i'm going to kill you (Tarek) - Jeu 12 Avr - 19:24
I'm going to kill you
Les nuages sont bas dans le ciel, menaçants. La journée a été longue et la perceptive d’entendre son téléphone sonner suffit à le faire grimacer. La Bratva a tendance à ne pas se préoccuper des horaires. Et ne pas répondre, c’est avoir des hommes agacés à sa porte dix minutes plus tard. Ou derrière lui dans la rue. Ça fait bien longtemps que Daniil a abandonné l’idée de garder une vie privée vis-à-vis de la mafia. Il a encore dix minutes de marche pour arriver chez lui. Il aurait pu prendre le bus, mais ça aurait signifié s’entasser dans un car trop chaud, regarder les gens rires avec un ami, parler joyeusement au téléphone ou écrire un SMS à une connaissance le sourire aux lèvres. Des interactions sociales qui après une journée de service ne font que lui rappeler le silence de son appartement. L’effervescence de l’hôpital est remplacée par le calme et la solitude de son trois pièces. Il est vide, trop vide. Il devrait y avoir quelqu’un avec lui pour le rendre plus vivant. Quelqu’un pour râler quand il claque la porte en prenant son service de nuit, quelqu’un pour grommeler quand il laisse un fond dans la brique de lait, quelqu’un pour frissonner quand il oublie d’allumer le chauffage. Quelqu’un pour rire avec lui des bêtises qu’il peut voir ici et là, quelqu’un pour partager ses repas. Quelqu’un, un ami, un colocataire, un étudiant, qu’importe, une présence. Parce que quand il rentre dans son appartement le soir, il a l’impression que la façade de sa vie s’effondre en quelques secondes, que le silence l’étouffe, que les sourires qu’il donne le matin n’ont servi rien, que derrière son masque, il y a un vide. Mais il ne veut pas vivre avec quelqu’un qui ne saurait pas pour la Bratva. Mais il veut vivre avec quelqu’un d’innocent. Il ne veut pas mettre en danger la vie de quelqu’un inconscient du monde qui l’entoure, il ne veut pas avoir à mentir, quand il part en pleine nuit pour aller lire quelques runes.
L’air frais et humide lui fait du bien. Ses pas se pressent alors que, vieux réflexe qu’il se déteste d’avoir, il regarde autour de lui, scrute des visages. Il sait ceux qui reviennent souvent pour lui dire « on a besoin de toi ». Cette phrase, ça veut dire que quelqu’un doit mourir. Ça veut dire que la Bratva a quelqu’un dans le viseur et qu’elle compte sur lui pour tout lui dire, pour détruire une vie sans même le vouloir. Il se demande si les prophètes tués récemment ont été aussi prolifiques que lui. Si eux aussi, ils ont foutu en l’air des dizaines d’existences, s’ils ont tué ou dénoncés, s’ils ont soigné des fous, s’ils ont jugé des malades. Il se demande beaucoup de choses depuis la découverte des corps ensanglantés. La Bratva voudrait qu’il reste en sûreté, dans le quartier russe, sous leur protection. Ça veut aussi sous leurs yeux, dans leurs mains et c’est insupportable. Il n’a pas tenu vingt-quatre heures avant de fuir du bâtiment de briques qui le retenait prisonnier quelques jours plus tôt. Il arrive chez lui sans recevoir d’appel, ni de son frère ni de personne. Il se dit que sa journée est finie, qu’il y a eu pire, que demain c’est repos et que peut-être même, avec un peu de chance, personne ne lui demandera rien. Il ne se dit pas que dans son appartement, il y a quelqu’un d’autre et que la présence tant souhaitée le soir s’est invitée sans rien demander et pas pour râler.
