y vis et y travaille.
Quand ils avaient emménagé à Arcadia, sa fiancée et lui étaient tombées sous le charme du quartier qui s’avérait être une véritable bouffée d’air frais dans la ville. Une chance pour le couple : l’immobilier était abordable et ils avaient pu s’installer dans une charmante maison avec une partie commerçante, parfaite pour l’atelier de l’illustrateur / photographe.
Aux questions de Kyan, Samaël réfléchit un instant, imaginant plusieurs scénarios possibles malgré le black-out. Le parc pouvait être une bonne idée, mais L’Élixir avait une place particulière pour lui aussi. Il aimait cet endroit original où il allait régulièrement avec Elle.
– Je pense qu’il y a la possibilité de travailler avec les lumières naturelles. Au pire j’ai mes flashs pour les photos d’intérieur. L’Élixir est un bel endroit pour se rencontrer. On s’y est probablement déjà croisé sans le savoir vu mes soirées passées à deux là-bas.
Aux remerciements enthousiastes, le géant posa sa main droite sur le cœur et hocha de la tête humblement. C’était étrange, mais ça lui faisait plaisir, comme quand il rendait service à un ami. Oui… c’était ça. Il appréciait Kyan, et le peu qu’il avait vu de Sheitan lui plaisait. Depuis le drame et son internement, il avait du mal dans ses relations avec ses amis de longues dates. Rares étaient ceux qui n’avaient pas changés dans leur attitude et certains vivaient loin. La plupart de ses relations depuis plusieurs mois étaient liées aux Obscuri ou à la violence des combats clandestins. Les seules relations « normales » étaient soit professionnelles, soit familiales quand il appelait ses grands-parents. Kyan était à peu près la seule interaction amicale depuis des mois. :copyright:️ DABEILLE
Il y vit ? Je n'y crois pas mes oreilles. Sommes-nous voisins sans le savoir ? Cette nouvelle information me fait un effet étrange. Vivre à Cornucopia District signifiait très clairement une volonté de faire partie de la nature, de rester neutre dans tout ces conflits. A moins que ce ne soit une décision de sa défunte fiancée.
J'écoute attentivement les explications du photographe, m'imaginant déjà entrer dans la chambre et subtiliser nos affaires de mariage subtilement avant de convier ma princesse dans une balade dans le quartier pour enfin lui faire la surprise. Elle n'aurait pas tout ses bijoux mais à mon sens, elle n'en serait que plus lumineuse.
Pour ce qui est de l'Elixir, il allait falloir demander à la propriétaire en premier si elle voulait bien nous prêter les lieux pour quelques clichés.
"L'Elixir est important pour moi, c'est le lieu de mon tout premier rendez-vous. A l'époque, j'étais pur et innocent et je ne savais pas ce qu'inviter une femme à sortir pouvait impliquer."
Je sais très bien de quoi ça a l'air. Les raisons, cependant, était bien plus sérieuses et tragiques que peuvent le laisser deviner la situation quasi-romantique. C'est pourquoi j'avais choisi cet endroit : une parenthèse dans nos vies, pouvoir retracer un chemin douloureux dans un cadre apaisant... Et en plus, elle m'avait laissé attendre trois quart d'heure ! Je souris à ce souvenir.
"Si tu vis et travailles à Cornucopia District, je n'ose demander ce que tu cherchais en venant ici. Du coup, si tu as le temps, permet moi de te proposer de te raccompagner chez toi, j'ai une voiture..."
- HEY ! -
"Enfin, Sheitan a une voiture."
Oserais-je proposer la suite ? Je pense que nous ne sommes plus à ça près et qu'en plus, mon enthousiasme doit se lire son mon visage.
"... Et si ça ne te fait pas trop tard, voir un peu ce que tu fait comme photos de mariages. J'aimerai que tout soit prêt pour la surprise."
Moi et ma sacro-sainte envie de tout prévoir d'avance...
Samaël ne put s’empêcher d’avoir un sourire bienveillant, voire tendre, en écoutant Kyan raconter son premier rendez-vous. Il était loin le temps où le géant, alors jeune adolescent, attendait, le cœur battant, ses premiers rencards avec elle en tant que couple et non plus comme amis.
– Je comprends, je crois que toute personne ayant été en couple connait ce sentiment des premières fois.
