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[flashback - 2008] un homme est passé (avec Sierra)

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[flashback - 2008] un homme est passé (avec Sierra) - Jeu 29 Mar - 19:41

Un homme est passé

La poêle fume et le beurre crépite. Cigarette au bec, bras croisés contre sa poitrine à peine couverte, Bonnie observe le mur carrelé qui surmonte son vieux four. Le test de grossesse est positif. L'esprit décortique la situation, analyse les forces en présence, les pour, les contre. Elle paniquera. Au moment où, demain, après demain, dans une semaine ou dans un mois, Sierra réapparaîtra, elle paniquera. Peut-être même qu'on ne voudra plus la voir, après ça. Le pragmatisme envisage la possibilité comme il jette le contenu des œufs sur la poêle. Bonnie ne sait pas si elle voudrait le garder. Elle ne peut pas savoir si elle voudrait le garder. Elle estime que oui. Elle estime aussi qu'elle serait une mère terrible, et que comme elle, l'enfant grandirait sans père.
Le père, d'ailleurs, ne tarde pas à quitter le canapé pour la rejoindre. Elle devrait probablement lui dire. Son bon sens souffle que oui. Les mains rugueuses se posent sur ses hanches, et les lèvres rejoignent son cou. Bonnie feint un de ses sourires préfabriqués. Sa main droite passe dans la nuque alors que l'autre éteint le feu.

« J'ai envie de toi... »

Un client. Elle ne le fait plus tant. Elle n'a même plus à le faire. Si on lui demandait pourquoi, elle répondrait sans doute par facilité pécuniaire. Ou j'ai deux mois de loyer en retard. Les études coûtent cher et, objectivement, trois heures avec ce type lui rapportent autant que trois jours à trimer dans n'importe quel fast-food. Ça ne lui fait ni chaud, ni froid, de toute façon. Qu'elle sente ou ne ressente pas, qu'elle soit avec Sierra ou non. La plupart de ses rapports sexuels l'indiffèrent. Il n'y a ni remords à nourrir, et nulle honte à revêtir. C'est comme ça. Un simple service rendu contre rémunération.

« Il faut que je te parle. »

◈ ◈ ◈

« Putain, mais comment ça a pu arriver ?! »

La colère éclate toutes les veines du front. Bonnie est ramassée au sol, et reprend une position assise. Son visage transpire de neutralité. Elle n'a pas mal. Elle n'est même pas un peu triste ou compatissante. Il lui suffit d'endurer le temps que ça passe. D'éponger la fureur jusqu'à ce qu'il comprenne enfin qu'il n'y a rien de malveillant dans l'aveu. Elle n'attend rien en retour, ne souhaite ni argent (seulement celui de la séance), ni qu'on endosse le rôle d'un père. Elle l'a dit parce qu'elle pensait devoir le dire. Elle l'a dit. Et c'est tout.

« T'as fait exprès, hein ?! Avoue-le ! »

Le cendrier qui trône sur la table basse vole à travers la pièce et répand les mégots et les résidus un peu partout. Bonnie ne bouge pas, ne sursaute pas non plus. Elle n'arrive pas à trouver de souvenir à calquer pour simuler correctement la peur. Et elle préfère se taire pour éviter de le contrarier davantage. Il a l'air de vouloir qu'on se taise. Ou de chercher une occasion de frapper. Et il frappe à nouveau, sans avoir ni le prétexte, ni le besoin. Purement et simplement. Sa carcasse valse plus bas contre le sol.

Peut-être qu'elle devrait essayer de feindre la peur, finalement. Peut-être que ça le soulagerait ou le satisferait. Elle ne peut pas se permettre les frais d'hôpitaux. Elle ne peut pas non plus se permettre de ressortir avec un corps trop abîmé.

Alors qu'elle exhorte tout son organisme à pleurer, n'est-ce qu'à geindre, le souffle se coupe d'un seul coup. Les voix respiratoires ne véhiculent quasiment plus d'air. Des sillons de larmes creusent les joues. La douleur tentaculaire des coups reçus se répand à travers les côtes et la poitrine. Un cri d'affliction ravage la gorge. Ça ne peut vouloir dire qu'une chose. Quelque part derrière la porte d'entrée, ou dans le couloir, Sierra est là. Le cœur s'emballe, manque deux battements sur cinq.

Sierra est là.
Et elle a peur. Et elle a mal.

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[flashback - 2008] un homme est passé (avec Sierra) - Dim 1 Avr - 23:56

C’est l’un de ces après-midi mourants où Sierra réapparaît dans la vie de Bonnie. Il a fait une chaleur assommante tout le jour, l’air pue le bitume chaud, âcre et rôti, et les tympans sont las des plaintes, des soupirs et des jérémiades des gamins qu’on traîne dans les boutiques climatisées. Ils bondissent des trottoirs dans les caniveaux arides. Ils frappent dans la canette broyée d’un Coca-cola sûrement tiède et piaffent après ce carré d’ombre de l’autre côté de la rue ou pour cette sœur qu’on fait grimper sur les épaules. Leurs cheveux collent à la nuque, aux tempes, dégoulinent dans les omoplates depuis qu’ils ne tiennent plus en place et veulent rentrer manger une glace. Tous ces enfants de pute, de gens ordinaires et de candidats à la médiocrité se renvoient leur mal-être, braillant, s’esclaffant et faisant la vie impossible aux quidams sous les regards mi coupables mi impuissants de leurs parents. Alors, si elle ne s’était jamais trop posée la question, Sierra détermine qu’elle déteste les enfants.

Sous son blouson, elle étouffe. Comme elle trouve ridicules et encombrants les sacs-à-main, elle ne saurait pas où ranger son portefeuille, ses deux téléphones portables (un pour le privé, un pour le travail), son trousseau de clefs (douze en tout), un ticket de bus, la moitié d’un autre, un paquet de clopes, un briquet et son flingue. Avant de franchir la borne invisible de Siren Alley, Sierra s’est assurée que le canon tenait, sage et sensible à ses empreintes, dans son holster. L’idée de s’en débarrasser avant d’entrer sur les territoires de la Bratva ne lui pas traversé, ni même frôlé, l’esprit. Bien qu’elle n’ait aucun contentieux avec eux – si ce n’est leur existence réciproque, Sierra aime à penser qu’une trafiquante d’armes se doit de posséder un petit échantillon de marchandise sur soi. C’est par pure précaution, voire par paranoïa, car, avant que la nuit ne s’affaisse sur cette journée épouvantable, c’est plutôt devant elle que les regards et les itinéraires dévient. Ce seul cuir sombre par pareille chaleur suscite la méfiance.

