how do you “makeup” ?

@hedda muharib ⊹ @evgenia vesari

Liberté. Retrouvée depuis quelques jours à peine, un miracle orchestré par son frère - elle n’avait pas demandé mais le supposait fortement. D’une humeur exécrable - bien plus que d’ordinaire, l’Amazone affichait encore les marques de son séjour entre les griffes des forces militaires. Des bleus sur la peau restée pâle, faute d’avoir vu le soleil, et des égratignures ornaient la silhouette fine aux muscles juste dessinés.
Comme de coutume, elle n’avait pas gardé son calme. Une fois peut-être, une autre encore, pour laisser à Alessio une chance de la tirer de sa cellule entière… mais la troisième avait été la fois de trop. Et les suivantes, une catastrophe, si bien qu’elle n’en était sortie que des semaines après les autres - encore avait-elle eu cette chance, contrairement à ceux dont le sang diagnostiqué divin avaient sûrement fini dans les laboratoires des scientifiques.  

C’était son dernier jour de la semaine après une reprise éprouvante, et le soir même, la sarde partirait en chasse. Ses yeux fardés de noir-paillettes et ses longs cils étirés vers le ciel, de même que sa bouche écarlate, trahissaient l’intention d’en mettre plein la vue. Elle n’avait plus qu’à enfiler une paire de bottes à hauts talons et à commander un taxi pour filer vers les bars réouverts.

Une pochette en cuir noir balançait à sa taille. L’Amazone l’ouvrit d’un geste sec, y fouilla un moment, et attrapa son téléphone. Quelques secondes plus tard, son visage se fendait d’un rictus agacé alors qu’elle jurait dans sa langue natale. Il manquait quelque chose dans ses affaires d’une importance notable : un tube de maquillage dont elle devrait orner ses lèvres plusieurs fois dans la soirée et qui ne pouvait être laissé derrière.

Un demi-tour énergique et trois soupirs plus tard, elle était de nouveau devant les commodités du 2ème étage abandonnées un peu plus tôt. Sans crier gare - et avec une violence propre à son caractère, elle en ouvrit la porte principale. Le pvc cogna avec fracas contre le plâtre et, fort heureusement, personne ne souffrit directement de l’impact. Par habitude, la Guerrière jeta un regard du côté du mur éprouvé pour vérifier qu’elle n’y laissait ni blessé ni cadavre.  

La lumière était allumée, et en tournant la tête aussi vite que l’y autorisaient ses facultés, elle aperçut la bouille terrorisée de la jeune secrétaire. Dans ses doigts, elle tenait le bâton de rouge à lèvres - celui qu’Evgenia avait oublié sur le rebord d’un lavabo. Étonnamment plus douce avec la Valkyrie qu’avec qui que ce soit d’autre, elle s’approcha lentement tout en dardant ses prunelles acérées sur les joues pâles d’Hedda. Juste à l’endroit où ces dernières avaient aperçu quelques larmes et les sillons tracés par dessous ses paupières.

« C’est pas pour les yeux ça, sweetheart ». Evidemment qu’elle l’avait vue pleurer. Mais par le trait d’humour et le surnom affectueux, elle lui donnait une porte de sortie. Elle ne l’obligerait pas à en parler si Hedda n’avait pas envie. Du reste, la Furie n’était pas douée pour ces choses là. Elle préférait la taquiner sur d’autres, et faire semblant de croire que la brunette s’était blessée avec son tube de Tilbury.

« Il faudrait travailler ton teint d’abord ». Une moue perplexe déformant tout à coup son visage, elle contemplait la créature à travers le miroir. Puis, une main sur la hanche et ses yeux clairs roulant jusqu’au plafond, elle poussa un soupir tonitruant. « Me dis pas que tu t’fais belle pour le clébard ? ». Oh, bien sûr elle était au courant. Tout comme le reste de l’immeuble. Mais leur relation était pure, de celles qui vous guérissent et vous aident à grandir. Non pas qui vous étouffent et vous détruisent à petit feu, les seules qu’Evgenia ait jamais connu. Elle avait beau apercevoir parfois la force et la confiance qui semblaient regagner la Valkyrie, il lui était impossible de comprendre.

