Assis à une table isolée, l'homme n'était qu'une silhouette comme toutes les autres de l'établissement  et se remarquait peu. Des ombres plus que des personnes, des ombres accoudées au comptoir, odeurs de café, odeurs d'alcool...
Quelques couples se faisant face comme seuls pouvaient le faire des ennemis tout en se tenant la main pourtant. Et d'autres gens buvaient solitaires, eux.
Qui buvaient seuls, qui attendaient de la même manière que Jan attendait également.

Bientôt quelqu'un tirerait l'autre chaise de la table pour s'asseoir près de lui, bientôt quelqu'un le regarderait dans les yeux puisque c'est bien ainsi qu'il faut regarder autrui. Bientôt enfin, Jan parlerait.
Peu de bonnes nouvelles ce jour, quand bien même le détective en annonçait des pires parfois. Parce que s'il donnait des réponses aux questions de sa cliente, celles-ci ne seraient jamais assez pour autant.
Jan ne pouvait pas faire plus, aucune des choses de ce monde ne se pliait à son contrôle après tout. Il ne pouvait pas faire plus...

Enfin elle arriva, approcha, et Jan se leva pour l’accueillir, lui serrer la main. Quelque chose de guindé en lui, quelque chose d'étranger aussi, comme une frontière invisible entre l'homme et les autres et ce peu importe la différence de nature. Jan, toujours sur des routes étranges ne regardant que lui, toujours en quête, toujours loin de tout, y compris des autres. Pour cette même raison, l'homme avait peu d'amis, ne s'en chagrinait pas.
Dahlia devant lui, Dahlia aux yeux clairs et sombres tout à la fois. Jan l'invita à s'asseoir...
Ce qu'il savait de la jeune femme était peu, n'avait pas d'importance. Des frontières encore une fois, des distances... A  Arcadia, aucun coeur n'était simple et trop en voir pouvait apporter bien des douleurs. La jeune femme n'était pas son ennemi, mais une cliente. Quelqu'un dont l'argent l'aiderait à manger autre chose que des pâtes à l'eau avec quelques lardons solitaires, la moindre des choses était donc pour Jan de rester poli, non?

”J'ai retrouvé votre homme, Miss Byrne”, commença-t-il.
Descendre jusqu'au Mexique n'avait pas été une sinécure, et Jan s'était sentie prêt à tuer plus de dix personnes différentes dans chacun des aéroports où il avait du faire escale jusqu'à destination.
Depuis quand les gens étaient-ils si malpolis?
”Il n'est pas mort, tenez...”
Jan saisit une enveloppe en papier kraft et la fit glisser jusqu'à la jeune femme. Dedans, des photos de la vie d'Alejandro de l'autre côté de la frontière.
En silence,  il laissa Dahlia les consulter, chacune d'entre elles avec sans doutes le tourbillon de pensées qu'elles amenaient.

”Vous avez donc au moins une réponse maintenant, de quoi faire le ménage dans votre tête et vous en poser d'autres pour vous recentrer. Mais ce n'est pasà une psychiatre que je peux apprendre cela, n'est-ce pas Miss? Je vous commande quoi, un café? Quelque chose de plus fort?”

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Jamais elle n’aurait cru faire un jour appel à un détective privé. Envahir la vie privée d’une tierce personne, ce n’était pas le genre de Dahlia, en dehors des thérapies qu’elle offrait à l’hôpital. Là, elle leur demandait de parler. Néanmoins, jamais elle n’obligeait quelqu’un à se dévoiler, et si on l’oubliait, tant pis. Elle avait toujours eu ce côté très détaché du monde et des relations. Plus d’une fois, elle avait été une option pour tous ces gens, présente quand ils en avaient besoin, avant d’être relayée dans le fond d’une valise, et envoyée à l’autre bout du monde. C’était la réalité d’une psychiatre, et encore plus de l’américaine dans toute sa vie. Elle avait pris l’habitude, de laisser le temps aux autres, quitte à ne pas voir l’abandon. Pourtant, cette fois-ci, il y avait eu quelque chose de différent. C’était stupide, puisqu’elle connaissait l’attirance d’Alejandro pour les hommes, ce qui la rendait donc… Hors catégorie. Et même en le sachant, une part d’elle s’était désespérément accrochée à l’homme. Non. Etait-ce elle ou la banshee, celle qui recherchait la vie ou l’autre, qui se complaisait à l’approche de la Mort ? Jusqu’où son âme avait-elle été dévorée par la créature qui l’accompagnait ?

Alors, quand le mexicain avait mis les voiles, sans un mot pour celle à qui il avait dévoilé sa nature, Dahlia l’avait mal pris. Pour la première fois de sa vie, il y avait une colère latente de s’être fait avoir, un dégoût profond d’avoir laissé cela se produire. C’était pour cela qu’elle avait fait appel à Jan Arsen, détective privé en se promenant sur internet, dans la rue, laissant ses oreilles traîner. De toute façon, Dahlia Byrne n’était pas connue au sein de la communauté pour être un quelconque danger… Ni même pour exister à vrai dire. Elle était un fantôme, une âme parmi toutes les autres. Et à Arcadia, clairement, elle n’était pas intéressante. Trop de morale, d’éthique, pas assez facile à manipuler, peu malléable… Quoi que ce Jan tente de trouver sur elle pour la manipuler par la suite, il n’y aura rien. Pas d’amis, pas de famille, juste des allers-retours dans des zones de conflits, où elle avait officié pendant des années en tant que chirurgienne bénévole. L’expérience avant tout, mais qu’elle n’avait jamais pu utiliser sur les terres arcadiennes, une blessure par balle dans l’épaule lui retirant toute chance de pratiquer dans le futur. C’est la vie.