Elle s’enfonce dans l’ombre du vieux bâtiment, efface les escaliers. La faune locale la reluque. Capuches crasseuses et toux de camés la poursuivent dans le couloir. La première porte à droite est entrouverte, crochetée par des doigts noueux ; Magda a l’habitude d’espionner l’intrus dès qu’elle perçoit le battage de ses semelles en bas des marches. « Elle est là ? demande Sierra en désignant la porte du fond. » Elle n’a pas ralenti pour voir la vieille femme hocher positivement de son crâne branlant et refermer. Peut-être Magda conçoit-elle de la crainte pour l’étrangère et le pistolet, lourd, qu’elle devine dans la doublure. Plus probablement l’envoie-t-elle, de toute sa bienveillance ou avec le secret espoir que Sierra fera cesser le tapage qui, à travers les cloisons de ce taudis, crache par-dessus le son de son programme télé proféré.
« Bonnie. » Elle frotte son briquet contre le cadre en mat. À force, il y a une encoche. « Bonnie. » La paume frappe plus fort, sonne plus sourd. Cette brave Madga l’ayant gentiment renseignée, Sierra n’a pas l’intention de partir avant d’avoir vu Bonnie. Cela fait quelques semaines ou quelques mois. Elle ne sait plus. Longtemps, en tous les cas. Aucune, à vrai dire, n’a cherché à contacter l’autre. C’est ainsi depuis le début. « Bon - » Le verrou saute. Sierra se souvient se demander pourquoi était-il en place ? puis c’est la figure d’un homme qui se découpe dans l’interstice. Elle n’est pas surprise, ni déçue, ni aucune émotion d’aucune sorte. Plusieurs fois, elle a proposé à Bonnie de lui donner de l’argent, quel que soit le délai, le montant et sans remboursement. Mais Bonnie fait ça. C’est difficile de le lui reprocher, parce qu’elles ne sont pas ensemble, pas vraiment. « Elle est là ? fait-elle de tout son flegme. » « Non. Peut-être. Elle est occupée. » Tous les mots s’enchaînent à ces lèvres, qui paraissent mentir, le réaliser, s’en offusquer puis s’échiner à le corriger sans succès. Un sourire sarcastique écorche leurs rivales : « C’est ta manière de dire qu’elle a ta bite dans sa bouche ? » Le quadragénaire prend un air offensé. Sierra ne se donne même pas la peine de relever ou de se moquer. Ce type est un tel cliché : marié – spoiler alerte : pas à Bonnie, avec enfants, un emploi de cadre sans reconnaissance et, malgré tout vous dirait-elle, un peu trop d’estime pour lui-même pour aller puiser le tapin sur un trottoir. « T’es qui ? il rétorque en tâchant d’y mettre de son autorité de contremaître. » Elle ne répond rien. Pas une amie. Pas une cliente. Ou d’un autre genre. Mordant dans sa lèvre pour trouver la patience de parlementer, Sierra remarque tardivement les contusions au revers de sa main ; comment un gars propret dans son genre se ferait de telles blessures ? Les statistiques sont assez claires à ce sujet : neuf fois sur dix, la réponse est en cognant sur une femme.

La porte qu’il maintenait à demi fermée lui écrase brutalement le nez. Son cri transperce l’étage, en même temps que Sierra fait quelques pas à l’intérieur. Assez vite, elle constate le probable et, étrangement, deux secondes de pure accalmie la remplisse. Ce doit être de (re)voir Bonnie, en vie, pas si amochée (surtout pas pour la vie que jusqu'à maintenant elle a eue), puis le plaisir intense de constater que ses plaies ne sont pas urgentes. Ça n'a rien à voir avec le souci que Sierra a d'elle ; c'est tout un permis de briser lentement la carcasse de ce fils de pute. Comme il tâche de retenir le sang qui s'échappe de son nez, il ne surprend pas revenir à lui. Lorsqu'il lève le menton, tout son corps plie sous l'impact du genou dans son estomac. Sa gueule est livide, ses lèvres débordent de bile, quand il la voit repousser le battant et le cadenasser avec elle. « Je te suggère de répondre à ta propre question. »
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[flashback - 2008] un homme est passé (avec Sierra) - Lun 2 Avr - 2:58

Au-delà de la douleur, la peur contamine chaque parcelle de son corps, jusqu'à la rendre incapable de parler ou de bouger. Là, paralysée au sol, Bonnie voudrait hurler, avertir Sierra de son affliction ou l'avertir lui, de celle qui l'attend. Quand elle parvient enfin à accrocher une poignée de tiroir pour se hisser en position assise, la porte encoche déjà franchement le nez, et la silhouette de son amante imprime la pièce d'une aura réconfortante. Si le sourire est assassiné par les circonstances, elle porte une œillade reconnaissante à sa sauveuse, et chaparde même deux secondes pour se délecter du supplice de son bourreau. Il l'a mérité. Il mériterait pire. Et pourtant, Bonnie se tire, rampe à moitié pour s'interposer entre les deux antagonistes. Un hématome violacé commence à dégrader la pommette et un filet de sang s'échappe du nez, alors qu'elle se relève péniblement en essayant de masquer la douleur qui grignote la carcasse. Sierra ne prendra pas. C'est quasiment certain, et l'acte consiste davantage à se donner du courage qu'à dissuader la violence.

« C'est... S'apprête-t-elle à répondre en lieu de place de son client, avant d'emprunter une autre direction. Je vais bien. »

Les jambes vacillent encore un peu et tendent précisément à prouver le contraire. Mais le regard est tout puissant et les mots catégoriques. Sa main vient presser son abdomen, et la mâchoire se contracte.