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L’amazone secoua son minois de droite à gauche et soupira encore.
Hedda avait raison. Elle ne l’avouerait pas - même sous la torture - mais l’islandais faisait partie de ces hommes respectables qui ne dénigraient pas les femmes ni ne les méprisaient. Il valait mieux que beaucoup d’autres et aux yeux de la sarde, ce surnom n’était dû qu’à sa nature divine. Mais tous les doubles sens qui s’en venaient avec l’amusaient beaucoup trop pour qu’elle cède et s’en prive, quand bien même la Valkyrie l’en aurait suppliée.
« J’aime bien les chiens. Ils sont fidèles, obéissants, et ils meurent plus vite qu’un mari ». Des qualités qui semblaient séduire sa grand-mère aussi, une femme forte et amère qui s’était retrouvée veuve autant de fois qu’on l’avait épousée. Evgenia l’avait entendue répéter cette phrase au cours de son enfance et il ne faisait aucun doute que l’ancêtre, malgré son milieu et l’époque, était restée pour elle une source d’inspiration.

Du coin de l’oeil, la Guerrière surveillait la Valkyrie. Elle savait que ses mots pouvaient la rendre malheureuse même si ce n'était pas son intention. Le tact n’était pas son fort et malgré tout, elle se donnait du mal pour ne pas la blesser davantage ou risquer de répandre ses larmes. Il ne fallait pas trop lui en demander toutefois, surtout quand ses sarcasmes ne la ciblaient pas directement...

Ses ongles longs glissèrent dans ses cheveux décolorés. « Les lèvres, c’est le plus important ». Elle changea de sujet et se tourna face au miroir tout aussi brusquement. C’était presque devenu une obsession. Il fallait qu’elles soient douces, gourmandes et parfumées pour courir sur ses proies et les faire supplier de ne jamais s’arrêter. Autant que la violence, les plaisirs procurés à ses amantes avaient l’effet d’une drogue. Et si elle cachait bien son jeu, l’amazone était tout aussi compétente dans un ou l’autre des domaines.

« Pour celles qui se laisseront tenter ». Ses yeux rencontrèrent ceux d’Hedda à travers son reflet. « Pour soi, c’est déjà suffisant », s’empressa-t-elle de rectifier, certaine de se plaire avant tout à elle-même avant de chercher à séduire qui que ce soit d’autre. La Valkyrie avait besoin de retrouver confiance en elle ; il lui semblait que le meilleur conseil qu’elle pouvait lui donner était de ne pas chercher l’approbation des autres ni même de se préoccuper de ce qu’ils pouvaient dire, et de faire simplement ce qui lui faisait envie. Sur bien des points, il suffisait d’être soi-même persuadé de quelque chose pour convaincre les autres ; « Si le parfum te plaît à toi, continue de les mettre ». Elle marqua une pause et sa mâchoire grinça tandis qu’elle grimaçait ; « il finira par voir la différence, d’une autre manière ». A travers son regard, à travers ses postures… simplement à travers l’image qu’elle lui renverrait d’elle.

« Peut-être. Mais un clown qui peut mettre K.O ceux qui se moquent ». Elle aurait pu sourire et s’amuser de la remarque, néanmoins, l’expression de la sarde demeura ferme et sérieuse. Elle ne manquait jamais une occasion de rappeler à la Guerrière ses compétences et ses pouvoirs. Depuis le premier jour de leur rencontre, Evgenia avait foi en elle et attendait de voir la Valkyrie regagner du terrain. « Et si je te montrais ? ».