Ca avait été sa phrase favorite pendant des années. Quand elle poussa la porte du café, elle était pourtant étrangement tendue. Dans le fond, elle savait très bien ce que le détective allait lui annoncer. Sauf que lui aurait les preuves dont son cerveau avait besoin pour avancer. Elle avait toujours fonctionné de la sorte Dahlia, et aujourd’hui, elle n’avait plus à cœur d’être autrement. Juste, au fur et à mesure, elle s’oubliait, se perdait dans la banshee qui aspirait la vie autour d’elle. Les gens ne faisaient que fuir…

Une main serrée, un sourire pour masquer la neutralité, l’ennui. Elle savait jouer la psychiatre, connaissait les affres de la nature humaine. Et surtout, elle n’oubliait pas, à son grand dam. « Bonjour Monsieur Arsen. » Pause, léger hochement de tête. « J’espère que cela ne vous a pas trop causé de soucis. » S’inquiéter pour les autres, sans l’ardeur qu’elle avait à ses débuts. Mais c’était resté, ça s’était ancré dans sa chair et dans son âme. Une enveloppe lui fut donnée, et les pupilles se promenèrent sur toutes les photos qu’elle contenait, une à une, même celles qui bousillaient son cœur. Au moins, il était à l’abri, et heureux. Juste elle était encore plus perdue, avec cette nature à laquelle elle s’acclimatait doucement. Il lui faudrait trouver quelqu’un pour l’aider, pour comprendre à nouveau. Ou découvrir seule, à défaut. La question se fraya un chemin jusqu’à son cerveau, la sortant de la transe dans laquelle ces nouvelles l’avaient plongée. « Un café suffira largement, merci. » Un sourire, puis les images furent reposées, bien qu’à jamais gravées dans la mémoire. « Je me doutais qu’il n’était pas mort, il avait juste besoin de se ressourcer à l’époque. Merci d’avoir ramené ces photos. » Qui finirent par retourner dans l’enveloppe. « Combien je vous dois pour votre travail ? Et les notes de frais à vous rembourser ? » Elle s’était renseignée oui, sur les conditions. Et si elle ne roulait pas sur l’or, elle s’en moquait bien du montant à dépenser. C’était à faire, et elle l’avait fait. Point final.

Un nouveau regard vers le détective qui lui faisait face. Et cette fois-ci, c’était une âme qu’elle perçut, se tenant légèrement en retrait, comme à chaque fois que ses propres barrières s’effaçaient. Qui était cette silhouette pour Jan ? Pourquoi restait-elle auprès de lui ? Pupilles dans le vide, Dahlia en oublierait même la situation dans laquelle elle se trouvait…

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Un signe de tête au serveur suffit à commander les cafés. Ce n'était pas la première fois que Jan venait ici, dans cet établissement, pas la première fois qu'un client l'y rejoignait et les gens savaient y faire preuve de pudeur et d'intimité.
Devant lui, la jeune femme semblait aussi brisée qu'entière. Il ne jugeait pas, la vie gardait assez de coups de poings pour tout le monde, pas de quoi faire le malin.
On apporta leur commande, sans faire de commentaire Jan poussa l'emballage du petit chocolat sur sa soucoupe, vers la jeune femme.

”Mes notes de frais sont compris dans la facture, pas de dépense en plus. Le devis que je vous ai fourni prenait déjà en compte un voyage jusqu'au Mexique compte tenu des origines de cet homme.” Ca se savait à Arcadia : le détective n'arnaquait pas.
Ca se savait, ça énervait aussi car la droiture n'était pas toujours la plus respectée des valeurs, ça intriguait. Pas de somme mirobolante, donc, quand bien même il y avait un prix à payer.
Il fallait bien vivre, il fallait bien avancer...
L'homme secoua la tête, le mouvement avait quelque chose d'infime à sa manière, bien que parfaitement visible. Une négation qui se contentait presque d'une expression plutôt que d'un geste...
Une femme l'avait aimé pour cela un jour, pour cela et pour tant d'autres choses encore. Cette femme était morte et même à Arcadia, certaines tragédies semblaient plus grandes que la vie même.

”Hé bien les voisins ont cru que je venais pour un autre homme qu'ils planquaient et que je souhaitais ramener aux Etats Unis”, répondit Jan puisque un geste ne suffisait pas. ”Fort heureusement le quiproquo a été élucidé de manière sommes toutes assez rapide” Cela n'avait pas empêché la violence, elle était en lui comme elle était en tous les hommes après tout. De cette violence, le lion riait. Les animaux savait faire cela parfois...
Devant lui, le regard de Dahlia changea alors. Cela n'avait rien à voir avec ce que le détective venait de dire pourtant et quelque chose en Jan voulut se recroqueviller plus encore.
Sur les morts, le lion n'avait aucun pouvoir. Il portait en lui son amour triste, enragé, il le portait et refusait de s'en séparer pour tous les “je t'aime” qu'il n'avait pas sut dire quand il le fallait.

”Miss?” Il y avait une âme près de lui, oui. Sans colère ni rancune, et Jan ne pouvait pourtant le savoir. Il cherchait un visage dans toutes les portes entrouvertes quand son chagrin était trop grand, ce même visage qu'il avait vu ainsi, depuis l'ombre d'une autre pièce et le seuil d'une porte, pour la dernière fois. Vivant. Il cherchait un visage et ce qui restait de cette femme, de ce visage, le regardait peut-être encore depuis d'autres portes?
A moins que ce ne soit que son deuil et son chagrin à qui jan avaient donné forme humaine, comme une colère de trop, comme un poids de plus aussi.
Il se cala un peu mieux sur sa chaise, brisa le silence.

”Cet homme, vous l'aimer?” Non, Jan n'utilisait pas le passé. Il connaissait l'importance du temps, celui qui s'écoule, celui qui ne s'écoule plus. Son propre coeur était lui aussi une horloge arrêtée à un seul et unique amour... ”Ses choix à lui ne sont pas votre faute à vous.”

