L’atmosphère oscille péniblement entre le venin et la paix. Mais n’a-t-elle pas l’impression agréable, tout à coup, de se trouver à l’extérieur et non plus dans le confinement d’une cabine d’ascenseur ? Y a-t-il seulement un simple mortel parmi eux, du reste ? Gamze s’efforce de ne pas trop se mêler du petit rassemblement de bonheur qui se joue à quelques pas, ni de pâlir au nombre de « quatorze » qu’elle croit avoir entendu ; se concentre plutôt sur la politesse de Monsieur Esposito qui ne se démonte pas à l’audace de sa proposition. Il est en cela tout aussi efficace qu’une illusion, parce que la colère de l’hispanique commence à devenir un peu gênante, légèrement disproportionnée – il ne doit pas supporter l’enfermement, songe-t-elle avec sympathie. Le sourire de connivence que lui inspire l’Italien se transforme en indulgente complaisance quand la musique de la radio retentit. Origines françaises, peut-être ? Le bref crépitement des lumières aurait pu rendre l’instant sordide ; mais la voix est agréable, le rythme entraînant. Elle s’en contente et les fredonnements de l’homme ajoutent bientôt à son amusement. Cependant, alors que la chanson semble un instant distraire l’hispanique de ses angoisses, celui-ci poursuit ses incorrections – il ne peut pas être sérieux – et Gamze craint pour les humeurs de la future mère qui les accompagne. L’idée qu’elle vient de partager est pourtant bonne et elle acquiesce à l’intervention de Clemens – le médecin, donc : « Ne vous mettez pas en peine, dit-elle à la jeune femme (@Annalisa Fjalarsdottir), je m’en occupe. » Loin d’elle l’idée de confondre grossesse et infirmité, mais dans une telle situation, il lui semble plus judicieux de préserver sa tranquillité. Par bonheur, l’acupuncteur (@Leif Nyström) semble tout aussi disposé qu’elle à mettre à profit sa grande taille. Elle rit quand il se met spontanément à genoux. « Merci beaucoup. », répond-elle en se déchaussant – promis, elle ne sent pas des pieds, et puis il serait suprêmement impoli d’imposer ses semelles éprouvées par l’extérieur à ses mains nues. Du bout des doigts, elle s’appuie sur l’épaule du géant et grimpe souplement jusqu’à la trappe d’accès au toit de la cabine grâce à la solide courte échelle qu’il lui offre – de longues années de gymnastique lui permettent de ne pas l’écraser ce faisant. D’une main ferme, elle repousse la trappe qui s’écrase sur le toit dans un fracas métallique. Là-haut, des lumières mouvantes sont maintenant perceptibles. « J’ai l’impression que les techniciens sont en train d’intervenir, remarque-t-elle en remettant pied à terre et en remerciant à nouveau son coéquipier de fortune. Enfin. » Elle se rechausse tranquillement. « J’espère que tout le monde se sent un peu mieux, à présent ? »