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Evgenia se contenta de hausser les épaules. Hedda avait encore raison. Elles étaient différentes. Ce qui était vrai pour l’une ne l’était pas pour l’autre forcément ; ni pour le reste du monde. Et cela reflétait parfaitement ce qu’affirma l’Amazone par la suite. Se faire plaisir à soi avant de plaire aux autres, une priorité qui lui jouait des tours souvent mais Evgenia était quelqu’un d’extrême. Comme elle encourageait la créature dans ce sens, elle savait qu’elle serait plus mesurée qu’elle et que ses conseils ne pouvaient que lui faire du bien.
A contrario, elle ne comprenait pas pourquoi ses railleries sur Eskel rendaient la Valkyrie si susceptible. Et bien qu’elle discernât le sel dans ses prunelles et dans sa voix, elle n’en mesura pas tout à fait l’étendue.

Elle changea de sujet, revint à l’essentiel en se rappelant de ne plus l’évoquer, même si elle se doutait que le chien des Enfers reviendrait quelques fois sur le tapis dans la conversation. Hedda l’aimait, et cela Evgenia le voyait sans pouvoir s’en réjouir. Sans pouvoir l’approuver. A quoi l’amour devait-il ressembler ? Elle n’avait jamais eu d’exemple. Alessio n’aimait pas ; elle n’avait jamais vu Jennie aimer. Leurs parents encore moins. Elle-même s’attachait quelquefois, mais pouvait-on dire qu’elle aimait ? Elle possédait surtout, furie aussi dans ses passions ardentes, dont chacune prenait fin sur un champ de bataille. Comme s’il lui était tout bonnement impossible de nourrir autre chose…

S’attacher l’avait rendue faible, et la Guerrière tâchait de ne pas l’oublier. Non pas qu’elle parvienne à stopper la vague lorsque la fièvre la prenait ; seulement elle en avait appris la vigilance, et à ses yeux, s’exposer de trop près n’en valait pas la peine.
Elle espérait qu’Hedda, éprise d’un homme après toutes les épreuves traversées, ne dégringolerait pas de cette falaise. Ou bien que d’ici là, la Valkyrie ait déployé ses ailes pour pouvoir la sauver.    


    « Tu ne sauras jamais si tu n’essaies pas ». Catégorique, Evgenia acquiesça, et devant les excuses balbutiées par la secrétaire, elle leva discrètement les yeux au ciel. Et puis, elle décroisa les bras et écouta, les doutes et les terreurs d’Hedda, que la femme au fond d’elle pouvaient comprendre - ou du moins concevoir - même s’ils lui étaient étrangers. « Ne le fais que chez toi. Ou ici. Et peut-être qu’un jour, tu sortiras maquillée sans même t’en rendre compte ».

La voix redevenait tranchante, les phrases précipitées de l’Amazone trahissaient son malaise. Le réconfort n’était pas son domaine, pas plus que les promesses…


Et le risque zéro n’existait pas. Ils pouvaient tous y passer, à chaque instant, à chaque coin de rue. Elle était morte une fois, avait failli remettre ça peut-être des dizaines au cours de cette existence là. Mais elle n’y pensait pas. Elle ne songeait qu’à la prudence - dont elle manquait souvent, et la peur ne l’atteignait pas. Elle n’anticipait pas les événements au point de s’en trouver paralysée mais pour être en mesure de les contrer s’ils devenaient problématiques. Sa réponse à Hedda s’inspira de sa propre expérience :

« On fera disparaître les corps. Disparaître les faits ». Elle ne plaisantait pas, même s’ils pouvaient tous échouer encore, la Valkyrie n’était pas seule. A la foire, les choses les avaient dépassés. Tout au fond d’elle, l’Amazone alertait l’italienne, qui soupçonnait de plus en plus Khaos d’avoir jeté quelques fidèles en pâture aux mortels. Pourtant, elle lui était dévouée toujours, parce qu’elle suivait son frère aveuglément.

« Personne aurait parié là-dessus, et malgré tout on est dehors ». Trois mois derrière les barreaux, plus difficiles à vivre que les trois premières années, et ils étaient de nouveau libres. Ca tenait du miracle - surtout de la magie de leurs divinités, et Evgenia préférait se dire qu’ils étaient invincibles, en mettant bout-à-bout ce qu’ils avaient surmonté. « Je trouve qu’on s’en sort bien. Ca pourrait continuer ».
Elle chercha le regard d’Hedda à travers le miroir tout en doutant de l’avoir rassurée. Décidément, elle n’était pas douée pour ça.
Pour embellir par contre...