Il ne pouvait que comprendre la symbolique de L’Elixir pour le couple. Ce genre d’endroits pouvait devenir précieux quand il était chargé d’autant de symbolique. Cela faisait un petit temps qu’il fréquentait moins l’établissement, mais il y passait toujours, demander l’autorisation ne serait pas compliqué, restait à voir si la propriétaire accepterait de privatiser une heure ou deux l’établissement.
En apprenant qu’il venait d’un quartier qui semblait être à des années lumières de l’endroit où ils étaient, le satyre eut un étonnement et un questionnement qui amusèrent légèrement le géant. Il venait d’un des quartiers les plus calmes de la ville… Il fallait reconnaître qu’en venant ici, Samaël était sûr de ne pas croiser de voisins.
– J’avoue que j’étais dans le quartier pour me défouler un peu en trouvant des emmerdes. Mais je dis reconnaître que le changement de plan n’est pas déplaisant.
Il accepta également l’invitation à être raccompagner, étant était venu à pied pour se déplacer plus discrètement dans le quartier. La petite correction de Kyan n’échappa pas à Samaël qui imaginait sans mal que l’alter ego du satyre avait revendiqué ce qui était à lui. Ce n’était vraiment pas un souci pour lui, au contraire, ce changement d’idées était bienvenu et apaisant. Il aimait se battre… laisser échapper ce feu sauvage et violent qu’il avait en lui, mais après un certain temps sans véritables commandes pour son activité de photographe, remettre le pied à l’étrier lui faisait du bien.
– Ne t’inquiète pas, j’ai l’habitude de veiller tard. Ça fait vraiment plaisir de te voir enthousiaste à ce point. Je peux déjà te montrer ce que je fais et voir comment on peut s’organiser, surtout si c’est une surprise pour Madame.
Une fois décidé, Samaël se promit de repasser de temps en temps dans cet endroit qui avait un certain charme. Il tint également à laisser ses coordonnées à la serveuse afin qu’il puisse régler les dégâts causés par l’altercation de début de soirée.
Une fois dehors, il se frotta machinalement les mains, l’air s’était davantage rafraîchi, donnant un petit côté revigorant qui éveillait les sens du géant alors qu’il remontait avec le satyre vers l’église. :copyright:️ DABEILLE
J'acquiesce à sa phrase. Mon premier rendez-vous n'était pas adolescent mais est arrivée à mes quarante ans. Je ne peux pas juger ce sentiment "des premières fois" vu que c'est le seul et unique sentiment qui ne m'ait jamais animé. Sans doute est-ce l'avantage de d'être préservé aussi longtemps, l'ivresse restera sans doute jusqu'à la fin.
"Finalement, ce sont les ennuis qui nous ont trouvés..."
Alors que nous nous apprêtons à partir, je remarque que Samaël laisse son numéro en cas de problèmes ultérieurs. Je suis ravi que ma soirée se termine ainsi. J'ai une surprise pour ma femme que j'espère rester secrète.
"Je te remercie. Viens, la voiture est à peine plus haut."
Dehors, l'air frais me fait du bien. Il ne nous faut pas longtemps pour voir apparaître dans la rue la fameuse petite Sheitanmobile rouge. Je souris devant le décalage possible entre ma profession, ma volonté de me détacher des possessions physiques, et la voiture conçue exclusivement pour la performance et la drague.
Allure de la voiture:
J'invite le géant à prendre place et me place derrière le volant. Fatigué par la soirée et relativement peu sur de moi au volant de cet engin, je laisse Sheitan prendre place dans notre esprit. Naturellement, nos mains se posent sur le volant et le levier de vitesse.
"Tu m'guide jusqu'à ta boutique ?"
Finalement, nous démarrons et nous voilà sur le chemin du retour pour Cornucopia District. A travers nous, Sheitan sourit, ravit de pouvoir conduire sa voiture et de pouvoir penser à autre chose. Il se dit que c'est finalement assez rare de faire monter quelqu'un dans sa voiture sans espérer un rapport charnel par la suite, encore que ...
"C'est une bonne idée d'être venu dans le quartier industriel pour chercher les emmerdes. Par contre, t'avais peu de chance de trouver ça dans une église... Et encore pire en tombant sur Kyan ! Enfin ... C'était un plaisir de te voir te battre."
Je me débat dans notre esprit. Même si la conversation n'est pas hostile, parler de cela commence à me mettre assez mal à l'aise. Sheitan consent à parler d'un sujet un peu plus normal. Avec soulagement, nous quittons le quartier industriel dans une conduite infiniment plus souple que si j'avais gardé totalement le contrôle.