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Elle aurait voulu pleurer. Craquer. Laisser fuir une unique fois les émotions. Elle répétait souvent à ses patients qu’en parlant, que se laisser aller à une once de vulnérabilité, c’était ce qui les rendait humain. Ils n’avaient pas à en avoir peur, et elle ne les jugerait jamais pour vider leurs sacs, tant que la violence ne s’en mêlait pas. Cependant, elle-même était incapable d’appliquer ses propres conseils. Heureusement qu’aucun ne lui demandait de faire cela, ou si elle pensait que c’était efficace. Car elle avait foi en la thérapie qu’elle offrait, juste, pour ses soucis personnels… Un long soupir quitta ses lèvres, et elle laissa les pensées retrouver leur place loin dans son esprit. Pour ce soir, elle en avait eu assez. Un café bien relevé, un peu de chocolat, et elle serait d’aplomb pour retourner travailler. Les malades n’attendaient pas eux, et le besoin constant d’attention qu’ils réclamaient lui permettait d’oublier les souffrances de son âme. Ca avait toujours été ça, toujours tout donner pour les autres, les mettre au premier plan, et se perdre dedans. Au moins, elle était utile, pour quelques heures, quelques jours, quelques semaines…

« Vous êtes prévenant. Cela ne m’étonne pas qu’on vous ait chaudement recommandé. » Tout était au même prix qu’annoncé dans le devis. Au moins, elle n’aurait pas à faire plus d’heures supplémentaires pour se payer ses services… Enfin, ce n’était pas comme si elle avait autre chose à faire de sa vie en y repensant. Le sourire sur ses lèvres effaçait la tristesse qui semblait pointer le bout de son nez. C’était un moyen comme un autre d’y faire face… La peur se faufila dans les iris aux diverses explications, et elle ne put s’empêcher d’être navrée pour l’homme. « Je suis désolée de vous avoir mis dans cette situation… Les cartels ne sont pas tendres, mais vous n’avez pas l’air blessé. » C’était déjà ça. Il s’en était sorti, même si elle aurait dû évoquer les relations… Mafieuses de l’être qu’il avaient cherché, suivi. Pour qu’il puisse s’y préparer correctement. La prochaine fois, elle y penserait. Même s’il n’y aurait pas de prochaine fois, vu les nouvelles qu’on lui avait données…

L’esprit perdu, et il fallut une remarque, une interrogation de la part de Jan pour revenir dans l’instant. « Pardonnez-moi, je suis juste un peu fatiguée. » L’excuse fausse, qui se percevait dans son ton. Qu’importait, à qui pourrait-elle avouer qu’elle voyait en fait les fantômes, sans avoir le moindre contrôle dessus ? Alejandro était supposé l’aider. Maintenant, elle devait se débrouiller, en priant pour ne pas se faire tirer dessus comme un lapin, si les dons lui échappaient. Comme si elle avait cela à penser aussi. Elle joua avec le sachet de chocolat, finit par l’ouvrir, pour prendre une bouchée du carreau. La question lui arracha un sourire, empreint d’une profonde tristesse. « Je connaissais ses préférences quand je l’ai rencontré. » Ou plutôt, il lui en avait parlé, tout comme des sentiments qui l’unissaient à Joaquin. Elle savait, mais il avait ce charme solaire dans lequel elle s’était embourbée. Ce n’était pas de l’amour. Mais c’en était proche d’un côté… « Il m’a simplement aidée à une période compliquée de ma vie. » Oui, c’était l’explication la plus rationnelle. Tout comme l’impression d’avoir été importante. Enfin, ce n’était que la mort l’attirant, rien de plus…

« Je sais bien, et il sera certainement bien mieux loin d’Arcadia. » D’une violence à l’autre, cela semblait peu importer. En réalité, il s’était éloigné du foyer de sa souffrance, de ces hommes qui ne souhaitaient que sa destruction. Et elle… Elle risquait d’y mettre les pieds, dans cette organisation. La raison se retenait encore, mais pour combien de temps… « Vous vous êtes déjà demandé… Si finalement, ce n’était pas le mieux qui pouvait arriver ? Même si cela fait souffrir, c’était certainement le mieux. » Se rassurer. Parce que dans le fond, c’était pour elle qu’elle avait le plus peur…

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Prévenant, pas un mot qu'on utilisait souvent pour parler de Jan et quelque chose au fond du détective, comme la part la plus sombre de lui-même, s'amusa à ricaner en silence. Parfois, jan était ainsi : cruel derrière un masque d'impassibilité.
La jeune femme, ses souffrances, au nom de cette douleur même Jan avait franchi les frontières pour lui apporter la vérité dont elle avait besoin.
Le pouvoir de l'argent...

Il but son propre café, jamais assez noir, jamais assez sombre, puis reposa la tasse sur la soucoupe. Des secrets que Dahlia avait cru voir derrière le détective, la jeune femme ne dit rien et lui-même ne questionna pas plus. Certaines choses étaient mieux ainsi, il le savait, en souffrait et en saignait peut-être mais le savait quand même. ”Connaître ses préférences, cela n'empêche pas d'aimer, Miss.” Et les yeux clairs du lion ne détenaient aucune vérité, eux. Tout ce que Jan savait, c'était que le monde était injuste, cruel, que les foutus sentiments semblaient jamais là pour leur faire du bien à tous.

La question que posa Dahlia ensuite fut comme une autre douleur. Un court instant, Jan sembla pris au dépourvu et quelque chose en lui évoqua alors un animal chassé, piégé. Un sentiment brut et primal, une chasse sans vainqueur, une chasse sans vaincu.
Ses mains tenaient toujours la hanse de la tasse, la soucoupe aussi, pourtant il lui semblait encore les sentir gratter la boue face à l'inéluctable, à la carcasse d'une voiture défoncée, aux lumières vives de l'ambulance qui ne servait à rien, à la nuit aussi, à la nuit surtout....

”Les choses arrivent, c'est tout ce que je sais, avec tous les chemins différents que l'on choisit ou non d'emprunter.”