« Je vais bien. Répète-t-elle. C'est moi. Je l'ai mis dans cet état. Et il le restera encore un petit moment... Mais ça passera. Peut-être même que c'est déjà entrain de passer. »

Depuis ses seize ans, sa présence tend à énerver les esprits, à les faire aspirer au chaos et aux représailles. C'est pareil pour Jake. Jake qui lui en voudra quelques heures, au plus, avant de retourner à sa petite vie chiante et routinière. Jake n'est pas un homme violent. C'est ce que Bonnie essaye de dire. Ou c'est ce qu'elle se répète pour s'empêcher de le laisser crever comme la sale enflure qu'il est. Comment le sait-elle ? Comment le pourrait-elle ? Elle ne le connaît guère qu'entre ces quatre murs crasseux. Et ce qu'elle en a vu n'aide pas franchement sa cause.

« Tu veux savoir qui c'est ? C'est un mari. C'est un frère. C'est un fils. C'est un père. Ça suffit pas ? »

Il manquera à quelqu'un, dresse-t-elle à demi en se doutant bien que cette variante est l'une des dernières (sinon la dernière) considérations de Sierra.

« -Elle a raison, je euh... J'ai- Deux adorables petites filles.
-Ferme ta gueule. »

Sa voix est volcanique, s'apprête à déverser la colère qu'elle tente de retenir depuis tout à l'heure. Si ses paroles laissaient penser à une absolution, ce n'est pas le cas. Elle ne pardonne pas. Depuis sa mère, elle ne pardonne plus. A quiconque. C'est pour cette raison qu'elle a quitté le bordel qui l'a vue naître. C'est pour cette raison qu'elle veut reprendre sa vie en main.

« Il en vaut pas la peine. »

Bonnie agrippe les deux pans du blouson, oblige le rapprochement malgré la faiblesse et l'inégalité du rapport de force. Il ne faudrait déjà pas grand chose pour qu'on se dégage, et pourtant, ses mains abandonnent leurs prises, et remontent pour envelopper la mâchoire.

« Il en vaut pas la peine... Vraiment pas. »

La redite sonne plus personnelle. Beaucoup plus personnelle. Elle transpire d'un tel mépris et d'une telle déception qu'il n'est plus possible de le cacher : la dispute a moins d'importance que son motif, et Jake est vraiment tout ce qu'on attend d'un bon connard qui vient se taper une pute. Comme il capte la faille du plaidoyer et flaire le danger à plein nez, l'homme se met à paniquer et tente de faire amande honorable avant qu'on le crame totalement.

« Tu sais que je pensais pas ce que je disais, Bonnie chérie... Je. Euh. Tu sais que je supporterai ta décision, quoi qu'il arrive ? Je- Je payerai. Pour tout. Pour toi. Pour lu-i. »

T'es con, Jake. Qu'est-ce que tu comprends pas dans "ferme ta gueule" ?

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[flashback - 2008] un homme est passé (avec Sierra) - Lun 2 Avr - 14:19

Sierra veut un nom, car les noms ont un profil Facebook, un permis de conduire, une adresse, une famille. Sierra veut qu’il en soit conscient, pleinement conscient, pour le restant de sa vie. Les hommes de son espèce ne disparaissent pas, pas de leur plein gré, pas à moins d’un coup de pouce du Destin ou de l’un de ses agents. Les paumes fourmillent, perdent patience. Sa rage mute en quelques secondes. Penchée sur lui comme l’on va pour porter secours ou suriner discrètement sous l’aisselle, elle attend la dénonciation, après quoi elle lui fera avouer le prénom de sa femme, de ses enfants, de son chien s’il le faut. Et, le dos tordu contre la plinthe, il comprend tout de suite ce que la vérité implique, ce que le mensonge – ou le silence – coûterait. Bien que le temps de la décision lui manque, il jette un œil désespéré au corps ramassé de Bonnie. Sa geôlière l’imite. Sa vue persuade Sierra d’abandonner un moment son captif pour l’aider à se relever. « T’es sûre que ça va ? » Le poignet en soutien du coude, elle le demande comme si elles se trouvaient au front : elle voit que Bonnie ne va pas bien mais le primordial est de savoir si les soins peuvent attendre. Car, pour le reste, Sierra ne la croit pas sur parole. En fait, elle ne comprend pas que les côtes du bonhomme soient encore entières. Il n’y a qu’à dévisager cette beauté abîmée pour la convaincre de revenir à lui et d’achever ce qu’elle vient seulement de commencer. « Non, elle riposte comme Bonnie tâche maintenant de trouver quelque échappatoire à son bourreau. Ça suffit pas. »

C’est toujours le mari, le frère, le fils, le père de quelqu’un, et parfois les quatre en même temps. Il y a longtemps que ce genre de considération ne préside plus à la morale décisionnaire de Sierra – si tant qu’elle l’ait jamais fait. L’argument ne la touche pas, d’autant qu’il se presse aussitôt derrière. Au moment de mourir, ou de salement morfler, ils sont tous pareils : ils chouinent, ils supplient, ils tentent le marchandage, le compromis, l’argent, le pathos… En un sens, c’est vrai, il n’en vaut pas la peine (il ne vaut surtout pas tous les efforts pour sortir le corps et le dissimuler) mais Sierra dirait que la plupart de ses victimes ne valaient pas la balle qui les a tuées.