"J'comprend mieux maintenant pourquoi tu t'en es sorti indemne de cet accrochage. Tu n'es pas trop fatigué, rapport à tes pouvoirs ?"
Le trajet ne fut pas long et après quelques échanges banaux et amicaux dans la continuité de la soirée, les deux hommes finirent par arriver devant le véhicule. Le géant ne put retenir un petit sifflement d’admiration face au petit bolide à la fois vintage et sportif.
– Sacrée bête.
Samaël adressa un petit regard amusé à Kyan, un sourire au coin. Il devait reconnaître que Sheitan avait de bons goûts et était curieux d’en apprendre un peu plus sur la personnalité désinhibée du satyre. Visiblement Kyan n’était pas à l’aise pour conduire car la personnalité cachée du père ressortit et il put enfin le voir plus longtemps que durant le court échange pendant la bagarre. Son sourire s’accentua un peu plus, se pointant de malice alors qu’il sentait son intérêt se focaliser sur cette facette du père.
– Ravi de te revoir, Sheitan.
Tout en guidant Sheitan jusqu’à son atelier, il continua la conversation, ou plutôt la commença. C’était à la fois amusant de déroutant de constater la différence da,s la façon de parler qu’il y avait entre les deux personnalités. Mais ce n’était pas la première fois que Samaël se retrouvait face à une situation similaire : il avait déjà rencontré une personne souffrant de trouble dissociatif de la personnalité pendant son internement. Cela le fit d’ailleurs se demander si cette personne souffrait réellement de schizophrénie ou si, comme Kyan et Sheitan, elle partageait son corps avec une créature. Le satyre revint alors sur les détails « intéressants » de la soirée et il sentit qu’il allait pouvoir en parler avec moins de pudeur d’avec Kyan. Sheitan était devenu, en quelques sortes, un compagnon de baston.
– Je dois reconnaître que ça a été plaisant de ne pas me battre seul contre ces abrutis… Je ne supporte pas ce genre d’attitudes… Pour l’église, j’avoue que c’est surtout la musique qui m’a convaincue d’entrer, sinon je serais passé devant sans m’arrêter. Mais je dois reconnaître qu’au final, ça valait le coup.
La route défilait et Samaël continuait de donner les indictions tout en discutant quand le satyre finit par évoquer ses aptitudes au combat et le questionna sur ses pouvoirs.
– Et pour mes capacités au combat… Je dois avouer que même sans tout « ça » je m’en sortais très bien. Je fais de la boxe depuis que je suis gamin. Et j’ai ajouté quelques sports un peu plus « brutaux ». Ça m’a toujours fait du bien pour évacuer ce… trop plein d’émotions.
C’était étrange quand il y songeait : pourquoi ce besoin continuel de violence, lui qui avait grandi dans un environnement sain avec une mère et des grands-parents aimants ? Il n’avait pas connu son père mais il n’éprouvait pas le besoin de savoir qui il était, en réalité il s’en fichait complètement. La mort de sa mère l’avait meurtri mais de là à aimer autant tout « ça »… Il finissait par se demander si ce n’était pas tout simplement sa nature, ou son destin pour arriver à sa situation actuelle, à ses pouvoirs.
– Par contre… j’ai toujours faim depuis que j’ai… mes capacités. Même quand je ne les utilise pas, ça me prend pas mal d’énergie. Sérieusement j’ai un régime digne d’un hobbit !
Il eut un léger rire à sa comparaison, dédramatisant la situation. Et quand il y réfléchissait il faisait vraiment sept repas dans la journée au moins. Il avait fini par s’habituer à avoir toujours faim, comme à cet instant précis, mais c’était tout à fait gérable. Le pire, c’était quand son pouvoir commençait à se manifester trop et qu’il n’avait rien avalé depuis plusieurs heures. C’était là qu’il devenait dangereux, irritable… et tellement tenté d’utiliser son pouvoir, ou de mordre dans la première chose comestible qu’il croisait. :copyright:️ DABEILLE
"Moi de même ! Et merci pour le compliment sur ma voiture."
Sheitan continue de faire tranquillement la conversation. Quand Samaël aborde son passé de boxeur, l'image de lui me vient, sans aucun vêtements, tout en muscle et en puissance. Je repousse cette image comme je peux, c'est l'une des raisons pour laquelle j'ai horreur de laisser Sheitan prendre le contrôle tout en restant conscient. Cependant, je n'ai pour le moment aucune envie de partir et si je dois supporter l'imagerie plus qu'érotique de mon alter-ego, alors soit.