Il aurait pu être plus violent, il aurait pu être plus amer.
Face à un miroir Jan l'était parfois...
Autour d'eux, des murmures de vie, et lui il repensa à la manière dont une femme avait fredonné un jour. Il ne l'avait jamais complimenté à ce sujet, se rappela-t-il. En vérité, il l'avait complimenté sur si peu de choses... Souvenirs et non-dits. L'attention du détective revint sur Dahlia: ”Pour vous c'est en effet ce qui peut arriver de mieux.”

Et l'homme haussa les épaules, lui détestait parler. ”Il vous a aidé à une période difficile à présent derrière vous, foutez le derrière vous lui aussi et vivez votre vie. Que ce soit votre faute, la sienne, on s'en fout : aucun de vous deux n'est mort alors vous creusez pas les épaules pour un poids qui n'a pas lieu d'être.” Jan et le tact, Jan et la subtilité...
Son intention n'était pas de sermonner la jeune femme, encore moins de lui porter une colère quelconque, mais à défaut de sentiment ou d'empathie, lorsque l'homme parlait, cela était souvent comme un torrent glacial et rien de plus.

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Un rire s’échappa de ses lèvres, presque trop léger au vu de la situation. Evidemment que connaître n’empêchait pas les sentiments de se développer. Mais dans le fond, l’aimait-elle réellement ? N’était-ce pas un attachement purement manipulateur de son côté ? Après tout, il l’avait sauvée, il lui avait apporté des connaissances quand l’esprit était sur le point de se briser. Il était une portée d’entrée sur un monde surnaturel inconnu, qui avait contrebalancé la peur et l’horreur de ce monde. Ou alors qui l’avait plongée là-dedans. L’un comme l’autre, il était devenu un être important dans son existence, alors qu’elle n’était qu’un intérêt parmi tant d’autres. Qu’un être surnaturel qu’il souhaitait ajouter à sa collection. Rien de plus. « Ca aurait été mieux de garder sous contrôle pour le coup. » Vulgaire syndrome que la psychiatre pouvait observer, bien loin de l’amour. Parce que c’était toujours mieux de faire croire qu’une maladie quelconque s’était emparée de l’esprit, plutôt que de voir la vérité en face. C’était aussi ce qu’elle avait fait vis-à-vis de sa nature, à se créer des raisons là où il n’y en avait aucune. Des explications alambiquées, qui pourtant l’ont convaincue pendant des semaines, des mois. Jusqu’à ce qu’il s’en mêle…

Un sourire, pour clôturer le sujet. Le mieux qui puisse arriver. Oui, car le pire serait sa mort. Sa seconde mort. Et cette fois-ci, aucune créature ne viendrait lui sauver la peau, non. Lamentablement, elle s’écroulerait, se viderait de son sang sur le sol. Peut-être que ce seront les mafias qui auront sa peau, après tout, elle était suffisamment proche de celles-ci. Alliées, ennemies, elle n’avait que faire des liens qui les liaient entre elles, avec elle. Dans le fond, si elle savait pour Alejandro, ce n’était pas le cas de ses autres patients, des anciens comme des nouveaux. Dahlia attirerait, les âmes en peine, les âmes dont le passé était lourd. Elle avait toujours cette oreille attentive, cette main tendue, sans forcément d’espoir dans la race humaine, divine, surnaturelle. Ce n’était qu’une habitude dont elle ne s’était pas défaite. Il y en avait tant d’autres qui représentaient, courraient après la noirceur des âmes, alors, la psychiatre n’avait qu’à s’accrocher au filon positif qui s’en dégageait, sans s’attendre au mieux. « Vous avez certainement raison. » La suite lui arracha presque un nouveau rire. Tout avait l’air trop joyeux. Mais la réalité rattrape bien vite le monde. « De toute façon, tant qu’il vit, il peut bien faire ce qu’il veut. » Parce qu’elle n’avait pas envie d’être hantée par une âme supplémentaire, les vivants étaient déjà bien prenants.

Ca aurait pu s’arrêter là. Elle avait eu ses réponses, lui son argent. Une main serrée, et plus jamais ils n’auraient dû se revoir… Néanmoins, y’avait quelque chose qui la chiffonnait. Et tant pis si cela dévoilait sa nature par la suite, cela prouverait seulement que lui aussi faisait partie de ce monde. Néanmoins, jusqu’ici, rien n’avait été souligné, elle en déduisait donc qu’il était encore trop humain pour s’en rendre compte. « Je veux peut-être abuser de votre temps mais… » Pause, le temps de rassembler ses pensées. « Vous avez fait un excellent travail, et je souhaite vous embaucher pour une autre tâche… Si vous avez du temps à lui accorder. » Evidemment, l’américaine ne le pousserait pas à s’en occuper si c’était impossible pour lui. Néanmoins, elle préférait évoquer toute la situation dès le début. Ou une partie qui rentrait le tout compréhensible dirons-nous. « J’ai été agressée en Juin 2018. Violemment. Une plainte a été déposée auprès de la police, mais l’agresseur étant un homme au sein du département psychiatrique de l’hôpital, aucune enquête n’a réellement été menée. » Pause. Autant évoquer de potentiels doutes pour expliquer qu’elle lui en parle. « Je me demande si quelqu’un d’autre n’a pas été mêlé à cette histoire. » Une collègue notamment, présente bien trop rapidement sur les lieux… Ou une mafia, potentiellement. Car pour devenir une créature, il lui fallait mourir. Alors, elle savait bien que le moment charnier était ces quelques minutes où la vie s’était échappée de son corps… Mais évidemment, personne ne savait, personne n’avait cherché à comprendre comment l’homme était sorti de sa chambre…

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Une autre affaire, une autre demande. A nouveau, jan se cala sur son siège. Il avait envie d'une cigarette, songea au ciel encore bleu au dehors, à la vie, chacun de ses vrombissements, à ce qu'il pouvait faire, à ce qu'il ne pouvait pas choisir.
Et il était là, dans ce café, à écouter ce qu'acceptait de lui raconter une femme avec ce que cela comportait de malheur. Dehors le bleu du ciel, ici....ici autre chose, des choses qui ne finissaient pas, jamais.
Il croisa les mains sur le plateau de la table, de la même manière qu'un félin poserait une patte l'une sur l'autre, couché et attentif pour scruter le monde à ses pieds.