Néanmoins, elle est forcée d’écouter et de différer la sentence. Bonnie la retient dans une étreinte qui a manqué. Voilà pourquoi Sierra revient toujours, et déjà deux calvaires se disputent sa viande : elle est si satisfaite de retrouver la blonde qu’elle brûle de lui obéir ; la couleur violacée qui serpente sous la peau lui commande le talion. Bonnie est si belle, et ce salaud l’a marquée. Ce n’est pas assez de lui forcer les entrailles ? de l’arroser de billets verts ? La jalousie monte au renfort de la vengeance. Les doigts vont aux poignets pour se dégager avec le plus de délicatesse possible. Elle ne veut pas pardonner, le laisser filer, s’en tirer. Puis il a déjà cumulé plusieurs dizaines de secondes de sursis et elle n’a toujours aucun nom. Tant pis pour lui, elle l’obtiendra pas des méthodes moins complaisantes. Et, débordant Bonnie par le côté, sa main qui fouillait le blouson n’est interrompue que par cette sorte d’ultime tentative, ce tout-pour-le-tout qui ne ressemble pas franchement à ce à quoi elle s’attendait. « Qu’est-ce qu’il raconte. » Les doigts relâchent le bout de la crosse métallique. Lui surprend la charpente du flingue, dit quelque chose et s’agite sur son mètre carré de sol. « Toi, reste couché, assène Sierra à la langue et d’un coup de semelle renforcée dans le flanc. De quelle décision il parle ? n’interroge-t-elle plus que Bonnie. » Elle a déjà compris, l’allusion n’est pas subtile, cependant qu’elle veut l’entendre de ces lèvres qui trop fréquemment la tourmentent.
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[flashback - 2008] un homme est passé (avec Sierra) - Lun 2 Avr - 17:47

Ça ne suffit pas. Ni ses arguments, ni sa maigre tentative de barrage. Evidemment, que ça ne suffit pas. Parce que Jake est un abruti fini, et que Sierra ne cherchait que cette occasion pour se donner une nouvelle raison de le persécuter. Les yeux n'osent plus tout à fait rencontrer ceux de son amante, et la mâchoire se contracte sous la pression de la question. C'est ce que Bonnie redoutait. Elle a peur. Peur, soudain, qu'on lui dérobe son humanité, peur qu'on décide de la quitter pour ne plus jamais revenir. Ça rampe sous la peau, ça grouille jusqu'au cœur. Longtemps, le silence torture, mord ci et là de la chair. Elle hésite sur les mots. Hésite sur la décision même.

« Je... C'est pas ce que tu crois. »

Oh, c'est totalement ce que tout le monde croit. L'espace d'une demi seconde, Bonnie songe à jeter l'identité de Jake à la place de cette ignoble vérité. Le bleu des pupilles remonte prudemment, tandis que sa main agrippe l'épaule pour solliciter la compassion ou l'indulgence. Les deux.

« Je suis enceinte. »

Il n'y a pas de jolie façon de l'annoncer. Et le reste de la vérité découle d'elle-même : il est le père. Ou plutôt le géniteur. Car tout enfant qu'elle porte, qu'elle décide d'avorter ou de l'élever, ne côtoiera jamais cet homme. Il grandira sans père, comme elle a grandi sans père. Mais il aura une mère. Une mère qui veut s'en sortir, une mère qui l'aimera. Comment l'aimeras-tu, Bonnie ? Toi qui est incapable d'aimer. Incapable d'aimer sans Sierra. Incapable de ressentir et d'éprouver sans Sierra. Elle ne peut pas. Elle ne peut pas être mère. Alors pourquoi le veut-elle si fort ?

« Il s'appelle Jake. Jake Hewson. Cède-t-elle. »

Cet aveu est le témoin de sa confiance. Le dernier rempart s'écroule, et toute la vulnérabilité de Bonnie demeure là, sans protection, aucune. Elle est prête à n'importe quelle éventualité, à ce qu'on l'enlace ou qu'on la broie, à ce qu'on la piétine ou qu'on la panse. Sa main remonte à la joue, tente de calmer la fureur qui s'agglutine depuis tout à l'heure. Celle de Sierra. Mais aussi la sienne.

« Sierra, s'il-te-plaît. Laisse-le. Il aura ce qu'il mérite. »

Son regard prend Jake de haut, acéré et haineux comme il ne l'a jamais vu. Cette femme, celle qui se tient là, devant lui, il ne la reconnaît pas. Il en a peur. Oui, peut-être qu'il en a peur. Car dans ses mots réside une sorte de promesse silencieuse. Une vengeance terrible et implacable. Une menace invisible, sans date péremptoire, flottant telle une épée de Damoclès. Elle ne l'épargne pas par bonté d'âme. Elle l'épargne parce qu'il a encore des choses à accomplir, un tas de regrets à macérer, et un château de carte à élever. Un jour, un jour lorsqu'il s'y attendra le moins, Bonnie frappera un bon coup dans la base. En attendant...

« Il m'a pas encore payée. Et je suis sûre que maintenant, il a compris que c'était dans son intérêt, de fermer sa gueule et d'obéir. Tu vois pas ? »

La mort est trop douce. C'est l'échappée des faibles, la porte de secours des connards égoïstes. Elle ne lui offrira pas. Il endurera sa médiocrité et sa piteuse existence jusqu'à ce qu'elle le décide. Pour ses parents. Pour sa femme. pour ses enfants. Pour elle.

« Tu l'as à ta botte. Littéralement. Il est plus utile vivant. Insiste-t-elle. J'ai besoin de ce fric. »

Et s'il a un peu de bon sens, elle n'aura même plus à coucher avec lui pour ça.

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[flashback - 2008] un homme est passé (avec Sierra) - Lun 2 Avr - 18:55

Les pires désillusions commencent par C’est pas ce que tu crois. Pourtant, la première impression est trop souvent la bonne ; le regard de Sierra est brièvement tombé sur le ventre de Bonnie, comme si le petit bâtard était déjà visible, qu’il étirait la peau jusqu’au diaphane. Les pupilles, dont l’éclat de colère a terni, remontent quand l’évidence rompt le silence agglutiné. Jake et Sierra battent des paupières. C’est l’idée qui fait son chemin ; au moins n’ont-ils pas besoin de s’interroger sur lequel des deux est le père. « C’est pour ça qu’il t’a cogné ? » Derrière le timbre placide, la voix dénote de l’incrédulité ; qu’aurait-elle préféré, la violence ordinaire que les hommes bien réservent volontiers aux putains ? Le schéma est d’un classique, il traverse les époques, et c’est dans la nature humaine, sans doute, d’exercer son peu de pouvoir sur plus faible que soi. N’est-ce pas, en ce moment même, ce que Sierra commet ? À moins que ce ne soit un genre primitif de justice, la plus expéditive de toutes. En tous les cas, ces révélations n’ont pas l’effet redouté par Bonnie : cela ne fait qu’accroître la volonté de rosser tandis qu’elle n’est ni déçue ni blessée. Cette partie de l’affect est remisée, parce qu’elle ignore ce qu’elle en pense et qu’elle n’a pas le temps de s’attarder. « Je peux m’occuper de ce qu’il mérite, dit-elle froidement aux phalanges qui enlacent sa mâchoire. » Quelques idées s’amoncèlent dans le crâne et la circonstance de se trouver à Siren Alley n’aide pas l’imagination à tarir ; certes, il faudrait nettoyer mais il meurt des braves gens toute l’année et toutes les charognes ne sont pas retrouvées. Et l’esprit n’est pas nécessairement pragmatique, pas autant. Il a soif de ce meurtre évident. Avec toute la violence préalablement déversée, Sierra pourrait convaincre Bonnie, par des voies plus mystiques que les pourparlers, d’ôter la vie à Jake Hewson. Ce ne serait pas la première fois. Il n’y a, en fait, que la récidive (et non pas le remord) qui dissuade l'irlandaise d’user de telles facilités.