Cependant, je suis assez surpris de voir que bien qu'il ait l'esprit pour le moins fertile, Sheitan n'en laisse absolument rien paraître extérieurement, parfaitement maître de ses désirs comme j'aurais aimé l'être moi-même. Il se contente de jeter un œil discret, de temps à autre, à notre nouvel ami, et cela passe certainement comme une simple volonté de nouer le contact.
"Évacuer les tensions par une activité physique, je connais ça. J'aime bien me battre, mais ces derniers temps, je me suis plus tourné vers la danse. Même si ma préférence va naturellement vers l'étreinte charnelle."
A un sourire amusé et entendu, cependant il pleure encore intérieurement de sa perte. Soigner cette douleur ne sera pas facile et je ne sais pas comment se passera la suite. Pour le moment, lui comme moi n'avons pas abordé le sujet, c'est beaucoup trop tôt.
Quand la comparaison vient sur le régime alimentaire, Sheitan se met à rire, comprenant la référence. Les capacités des fomoirs ont donc des contrecoups différents de celles des créatures ? Sheitan pense qu'avoir faim est une faiblesse très agréable à gérer. Je modère cette idée en lui disant qu'il s'agit tout de même d'une entité divine et que sa faim devait certainement s'accompagner de grandes douleurs et d'une obsession dévorante.
Finalement, de retour dans notre petit quartier, Sheitan me laisse volontiers la place dans notre esprit. Nous arrêtons la voiture juste devant une petite maison et le voilà qui se dissipe totalement non sans m'avoir fait une suggestion auparavant.
"Du coup, tu as faim maintenant ? On peut aller s'acheter un truc si tu veux. Il n'y aura probablement pas grand chose mais je pense qu'on peut trouver un hot-dog."
J'admets que pour ma part, je n'ai jamais eu beaucoup d'appétit à part pendant mon début d'adolescence. C'est ces derniers temps, grâce (ou peut-être plutôt à cause) de ma chère et tendre que j'ai trouvé un intérêt pour la nourriture.
Il ne put s’empêcher de rire à la remarque de Sheitan concernant « l’étreinte charnelle ». Le contraire venant d’un satyre aurait été des plus étonnants. S’imposa alors à lui cette image du [i]Hercule[i] de Disney : Phil, le satyre, courant après différentes nymphes pour finalement se retrouver seul avec une des nymphes, changée en arbre, qui le gifle. Il garda cependant cette vision pour lui-même, légèrement amusé, et puis… il devait reconnaître avoir lui aussi abusé de ce genre de rapport dernièrement. Il se demanda d’ailleurs si Sheitan se considérait comme le mari de la femme de Kyan ou s’il se voyait comme une personne à part avec quelqu’un d’autre dans sa vie, ou s’il était « libre » d’aller où il voulait. Mais il ne posa pas la question, ils ne se connaissaient pas assez pour cela et c’était une question trop intrusive à son goût.
– C’est vrai que quand la plume, la nourriture et les poings ne suffisent pas pour calmer l’appétit, il reste le sexe.
Cette faim, qu’il associait principalement aux aliments prenait de plus en plus de formes diverses, mais elle revenait toujours à un même point : il finissait par une soif de sang aussi bien métaphoriquement qu’au sens littéral. Cependant, il garda tout cela pour lui, ne voulant pas effrayer Kyan ni Sheitan.
Le trajet se poursuivit et ils arrivèrent dans leur quartier. Samaël se sentit plus serein en approchant de son domicile. Même si sa fiancée n’y était plus, elle avait laissé derrière elle cette douce atmosphère du foyer qui faisait qu’on s’y sentait bien. Rapidement, sa rue se dessina dans le pare-brise et les maisons familières du voisinage défilèrent jusqu’à ce qu’il indique au conducteur où s’arrêter. La maison se fondait parfaitement dans le voisinage et seul un panneau discret, mais visible, sur l’annexe de la demeure indiquait la présence de l’atelier de l’artiste.
Sans qu’il ne s’en aperçoive, Sheitan avait laissé place à Kyan, ce ne fut que lorsqu’il parla qu’il remarqua le changement d’interlocuteur. Il avait beau trouver cela fascinant, ça n’en restait pas moins perturbant. Fidèle à lui-même, Kyan semblait vraiment se soucier du bienêtre de Samaël, et le géant dut reconnaître qu’il n’était pas contre un petit repas nocturne.