”Je peux faire cela, Miss, et encore une fois je vais vous embêter avec des généralités” Un demi sourire presqque imperceptible lui traversa le visage. Une émotion fugace qui ne se lisait pas cependant et lorsqu'il souriait, seul Jan le avait.

”Je vais enquêter sur cette agression, écouter vos soupçons, suivre chacune des pistes que je trouverai. Cependant il se peut également que mes conclusions ne soient pas en mesure de vous satisfaire, parce que vous avez subit un choc d'une violence extrême, qu'il vous faut rationaliser ce choc de différentes façons et que les faits, eux, n'ont ni raison ni logique. “ Tout en parlant, il avait sorti son petit carnet, de même qu'un crayon de bois. Une prise de note rigoureuse, quasi scolaire, le crayon semblait fragile entre les doigts de l'homme.

”Vous aurez des réponses mais pas forcément vos réponses.” Venait un autre problème enfin, celui du paiement. Une somme conséquence avait déjà été versée par Dahlia pour sa précédente demande. Conséquente, mais nécessaire...

”La première semaine, je ne vous facture rien. Si l'enquête doit durer plus de dix jours et empiéter sur d'autres, alors vous serez tarifée à l'heure. En attendant puisque je reste dans le secteur géographique d'Arcadia et dans un lieu restreint comme l’hôpital...faisons comme si je travaillais bénévolement. Ne vous faites pas agresser tous les jours, ce ne sera pas tout le temps ainsi...” Une phrase comme une mise en garde étrange, une menace presque. Parce que l'humour de Jan se construisait comme son être entier par la violence seule.

”Juin alors? Été 2018, tout sauf une bonne année. Pas qu'on en ait beaucoup dans cette ville mais bon... “

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La demande avait été lâchée, un besoin de réponse soudain quand la situation datait de quelques mois, si ce n’était années. Dahlia n’était pourtant pas du genre à se raccrocher au passé, ou à se poser des questions. Néanmoins, elle savait très bien que ce qui lui était arrivé pouvait arriver à d’autres. Et ne serait-elle pas complice de laisser une personne comme ça dans la nature, au contact de malades, d’autant plus des personnes en difficulté, instable ? Si un ou une de ses collègues était derrière tout cela, c’était son devoir d’en parler, surtout dans une ville aussi gangrenée qu’Arcadia en termes de mafia. C’était déjà le cas d’Alejandro, et elle ne serait pas étonnée que d’autres factions se battent pour le contrôle de l’hôpital. C’était une mine d’or pour obtenir des personnalités malléables pour se battre pour des idées aussi futiles et inutiles que les organisations criminelles. Finalement, à Arcadia ou dans une zone de guerre, ce n’était pas réellement différent. Il y aurait toujours de la haine, de la manipulation et les endroits empreints de neutralité deviendraient théâtre des règlements de compte ou de la prise de contrôle. Jusqu’à ce que la Mort les ait tous fauchés.

« Je comprends, je vous donnerai les informations que je possède. » C’est-à-dire les bien maigres preuves accumulées depuis des mois, avant que la Police ne clôt l’affaire. Avaient-ils réellement cherché eux ? Et elle finalement, ne s’était-elle pas dédouanée de son rôle à apporter des réponses ? En fait, elle avait juste voulu oublier l’histoire, quand sa mémoire accrochait le moindre souvenir. Dahlia ne pouvait pas oublier. C’était une tare, prompte à la rendre folle. Si jusqu’ici, elle était parvenue à gérer l’afflux de rappels, d’éclats mémoriels, un jour ou l’autre, tout se brisera. « Je ne cherche pas des réponses qui me plairont. » Pause. « Je ne pense pas qu’elles me conviendront dans tous les cas. Je veux juste être capable de tout rationaliser. » Surtout que désormais, il y avait une banshee qui côtoyait son corps. Alors, juste savoir pourquoi elle s’était fait agresser, ça aiderait à relativiser. Ca aurait pu être n’importe qui, pour n’importe quelle raison. En vrai, même ça ça lui suffirait comme réponse. Une autre personne aurait certainement eu moins de chance. Les doigts se tordirent légèrement, au fur et à mesure que les réflexions se frayaient un chemin dans son cerveau.

Elle sourit doucement à la remarque de Jan. Ne pas se faire agresser tous les jours… « Je m’en passerai bien dans tous les cas. » Une banshee était déjà suffisante, pas besoin d’en rajouter une autre. Etait-ce simplement possible ? Elle n’en savait rien et même après plusieurs mois, le surnaturel lui restait inconnu dans sa globalité. « En revanche, je ne suis pas pour vous faire travailler bénévolement. Il y aura dédommagement à la fin. » Ferme, ce n’était pas un point sur lequel elle était prête à négocier. S’il prenait du temps sur une affaire comme celle-ci, c’était la moindre des choses de le payer. « Juin 2018 oui. Le 18 pour être très précise. » Et ça, pour l’être, elle l’était en permanence… « Je sortais de l’hôpital après mon service, vers 23h. Je suis arrivée dans le parking de l’établissement... » Pause. « Et je n’ai jamais atteint mon véhicule. Un homme m’a agressée au couteau et m’a passée à tabac. C’est un miracle que j’en sois sortie en vie selon mes collègues. » Chirurgiens, médecins… Elle s’en était sortie. A quel prix ? « C’est un patient de la division psychiatrique qui s’en est pris à moi. » Avec raison, ou sans raison donc ?