« D’accord, finit-elle par convenir. » Déjà le soupir exagéré de Jake insulte sa commisération. « Lève-toi, fait-elle en le frappant à la cheville. » Il hésite à s’exécuter, conscient que ça pourrait être le plus court chemin vers le sol. Toute sa résolution, il la tire de l’attention de Sierra pour Bonnie : tant qu’elle a le souci de ses opinions, il devrait sortir vivant d’ici et, pour l’instant, c’est tout ce qui compte. « Grouille-toi. » La brune s’est dégagée du semblant d’étreinte et l’attrape par le col. Son nez renifle le sang et le bord de sa manche vient l’éponger. Sa coquetterie lui passe dès qu’elle le pousse vers le salon. « Donne-lui son fric. » Comme la manœuvre consiste à s’éloigner, Jake, cette fois, se conforme à l’instruction. Dans sa veste, il cherche son portefeuille. Ses mains tremblent. Ses petits yeux inondés d’inquiétude alternent de l’un à l’autre. « C’est pas la peine de compter, l’arrête Sierra en approchant. » Toute la liasse est sortie et déposée sur un coin de table. Si l’idée de protester le caresse, Jake finit par ravaler toute tentative en ce sens et glapit à la pogne qui lui arrache le morceau de cuir. D’une des pochettes plastifiées sur l’avant, Sierra tire son permis de conduire. « Cobalt Lane, lit-elle l’adresse. C’est intéressant. » Et ne lui laissant pas le temps de digérer la menace : « Dépêche-toi de sortir. » Tous ses effets sont ramassés en une poignée de secondes, sans qu’il ne daigne plus quitter Sierra du regard. Il a encore la mémoire du pistolet dans la rétine et l’agitation de sa propriétaire est trop perceptible. C’est une impulsive, une cinglée… Il sait qu’il a de la chance d’être encore en vie, même s’il est loin de gratifier Bonnie. Il se le doit. Les types comme Jake Hewson croient qu’ils se doivent tout.

C’est, à tout le moins, la conviction qui reste à Sierra lorsqu’elle le talonne à l’entrée. Il n’a rien compris. Il s’en prendra à une autre femme. La sienne, peut-être, pour ne pas tenter le diable. La certitude croît au point de se faire ses quartiers dans le crâne. Alors qu’il allait réussir à emprisonner la poignée entre ses doigts transis d’angoisse, la paume le saisit à l’épaule, un coup de talon le fait mettre à genoux et le canon d’un flingue lui visite le fond de la gorge pendant qu’il recule à s’en cogner l’arrière de la tête contre le mur. « Je suis sûre que tu fais ça mieux qu’elle, Sierra descend-elle lui murmurer dans l’oreille. » Jake Hewson n’a jamais eu honte de faire fructifier le commerce du sexe mais il devine, s’il en fallait encore des indices, que son bourreau ne partage pas sa lacune morale dans ce domaine. « Cobalt Lane, c’est noté. À plus tard, Jake. » Dès qu’elle se redresse et qu’il est libre, l’homme se jette sur la porte et détale dans le couloir. La brune le regarde faire, inspecte Magda qui s’est extirpée de son deux-pièces pour se faire sa propre opinion et lui rend finalement son coup d’oeil sombre. « Rentrez chez vous. » Ce n’est pas tant le ton qui la convainc que le pistolet qui bat contre la cuisse.
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[flashback - 2008] un homme est passé (avec Sierra) - Lun 2 Avr - 21:07

Le d'accord libère la moitié de son angoisse. L'autre est encore à lorgner après la sortie de Jake. Ce n'est qu'alors qu'il sera en sécurité. Non qu'elle le veuille en sécurité. Plutôt le contraire : il faut qu'il prenne conscience qu'il ne le sera plus jamais. De ça, Sierra s'en assure, et d'ailleurs, Bonnie ne cherche plus à la dissuader de quoi que ce soit. A la place, elle s'installe dans le canapé qui fait face à la table basse et observe la scène en silence. Elle veut simplement en finir. Lui, foutu à la porte et hors de sa vue. Sierra, à côté d'elle et le flingue rangé.

« Sierra. Appelle-t-elle au premier coup de talon. Sierra... Répète-t-elle au canon qui visite la bouche. »

Si son visage maintient un calme blasé, son cœur menace d'imploser dans la poitrine. La pression se relâche d'un seul coup quand Jake disparaît enfin à travers l'encadrement. Le soupir torpille la trachée. Et la carcasse abîmée attrape la liasse, avant de s'avachir dans les confins du sofa. Sous l'effort, les traits se distordent. Or, la douleur lui est tristement familière, et ne l'empêche en rien de commencer le compte. Elle n'est pas vénale. Mais il lui reste des factures à payer, et un bébé sur les bras.

« Dis-moi que tu vas rien lui faire. Que tu comptes pas te pointer devant sa porte pour lui foutre une branlée. Mens-moi si il le faut. »

Les yeux bleus percent la silhouette de son amante, alors que les doigts trifouillent toujours la brique de billets pour s'assurer du montant. C'est plus qu'il ne lui devait. Moins que ce qu'il lui faudrait.