– Si ça te dit, il y a un très bon Kebab pas loin. C’est juste en bas de la rue, il doit encore être ouvert. Il a l’habitude de me voir à ces heures-ci.
Et il avait l’habitude que Samaël lui commande au moins trois sandwichs. Si Kyan était partant, ils pouvaient y être en moins de cinq minutes à pieds et ils pourraient revenir pour voir ce qu’il était possible de faire concernant la surprise que le satyre souhaitait faire à sa dulcinée. :copyright:️ DABEILLE
Voilà une phrase qui va rester dans l'esprit de Sheitan pendant un long moment. Ce n'est d'ailleurs sans doute pas la meilleure phase dans sa vie pour lui rappeler ça mais je ne peux pas nier que pour moi aussi, cet aspect est devenu délicat à gérer. Après 40 de célibat, voilà que je me découvre une addiction bien plus prenante que n'importe quelle autre et dont est actuellement privé mon alter-ego.
Malgré tout, des soirs comme celui-là, je suis ravi qu'il partage ma vie. Samaël accepte mon idée de repas et cela me fait sourire.
"Un kebab alors ! Ça me va tout à fait."
Très clairement, ce n'était pas ma nourriture habituelle mais rien ne semblait plus habituel ces derniers temps. Je suis donc le géant jusqu'au restaurant encore ouvert à cette heure-ci. Je profite du fait qu'il n'y ait pas trop de monde pour donner une explication que je me sens le devoir de dire.
"Je suis désolé, ça doit te faire étrange d'avoir deux personnes pour un même corps. Je dois dire que j'ai du mal à m'y faire aussi d'autant que nous sommes de plus en plus en train de nous mélanger. Avant, on arrivait même pas à nous parler et nous étions obligés de dormir ou de nous regarder dans un miroir pour passer de l'un à l'autre."
La vérité est que moi-même, je ne connais pas les règles qui nous régissent, et je ne sais absolument pas où nous allons dans cette étrange évolution. Quand on me connait un minimum, moi et ma volonté de tout contrôler dans ma vie, il est facile de se douter que cette incertitude quotidienne me coûte.
Est-ce que ma femme m'aimera toujours quand je serai devenu un étrange mélange des deux ?
C'est la question qui me hante chaque jour mais je ne peux pas refluer ce phénomène. Il me faut bien l'avouer, pour la première fois dans ma vie, je me sens complet, presque en paix.
Nous entrons dans le chaleureux petit restaurant. Je laisse Samaël commander en premier parce que je n'ai aucune idée de comment ce genre de restauration rapide peut bien fonctionner.
La décision était prise, le géant et le satyre laissèrent donc la voiture le long de la ruelle avant de se diriger vers le kebab encore ouvert. Il y avait toujours un peu de monde dehors mais les rues allaient bientôt être désertées face à l’heure tardive. Alors qu’ils arrivaient aux abords de l’établissement, Kyan profita qu’ils soient loin de l’agitation pour évoquer son étrange situation.
Sentant qu’il avait besoin d’en parler, Samaël ne dit rien, se contentant d’écouter. Il devait reconnaître que c’était étrange comme situation et il n’arrivait pas à imaginer ce que ça devait être pour Kyan. Effectivement, ce n’avait pas dû être évident au départ au vu de ce qu’il lui racontait. Cependant, un mot l’intrigua quand il parla de se « mélanger ». C’était assez curieux en effet car pour le moment, le géant avait l’impression de parler à deux personnes très différentes donc se pouvait-il que les deux personnalités ne fissent par n’en faire qu’une ? Et quel en serait le résultat ?
– C’est vrai que ce n’est pas tous les jours qu’on voit ce genre de choses. Étrangement, tu n’es pas le premier que je croise à avoir deux personnalités… ou plus. Mais toi au moins, tu es sain d’esprit.
Il n’en dit pas plus, ne se sentant pas d’évoquer plus en détail son séjour en hôpital psychiatrique… Au moins, Kyan ne souffrait pas de démence ou autre, ce qu’il vivait avait une explication, mystique mais réelle. Alors que le satyre se demandait si une des personnalités aurait plus le dessus, Samaël n’avait pas idée des craintes qui habitaient son interlocuteur à cet instant. Lui-même se demander comment allait se passer les choses quand la divinité en lui s’éveillerait. Aurait-t-il lui aussi l’impression d’être un étranger à lui-même ? Ou aurait-il le sentiment d’être enfin complet ? La question resta en suspens, il aurait bien une réponse un jour ou l’autre, et il finit par entrer, suivi de près par Kyan.
