Si loin des dunes qui les avaient vues naître, les filles du désert. Si loin de leur Jordanie natale. Si loin de leur patrie et de leur enfance.
Et toujours ensemble, malgré tout.
Les princesses des mille et une nuits. Expatriées.
Ensemble.
Filles du désert, filles du gouverneur, filles de l'or. Or partout, or dans leurs peaux, or dans les cheveux de l'aînée. Or dans leurs veines et dans leurs parures. Ichor céleste, étoiles qui cerclent leur front. Filles d'un dieu, déesses incarnées. Fortes lorsque séparées, puissantes ensemble.
Elle est assise au bar de la cuisine, un thé à la menthe devant elle, et elle est appliquée à éplucher une pomme d'un seul trait, la fille de la mer. Ses yeux qui vagabondent dans la pièce, qui glissent sur la peau claire et laiteuse de Silena, l'aînée, la perle de France, le joyau de la Grande Nation. La soeur qu'elles ont si rarement vues dans leur enfance, la soeur qu'elles ont malgré tout adoptée. Puis les yeux sombres se posent sur Lyra, et ses lèvres s'étirent en un fin sourire. Lyra, sa soeur, l'autre moitié de son âme, sa partenaire de crime, la Bonnie de sa Clyde. Lyra, qu'elle a toujours protégée, Lyra qu'elle protègerait toujours. Lyra, qui s'accroche à ses pas, qui s'accroche à son ombre. Puis vient Zahira, ensuite, Zahira la belle. Sa demi-soeur, la fille du désert, celle que leur père a gardé entre ses griffes. Sa liberté contre son train de vie. Accepter le mariage pour conserver ses rentes. Zahira, qui a payé le prix des refus de ses aînées. Et Jahida, enfin, la plus jeune, Jahida la solitaire, Jahida son bébé. Sa soeur biologique, sa petite soeur. Dont elle est si fière. Et, absents, leur frère, et leur père, son ombre menaçante qu'elles rejettent d'un geste négligent de la main.
Elles sont si fortes, les filles du désert. Ni dieu ni maître.
Elle mord dans sa pomme, et le jus gicle joyeusement, quelques gouttes qui atterrissent sur la joue de Silena, à qui elle adresse une pichenette taquine. 'Désolée, Barbie, je visais les yeux.' Clin d'oeil affectueux, et elle se souvient brusquement du trésor qui occupe ses poches. Alors elle s'en empare, fait glisser le bijou vers Jahida, sans même accorder un regard de plus au collier d'or massif orné de pierres écarlates, aussi rouges que du sang frais. 'Dis, Jahi, tu pourrais m'estimer ça? On a ramassé ça dans un vieux gréement au large de la côte, un trois-mâts de l'époque Stuart. Lyra a essayé de l'estimer, mais on sait toutes que les pierres, c'est ta spécialité.' Ses yeux dérivent vers Zahira, se font taquins. 'Comme ça, on l'offre à Zahira comme parure de mariage, et on le revend après. Il lui faudra bien ça pour le garder, le Panéhésy.'

La pièce est calme, chose rare lorsque quasiment tous les Al Khayzuran sont réunis. Mais cette fois chacune des sœurs semble absorbée par quelque chose. Jahida n’échappe pas à la règle. Plongée dans son livre, ses pensées sont pourtant bien plus loin. Un peu partout à la fois. Au refuge de l’association, où une jeune maman est arrivée la veille avec son fils de 6 mois sous le bras. A la boutonnière de cet homme d’affaire croisé dans une boutique, où un rubis brillait insolemment comme s’il la suppliait de lui appartenir.  
A la maison, là-bas, après l’océan, la terre et la mer. Son propre refuge d’enfant qui lui manque comme si elle n’en était partie qu’hier. Princesse amère qui n’a pas fait le deuil de son désert, de ses étendues ocres et infinies, de ses grains de sables coincés entre les immeubles d’Amman. Dernière des princesses têtues, juste avant le petit prince. Famille de cris et de cyclones, de chaleur et de collisions, d’amour et de réconfort. Al Khayzuran est synonyme d’ouragan tropical et de froideur sibérienne. Au fond, véritable tempête de sable. Violente et agressive, ils surplombent les dunes et leur vie comme un royaume. Arcadia n’est pas le sable, ni la chaleur ou le cœur. Peut-être seulement une étape qui dure depuis un peu trop longtemps. Jahida étouffe, suffoque. S’il y a bien une chose qui la soulage, la comble et l’anime, ce sont les autres. Ces joyaux d’Amman et perle de Paris. Rubis dans les veines qui partagent son quotidien. Elles sont belles ces sœurs. Elles ont le sang qui cabre quand on les contrarie, les yeux qui rient quand on les aime. Alors Jahida elle est bien avec elles. Et c’est la voix de Nessie qui la sort de ses pensées à mille lieux du confortable salon qu’elle partage avec ses sœurs. La blonde Silena est déjà penchée au-dessus du bijou alors que Nerissa taquine Zahira. Les yeux de Jahida sont rivés sur les pierres qui ornent la parure. C’est beau. C’est magnifique. A chaque fois elle a le souffle coupé devant la beauté des joyaux qu’elle a l’occasion de voir. Et si les pierres sont froides au toucher, elle s’émeut à chaque fois de sentir leur chaleur, comme si chacune lui racontait les histoires qu’elle a vécu à travers les époques, ornant un bras ou reposant au creux d’un cou. « Stuart tu dis ? Tu as peut-être là quelque chose d’encore plus ancien Nessie. » Ses yeux brillent et le bout de ses doigts effleurent le bijou presque révérencieusement. « La chaine correspond à cette époque. Mais les œillets et la façon dont les pierres sont montées me semblent plus vieux encore. » Elle s’est mise à sourire sans s’en rendre compte. Son aînée vient de lui apporter de quoi illuminer le reste de sa journée. Jahida lance un regard émerveillé à Silena et enroule son bras autour de celui de la blonde pour se retenir de s’emparer des pierres qui semblent l’appeler, avant de se tourner vers Lyra. « A mon avis, les pierres sont plus vieilles et ont été remontées sur un collier plus récent à l’époque. T’en penses quoi Lyra ? » Cette fois elle relève la tête et adresse une moue espiègle à Zahira comme savent si bien le faire les benjamins. « Et toi Zahi ? Tu penses que cette babiole vaut le coup de se faire passer la corde au cou ? »

(hrp: j'avoue, j'ai failli mettre un gif des pussycat dolls au début du post.)