« Il faut qu'on parle. »

Du bébé. D'elles. La voix, solennelle au possible, renferme pourtant une pointe d'appréhension. Jake n'était qu'une variante du problème. Et il lui semble qu'il y a une multitude d'autres sujets à discuter. A commencer par l'enfant qui dort dans les entrailles, ou la continuité même de cette relation. Pour être tout à fait honnête, Bonnie se satisfait de moins en moins de ce qu'elles ont. Des bribes. Des instants dérobés à la volée. Alors que l'affection ne fait que creuser la dépendance, le manque cruel qui s'agite dans le fond de la poitrine. Non. Elle n'a pas besoin de mots, pas besoin d'une boîte ou du rêve américain. Elle a besoin de Sierra. Et ça ne va qu'en empirant. Car ça empire, n'est-ce pas ? Que se passera-t-il, au moment où l'on ne voudra plus d'elle ? Que se passera-t-il, si on lui demande de choisir entre le gosse et Sierra ?

« Je voulais pas que tu l'apprennes comme ça. »

Elle repose la liasse contre la table et retourne agoniser dans le fond du canapé. Sa main gauche appuie contre son côté, et l'autre se tend en direction de Sierra, comme pour l'inviter à la rejoindre.

« Tu sais que ça veut rien dire, hein ? »

Que ça change rien. Rien. Rien du tout. Comment ça, ça change rien ? Tu t'apprêtes à mettre un gosse au monde, Bonnie. Tu peux pas simplement décider que "ça change rien". Elle ne supporterait pas l'abandon. Elle ne supporterait pas qu'on la prive de Sierra. S'il le faut, elle se contentera même de quelques heures, quelques minutes, quelques miettes par semaine ou par mois.  Tout. Mais pas un sevrage complet. Que lui resterait-il pour vivre, sinon ?

« Je t'interdis de m'abandonner. T'as pas le droit. »

Le timbre se brise, supplie plus qu'il ordonne. L'affliction transfigure le visage. Des paquets de larmes fières s'agglutinent aux coins des yeux sans oser dévaler les joues.

Elle choisirait Sierra. Si on lui forçait la main, elle choisirait toujours Sierra.

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[flashback - 2008] un homme est passé (avec Sierra) - Jeu 5 Avr - 13:44

Sierra ne musarde pas dans le couloir décrépi : intimider un minable en col blanc est une chose, exhiber une arme à feu dans Siren Alley en est une autre. Son intervention avait pour but de protéger (de venger) Bonnie, non d’attirer une attention indésirable. Peut-être faudrait-il gratter à la porte de Magda, pour s’assurer que la bougresse tienne sa langue et garde son cul dans l’un de ses fauteuils rabougris à motif. Mentalement, l’ancienne GI note d’abîmer la sonnette en piteux état au moment de partir. Avant que d’aller rendre visite à Jake et sa famille. Ce n’est franchement qu’une hypothèse, une drôle d’idée simplement entêtante, car la colère, chez cette sale bête, n’aime pas redescendre. Elle l’a nourrie au sein depuis le jour de sa naissance, faut-il croire. Alors, et même si le timbre de Bonnie lui conseille de mentir, Sierra aime mieux garder les lippes vissées et ne pas répondre. Elle attendra cette nuit, ou le surlendemain, ou le mois prochain ; elle se pointera devant sa porte, comme on le prophétise depuis le canapé, et elle lui infligera de quoi faire passer les plaies et les ecchymoses de la blonde pour du traitement de faveur. Deux choses la débectent viscéralement là-dedans, à la rendre aussi dingue qu’elle est facilement vindicative : le déclencheur et la misogynie de l’ensemble. Au sujet du mobile, Bonnie ne tarde pas à vouloir le décortiquer. « Il faut qu’on parle de quoi ? lâche nonchalamment Sierra en affluant vers le salon. » La sécurité du flingue est remise en place, et lui-même dans le holster. Elle s’en débarrasse, avec son blouson, sur une chaise non loin.

« Je voulais pas que tu l'apprennes comme ça.
- C'est pas important. »

Maintenant qu’elle a l’occasion d’y penser, Sierra s’en fiche assez. Ça flotte au troisième ou au centième plan. Malgré leur liaison erratique (en ce sens qu'elle est pleine d'épisodes et dépourvue de constance), elle prendrait Bonnie avec un enfant. Certaines de ses amantes en ont eu quelques uns. C'est aussi que Sierra considère la grossesse sous le prisme de quelqu'un qui ne s'implique pas. Elles n'ont pas ce genre de relation. Pas à cette époque. « Laisse-moi regarder, répond-elle à l’invitation muette et soulevant les nippes pour atteindre l’abdomen. » C’est fou qu’un type avec si peu de courage ait tant de violence à déverser. La couleur est saisissante et profonde, aussi n’y a-t-il rien de surprenant à ce que Bonnie grimace à chacun de ses mouvements. La sublime esthétique abîmée renforce la volonté de nuire. Toute à ses machinations meurtrières, Sierra n’écoute qu’à moitié ce qu’elle sait qu’on va dire, comme l’on va se défendre. Puisque, de son expérience limitée, elle trancherait tout de même que les enfants changent tout. N’a-t-elle pas bousillé l’existence de sa mère, encore que ni l’une ni l’autre n’ait eu son mot à dire ? Si ce n'est pas mortel, ce n'est pas anodin. Les petits salauds fracassent une vie, dépècent un équilibre souvent précaire pour nourrir leur petit ego grossissant ; ils sont encore plus encombrants lorsque le fruit de deux récurrences, ou d'un pater venu s'évider dans le ventre d'une putain. « J’ai l’air de t’abandonner ? réplique la brune avec un air critique. » Elle fait à peu près le contraire.