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Il avait sorti de sa poche un stylo, le genre élégant, le genre qui rendait bien aux doigts de son propriétaire aussi, qui faisait sérieux. Qui brillait, qui était aussi noir et lisse qu'un chagrin, qu'une griffe peut-être un peu/
Un stylo dans sa main, un stylo entre ses doigts, des notes à prendre, des mots à écouter. Il écrivait, Jan, noircissant les pages d'une écriture moins sombre que le stylo pourtant. Il écoutait, il écrivait...
Une histoire de violence (extra)ordinaire. La chance de survivre, avait-on dit à cette femme, était-elle du même avis, cachait-elle autre chose?
Dahlia, un nom de fleurs. Il n'y avait jamais eu de dahlias en Grèce du temps du lion, celui-ci s'était roulé à d'autres plantes à d'autres pétales et...et les pensées de Jan dérivaient, devenant celles du monstre presque. Cela pouvait arriver, son coeur froid ne s'en glaça pas plus, beaucoup de choses lui restaient égales en ce monde.

L'unité psychiatrique, un endroit qu'on laissait peu sans surveillance. Quelqu'un s'en était échappé, capable de trouver un couteau par la suite, d'attaquer une femme. Peu à peu, Jan s'appropriait les doutes de sa cliente, les comprenait: elle était infirmière, travaillait dans l'hôpital, savait donc les mesures de sécurité.

”Je suppose que vous m'auriez signalé si les effectifs étaient faibles ce soir là, permettant à ce patient d'avoir peu d'obstacles à son évasion?” Un couteau. Même pas un scalpel ou autre objet tranchant mais...un couteau?
Soit ce patient en unité psychiatrique avait eu assez d'esprit pour faire un détour par la cuisine, soit en effet, on le lui avait donné.

Des petits détails, des détails pour faire froid dans le dos. Face à lui, Dahlia restait droite, neutre, un peu à l'image que Jan se faisait de tous les psychologues du monde, même ceux d'Arcadia. Quel était son processus aujourd'hui, s'attardait-elle, via les enquêtes, à résoudre un par un tous les traumatismes de ces dernières années? Il pouvait juger, il pouvait hausser les épaules, il ne pouvait rien faire et rester droit comme elle, tout simplement.

”Des gens avaient des raisons de vous en vouloir?” Une question qu'encore une fois, la jeune femme avait du se poser sans son aide. Il ne disait rien de nouveau, Jan, il mettait en lumière les évidences pour se permettre d'écarter toute fausse piste.
Mais on était à Arcadia, la ville avait ses particularités, les gens aussi. Dans un autre endroit, les mobiles d'agressions étaient classiques, morbides, absurdes et définis. Ici, ici il pouvait y avoir quelque chose d'autre grattant sous la surface.
Cela faisait sourire le lion en lui, féroce, moqueur. Le lion qui jugeait les hommes.

”Ce patient, qu'est-il devenu?”

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Pourquoi, soudainement, décidait-elle de revenir sur cette sordide affaire ? Des années avaient passé depuis les faits, une bonne année tout du moins, et elle avait vécu dans l’ignorance jusque-là, s’était adaptée à la situation, à la présence d’une banshee en elle. Les deux ne faisaient plus qu’une, et l’américaine ne pouvait combattre son existence. En fait, il lui avait fallu des mois pour comprendre ce qu’elle était, pour qu’on lui explique que la solitude ne la toucherait plus jamais. Elle avait eu de la chance finalement, qu’une créature se faufile sous la chair, soigne les blessures, lui permette de survivre. Avait-elle si ardemment désiré sa survie ? Ou était-ce un malheureux concours de circonstances, pour que la Mort élise domicile en elle ? Les questions étaient multiples, bien qu’elles ne soient pas formulées. Autant ne pas embêter le détective avec un surnaturel qui pourrait lui être inconnu, comme il l’était pour elle avant la date fatidique. « Tout semblait normal quand j’ai quitté mon service. » Pause. « La psychiatre de nuit était déjà là, les surveillants faisaient leur ronde… » Ronde dont l’autre aurait pu se servir. Il était si simple de comprendre les déplacements de ces gens.

Néanmoins, il fallait prendre en compte que les patients de l’hôpital pouvaient être brillants. Ce n’était pas parce que les maladies mentales entachaient leur jugement et comportement que l’esprit était stupide. C’était ce qui les rendait dangereux, sans moralité, sans éthique. Mais Dahlia s’en moquait. Pour elle, ils pouvaient être aidés. Même si sa chair se souvenait encore de l’attaque… « J’ai plus d’ennemis dans les gouvernements d’autres pays qu’à Arcadia normalement. » Ah, l’époque où elle se promenait dans les zones de conflit, cherchant à soigner et aider les populations locales, sous le feu des tyrans… C’était il y a des années, donc elle n’y croyait pas trop. « A moins que ce soit des collègues qui voulaient prendre ma place, des policiers, juges ou mafias ne supportant pas mon avis sur un dossier ? » On était déjà venus la voir, pensant pouvoir la manipuler. Certains avaient été déçus de n’avoir aucune ficelle à tirer pour que le résultat aille dans leur sens. D’autres ne pouvaient que souligner son intégrité. Deux poids, deux mesures… « Je ne sais pas vraiment. Je ne pense pas avoir d’ennemis en ville. » Même s’il n’y a pas d’amis non plus.

Quant au patient… « Il est toujours dans l’unité psychiatrique. » Une nouvelle pause, alors qu’elle réfléchissait. Il était si proche, mais jamais elle n’avait eu à s’attarder sur lui, à y penser. « Son identité ne m’a jamais été donné, pour éviter que mon jugement ne soit affecté. » Cependant, peu avaient conscience de la mémoire qu’elle possédait. Si elle se retrouvait face à son agresseur, elle ne pourrait que le reconnaître, pour les quelques secondes où ses traits s’étaient gravés dans son esprit. « Même si vous parvenez à le retrouver, aucun interrogatoire ne pourra être mené sur lui. » Parce qu’il était à l’hôpital, et qu’un détective n’y avait pas accès. Après, sans nul doute pourra-t-il avoir accès aux psychiatres qui avaient traité cet homme…

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”Ne sous-estimez pas mes capacités”, gronda le Lion.