« Laisse-moi faire ». Impératif sonnant pourtant comme une prière entre ses lèvres, elle ouvrit brusquement la trousse de maquillage et la posa près d’un des lavabos.

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Evgenia ne réfléchit pas - le faisait-elle seulement, des fois ? - et laissa échapper un rire éteint. Ses lèvres s’étirèrent en un rictus malsain tandis que ses yeux clairs crépitaient d’arrogance. « Alors c’est loin d’être bien fait. Quand on est spécialiste, il ne reste aucune trace ». Et sa mâchoire brisée puis resoudée grinça, hors de contrôle, comme à chaque fois.

Elle ne pensait qu’à elle. A elle et à son frère, à sa soeur également, et à leurs talents combinés pour effacer les vies, les violences endurées, les morts assénées par leurs soins.  Il n’y avait pas de place au doute et encore moins à l’approximation dans ce domaine. La sarde était sûre d’elle.


« Si tu veux ». Les yeux, c’était peut-être mieux pour commencer. Les lèvres de la secrétaire étaient trop fines pour une bouche écarlate, et l’Amazone n’avait pas les produits pour donner l’illusion de réhausser leur galbe. Le rouge pouvait durcir ses traits alors et rendre un résultat médiocre.

Elle empoigna sa trousse, un coton propre et une bouteille en verre. « On commence toujours par le teint », affirma-t-elle en guidant le tissu sur le visage de porcelaine. Ses gestes étaient plus doux que d’ordinaire mais ils restaient fermes pourtant. Ses doigts ne tremblaient pas, et ses mouvements précis trahissaient sa concentration.

Quand elle eut terminé de nettoyer sa peau, Evgenia attrapa un pinceau pour appliquer du correcteur sous le regard d’Hedda. Elle apposa ensuite un fond de teint léger, quelques touches l'highlighter pour capter la lumière, et termina par de la poudre blush pour colorer ses joues. « Regarde. Ca change, déjà ». Il suffisait de peu pour faire la différence.

La guerrière s’écarta pour laisser à la créature le loisir de s’admirer seule, et se lava les mains en attendant. « On continue ? » Elle voulait hydrater sa bouche avec un baume au miel, poser un joli gloss brillant pour maquiller ses lèvres, et finir par ses yeux. Tracer un trait de eye-liner sur ses paupières, les farder d’ombres et recourber ses cils avec du mascara.

Elle allait ouvrir un petit pot en fer quand les lumières de la salle d’eau se mirent à vaciller. Evgenia fronça les sourcils et releva les yeux vers les néons des lavabos. L’un d’eux s’éteignit pour de bon. « Ca va recommencer ? », siffla-t-elle, agacée, en faisant référence au blackout général de ce début d’année. Même eux, les soldats de l’armée des ombres, n’avaient jamais eu le fin mot de cette histoire. Le courant avait réapparu avant qu’ils ne soient arrêtés, et depuis, c’était comme si rien de tout cela n’avait eu lieu. Comme un peu tout, à Arcadia...

L’Amazone soupira, et alors qu’elle allait se rapprocher d’Hedda, la porte d’un cabinet de toilettes se referma violemment.

Jusqu’à preuve du contraire, il n’y avait qu’elles dans cette pièce, et pas le moindre courant d’air…

« Je savais pas qu’on avait une Mimi Geignarde, ici ». Plaisanterie faite - allez savoir d’où elle tenait la référence, elle s’avança pour rouvrir le compartiment sans l’ombre d’une hésitation. « Vide », commenta-t-elle, en coulant un regard à Hedda.

L’ambiance devenant plus sinistre, la sarde fut soudain parcourue d’un frisson ; un spasme lent et froid qui lui glaça le sang.

Il ne s’agissait pas de peur pourtant, juste d’une réaction physiologique… « Tu l’as senti aussi ? », demanda-t-elle, ses orbes bleues fixant la Valkyrie.