« Il faut qu’on mette de la glace là-dessus. » Sierra disparaît dans la cuisine et ramasse un vieux paquet de surgelés. Ça fera l’affaire, décide-t-elle. Après un crochet par la salle de bain, elle se réinstalle au bord du canapé, appose le froid contre le flanc et inspecte l’hématome à la figure. « Il a de la chance d’être encore en vie… » Les mots sont incapables de demeurer confinés dans l'esprit ; il faut qu'elle blâme cette faiblesse sordide qui l'a fait le laisser repartir. « Tu vas lui demander de l'argent pour le bébé ? » C'est peut-être la seule raison pour laquelle Sierra pourrait envisager de le laisser tranquille (ou de ne le visiter qu'afin d'être certaine qu'il payera jusqu'au dernier centime). « Tu vas le garder ? se souvient-elle tardivement de demander. » Après tout, il existe des minots de catins qui ne passent pas le premier trimestre ; elles n'ont pas le temps.
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[flashback - 2008] un homme est passé (avec Sierra) - Ven 6 Avr - 0:59

Bonnie maintient la poche glacée contre son flanc. Tout du long, elle se laisse manipuler et observer sans arguer, ni répliquer. C'est que les mots pensés sont sitôt ravalés par la peur spectrale d'une erreur de jugement. D'un mauvais choix de vie. Elle voudrait de cet enfant. Vraiment. Mais la précarité de sa situation lui fait douter du bien fondé de cette décision. Quel avenir pour lui ? Surtout, quel amour ? Elle qui n'est fondamentalement pas capable d'aimer.  De s'entrevoir et de se construire le moindre instinct maternel. Le moindre instinct tout court. N'est-ce pas là pire que la haine ? L'indifférence. A cet instant, Bonnie décide qu'elle aurait, elle, préféré l'indifférence.

« Sierra... Prévient-elle. »

On ne peut décemment pas se mettre à flinguer tous les cons qui se présentent à sa porte. Aussi mauvaise impression qu'il ait donné de sa personne, Jake Hewson n'est pas le pire de son espèce. Il était même, pensait-elle encore il y a quelques heures, un des meilleurs. Si tant est qu'il y ait quelque chose de bon chez ceux qui visitent aussi régulièrement les catins. C'est surtout que tant qu'on la paye, Bonnie ferme les yeux, et que son hybris la rend particulièrement mauvaise juge de caractère.

« J'ai pas trop le choix. »

L'idée de racoler ou de mendier ne l'enchante guère. Mais elle a à peine les moyens pour elle. Alors pour un enfant... Les dents crissent. A cause des blessures, et aussi en dedans. A chaque fois que Sierra débloque son mécanisme sentimental, son mode de vie lui fait mal à l'égo et à l'intégrité.

« J'aimerais. »

Ce n'est pas la question, pas exactement. Depuis tout à l'heure, le bleu des yeux traîne nulle part, à la cime de la mâchoire, sur l'épaule ou au dessus, partout sauf au regard.

« Je ne sais pas. Tu me vois être mère ? »

Le ton a l'air de se moquer de sa propriétaire. Et pourtant, le cœur érafle douloureusement les côtes, jusqu'à jeter une larme le long de la joue. L'affliction revêt des reflets hybrides, tire davantage de la frustration d'être ce qu'elle est que de la tristesse. Bonnie peut subir, encaisser. Mais saura-t-elle le faire pour deux ? Cette fois, les pupilles observent d'en bas, ternies par la fatalité. Un sérieux morbide craquelle toute la carcasse. Elle voudrait ne pas être née au sein de la Bratva. Elle voudrait avoir eu une mère. Elle voudrait en devenir une. Elle voudrait que le choix soit aussi simple que oui ou non. Ça ne l'est pas.

« Ça sera quoi, ses chances, dans la vie ?... Si c'est une fille, elle finira comme moi. Si c'est un garçon, souffle-t-elle ironiquement, avec un peu de chance, il servira de porte flingue à la bratva... S'il termine pas mort avant ses dix-huit ans... Égorgé dans je sais pas quel règlement de compte sordide ou l'aiguille au bras. »

Les mâchoires se crispent. Les phalanges blanchissent. On ne compte plus les enfants de putes qui tournent mal. On devrait plutôt compter ceux qui tournent bien, justement, tant ils sont rares et exceptionnels. Même alors, il est impossible qu'ils ne soient pas un tout petit peu esquintés par la vie.

« Ouais, j'aimerais. »

Mais c'est impossible, paraît continuer la voix, tandis que déjà, Bonnie se lève péniblement pour gagner une petite console, dans le coin de la pièce. Sa main tâte dans le premier tiroir et sort une palette de maquillage. A se mirer dans la glace pour appliquer du fond de teint, ses yeux tombent forcément sur l'hématome qui parsème sa pommette. Puis sur le regard acéré de Sierra.

« Je dois aller en cours, ce soir. »

Non, il n'y en a pas d'autre.

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[flashback - 2008] un homme est passé (avec Sierra) - Lun 9 Avr - 22:15

Sierra n'est nullement impressionnée par le ton de réprobation de Bonnie. Son sang souffre si fort, si noir, de n'avoir pas enfoncé le canon du Sig-Sauer jusqu'au fond de la gorge. Jake Hewson en aurait gardé le goût du métal pour longtemps, peut-être même pour toujours. Car il n'y a pas que la lâcheté dans l'acte qui la dégoûte, il y a encore l'horreur qu'elle éprouve à voir la beauté abîmée, le visage tuméfiée, d'une femme qu'elle aime plus qu'autre chose. À l'époque, l'oraison n'est pas si limpide pour Sierra, cependant qu'elle sent la blessure intime, qu'on a touché à ses profondeurs, à une chose qui lui appartient dans le creux. Alors, oui, le fait que ce salaud respire, qu'il vive encore, l'insulte et l’insupporte, comme un hommage qu'elle n'aurait pas rendu à celle qui la supplie pourtant de n'en rien faire.

Heureusement, les deux femmes ont un autre sujet pour les déborder. Cet enfant, s'il nait jamais, n'aura certainement pas une vie enviable. Pas de père. Une mère prostituée. La Bratva pour marraine. D'aucuns s'en sortent, paraît-il, encore que Sierra n'en ait jamais rencontré un seul. Ces mômes-là ont autant de chance qu'un gibier amputé de ses pattes arrières. Condamnés d'avance, c'est déjà les faire souffrir que de les mettre au monde. Alors, plutôt que de le formuler dans les mêmes tons que Bonnie, Sierra ne dit rien. C'est une habitude, sa répartie la plus basique, son attitude la plus naturelle. Elle n'aimerait pas que son opinion pèse car, si la blonde veut être mère, personne ne devrait l'en empêcher. Dans un centimètre cube de son crâne, l'albanaise se répète que ce ne sont pas ses affaires, qu'elle ne veut rien avoir à faire là-dedans, parce qu'elle n'élèvera pas d'enfant. Elle, sait qu'elle n'en veut pas. Jamais. On dirait même qu'elle a choisi de préférer les femmes pour être certaine de ne pas le risquer.