L’odeur de graillon, mélange de friture et de broches, lui ouvrit l’appétit à peine entré. En le voyant, le gérant le salua de son comptoir, salutations familières à laquelle répondit Samaël. L’homme adressa également son bonsoir le plus poli envers Kyan. Ce dernier proposait de l’inviter, mais Samaël se devait de le prévenir concernant ses habitudes.
– C’est gentil mais je te préviens, je mange vraiment beaucoup. Je m’en voudrais de te ruiner.
Un léger rire accompagna sa dernière phrase, bien qu’il fût sérieux. Une fois décidée et les commandes faites, ils n’eurent pas longtemps à attendre avant de pouvoir ressortir avec un sac chacun. Ils n’avaient plus qu’à remonter et se poser chez Samaël. Là, ils pourraient manger tranquillement tout en décidant de la surprise pour Madame. Il devait reconnaître qu’il était curieux d’en savoir plus sur cette femme qui avait réussi à faire rompre ses vœux de célibat à Kyan.
– Tu veux bien me parler un peu de ta femme ? Comment est-elle ? J’avoue être assez curieux. Et ça me donnera peut-être des idées pour la surprise. :copyright:️ DABEILLE
Saint d'esprit ? Sheitan se serait sans doute esclaffé à cette idée. A mon sens, il n'y a pas spécialement de norme et je ne suis pas persuadé que s'il y en avait une, j'en ferais partie. Je me suis longtemps demandé ce qu'est Sheitan en réalité, et comme la limite se brouille de jours en jours, c'est devenu de plus en plus confus dans ma tête. Quand avant il était clair que nous étions l'un ou l'autre, aujourd'hui je sais que certaines de mes idées ne peuvent venir que de lui, et il a lui-même évolué pour devenir plus réfléchi, moins impulsif.
"Je n'irais sans doute pas jusque là... Il est une époque où je ne nous acceptait pas, ou je pensais devenir fou."
A cette époque, je n'en parlais naturellement jamais à personne, de peur des représailles comme du jugement hâtif. Cela pose en effet pas mal de questions sur notre individualité, notre existence, notre conscience aussi. Pour ce soir, je n'ai ni la force, ni l'envie de penser à tout cela. Je veux juste profiter de la compagnie que j'ai.
Le kebab a une odeur de viande grillée qui semble rappeler Sheitan à la surface. Lui préfère ce genre de nourriture à moi qui n'en ai absolument pas l'habitude. Je le laisse affleurer dans notre conscience et le laisserai profiter tant qu'il veut s'il le souhaite.
"Ce n'est pas un problème, rassure-toi. Pour Sheitan, je ne sais pas, mais moi c'est la première fois que je mangerai un kebab."
Je répond à Samaël alors qu'il commande une quantité effectivement impressionnante de nourriture. Pour ma part, mon repas va être bien plus modeste mais peu m'importe. Je paye et nous voilà en train de rebrousser chemin jusqu'à son chez-lui.
Aux abords de sa maison, il me demande de parler de mon épouse. Immédiatement, je sais que le rouge me monte aux joues. Je n'ai pas l'habitude d'en parler aussi librement encore et je suis ravi que ce soit la nuit afin que cela ne se remarque.
"Ma femme est indienne, hindoue de religion. Elle est plus jeune que moi. Ces deux données m'ont posés pas mal de problèmes car beaucoup de personnes pensaient à un mariage arrangé." Je ne peux pas les en blâmer d'ailleurs. Moi-même j'ai parfois encore du mal à y croire. "Pour le reste, elle est ..."
... Incroyablement courageuse ? D'une beauté à laquelle je n'aurais de toutes façon pas pu résister ? L'être au monde qui a commencé à nous mettre d'accord Sheitan et moi ?
"... Enfin elle aime la nature et les animaux, elle adore l'Inde, la musique, et surtout la danse. Est-ce que ça te suffira ?"
J'ai peur de trop insister, de réveiller en lui-même la tristesse de sa propre perte. En revanche, j'ai vraiment hâte de découvrir son travail.