Parce que Dahlia ne désirait ni jugement, ni cour, ni avocats, parce que Dahlia voulait des réponses. Moyens légaux ou illégaux, désormais Jan n'avait plus à se soucier de cela si quelque chose de la vérité pouvait apparaître alors. Une marge de manoeuvre infime, différente...
Bien sûr, un patient dans un hôpital psychiatrique (si tant est que le détective puisse le retrouver) était difficile d'accès. Sauf qu'autour d'eux, de ce café, de l'hôpital dont l'ombre planait dans la discussion, il y avait Arcadia.
Arcadia, la ville où tout le monde pouvait se corrompre, pour les bonnes raisons comme pour les mauvaises.
Personnel hospitalier compris.

Devant lui, la jeune femme estimait avoir peu d'ennemis non pas dans la vie en général mais ici, simplement. Comme si quelque chose d'elle était détaché par rapport à la ville en elle-même, qu'il y manquait la présence de Dahlia, sa substance. Lui, il ne jugeait pas, chacun ici possédait une nature propre, unique, parfois double, parfois différente. Il le comprenait à sa façon, sans phrases ni mots, il l'acceptait de la même manière tout comme il acceptait sa propre nature animale.

”Pour récapituler, l'enquête devra porter sur oui ou non l'agression a été commandité ou bien s'il s'agissait d'un malheureux hasard. Je suppose que vous n'avez pas une mafia en ennemie plus qu'une autre également?”

Les choses semblaient difficiles : trop de troubles, trop de floues. Peut-être n'y avait-il rien à découvrir, cela n'empêcherait pas Jan de chercher encore et encore, puis de faire facturer ses efforts ainsi que Dahlia le désirait. Qu'y avait-il à apprendre vraiment d'un pourquoi ou d'un comment? Encore une fois, l'homme ne put s'empêcher de demander.

”Rien de ce que je pourrais vous dire selon mes résultats ne changera votre place ici. Ne vous accrocher pas à l'illusion de quelque chose, d'un point d'ordre dans un chaos ambiant. Le monde continue de tourner quoi qu'il arrive, des gens vivent leur vie, d'autres non. Continuez de le faire vous aussi, tant pis pour ce qui était avant, tant pis pour ce qui viendra après. On avance, on recule, les choses sont ainsi, que l'on tombe ou non. Je prends l'enquête, vous aurez rapidement de mes nouvelles...”

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Pensait-elle qu’il n’y arriverait pas ?

Oui, très certainement. Parce qu’on ne parlait pas là de traquer un mafieux incapable de couvrir ses traces comme Alejandro Flores, mais d’un patient en hôpital psychiatrique. Et elle était bien placée pour savoir que la protection des patients, de leurs identités, des vidéos de surveillance étaient très élevées. Certes, il pouvait utiliser des moyens moins légaux pour s’infiltrer dans les bases de données, pour arriver à contourner la vigilance de ses collègues voire des forces de l’ordre… « J’ai vu ce que vous êtes capable de faire, j’ai confiance en vos capacités. » Pause. Elle avait confiance en ce qu’il pouvait faire, mais elle était réaliste, pessimiste. « La psychiatrie reste juste un domaine particulier, et y rentrer peut s’avérer complexe. » Tant qu’on reste dans la légalité. Tant qu’on en a quelque chose à faire de faire attention aux autres, de ne blesser personne. Quand on en arrive au point de Dahlia, ou au professionnalisme de Jan, tout cela semblait bien inutile.

Seule la vérité comptait.

Au détriment de toute éthique, même venant de l’américaine.

« Pas forcément commanditée, mais surtout savoir si effectivement c’est un malheureux hasard, ou s’il y a eu un quelconque manquement. » Pause. Devait-elle en dire plus ? Ou cela influencerait le détective dans le mauvais sens… Dans un soupir, elle reprit. « Il se peut que certains autres psychiatres fassent partie de mafias. Et qu’ils utilisent des patients pour couvrir leurs crimes. » Evidemment, les patients étant considérés comme inaptes à aller en justice leur permettaient de perpétuer des crimes sans être inquiétés. Tout devait être calculé. Dans une ville comme Arcadia, ce ne serait guère étonnant. « Même si ce n’était pas voulu, si quelqu’un n’a pas fait attention ce soir-là, cela constitue une faute grave. » Dahlia avait toujours pris les soins donnés très à cœur. Elle tentait de redonner confiance à ces gens qui parfois n’avaient rien demandé, ne voulaient pas être ici dans leur vie. Leur permettre de commettre de telles atrocités, les utiliser dans de tels buts, ça l’écoeurait plus que mesure. Entre ça et les enfants-soldats, elle avait vu que les plus faibles étaient souvent ceux dont on se servait, ceux qu’on manipulait. Incapables de se battre, de se défendre, ils devenaient des cibles faciles à endoctriner.

Elle sourit doucement aux propos du détective. L’ordre, le chaos, sa place dans le monde… Elle ne s’accrochait plus à rien depuis des années. Elle errait dans le magma de son existence, sans être capable de savoir d’où elle venait, et où elle allait. C’était illusoire de vouloir s’accrocher à quelque chose, mais profondément humain. Dahlia avait sacrifié depuis longtemps cette part-là, à force de voir les gens partir, mourir. Elle haussa les épaules. « Je le sais ne vous en faites pas. » Pause. Le regard se perdit un instant dans son café. « J’avancerai jusqu’à ce que quelqu’un ou quelque chose y mette un point final. C’est un jour qui finira bien par arriver, je ne reste qu’une humaine après tout… » Une humaine plus si mortelle que cela. Une humaine dangereuse dans ses relations, sans en avoir la moindre idée…  

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Jan secoua la tête, le visage calme sous le geste. ”Je ne dénie pas la complexité des choses, Madame” rétorqua le Lion presque amusé. Non, aucune porte ne s'ouvrait devant lui quand il claquait des doigts, pas plus que Jan ne disposait de passe-droits mirifiques dans les institutions de la ville.
Bien au contraire.
Mais il savait fouiller et fouiner, gratter sous les réglementations pour trouver la zone d'ombre nécessaire à ses questions, voilà tout. Du temps, de l'investissement, beaucoup d'efforts pour peu de choses souvent. Ce n'était que dans les films quand chaque révélation pesait un poids métaphorique de dix tonnes capable de relancer une affaire. Ils n'étaient pas dans un film.