Comme elle n'est d'aucune aide, Bonnie doit se lasser de traîner dans ses environs et s'arrache à l'auscultation. Les doigts picotent de s’être montrés si cliniques et de n’en avoir pas bien profité. Depuis le canapé où elle demeure tout de même, la brune observe le maquillage appliqué ça et là, comme s'il avait la moindre chance de dissimuler les sévices enchâssés jusque dans les pupilles. La blonde a eu sa part de souffrance, et celle de plusieurs autres ; personne ne peut l’ignorer. « T'es sûre ? demande Sierra avec un ton concerné. Tu veux que je te dépose ? » Pas que Bonnie ait vraiment besoin de son escorte, et surtout pas pour se rendre à ses cours. « Ou je peux passer te prendre après ? » La voix interroge moins qu’elle propose car, dans sa rage inépuisable, Sierra aurait presque oublié les raisons de sa venue. Elle paraît s'en souvenir ; pourquoi elle est rentrée à Arcadia, pour qui. Néanmoins, elle n’insisterait pas non plus. « On pourrait dîner en ville, suggère-t-elle en se ramassant sur le bord. » Là-dedans, il n'y a pas de quoi faire rêver une femme, ni aucun être humain. Il n'y a que les choses sordides et ordinaires, le fruste comme seule ressource dont dispose Sierra à foison. En filigrane, on devine qu'elle paierait pour les clients dont elle usurperait le créneau de la soirée et de la nuit, que l'argent n'est pas la question – pas un problème –, que l'enfant n'est pas un obstacle. Pas tellement. Pas tout de suite. Elle n'y réfléchit pas vraiment, elle ne comprend pas encore que c'est à propos de ce qui sera elles.
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[flashback - 2008] un homme est passé (avec Sierra) - Sam 28 Avr - 1:50

« J'aimerais beaucoup ça, oui. »

Qu'on vienne la chercher. Dîner. Avoir un simulacre de normalité. Bonnie laisse la moitié d'un sourire échapper. La moitié qui réussit à se faufiler à travers la peau gonflée ou ébréchée. Et puis, la douleur l'assassine aussitôt.

22H35

Dans ce genre de cours, tous les élèves ont en moyenne cinq ans de moins qu'elle. Les deux extrêmes s'étendent ensuite de sept à deux ans. Autrement dit, c'est la doyenne. Un fossé social impossible à combler, si on ajoute à ça son handicap sentimental. Les premières années, ou plutôt devrait-elle dire les premières semaines, ça allait : elle avait ce statut d'invisible, de bonne élève, brave mais trop discrète pour qu'on la capte vraiment. Tout a basculé le cinquante-septième jour, quand elle a eu le malheur de croiser un camarade à Siren Alley, alors qu'elle ramenait un de ses clients à la porte. Au début, il n'a rien dit. Rien dit du tout. Pendant longtemps, Bonnie a cru qu'il lui foutrait la paix. Il aura mal pris le fait qu'elle remballe l'un de ses potes. La rumeur s'est répandue comme une traînée de poudre. Et malgré son incapacité à ressentir, elle le ressentait. Le jugement. Aujourd'hui, le duo ne vient plus aux cours du soir. Or, elle surprend encore des regards de travers. Des résidus. Rien qui l'atteigne réellement. Rien ne l'atteint jamais. Mais dès qu'elle rejoindra Sierra, elle sait qu'elle aura honte. Honte de la vie qu'elle mène. Honte de la vie qu'elle n'a pas. Tant pis. Elle tiendra malgré tout. Jusqu'au bout. Dans deux ans, elle en aura fini. Dans deux ans, elle aura peut-être une vie.

C'est cette vie, qu'elle se surprend à rêver, quand elle rejoint Sierra sur le parking. C'est cette vie, qu'elle se surprend à rêver, quand elle pense au bébé qu'elle porte.

Bonnie engouffre l'habitacle et referme derrière elle. Un soupir tente de marquer la fin de cette journée cauchemardesque. Il y a du soulagement et de la honte, là-dedans, mais surtout de la douleur. La douleur qui remonte par vagues en même temps que le reste de ses émotions. Ce n'est pas grave, estime-t-elle. Parce qu'elle ressent. Le coude rejoint le bord de la vitre, tandis que la main couvre les yeux avant de balayer le reste du visage.

« J'espère que t'as pas trop attendu... J'ai dû finir de rédiger une connerie de papier. Je sais pas ce qu'on trouvera encore d'ouvert, à cette heure-ci. »

D'ouvert et d'un tant soit peu accueillant, on s'entend. Il s'agirait de ne pas terminer dans un fast-food. Elles sortent déjà peu (se voient peu, au demeurant, ou moins qu'elle le voudrait), d'habitude. Elle préfère autant ne pas gâcher l'expérience.

« On peut toujours passer à une supérette pour que je cuisine quelque chose. »

Une grimace de douleur fulgure brièvement sur le visage quand elle boucle sa ceinture de sécurité. Comment arrivera-t-elle au bout de la préparation d'un dîner si elle parvient à peine à pivoter sur elle-même ? Plus important, comment fera-t-elle pour s'en sortir les prochains jours ? C'est la question qu'elle se pose à chaque fois. Et à chaque fois, elle a peur. Peur de ne pas savoir encaisser. C'est pire, maintenant : elle devra encaisser pour deux. La réalisation la glace.

« Je veux juste qu'on passe une bonne soirée toutes les deux. Qu'on en profite. Tant que t'es là. Tant que je suis là. Tant qu'on est ensemble. »

Parce qu'on sait que ça ne dure pas, jamais, pense-t-elle trop haut. Pourtant, cette fois, et de plus en plus souvent, Bonnie se surprend à vouloir que ça dure. A vouloir que Sierra reste. Avec elle. Pour elle. Pour elles.

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