Malgré son avertissement, Kyan avait affirmé vouloir payer toute la commande et le géant ne put qu’accepter. Il fallait avouer qu’avec son appétit, c’était le meilleur moyen d’avoir sa sympathie. Samaël repensait à ses dires alors qu’ils remontaient la rue. La sensation de devenir fou… C’était encore trop tôt pour lui mais il se promit que si cette amitié qui semblait naître aboutissait, il parlerait plus longtemps de ses démons intérieurs et de cette folie latente qui le dévorait. La confiance n’était pas encore complète, bien qu’il eût envie d’y croire.
Laissant la rue qui s’assombrissait derrière eux, le divin écouta le satyre parler de la femme qu’il aimait, non sans un certain attendrissement. Certes, il l’avait perdue, mais il ne pouvait se résoudre à rejeter ce bonheur disparu quand il le voyait autour de lui. Bien au contraire, c’était l’amour bafoué qui le mettait hors de lui.
Il observa Kyan à la lumière crue des réverbères, percevant la lueur dans son regard malgré la pénombre. Aucune doute, il était sincèrement amoureux de sa femme, un amour à la fois passionné et pudique, Samaël pouvait le voir alors qu’il voyait déjà quels modèles lui montré.
Il imaginait déjà une jeune femme à la peau de miel dans un écrin de verdure, et ce n’était pas difficile d’imaginer les complications rencontrées par le couple à cause de traditions « bafouées ». Il n’était pas du genre à approuver les mariages arrangés, mais il savait que c’était monnaie courante en Inde.
– Je vois… Ça n’a pas dû être facile pour vous deux. Mais l’essentiel, c’est que vous soyez ensemble et en plus vous allez pouvoir l’immortaliser correctement grâce à mes talents.
Oui, il se lançait des fleurs et ne doutait nullement de son travail, il faisait tout pour que ce soit de qualité.
– Je pense savoir ce que je vais pouvoir te montrer si Madame aime la nature.
Un sourire s’afficha alors qu’ils arrivaient enfin à destination. Il s’arrêta un instant devant le petit portillon et l’ouvrit, laissant le passage à Kyan avant d’entrer à son tour dans le jardin, puis il prit la direction de son atelier. Il indiqua un espace d’attente avec des fauteuils et une table basse.
– Installe-toi, on sera plus à l’aise pour manger. En même temps tu peux déjà observer ce que j’ai affiché. Je pense que celles-ci devraient te plaire.
Joignant le geste à la parole, il indiqua le mur le plus proche où on pouvait apercevoir plusieurs photos : certaines étaient de mariage, d’autres de familles, mais toutes avaient un point commun en étant prise dans des environnements naturels. Une trônait parmi les autres, ressortant : un couple se tenait enlacé sous le ciel nocturne, la tranche de la voie lactée bien visible. Tous deux face à l’appareil, la femme, rousse, souriait en levant la tête vers la voute céleste, les yeux fermés alors que son compagnon l’enlaçait, les bras autour de sa taille, le visage dissimulé dans le cou de sa bien aimé tant que cette dernière passait un bras autour du sien. Ce couple, c’était le sien, quand elle était encore là. Ils avaient passé de temps dehors ce soir-là pour trouver le bon angle, la bonne pose alors qu’il actionnait le minuteur avec son téléphone, dissimulé dans sa poche arrière. Il avait hésité à l’enlever, mais au final il n’avait pas pu s’y résigner. C’était l’une des photos qui faisaient mouche à chaque fois et puis… comme ça… elle était encore avec lui. :copyright:️ DABEILLE
Si la fatigue m'avait pris tout à l'heure, à présent, je ne suis que ravis de cette nouvelle perspective. La séance photo est réellement une magnifique idée et l'envie de rentrer chez moi pour dormir à tout à fait disparue. Sans doute que ce soir, j'attendrai sans aucun problème le retour de ma femme et peu m'importe si je suis épuisé demain matin.
"C'est l'essentiel, effectivement. J'ai vraiment hâte de lui faire la surprise."
Le fait est qu'après notre mariage, mon épouse semble plus distante, plus soucieuse. Je sais qu'il s'agit de la disparition de notre fille qui la ronge de plus en plus à mesure que l'espoir disparaît dans son cœur. Comme moi, elle essaye de rien n'en laisser paraître. Comme moi, elle essaye de continuer sa vie de manière la plus normale possible.
La maison est simple mais possède beaucoup de charme. Ravi de me faire guider, tant par la surprise que dans le petit atelier, je souris en passant devant Samaël pour découvrir ce qu'il a à me proposer. Je pose les sacs et reste un instant suspendu devant les photographies qui s'offrent à moi.