Néanmoins, Dahlia lui faisait confiance. Si Mexico avait été un test, Jan semblait le remporter. La seule qui repartirait les poches vides, sans même un lot de consolation, serait Dahlia, la cliente elle-même. C'était ça aussi, la vie...

”Les fautes graves sont aussi ridicules que courantes parfois”, tempéra-t-il. Même dans les endroits sensés être les plus surveillés qui soit. Alors parfois oui, il était facile de transformer un crime en négligence ou bien une négligence en crime. Parce que l'esprit humain refusait toujours la logique des choses face à l'inévitable et l'inéluctable, parce que la conscience demandait l'analyse plutôt que l'acceptation.

”Ce que nous sommes n'est qu'une broutille” concéda Jan, les yeux dans le fond de sa tasse bien vide. En attendant, il lui revenait à lui de ne pas trop attirer l'attention de Dahlia dans ses investigations. Peu importe les réponses que le détective apporterait à la jeune femme (et il veillerait à ce qu'elles soient parmi les plus justes possible), il n'était pas là pour la mener à sa chute.

”Je ne m'en fais pas pour vous, non. Je sais reconnaître les gens forts.” et les autres, il possédait cet instant pour eux de protection sans savoir si cela avait avoir avec l'homme ou le Monstre. Il aurait pu parler à Dahlia de l'aura qu'il sentait sur elle, mais à quoi bon? L'humanité à Arcadia revêtait bien des définitions, Jan n'en réfutait aucune.

”Vous avez mon numéro personnel, n'hésitez pas en cas de besoin. Quant au reste, je crois que nous en avons fini.”

Et, presque brusque mais pourtant jamais vraiment, Jan se leva. Un instant, il posa la main sur l'épaule de la jeune femme alors qu'il passait près d'elle. Il y avait de la sympathie dans ce geste, un contact humain d'une victime n'ayant trouvé aucune explication à son drame et à son deuil, à une autre. Un pied d'égalité, non pas un détective et sa cliente.

”Portez vous bien, miss.”

Et, sans un mot de plus, Jan s'en alla régler au comptoir avant de disparaître. Un serveur vint ensuite jusqu'à la table de Dahlia, déposant devant la jeune femme un autre café et un énorme croissant au beurre, cadeau muet de détective.
Prendre soin des gens, une nature plus qu'un métier.

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Envoyait-elle un homme, un quasi-inconnu, au casse-pipe ? Auparavant, elle y aurait réfléchi à deux fois, aurait préféré rester silencieuse et sauver les gens dans l’ombre. Cependant, la guerre lui avait rappelé que la vie n’était pas aussi simple, aussi binaire. Toujours croire que l’être humain était une personne bien n’entraînait que des malheurs. Alors, aujourd’hui, elle refusait de couvrir des crimes, des gens prêts à tout pour ne pas finir entre les griffes de la Police. Quitte à utiliser d’autres êtres vivants. Dahlia en avait juste marre de croire que ces êtres changeront, s’amélioreront. Alors, elle pouvait bien dévoiler quelques-uns de leurs secrets, de ceux qui les feront s’écrouler, tel un fétu de paille. L’américaine avait fini par perdre cette peur de décevoir, ce besoin de reconnaissance. Désormais, elle était capable de faire chuter, si cela s’avérait utile pour sa santé mentale…

« Une faute qui mène à la mort d’une personne ne me paraît pas si ridicule. » C’était un murmure, tant elle refusait l’idée d’une telle faute. Dans son service, on se devait de faire attention, de respecter des règles strictes pour permettre les soins et la réhabilitation de tous. Ne pas les respecter revient à détruire la vie de toutes ces personnes. Et si un médecin était incapable de composer avec les obligations, pourquoi diable choisir une telle voie ? Trop de questions, si peu de réponses, elle laissa échapper un soupir de ses lèvres. « En effet, nous ne sommes pas grand-chose. » Une réalité. L’humain était bien peu dans ce monde, encore plus quand les divinités se battaient pour récupérer le contrôle. Cette réflexion aurait pu lui arracher un rire néanmoins, elle s’attendait au pire. Elle n’était rien, même en tant que créature, incapable de combattre, de se défendre. Etait-elle si forte finalement ? En donnait-elle simplement l’illusion, pour mieux y croire elle-même. Elle sourit doucement aux propos de l’homme. « Merci. » Qu’il la considère réellement comme forte ou non, cela importait peu. Cependant, la confirmation lui offrait un peu de répit, un éclat d’espoir au milieu d’un monde s’alourdissant un peu plus de noirceur à chaque seconde.

« Je n’hésiterai pas. » Pause. Il s’était déjà levé, approché, avant même que Dahlia ne puisse esquisser le moindre geste. « J’attends vos retours. » Qu’ils soient positifs ou négatifs, bons ou mauvais. Il n’y avait que des réponses, qu’importait le résultat. L’ombre d’un sourire se dessina sur ses lèvres, à la suite des mots de Jan. « Merci. Faites attention à vous aussi. » Surtout vu la violence de l’enquête qui l’attendait. Si seulement Dahlia avait su qu’en parler avec Ikaar, de ses doutes, aurait suffi à régler le souci. De façon nettement plus violente. Au lieu de cela, elle envoyait un homme dans la gueule du loup.

Cependant, aucun doute ne se glissait dans son esprit à cette minute précise. Elle ne faisait que sourire à la vue du croissant et du café se posant sur la table devant elle. Il était bien prévenant ce Jan…

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