A ce moment, la nourriture ne m’intéresse absolument plus. Je n'ai jamais été sensible à l'art de la photographie, jusqu'à aujourd'hui. Devant moi s’étale des centaines de clichés, toutes avec leur particularités : des plus formels à ceux qui semblent avoir été pris sur le vif. Sans aucune forme d'hésitation, la seconde catégorie à ma nette préférence. Les rires francs se succèdent aux sourires plus timides, les coupes droites et conventionnelles sont contrebalancées par des tenues bien plus originales.
C'est alors que je reconnais Samaël sur l'un des clichés. Il est avec une femme qui a l'air d'être d'une douceur infinie, les yeux fermés, l'air rêveur dans la nuit... A cette vision, mon cœur se serre immédiatement alors que je comprend de qui il s'agit. Presque par pudeur, je me vois instinctivement obligé de détourner les yeux et d'adresser une prière silencieuse pour la femme de la photo.
"J'aime beaucoup ton travail. J'ai une nette préférence pour les photos qui ont l'air d'être spontanées. Je ne sais pas si je pourrais être un sujet qui peut rendre une pose qui ait l'air naturelle mais je ferai de mon mieux."
Pour le coup, je me demande si je ne peux pas tricher un peu et laisser Sheitan faire ces photos à ma place. Lui serait sans doute plus à l'aise que moi. Sur cette pensée, je vais m'asseoir sur l'un de fauteuil et commence à déballer notre petit repas.
"Je ne te fais pas attendre plus longtemps. Je te souhaites un bon appétit !"
Finalement, l'odeur commence à me donner vraiment faim à moi aussi. Ce n'est ni dans mes habitudes de manger à des heures aussi tardives, ni dans mon régime d'avaler de la street food. Je pense simplement qu'il n'y a plus vraiment de règles auxquelles obéir ...
Samaël s’était éclipsé un instant pour aller chercher quelques-uns de ses books consacrés aux mariages et célébrations. L’attente ne fut pas bien longue puisqu’il mettait toujours un point d’honneur à ce que tout soit bien rangé dans son bureau. Il était loin du cliché de l’artiste bohème dessinant au milieu d’un bordel sans nom. Il était plutôt du genre psychorigide en ce qui concernant son travail et tout devait être parfaitement rangé à n’importe quel moment de la journée.
Moins de cinq minutes lui suffirent pour revenir avec quelques portes-vues qu’il déposa devant Kyan qui le félicitait pour son travail. Puis il alla s’installer au côté de son nouvel ami qui l’invitait à manger avant de se lancer dans les préparatifs de la surprise.
– Je te remercie pour le compliment. J’espère que le reste te plaira et bon appétit.
Sans perdre un instant de plus, il commença à manger, croquant non sans satisfaction dans son premier sandwich. Sa faim ne s’était pas tarie et l’activation de ses papilles la rendait plus présente alors qu’il ne pensait plus qu’à l’apaiser jusqu’à la prochaine collation.
Une fois ses sandwichs terminés, il entreprit de débarrasser et invita Kyan à regarder les différents books afin de voir au mieux ses attentes. Le temps défila alors que les deux comparses s’amusaient et riaient par moment alors que le photographe partageait des anecdotes. Par moment, Sheitan prenait le contrôle pour faire part de son avis sur ce qui était en train de se décider. Il y avait plusieurs choses à prévoir : le lieu était presque fixé mais il fallait encore décider de la période de l’année et de la journée. Voulaient-ils quelque chose qui rappelait les étés indiens avec des couleurs chaudes ? Ou profiteraient-ils des dernières neiges de la saison pour faire quelque chose de plus poétique ? Quelle place aurait la mariée ? Et pour les mariés, n’y aurait-il que Kyan ou Sheitan souhaitait-il apparaître ? Toutes ces questions, ils y répondirent et Samaël put travailler sur le projet et il aimait ce qui se présentait comme projet…
Malheureusement, cette séance photo n’arrivera jamais et Samaël ne pourrait jamais rencontrer la bien-aimée de son ami car le malheur allait bientôt frapper le couple. La mort tragique de Preeti… le désespoir de Kyan et Sheitan qui les pousse à la folie. L’incendie de l’église lors des funérailles… La prochaine fois qu’il le verrait, se serait au parloir de l’hôpital psychiatrique… Ce fameux parloir où, quelques mois plus tôt, c’était lui qui se trouvait de l’autre côté. :copyright:️ DABEILLE
